CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 10 mai 2016, n° 15-03076
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Cleverade (SAS) ; Cote Cine Group (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Palau
Conseillers :
M. Ardisson, Mme Dubois-Stevant
La SAS Côté Ciné Group, anciennement Infoway, a pour activité de collationner les éléments liés à la promotion des films et de les intégrer dans sa base de données.
Ces éléments sont constitués par des fiches artistiques, des affiches et photographies, des bandes-annonces et des synopsis qu'elle intègre dans sa base de données. Elle met ce travail à la disposition de sociétés qui s'abonnent.
Elle a développé, depuis 5 ans, une activité de site internet pour les salles de cinéma permettant, selon les cas, la vente de places. Cette activité représente 170 sites Internet qui regroupent plus de 200 cinémas soit 25 à 30% des entrées.
Enfin, elle distribue un logiciel de caisse.
Monsieur S. a créé en juillet 2012 la société Hexalife qui propose une solution " Hexa Pay " pour les achats via Internet et Mobile étant précisé qu'il n'exerce plus dans le cadre de cette société et qu'il a déposé la marque Hexa Pay.
Il a conçu un module d'achat de billets en ligne destiné aux exploitants de salles de cinémas propriétaires d'un site internet qui souhaitent proposer aux internautes de faire l'acquisition d'un billet directement depuis le site Internet concerné. Ce service est commercialisé sous la marque Hexa Pay.
Il s'est rapproché de la société Monnaie Services, spécialisée dans le développement de logiciels pour les systèmes informatiques de salles de cinéma et de spectacles qui a développé un logiciel de billetterie EMS Cine agréé par le Centre National du Cinéma. Ce logiciel est à destination des exploitants des salles de cinéma. Des exploitants de salles utilisant le logiciel de caisse de la société Monnaie Services sont également clients de la société Côté Ciné Group à laquelle ils ont fait appel pour la conception et la gestion de leurs sites internet.
La société Monnaie Services et Monsieur S. ont conclu un accord commercial aux termes duquel Monsieur S. propose la solution Hexapay via trois moyens distincts soit le site Internet d'un exploitant dont l'équipementier est en partenariat avec lui, le site Internet d'un exploitant dont l'équipementier n'est pas en partenariat avec lui et qui doit donc donner son accord et son site Internet www.cinetick.fr qui permet, qu'il ait ou non un partenariat, l'accès à la programmation et l'achat de places.
De juin à septembre 2014, la société Monnaie Services et Monsieur S., se prévalant de lettres de clients de la société Côté Ciné Group, ont demandé en vain à la société Côte Ciné Group d'intégrer la solution Hexapay sur le site de ses clients,
Par lettre recommandée du 11 septembre 2014 adressée à celle-ci, la société Côté Ciné Group a justifié son refus par un défaut de sécurité de la solution Hexa Pay.
La société Côté Ciné Group, se plaignant que des résumés de films issus de sa base de données apparaissent sur le site www.cinetick.fr, a fait procéder les 18 juillet, 29 août et 22 septembre 2014 à des constats d'huissiers sur ce site.
Par acte du 23 septembre 2014, la société Côté Ciné Group, autorisée à cet effet, a fait assigner à jour fixe Monsieur S. devant le tribunal de commerce de Nanterre afin, en principal, qu'il soit jugé responsable d'actes de concurrence déloyale.
Par jugement du 26 mars 2015, le tribunal a ordonné à Monsieur S. de cesser tous agissements de concurrence déloyale à l'encontre de la société Côté Ciné Group sous astreinte de 200 euros par jour à compter du 8 ème jour de la signification du jugement, le tribunal se réservant la liquidation de l'astreinte.
Il a jugé qu'à l'expiration d'un délai de deux mois, il serait de nouveau fait droit.
Il a condamné Monsieur S. à payer à la société Côté Ciné Group la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il a rejeté les autres demandes.
Il n'a pas assorti le jugement de l'exécution provisoire.
Par déclaration du 23 avril 2015, Monsieur S. a interjeté appel.
Par ordonnance du 7 août 2015, le premier président de la cour d'appel de Versailles a ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Par acte du 14 septembre 2015, la société Côté Ciné Group a fait assigner la société Cleverade, présidée par Monsieur S., devant le tribunal de commerce de Nanterre afin qu'il lui soit fait injonction de cesser tous agissements de concurrence déloyale et qu'elle soit condamnée à lui payer la somme de 48.300 euros à titre de dommages et intérêts.
Par jugement du 4 décembre 2015, le tribunal a déclaré fondée l'exception de litispendance et ordonné son dessaisissement au profit de la cour d'appel de Versailles.
Le dossier a été transmis et, par ordonnance du 26 janvier 2016, les procédures ont été jointes.
Dans leurs dernières écritures portant le numéro 5 en date du 7 décembre 2015, Monsieur S. et la SAS Cleverade, " intervenante suivant un jugement du tribunal de commerce de Nanterre en date du 4 décembre 2015 ", demandent que le jugement soit infirmé.
Ils demandent que l'arrêt à intervenir soit publié dans les publications: Le Film Français, Ecran Total et Côté Cinéma aux frais de l'intimée.
Ils demandent que celle-ci soit condamnée à leur verser à chacun la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts.
A titre infiniment subsidiaire, ils sollicitent la réduction à un euro de la condamnation prononcée à titre de dommages et intérêts.
Ils réclament le paiement à chacun de la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Ces parties indiquent que Monsieur S. exerce son activité professionnelle par la société Cleverade et exposent la procédure introduite contre la société Cleverade.
Elles déclarent que la société Côté Ciné Group exerce son activité de collecte d'éléments liés à l'actualité cinématographique sans être propriétaire de la base de données qu'elle constitue sur la base d'informations communiquées par des tiers, ce qu'elle reconnaît, qu'elle ne laisse dans le cadre de son activité de création, d'hébergement et de maintenance de sites internet aucune liberté aux exploitants des salles et et que son activité de distributeur d'un logiciel de caisse qu'elle distribue est concurrente de celui commercialisé par la société Monnaie Services. .
Elles précisent que plus de 850 exploitants utilisent le système commercialisé par la société Monnaie Service ce qui représente 50% des billets vendus.
Elles affirment que la société Coté Ciné Group n'a pas supporté que la plupart de ses clients choisissent la solution Hexa Pay ce qui explique l'assignation délivrée à Monsieur S..
Elles contestent l'existence d'actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Elles reprochent au tribunal de s'être fondé uniquement sur les constats d'huissier produits, déclarent qu'ils démontrent que des contenus identiques ou similaires sont utilisés par les deux parties mais contestent tout comportement fautif.
Elles soutiennent que la société Côté Ciné Group confond le droit sui generis du producteur de la base de données (article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle) et l'action en concurrence déloyale et parasitaire.
Elles soulignent que la société fonde ses demandes sur l'article 1382 du Code civil et font valoir, citant un arrêt de la cour d'appel de Paris, que cette action ne peut remplacer le droit sui generis du producteur de la base de données qui ne peut, sous couvert d'une action fondée sur l'article 1382 du Code civil, reconstituer un droit privatif qui lui a été dénié, le simple fait de copier un produit ou un service non protégé n'étant pas en soi fautif.
Elles rappellent que, contrairement à l'action fondée sur une atteinte au droit du producteur de la base de données qui suppose uniquement de rapporter la preuve d'un investissement substantiel et d'une extraction substantielle de la base de données, l'action en concurrence déloyale et parasitaire suppose la preuve d'une faute et d'un exercice du commerce déloyal, non rapportée.
Elles soutiennent qu'il a été considéré que si la protection spécifique est refusée à la base de données, il est difficile d'accueillir l'action en concurrence déloyale et que les conditions minimales du parasitisme ne sont pas réunies sauf à alléguer des faits distincts sur le terrain de l'action en concurrence déloyale.
Elles estiment que la société Côté Ciné Group a choisi, alors qu'il existe un texte spécial, de fonder son action sur un texte général sans démontrer le caractère fautif des faits qui leur sont reprochés.
Elles ajoutent que le préjudice invoqué est fondé sur la base de frais et investissements qui auraient été engagés pour constituer et fournir la base de données et non sur la réparation d'atteintes consécutives à la commission d'actes de concurrence déloyale et parasitaire..
Elles prétendent qu'elle ne pourrait agir que par le biais du droit sui generis à condition de justifier d'un droit privatif sur la base de données. Elles affirment qu'elle ne justifie pas d'un tel droit.
Elles réfutent, en tout état de cause, toute faute.
Elles soutiennent que la société n'est pas propriétaire de la base de données prétendument réutilisée par elles.
Elles relèvent qu'elle n'est pas l'auteur des données collectées ce qu'elle reconnait et donc qu'elle n'a pas de droit sur les éléments collectés, comme l'a confirmé son représentant.
Elles font valoir qu'elle se contente de mettre en forme et d'agencer les informations qu'elle a obtenues auprès de tiers sans que cette intervention nécessite la mise en œuvre d'un savoir-faire particulier ou témoigne d'un effort intellectuel et/ou créatif de sa part. Elles font état, au plus, de modifications mineures.
Elles relèvent que les actes de concurrence déloyale et parasitaire doivent être positifs et caractérisés et, citant des arrêts, que la prétendue victime doit démontrer des efforts de création et d'investissements suffisants ou justifier d'un effort créatif ou d'un savoir-faire propre dans la mise en œuvre de données.
Elles concluent que, compte tenu du fondement de son action et faute de démontrer des investissements substantiels conséquents pour la constitution de la base de donnes, la société doit démontrer un savoir faire dans la constitution de cette base qu'elle reproche à Monsieur S. d'avoir réutilisée en partie. Elles considèrent que tel n'est pas le cas.
Monsieur S. et la société soutiennent que la société Côté Cine Group n'est pas légitime, sauf autorisation des ayants-droit ou des exploitants des salles, à facturer des frais de collecte et de mise en forme de données dont elle n'est pas titulaire.
Ils se prévalent d'une attestation de Monsieur G., distributeur, qui déclare avoir alerté la société Côté Ciné Group sur l'impossibilité, sans accord préalable, de faire une utilisation commerciale des contenus et de modifier ceux-ci, y compris les synopsis, mis à disposition gratuitement sur son site Internet et qui indique l'avoir mis en demeure de cesser une telle exploitation commerciale. Ils reprochent à la société d'avoir harcelé Monsieur G. pour le convaincre de l'absence d'exploitation commerciale des données alors qu'elle se rémunère grâce à celles-ci.
Ils soutiennent que les ayants-droit mettent gratuitement à la disposition du public des informations mais ignorent que celles-ci sont ensuite exploitées par la société intimée à des fins commerciales ainsi qu'il résulte de l'attestation de la société 20 minutes, produite par l'intimée.
Ils font valoir que le directeur marketing de la société Bac Films a confirmé qu'aucune autorisation n'avait été donnée à la société pour reprendre et/ou commercialiser des synopsis des films distribués par elle alors que l'un de ces films, " Everything Will Be Fine ", est cité dans le constat d'huissier invoqué. Ils en concluent que la société n'a aucun droit privatif sur le synopsis concerné et n'a pas été autorisée à l'intégrer dans une base de données et moins encore à en facturer les coûts de traitement et d'intégration dans une base de données.
Ils soutiennent en tout état de cause que la reprise par eux de la base de données ne procède pas d'une volonté manifeste et délibérée de se placer dans le sillage de la société.
Ils font valoir que ces données sont accessibles à partir des sites Internet des ayants-droit, de la société Monnaie Services, de sites Internet dédiés à l'actualité cinématographique, du moteur de recherche Google, du site You Tube ou d'informations émanant d'autres sociétés. Ils excipent d'un constat dressé par Maître L., huissier de justice, le 10 juillet 2015 concernant les synopsis des films Everything will be fine et Le labyrinthe du Silence invoqués par la société Côté Ciné Group.
Ils en concluent qu'ils n'ont aucun intérêt à s'introduire frauduleusement sur les serveurs de la société et déclarent que la société, qui a déposé une plainte de ce chef, ne l'évoque plus.
Ils affirment que le site Cinetick. Fr recense pour l'essentiel des informations relatives à la programmation des films afin de diriger l'internaute vers le site de l'exploitant et que c'est pour agrémenter ce parcours qu'ils alimentent des fiches de films par des contenus. Ils affirment également que ces informations sont en libre accès et excipent d'une attestation. Ils affirment enfin que ces informations sont sommaires. Ils en concluent que l'article L 342-3 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit l'impossibilité d'interdire la réutilisation d'une partie non substantielle de la base de données est applicable.
Ils soutiennent également en tout état de cause qu'ils sont autorisés à diffuser les contenus diffusés sur leur site Internet.
Ils indiquent que ces informations leur sont le plus souvent fournies par la société Monnaie Services - qui dispose d'une base de 7.000 films - qui en atteste. Ils ajoutent que celles provenant du site Allo Ciné leur ont été communiquées par la société Monnaie Services.
Ils déclarent que la société intimée vient d'être rachetée par un groupe qui souhaite développer la billetterie en ligne et affirment que leur module d'achat en ligne est plus performant que celui de l'intimée qui souhaite donc les éliminer ce qui explique, selon eux, la procédure davantage que la reprise anecdotique et non fautive de synopsis.
Ils indiquent que ces informations leur sont également fournies par des exploitants de salles et excipent d'attestations de messieurs D. et A.. Ils reconnaissent que ceux-ci ont fourni de nouvelles attestations à la demande de l'intimée mais estiment que Monsieur D. se trompe lorsqu'il affirme que Monsieur S. devait obtenir également l'autorisation de la société Côté Ciné Group, celui-ci, éditeur de son site, étant seul propriétaire des informations y figurant.
Ils font valoir à cet égard que la société intimée n'est pas l'éditrice des sites Internet qu'elle conçoit et qu'elle héberge et que seuls ses clients en sont responsables et doivent donc décider seuls des contenus qu'ils souhaitent éventuellement voir reproduire sur d'autres sites. Ils se prévalent des mentions légales figurant sur ces sites.
Ils affirment que les courriels produits par la société Côté Ciné Group portent sur un autre débat, Messieurs B. et A. se plaignant non de la reprise du contenu des films mais de la reprise des horaires de la programmation et qu'ils ont proposé à Monsieur B. de déréférencer son site. Ils excipent d'accords avec UGC pour accéder à la programmation des cinémas et non au contenu des fiches films.
Enfin, ils soutiennent que l'appropriation des données depuis le site édité par la société intimée est techniquement impossible, l'accès aux fiches et résumés devant faire l'objet d'une inscription validée par la société avec un login et un mot de passe dont ils ne disposent pas. Ils affirment que si certaines données se sont trouvées sur leur site, c'est parce qu'elles étaient en libre accès sur Internet ou parce qu'ils avaient obtenu les autorisations précitées. Ils observent que la société ne précise pas les procédés techniques leur ayant permis de s'approprier sa base de données.
Ils s'opposent à la demande indemnitaire compte tenu de l'absence de faute et de préjudice et estiment arbitraire le montant des dommages te intérêts alloués. Ils soulignent que ce prétendu préjudice est fondé sur la réparation d'une atteinte à une base de données et lui font grief de ne pas justifier des éléments lui permettant d'agir sur le fondement de l'atteinte aux droits du producteur d'une base de données. Ils invoquent l'absence d'éléments étayant ce préjudice et estiment insuffisantes les deux seules factures, 2.180 euros et 750 euros, produites. Ils ajoutent que 12 films seulement sont évoqués alors que 7.123 apparaissent sur leur site.
A titre reconventionnel, ils invoquent un acharnement procédural et une volonté de perturber leur activité par des démarches et pressions auprès de leurs prospects et clients.
Ils invoquent également des pratiques déloyales de la société qui a tenu des propos diffamatoires à leur encontre en informant tous leurs clients du dépôt d'une plainte pénale et de l'engagement de l'action.
Ils se prévalent d'un préjudice causé par un gain manqué ou une perte de chance en raison du départ de clients ou de ruptures de pourparlers avec eux. Ils évaluent celui-ci à 100.405 euros et excipent d'une attestation de la société Monnaie Services et d'un courrier les dénigrant adressé à celle-ci qui est leur partenaire commercial.
Ils soulignent que la société a publié un extrait du jugement dans la revue qu'elle édite et a refusé de publier leur réponse.
Ils ajoutent qu'elle utilise de manière frauduleuse les marques détenues par eux.
Dans ses dernières écritures en date du 21 janvier 2016, la SAS Côté Ciné Group conclut à la confirmation du jugement sauf en en qui concerne les dommages et intérêts et la publication.
Elle demande que la décision à intervenir soit rendue commune à la société Cleverade et que soit étendus à celle-ci les chefs du dispositif dont il est demandé confirmation.
Elle réclame donc la condamnation in solidum de Monsieur S. et de la société Clverade à lui payer une somme de 96.600 euros à titre de dommages et intérêts et la publication du jugement dans trois supports de presse soit Le Film Français, Ecran Total et Côté Cinéma aux frais de Monsieur S. et de la société Cleverade.
Elle sollicite le paiement par Monsieur S. d'une somme de 8.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et l'inclusion dans les dépens des frais des trois constats d'huissier.
Elle demande la condamnation de la société Cleverade à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Elle conclut au rejet de leurs demandes.
La société expose qu'elle a découvert en juin 2014 que de nombreux éléments contenus dans des fiches films relevés sur le site www. cinetick.fr de Monsieur S. provenaient de sa propre base de données, la ressemblance allant jusqu'aux guillemets et autres majuscules. Elle ajoute que ces éléments ne peuvent provenir d'un autre site car réécrits par elle. Elle déclare également avoir constaté en juillet 2014 une importante surcharge dans ses serveurs et découvert que trois serveurs venaient de manière massive et dissimulée récupérer les informations sur ses sites. Elle précise qu'elle a déposé une plainte pénale.
Elle indique qu'elle a fait établir trois constats d'huissier les 18 juillet, 29 août et 22 septembre 2014 et un quatrième, postérieurement au jugement, le 18 mai 2015.
Elle soutient que Monsieur S. a commis des actes de concurrence déloyale envers elle par des agissements parasitaires.
Elle rappelle que celle-ci est fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, qu'elle ne requiert pas un élément intentionnel et qu'elle peut être intentée même par celui qui ne peut se prévaloir d'un droit privatif.
Elle reproche à Monsieur S., identifiable au regard de son site cinetick.fr et de la marque Hexapay déposée sous son nom, de s'approprier indirectement sa clientèle par l'appropriation indue de son travail et sa contrefaçon, à moindres frais.
Elle fait valoir que le constat dressé en juillet 2014 a démontré que des résumés d'une dizaine de films apparaissant sur son site Internet étaient issus de ses bases de données et que, rédigés par ses salariés, ils sont différents de ceux issus d'autres sites Internet. Elle déclare également que ce constat corrobore ses affirmations relatives à l'intrusion malveillante d'un tiers sur son site.
Elle cite neuf films pour lesquels le titre, la durée, le genre, le réalisateur, les acteurs (nombre et ordre) et le résumé sont en tous points identiques. Elle observe que, dans certains cas, les mêmes coquilles et accents et majuscules se retrouvent. Elle relève que, pour certains d'entre eux, il existe des différences d'orthographe, de genre ou de résumé avec le site Allo Ciné.
Elle excipe également du constat dressé le 22 septembre 2014 portant sur quatre films.
Elle estime que ces agissements, qui se sont poursuivis après le jugement, caractérisent la concurrence déloyale par parasitisme.
Elle expose les principes de l'indemnisation du préjudice causé par de tels faits.
Elle invoque un préjudice tiré de la perte de commissions sur la vente des billets via les sites des exploitants développés et gérés par elle sur lesquels la solution de vente qu'elle propose est installée. Elle produit des factures émises pour l'accès à la base de données ou pour une prestation globale d'hébergement de site Internet.
Elle soutient que ces pièces démontrent que la maitrise et la fourniture de cette base de données est un élément fondamental de son offre commerciale. Elle affirme qu'il en est de même pour ses offres d'affichage dynamique dans des halls de cinéma ou en façade pour lesquelles sa base de données est indispensable.
Elle fait état des coûts liés à la constitution de la base de données.
Elle excipe du développement d'une structure logicielle pouvant l'accueillir et un outil permettant la saisie des données, le traitement et l'archivage des éléments liés (affiches, photographies, vidéos) qui est régulièrement amélioré soit un amortissement de 22.500 euros dans les comptes.
Elle excipe du travail de renseignement de cette base de données soit la collection des éléments uniquement chez les distributeurs et les ayants-droit, travail d'autant plus fastidieux et minutieux que ses données vont servir sur des sites Internet de professionnels et que certain sites récupèrent des données sans en avoir acquis des droits. Elle déclare que ce travail est réalisé pour plus de 650 films par an. Elle observe que la société Monnaie Services s'est adressée à elle en faisant remarquer le manque de fiabilité des de la source AlloCiné.
Elle fait état d'un coût total mensuel, qu'elle détaille, de 16.100 euros par mois soit, sur 6 mois d'exploitation, de 96.600 euros.
L'intimée soutient qu'il existe un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Elle se prévaut de l'identité d'activité, de produit 'la proposition d'une solution visant l'achat de billets ce qui nécessite notamment une passerelle avec le logiciel de billetterie du cinéma et son site Internet et la maîtrise des horaires- et une identité de clientèle.
En réponse à la demande reconventionnelle, la société rappelle qu'une action ne peut sauf circonstances particulières constituer un abus de droit dès lors que sa légitimité a été reconnue au moins partiellement en première instance et conteste tout dénigrement.
Elle considère qu'elle peut écrire à ses clients les raisons l'ayant incitée à ne pas contracter avec l'appelant, s'étonne qu'il puisse qualifier les clients de la société Côté Ciné Group comme étant ses potentiels clients et conteste tout préjudice en l'absence de clientèle.
Elle soutient que ses demandes au titre de la concurrence déloyale sont mal fondées aux motifs qu'il n'a pas qualité à agir, qu'il ne possède pas de clientèle auprès de laquelle elle l'aurait dénigré et qu'il ne démontre pas son dommage.
En réponse à ses conclusions, la société affirme qu'elle rédige des synopsis quand ils ne sont pas disponibles ou quand ils ne sont pas au format souhaité par les clients et qu'elle ne les récupère jamais sur des sites Internet mais toujours chez les ayants-droit.
Elle conteste que Monsieur S. ait toujours exercé son activité au sein de la société Cleverade et souligne qu'aucune mention légale ne figurait sur son site Internet avant mai 2015, date à laquelle Monsieur S. a repris des parts et la présidence de la société Cleverade. Elle en infère que cela a été caché à dessein.
Elle indique que de grands circuits de cinéma, UGC ou MK2, sont ses clients alors qu'ils ont, en sus de celle d'exploitant de cinémas, une activité de distributeur et souligne qu'ils sont à c titre des ayants-droit qui lui permettent d'accéder à leurs données.
Elle précise, en ce qui concerne les sources de Monsieur S., que la base de données de la société Monnaie Services provient d'un accord avec elle et affirme qu'il ne peut en disposer à sa guise. Elle relève qu'il déclare se servir sur divers sites Internet sans vérifier la source de ses données et leur libre utilisation. Elle se prévaut du constat dressé à la requête de l'appelant qui démontre que les références de sites Internet mentionnées dans ce constat sont des clients de la société Côté Ciné Group. Elle s'interroge sur la raison pour laquelle ces sociétés prendraient un abonnement auprès d'elle s'il était possible de piller les autres sites Internet.
Elle reconnaît que ses clients sont éditeurs de leur site Internet et donc responsables des textes qu'ils saisissent mais affirme que la gestion des fiches films est totalement automatisée. Elle souligne que la mise à disposition de la base de données des films est une prestation liée à la fourniture du site Internet et cesse en même temps que l'abonnement facturé au client qui comprend l'hébergement et l'accès à la base de données.
Elle excipe d'un courriel de la société UGC et en infère qu'il n'existe aucun doute sur l'origine de la base de données et l'utilisation que peut en faire la société et prétend que ses clients ne peuvent déléguer cette utilisation.
Elle indique qu'il n'est pas nécessaire pour Monsieur S., pour récupérer sa base de données, de se connecter au site Côté Cinéma dans la mesure où ces données sont présentes sur de nombreux sites. Elle rappelle qu'il lui est reproché de récupérer ces données sans se soucier de savoir s'il en a le droit.
Elle ajoute que l'activité de Monsieur S. s'étend également à la collecte d'horaire sur les sites des exploitants et affirme qu'il y procède de manière non autorisée ainsi qu'il résulte de courriels d'exploitants.
Elle déclare que de nombreux exploitants découvrent cette situation et commencent à réagir.
Elle estime que les exploitants ayant attesté en faveur de Monsieur S. ont été abusés.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 mars 2016.
Sur le fondement de la demande
Considérant que la société Côté Ciné Group collecte des données dont elle n'est pas propriétaire ; qu'elle les agence et les met en forme ; que, dans certains cas, elle procède à la réécriture de résumés de films ;
Considérant que ces éléments sont intégrés dans la base de données constituée par elle et fournie à ses clients ;
Considérant que la société Côté Ciné Group reproche à Monsieur S. et à la société Cleverade une " appropriation indirecte " de sa clientèle par " l'appropriation indue de son travail " ; qu'elle fait état du " détournement de ses données " soit de la copie des résumés et synopsis réalisés par elle ;
Considérant que la société Côté Ciné Group agit non sur le fondement de l'article L. 341-1 du Code de la propriété intellectuelle qui protège le producteur d'une base de données " lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celle-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel " mais sur celui de l'article 1382 du Code civil en tant que Monsieur S. et la société Cleverade " se sont immiscés dans son sillage afin de tirer profit sans rien dépenser de ses efforts et de son savoir-faire " ;
Considérant que l'article L. 341-1 alinéa 2 dispose que la protection accordée au producteur de la base de données s'exerce " sans préjudice de celles résultant du droit d'auteur ou d'un autre droit sur la base de données ou un de ses éléments constitutifs " ;
Considérant qu'il résulte de cette disposition que le producteur d'une base de données peut agir sur le fondement du droit commun à charge pour lui de justifier, non d'une simple extraction illicite, mais d'une faute et d'un préjudice causé par cette faute ;
Sur la faute reprochée
Considérant que la société Côté Ciné Group justifie, par les constats d'huissier précités, d'un travail sur les données collectées, notamment par leur mise en forme, par une orthographie différente des noms des acteurs et, surtout, par des modifications de certains résumés de films ainsi qu'il résulte de résumés figurant sur d'autres sites; qu'elle a mis en œuvre un savoir-faire propre ;
Considérant qu'il résulte des constats d'huissier réalisés sur le site de Monsieur S. que certains contenus de ce site sont identiques à ceux du site de la société Côté Ciné Group ;
Mais considérant que la société Côté Ciné Group doit démontrer que ces similitudes sont dues à l'immixtion de Monsieur S. et de la société Cleverade dans son sillage afin de tirer profit de ses efforts et de son savoir-faire ;
Considérant qu'elle ne démontre nullement que ceux-ci se sont connectés à ses serveurs pour obtenir ces informations ;
Considérant que Monsieur S. et la société Cleverade versent aux débats un constat dressé par Maître L., huissier de justice, d'où il ressort que le synopsis des films " Everything will be fine " ou " Le labyrinthe du silence ", prétendument reproduits depuis le site de la société intimée, sont librement accessibles depuis d'autre sources ; que la circonstance que ces sources soient celles de sociétés clientes de la société Côté Ciné Group est sans incidence, Monsieur S., et la société Cleverade, ne pouvant connaître ces accords et les informations, parcellaires, reprises par eux étant en libre accès ;
Considérant que la société Monnaie Services atteste leur avoir transmis, par des flux informatiques automatisés, le contenu de films ou de synopsis ;
Considérant que des exploitants de salles, Messieurs D. et A., ont attesté les avoir autorisés à reproduire les synopsis apparaissant sur leur site Internet réalisé par la société Côté Ciné Group ;
Considérant qu'ainsi, Monsieur S. et la société Cleverade démontrent que les informations figurant sur leur site telles que relevées par les constats produits par la société Côté Ciné Group sont susceptibles de provenir de sites en libre accès, d'une société dont ils sont partenaires ou de sites d'exploitants- éditeurs de leurs sites internet- qui leur ont donné leur accord ;
Considérant qu'à défaut de prouver que ces informations proviennent d'une connexion à ses serveurs, la société Côté Ciné Group ne démontre donc pas que Monsieur S. et la société Cleverade se sont mis dans son sillage et se sont livrés à des actes de parasitisme ;
Considérant que, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen tiré du caractère parcellaire des informations collectées au regard de l'ensemble des informations figurant sur le site Cinetick.fr, la société Côté Ciné Group ne rapporte pas la preuve de la faute reprochée à Monsieur S. et de la société Cleverade ;
Considérant que ses demandes seront donc rejetées ; que le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions ;
Sur les autres demandes
Considérant que Monsieur S. et la société Cleverade ne justifient nullement du caractère abusif de la procédure diligentée par l'intimée, dont le bien-fondé a été partiellement reconnu par le tribunal ;
Considérant que le courriel adressé par la société Côté Ciné Group à ses clients le 26 septembre 2014 les avisant de la plainte pénale déposée par elle et de l'action en concurrence déloyale diligentée ne constitue pas en lui-même une manœuvre déloyale ;
Considérant que la lettre écrite par elle le 24 septembre 2014 à la société Monnaie Services ne revêt pas un caractère fautif ; que Monsieur S. et la société Cleverade ne versent au surplus aucune pièce d'où il résulterait qu'elle leur a causé un préjudice ;
Considérant que la demande de dommages et intérêts présentée par les appelants sera donc rejetée ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du jugement étant souligné que le tribunal de commerce n'avait pas fait droit à la demande identique formée par la société Côté Ciné Group ;
Considérant que la société Côté Ciné Group devra payer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, les sommes de 15.000 euros à Monsieur S. et de 5.000 euros à la société Cleverade ; que ses demandes aux mêmes fins seront rejetées compte tenu du sens du présent arrêt ;
Par ces motifs Contradictoirement, Infirme le jugement en toutes ses dispositions Statuant à nouveau et y ajoutant Rejette les demandes de la société Côté Ciné Group Condamne la SAS Côté Ciné Group à payer à Monsieur S. la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Côté Ciné Group à payer à la SAS Cleverade la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette les demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Côté Ciné Group aux dépens de première instance et d'appel.