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Décisions

CA Saint-Denis de la Reunion, ch. com., 4 mai 2016, n° 13-02454

SAINT-DENIS DE LA RÉUNION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Mascareignes Distribution (SARL)

Défendeur :

Libya Oil Reunion (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Froment

Conseillers :

M. Szysz, Mme Derouard

Avocat :

Me Rapady

T. com. mixte Saint-Denis, du 12 nov. 20…

12 novembre 2013

LA COUR

Depuis 1971, Jean-Pierre B. exploite une station-service située au Tampon, 10e kilomètre, sous couvert d'un contrat dit de location-gérance.

En 1977, il est devenu propriétaire des murs de la station-service et le 10 juillet 1978, il a passé un bail commercial avec la société Tamoil devenue SAS Lybia Oil Réunion.

La SARL Mascareignes Distribution a exploité une deuxième station-service située au Tampon, 9e kilomètre, jusqu'au 31 août 2008.

Par acte du 5 novembre 2012, Jean-Pierre B. et la SARL Mascareignes Distribution ont fait assigner la SAS Lybia Oil Réunion aux fins, notamment et à titre principal, d'obtenir la requalification des contrats de location-gérance et le paiement, à la société Mascareignes Distribution d'une somme de 200 000 euros, à titre de dommages et intérêts, pour rupture illicite de relations contractuelles.

A titre subsidiaire, ils ont sollicité la désignation d'un expert pour évaluer le préjudice subi par la perte du droit d'exploitation.

Par jugement contradictoire rendu du 12 novembre 2013, le Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis (La Réunion) a :

- rejeté la demande tendant à la requalification des contrats liant les sociétés aux droits desquelles intervient la SAS Lybia Oil Réunion d'une part, Jean-Pierre B. et la SARL Mascareignes Distribution d'autre part,

- rejeté la demande tendant à la condamnation de la SAS Lybia Oil Réunion au paiement à la SARL Mascareignes Distribution d'une indemnité de dommages et intérêts,

- condamné Jean-Pierre B. et la SARL Mascareignes Distribution à payer à la SAS Lybia Oil Réunion la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné Jean-Pierre B. et la SARL Mascareignes Distribution aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration enregistrée au greffe le 18 décembre 2013, Jean-Pierre B. et la SARL Mascareignes Distribution ont relevé appel de cette décision.

Par arrêt mixte en date du 20 février 2015, la cour a :

- déclaré l'appel interjeté par Jean-Pierre B. recevable,

- déclaré ses demandes irrecevables car prescrites,

- laissé à Jean-Pierre B. la charge de ses propres dépens et l'a condamné à prendre en charge les dépens exposés par la SAS Lybia Oil Réunion en première instance en cause appel,

- débouté la SAS Lybia Oil Réunion de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- avant dire droit sur les mérites de l'appel de la SARL Mascareignes Distribution,

- vu les articles L. 420-1 à L. 420-7 et les articles R. 420-3 à R. 420-5 du Code du commerce,

- invité les parties restant en cause à s'expliquer sur le moyen élevé d'office par la cour de l'irrecevabilité de l'appel interjeté par la SARL Mascareignes Distribution,

- dans cette perspective, renvoyé la cause et les parties à la conférence de mise état dont la date sera précisée ensuite aux conseils des parties par le greffe de la cour.

Par ordonnance sur incident rendue le 14 décembre 2015, le conseiller de la mise en état a :

- constaté que le conseiller de la mise en état n'est saisi d'aucune demande particulière,

- constaté que les parties ont conclu en lecture de l'arrêt mixte du 20 février 2015,

- prévu la clôture de l'instruction au 26 janvier 2016.

Dans ses dernières écritures en date du 7 septembre 2015 intitulé à tort conclusions sur incident mais adressé en fait à la cour, la SARL Mascareignes Distribution demande à la cour d'écarter le moyen d'irrecevabilité tiré de l'article L. 420-1 du Code de commerce et de déclarer son appel recevable et de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure afin qu'il soit statué sur ses demandes telles qu'exprimées dans ses conclusions récapitulatives.

Elle sollicite en outre la condamnation de la société Lybia Oil Réunion à lui payer la somme de 4 000 euro au titre des frais irrépétibles.

Dans ses dernières écritures en date du 21 juillet 2015 la SAS Lybia Oil Réunion demande que l'appel de la SARL Mascareignes Distribution soit déclaré irrecevable sur le fondement des dispositions de l'article L. 420-1 du Code du commerce et de la débouter de l'ensemble de ses demandes.

Elle sollicite en outre la condamnation de la société appelante à lui payer la somme de 4 000 euro au titre des frais irrépétibles.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et de leurs moyens respectifs.

Sur ce LA COUR

Attendu que dans son arrêt mixte rendu le 20 février 2015, la cour d'appel de ce siège relevait que l'action de la société Mascareignes Distribution tendait à la requalification des contrats " et aussi, sans que cette prétention ne soit formulée à titre subsidiaire, à ce qu'il soit dit et jugé que la rupture des relations contractuelles pour la station du 9e kilomètre est fautive en raison de l'absence de négociation de bonne foi et du déséquilibre imposé par la société Lybia Oil Réunion" ;

Mais attendu que l'action de la société Mascareignes Distribution a été engagée sur le fondement juridique des dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil, alors qu'est recherchée la responsabilité de la société Lybia Oil Réunion dans le cadre dans la phase préalable de l'élaboration d'un contrat ;

Que surtout, elle est recherchée aussi sur le fondement et sous le visa des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce relatif aux abus de position dominante " ;

Attendu que par application de l'article L. 420-7 du même code, les litiges relatifs à l'application des articles L. 420-1 à L. 420-5 et ceux dans lesquels ces dispositions sont invoquées, sont de la compétence exclusive des juridictions désignées par les articles R. 420-3 et R. 420-5 du même code pour les traiter ; que la seule juridiction d'appel compétente est la Cour d'appel de Paris ; que l'inobservation de cette règle est de nature à constituer une fin de non-recevoir de l'appel ;

Attendu que c'est dans ces conditions que la cour soulevait d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'appel interjeté par la société Mascareignes Distribution ;

Attendu que la société Mascareignes Distribution fait valoir que le litige principal concernait la propriété de la clientèle commerciale exploitée dans la station-service et que ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elle a formé une demande indemnitaire à l'encontre de la société Lybia Oil Réunion ; que cette demande indemnitaire est fondée sur les articles 1134 et 1147 du Code civil et que ce n'est qu'à titre illustratif que l'article L. 420 du Code de commerce est invoqué; que la demande indemnitaire n'était pas fondée sur l'abus de puissance économique qui n'était qu'un argument surabondant et qu'elle a fondé sa demande sur le comportement fautif lors du renouvellement du contrat; que les fautes de la société Lybia Oil Réunion étaient antérieures à la rupture du contrat et que donc on ne peut pas dire que le litige est relatif à la rupture d'une relation établie;

Attendu que l'article L. 420-2 du Code civil [sic] dispose qu'est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ; qu'est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l'article L. 420-6 ou en accords de gamme ;

Attendu que par un raisonnement particulièrement byzantin la société Mascareignes Distribution fait valoir que la rupture du contrat n'est pas imputable à la faute de la société Lybia Oil Réunion sur le fondement des articles L. 442-6 et L. 442-3 du Code du commerce mais sur celui de l'article 1147 du Code civil; que " ce qui est mis en avant est la mauvaise foi contractuelle manifestant un abus de puissance économique au sens de l'article L. 420-2 du Code du commerce "; que les fautes visées auraient été commises pendant la période de conclusion et d'exécution du contrat ;

Attendu que nonobstant les affirmations de l'appelante tous les manquements invoqués sont l'expression d'un abus de puissance économique et sont à l'origine de la rupture du contrat; qu'il suffit de se reporter à ses propres écritures: " le refus fautif du repreneur et l'insertion de clauses manifestant un abus de puissance économique ", " la société Lybia Oil Réunion a abusé de son droit pour imposer un avenant totalement déséquilibré et léonin et elle a contraint la société Mascareignes Distribution à envisager la cession de son droit d'exploitation à un tiers ", " la société Lybia Oil Réunion n'a pas fait de concession et a maintenu sa position abusive ", " l'obligation... est abusive et révèle un abus de puissance économique et une atteinte à libre concurrence en ce qu'elle a contraint l'exploitant à cesser une activité... ";

Attendu que dès lors il convient de considérer que l'action engagée par la SARL Mascareignes Distribution est bien fondée sur les articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce et qu'en application de L. 420-7 et R. 420-3 et R. 420-5 du Code du commerce l'appel est irrecevable ;

Attendu qu'aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile;

Par ces motifs : Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Déclare irrecevable l'appel interjeté par la SARL Mascareignes Distribution ; Déboute la société Lybia Oil Réunion de sa demande formée en application de l'article 700 du Code de procédure civile; Condamne la SARL Mascareignes Distribution aux entiers dépens d'appel.