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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 20 mai 2016, n° 13-17781

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Anjout , Arramon, Bacchin, Bonnin, Cauzette, Charpentier, Cozza, Duluye, Dupouy, Ferrand, Hebert, Lahary, Lannegrand, Lesbarreres, Maurin, Maury, Menvielle, Meynier, Mouret, Navarosi, Perrier, Pougner, Primard, Sacriste, Sallenave, Soustra, Terrain, Thievon, Vassalo, Gauze, Gaultier, Veyron, Cazenave, Cloute, Agriter Services (SARL), Champagne Agri (SARL), Charrier (SA), Holding Chevallier (SARL), Corbineau (SARL), Darricau (SARL), De Marc (SNC), Dubiau Jean (SARL), Floret Travaux Agricoles (SARL), Hanser Jean-Luc et Christophe (SNC), Haurat et fils (SARL), JPBM Camguilhem (SARL), Laban Travaux Agricoles (SARL), Laffitte (SARL), Lamarque (SARL), Lartigue Jerome (EURL), Lecarpentier (SARL), Lespiau (SARL), Etablissements Menanteau (SARL), Nicolas Piquet (SARL), Pas Gauthier (SARL), Biscay (EURL), Thierry Quenu (SARL), Saint Germain (SARL), Salmont Dominique (EURL), Seguet Agri (SARL), Tropée (SARL), Blondeau Travaux Agricoles (SARL), Vincent Favole (EURL), Pyrénées Travaux Agricoles (SARL), Duluc Cloute (SNC), Larrere et fils (SAS), Albert Lecerf (SAS), Genoulaz (SNC), Travaux Agricoles David (SARL), Lion Crampe (SARL), Tintane (SARL), Lur-Lan (SARL), Olivier Duveau (SARL), Entrepreneurs Des Territoires (Syndicat), Bridonneau Travaux Agricoles (SARL), Castaings (SARL), Latapy (Consorts)

Défendeur :

Ammoniac Agricole (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Lis Schaal, Nicoletis

Avocats :

Me Bona, Grappotte-Benetreau, Marès

T. com. Bordeaux, du 12 juill. 2013

12 juillet 2013

Faits et procédure

La société Ammoniac Agricole a été créée en 1961, avec pour objet social de distribution de l'ammoniac anhydre. Ammoniac Agricole a été dissoute par délibération de son assemblée générale le 15 février 2010 à effet du 1er juillet 2010 et a été placée sous le régime de la liquidation amiable.

L'ammoniac anhydre (NH3), produit dangereux et toxique, voit son transport, son stockage et son utilisation strictement réglementés. Il ne représente que 0,6 % du marché des engrais azotés, alors que trois autres engrais azotés (l'urée, les ammonitrates et les solutions azotées) totalisent 82,6 % du marché. Il a néanmoins une place prépondérante chez les producteurs de maïs dans le Sud-Ouest aquitain, concentré autour du site industriel de Pardies où une unité industrielle produisait de l'ammoniac anhydre et où l'Ammoniac Agricole était installée. L'hydrogène nécessaire à l'élaboration de l'ammoniac était fabriqué sur le site de Pardies par une usine appartenant au groupe Celanese. Ce groupe a cessé cette activité en décembre 2009.

Ammoniac Agricole ne produisait pas elle-même d'ammoniac anhydre et se fournissait auprès de ses deux actionnaires principaux, les sociétés Yara France et Grande Paroisse, elles-mêmes productrices et importatrices d'ammoniac.

La société Ammoniac Agricole avait l'obligation d'effectuer tous les contrôles et de refuser la livraison à tout contrevenant. Elle se devait aussi d'assurer une formation très stricte à tous les utilisateurs du produit qu'elle distribuait.

Confrontés à des problèmes de sécurité de plus en plus aigus et à des résultats d'exploitation très faibles (négatif en 2009), Ammoniac Agricole, Yara et Grande Paroisse ont invité, fin novembre 2008, les coopératives Euralis, Maïsadour et Vivadour à examiner les perspectives de reprise de l'activité d'Ammoniac Agricole et leur a fait part de la possibilité qu'elle ne poursuive pas son activité au-delà de la campagne 2010 dans l'hypothèse où les discussions n'aboutiraient pas. Ces discussions n'ont pas abouti.

Un accord de confidentialité a été signé entre Ammoniac Agricole, la société Euralis Céréales et la SA Maïsadour.

L'Ammoniac Agricole a alors officialisé, le 18 décembre 2009, par un communiqué, sa décision, en l'absence de repreneur, de cesser son activité et de se dissoudre. Elle a envoyé une lettre recommandée à tous ses clients le 25 janvier 2010 pour les en informer. Par courrier du 15 mars 2010, elle a proposé ses services payants pour décontaminer le matériel des entreprises. Elle s'est engagée à assurer la campagne 2010.

Dans le cadre d'une action introduite par les coopératives et certains entrepreneurs, Ammoniac Agricole a été condamnée, par ordonnance de référé du 23 juillet 2010, à honorer les commandes d'ammoniac anhydre qui lui seraient adressées par les coopératives pour la campagne 2011 et à poursuivre les formations, les ventes de matériels et la maintenance pour la campagne 2011. Elle a été en outre condamnée par deux arrêts de la Cour d'appel de Paris en date du 13 octobre 2010 à poursuivre son activité (prestations aux entrepreneurs et coopératives) jusqu'à la fin de la campagne 2012.

La Fédération Nationale des Entrepreneurs du Territoire est un syndicat professionnel dont les adhérents sont des entreprises prestataires de services dans le domaine des travaux agricoles et forestiers. Une centaine d'entreprises adhérentes à la Fédération sus-visée assurent le transport et l'épandage sur les surfaces cultivables de l'ammoniac anhydre.

Ces entreprises interviennent à la demande des coopératives et des négociants qui achètent tous les produits nécessaires à la production agricole, dont toutes les formes d'engrais pour les revendre aux agriculteurs. Ces coopératives et négociants achetaient notamment de l'ammoniac anhydre auprès de l'Ammoniac Agricole et chargeaient ces entreprises de son transport et de son épandage sur les terres cultivables de leurs clients.

Ammoniac Agricole était en relation avec les entreprises par la fourniture du matériel nécessaire au transport, au transvasement et à l'épandage de l'ammoniac anhydre en cas de besoin, ainsi qu'à la formation pour les opérations d'épandage afin d'en garantir la sécurité.

Estimant que l'arrêt de la production et de la vente de l'ammoniac anhydre entraînait de graves conséquences économiques, sociales et financières pour les entreprises adhérentes de la Fédération Nationale des Entrepreneurs des Territoires, en ce qu'elles les privaient brutalement de trois mois d'activité par an, la Fédération et 62 entreprises (suivies de 14 autres entreprises le 16 février 2011) ont assigné, le 25 août 2010, la société l'Ammoniac Agricole devant le Tribunal de commerce de Bordeaux sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, en réparation de leur préjudice subi.

Par jugement en date du 12 juillet 2013, le Tribunal de commerce de Bordeaux a déclaré les demanderesses recevables, les a déboutées de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnées solidairement à payer à Madame Perrin-Bouvier ès qualités de liquidateur amiable de la société Ammoniac Agricole la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.

Le tribunal a reconnu entre les parties une relation commerciale établie même si elle est indirecte de par l'intervention des coopératives, mais a retenu que l'ammoniac anhydre n'était pas le seul existant au sein de la famille des engrais azotés en France et que sa place était limitée (0,6 % des engrais minéraux azotés), qu'il était substituable et que cette substitution était déjà en place lors de la campagne 2011. Il a estimé que les demanderesses n'avaient pas démontré que les autres produits ne répondaient pas aux mêmes normes de sécurité. Le tribunal a constaté que le délai de préavis imposé à la société Ammoniac Agricole avait été de trois ans, délai largement suffisant pour permettre à l'ensemble des acteurs de la filière de l'ammoniac anhydre de trouver des solutions de substitution, solutions qui apparaissent avoir été mises en place dès la campagne 2011. Il a enfin estimé que le choix des coopératives en matière d'engrais de substitution ne saurait être opposable à Ammoniac Agricole et que la preuve n'était pas rapportée que les demanderesses avaient subi un réel préjudice né de la rupture brutale des relations commerciales.

Le Syndicat des Entrepreneurs du Territoire et 75 autres entrepreneurs ont régulièrement interjeté appel de cette décision le 6 septembre 2013.

Prétentions des parties

La Fédération nationale des Entrepreneurs du Territoire et les 75 entreprises prestataires de travaux agricoles, appelantes :

1. La Fédération nationale des Entrepreneurs des Territoires

2. La société Agriter Services

3. Monsieur Anjout Daniel Raymond Raoul

4. Monsieur Arramon Gilles

5. Monsieur Bacchin Francis André

6. La société Biscay

7. La société Blondeau Travaux Agricoles

8. Monsieur Bonnin Bruno Claude

9. La société Bridonneau Travaux Agricoles

10. La société Castaings

11. Monsieur Cauzette Eric

12. La société Champagne Agri

13. La société Charrier SA

14. Monsieur Charpentier Jean François Félix

15. Holding Chevallier

16. La société Corbineau

17. Monsieur Cozza Serge Alain

18. La société Darricau

19. La société de Marc

20. La société Dubiau Jean

21. Monsieur Duluye Fabrice

22. Monsieur Dupouy Christophe

23. Monsieur Ferrand Jean Luc

24. La société Floret Travaux Agricoles

25. La société Hanser Jean Luc et Christophe

26. La société Haurat et fils

27. Monsieur Hebert Richard Jean Michel

28. La société JPBM Camguilhem

29. La société Laban Travaux Agricoles

30. La société Lafitte

31. Monsieur Lahary Claude Ernest

32. La société Lamarque

33. Madame Lannegrand Maryse

34. La société Lartigue Jérome

35. Mme Mariane Lanternier veuve Latapy, M. Louis Pascal Latapy, M. Pierre Latapy, sur intervention volontaire venant aux droits de Jean Jacques Latapy, décédé

36. La société Lecarpentier

37. Monsieur Lesbarreres Jérôme Sébastien

38. La société Lespiau

39. Monsieur Maurin Jean Claude

40. Monsieur maury Gilles Laurent Etienne

41. La société Etablissements Menanteau

42. Monsieur Menvielle Pierre

43. Monsieur Meynier Denis Julien

44. Monsieur Mouret Philippe André

45. Monsieur Navarosi Pierre

46. La société Nicolas Piquet

47. La société Pas Gauthier

48. Monsieur Perrier Laurent Pierre

49. Monsieur Pougner Romuald

50. Monsieur Primard Pierre

51. Monsieur Thierry Quenu

52. Monsieur Sacriste Serge

53. La société Saint Germain

54. Monsieur Sallenave Germain

55. La société Salmont Dominique

56. La société Seguet Agri

57. Monsieur Soustra Didier

58. Monsieur Terrain Stephane

59. Monsieur Thievon Yves Simon Paul

60. La société Tropée

61. Monsieur Vassalo Edmond Roland

62. La société Vincent Favole

63. SARL Pyrénées Travaux Agricoles

64. Monsieur Marc Gauze

65. La société Duluc Cloute

66. La société Larrere et fils

67. La société Albert Lecerf

68. La société Genoulaz

69. Monsieur Gaultier Didier

70. La société Travaux Agricoles David

71. Monsieur Veyron Michel René

72. La société Lion Crampe

73. La société Tintane

74. Monsieur Cazenave Gérard

75. SARL Lur-Lan

76. SARL Olivier Duveau

77. Monsieur Cloute Christophe

demandent à la cour, par conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 6 janvier 2016, d'infirmer le jugement entrepris, de condamner la société Ammoniac Agricole à payer à :

- la Fédération des entreprises des territoires la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices directs et indirects portés à l'intérêt collectif de la profession qu'elle représente, par le démantèlement brutal de la filière économique ;

- chaque appelant autre que la fédération visés ci-dessus (numérotés de 2 à 76) en réparation des gains perdus et des divers dommages subis, respectivement les sommes suivantes :

1. Agriter Services : 38 089,88 euros

2. A. Anjout : 22 816 euros

3. Gilles Arramon : 23 863,28 euros

4. ETA Bacchin Francis : 71 712 euros

5. SARL Biscay : 87 286,74 euros

6. SARL Blondeau travaux Agricoles : 64 489,40 euros

7. Bonnin Bruno ETA : 51 928 euros

8. SARL Bridonneau: 64 834,96 euros

9. SARL Castaings : 67 397 euros

10. Causette Eric : 29 090,83 euros

11. SARL Champagne-Agri : 53 886,36 euros

12. SA Charrier : 65 137 euros

13. ETA Charpentier Jean-François : 184 868,60 euros

14. SARL Chevallier : 121 963 euros

15. SARL Corbineau : 149 468 euros

16. Cozza : 60 048 euros

17. SARL Darricau : 31 784,20 euros

18. SNC de Marc : 127 617 euros

19. SARL Dubiau Jean : 81 424 euros

20. Tarpin Duluye : 45 289 euros

21. Dupouy Christophe : 40 353,71 euros

22. Ferrand Jean-Luc : 43 769,36 euros

23. Floret Travaux Agricoles : 95 640 euros

24. SNC Hanser Jean Luc et Christophe : 25 729 euros

25. SARL Haurat et fils : 84 595,21 euros

26. Hebert Richard : 97 036,76 euros

27. SARL JPBM Camguilhem : 156 458,31 euros

28. Laban Travaux Agricoles SARL : 29 644 euros

29. SARL Laffitte : 51 092 euros

30. Lahary Claude : 48 924,52 euros

31. SARL Lamarque : 120 565,41 euros

32. ETA Lannegrand Gilles : 66 180,41 euros

33. EURL Lartigue Jérôme : 89 657,04 euros

34. Marianne Lanternier épouse Latapy, Louis Latapy et Pierre Latapy ayants droits de Jean-Jacques Latapy : 99 850 euros

35. SARL Lecarpentier : 91 276,42 euros

36. Jérôme Lesbarreres Travaux Agricoles : 84 936,49 euros

37. SARL Lespiau : 63 082 euros

38. Entreprise Maurin Jean-Claude : 71 602 euros

39. Maury Gilles: 51 127,36 euros

40. SARL Menanteau : 49 314 euros

41. Menvielle : 146 053,48 euros

42. ETA Meynier Denis : 100 448,25 euros

43. ETA Mouret Philippe : 56 758,29 euros

44. ETA Navarosi Pierre : 92 006,64 euros

45. SARL Nicolas Piquet : 82 422,16 euros

46. SARL Pas Gauthier : 128 386 euros

47. ETA Laurent Perrier : 148 110 euros

48. Pougner Romuald : 46 141 euros

49. Primard Pierre : 5 480 euros

50. Quenu Emile : 32 684 euros

51. Sacriste Serge : 122 758,30 euros

52. SARL Saint Germain : 49 336 euros

53. Entreprise Sallenave Christian : 44 189 euros

54. EURL Salmont Dominique : 88 055,10 euros

55. SARL Seguet Agri : 19 500,54 euros

56. Soustra Didier : 132 449 euros

57. Terrain Stéphane : 59 534 euros

58. ETA Thievon Yves : 32 534,73 euros

59. SARL Tropée : 132 139,21 euros

60. Vassalo : 78 334 euros

61. EURL Favole Vincent : 22 460 euros

62. SARL Pyrénées Travaux Agricoles : 92 014,75 euros

63. Gauze Marc : 46 058 euros

64. SNC Duluc Clouté : 16 897 euros

65. SAS Larrerre et fils : désistement

66. SAS Albert Lecerf : 87 257,65 euros

67. SNC Genoulaz : 107 851,57 euros

68. Gaultier Didier ETA : 34 748 euros

69. SARL Travaux Agricoles David : 183 390,69 euros

70. ETA Veyron Michel : 46 131,68 euros

71. Lion-Crampe : 43 822 euros

72. SARL Tintane : 27 502 euros

73. ETA Cazenave Gérard : 80 412,17 euros

74. SARL Lur-Lan : 14 896 euros

75. SARL Olivier Duveau: 88 797 euros

76. Cloute ETA : 85 660,95 euros

- en tant que de besoin, désigner un expert judiciaire avec mission d'établir le chiffrage de l'ensemble des préjudices subis par les 75 prestataires aux frais de la société Ammoniac Agricole ;

- ordonner le versement des intérêts légaux sur toutes ces sommes depuis la date de délivrance des assignations à la société Ammoniac Agricole en application de l'article 1154 du Code civil ;

- condamner la société Ammoniac Agricole à payer à la Fédération EDT, représentant les 76 entreprises, la somme de 35 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouter la société Ammoniac Agricole de l'ensemble de ses demandes, notamment de versement de l'indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Ammoniac Agricole aux entiers dépens, y compris les frais d'exécution forcée.

Elles soutiennent que les conditions de l'article L. 442-6 I 5° fondées sur le caractère abusif de la rupture résultant de l'abus de dépendance commis par la société Ammoniac Agricole sont réunies : relation commerciale établie, ancienne, importante et constante, non-respect d'un préavis suffisant. Elles estiment que le préavis aurait dû être de deux ans à compter de la campagne 2010.

Elles soutiennent également que les arguments de Ammoniac Agricole concernant la perte des agréments nécessaires au transport du NH3 et la dangerosité du produit ne sauraient être retenus.

Elles ajoutent que Ammoniac Agricole n'a pas fait de réelle tentative de restauration de la filière NH3 après l'ordonnance de référé et qu'il n'y avait pas de marché de substitution équivalent pour les entreprises (les autres engrais azotés ne nécessitant pas leur intervention systématique car non référencés comme dangereux).

Elles sollicitent donc une indemnisation fondée sur le caractère abusif de la rupture des relations commerciales.

Madame Perrin-Bouvier ès qualités de liquidateur amiable de la société Ammoniac Agricole, par conclusions signifiées par le RPVA le 31 janvier 2014, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, de leur argumentation et de leurs moyens, demande de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions :

A titre principal,

- constater que l'Ammoniac Agricole n'est pas à l'origine du préjudice allégué par la Fédération nationale des Entrepreneurs du territoire et les entrepreneurs ;

A titre subsidiaire,

- constater l'inapplicabilité de l'article L. 442-6 I 5° aux faits de l'espèce ;

A titre très subsidiaire,

- constater l'absence de rupture brutale par l'Ammoniac Agricole de ses relations avec la Fédération nationale des entrepreneurs du Territoire et les entrepreneurs ;

A titre infiniment subsidiaire,

- constater que la Fédération nationale des entrepreneurs du Territoire et les entrepreneurs ne justifient pas du préjudice dont ils demandent réparation ;

En conséquence de quoi,

- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes ;

- les condamner à payer à Madame Perrin-Bouvier ès qualités de liquidateur amiable de la société l'Ammoniac Agricole la somme de 30 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner in solidum les appelants aux entiers dépens.

Il est fait référence aux conclusions des parties pour plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

SUR CE

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Considérant que l'article L. 442-6 I du Code de commerce stipule: " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant industriel (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels " ;

Que les dispositions sus-visées ont vocation à s'appliquer lorsqu'il existe une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel, laissant raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux ;

Considérant qu'il convient d'examiner si la rupture de la relation commerciale directe était établie et a été brutale ;

Considérant qu'il ne peut être contesté que la société Ammoniac Agricole, seul fournisseur d'ammoniac anhydre en France, a créé une filière de fourniture et de distribution sur place de ce produit efficace, mais d'une manipulation délicate et dangereuse, par un réseau spécifique sécurisé, doté de matériel et de main-d'œuvre spécialisés nécessitant des liens fonctionnels et opérationnels étroits entre le fournisseur (Ammoniac Agricole), les transporteurs, les coopératives agricoles, les épandeurs ou entrepreneurs agricoles et les agriculteurs ; que la relation commerciale s'est pour l'essentiel développée via les coopératives et les négociants qui achetaient de l'ammoniac anhydre, lesquels faisaient appel aux entreprises pour transporter et procéder à l'épandage du produit ; que la société Ammoniac Agricole, seule société autorisée sur le territoire national à commercialiser l'ammoniac anhydre dans le cadre d'une réglementation stricte de sécurité, organisait pour ces entreprises des formations et veillait au bon fonctionnement du matériel servant à l'ammoniac anhydre ; qu'il résulte des pièces produites que ces relations commerciales étaient anciennes, suivies, stables et continues, certaines remontant même à 30 ou 40 ans ; qu'il est donc démontré qu'Ammoniac Agricole et les entreprises prestataires entretenaient des échanges commerciaux directs caractérisant une relation commerciale établie au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I du Code de commerce ;

Considérant qu'il est établi qu'Ammoniac Agricole a, par une lettre recommandée avec accusé de réception envoyée le 25 janvier 2010 et réceptionnée le 27 janvier 2010, informé l'ensemble de ses clients de la cessation de son activité, avec un préavis courant jusqu'à la campagne 2010, soit à la fin du mois de juin 2010 ; qu'il ne peut être retenu que la rupture serait intervenue le 8 décembre 2008, date de la signature de l'accord de confidentialité entre Ammoniac Agricole, Euralis et Maïsadour, cet accord ne faisant état que d'une " éventualité de non-poursuite (par Ammoniac Agricole) de son activité " ; que le courrier du 25 janvier 2010 constitue donc la notification de la rupture de la relation commerciale et le point de départ du préavis de rupture exigé par l'article L. 442-6 I du Code de commerce ;

Considérant qu'il convient de rechercher si la durée du préavis était suffisante au regard de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et de la mise en œuvre d'une solution de rechange, le préavis devant permettre à celui qui subit la rupture de trouver des moyens de substitution au système de fertilisation jusqu'alors mis en œuvre, tels que l'utilisation d'autres engrais équivalents ;

Considérant qu'Ammoniac Agricole ne saurait légitimement se retrancher derrière l'impossibilité de poursuivre son activité en raison de sa liquidation en soutenant qu'elle ne disposait plus ni de la matière première indispensable à cette poursuite, ni de la main-d'œuvre spécifique, indispensable au regard d'une activité réglementée, alors qu'elle était seule à l'origine de ces mesures ; que c'est à juste titre que la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 13 octobre 2010 (qui a fait l'objet d'un rejet de pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 2012) relève " que la rapidité, voire la précipitation de toutes ces décisions concomitantes au préavis démontre que celles-ci visaient à auto-justifier une future impossibilité d'exécuter " ; qu'Ammoniac Agricole, pleinement informée de la saisonnabilité du monde agricole, ne peut sérieusement soutenir qu'un préavis de seulement sept mois, expirant à la fin de la saison 2010, était suffisant pour permettre à l'ensemble de ses clients de trouver et de mettre en place un engrais de substitution ;

Considérant que les appelants invoquent la dépendance économique dans laquelle ils se trouvaient par rapport à Ammoniac Agricole ;

Considérant que l'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise ; que, dès la campagne de maïs pour l'année 2011, il apparaît au vu des résultats des récoltes que des solutions de substitution (épandage d'autres engrais) ont été mises place, alors que Ammoniac Agricole avait cessé depuis avril 2011 toute fourniture d'ammoniac anhydre ; que les appelantes ne peuvent donc invoquer un quelconque état de dépendance économique ;

Considérant qu'en l'absence d'accords interprofessionnels, la nature particulière des activités agricoles litigieuses permet d'apprécier la durée du préavis en saisons culturales et de fixer le préavis suffisant devait correspondre aux deux saisons 2010 et 2011, soit un préavis d'un an et demi ; que la rupture du 25 janvier 2010 constitue donc une rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6-5 du Code de commerce ;

Sur le préjudice

Considérant qu'en application de l'article L. 442-6 I 5°, seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture, et non de la rupture elle-même ; qu'en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire ;

Considérant que, par arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 13 octobre 2010, le préavis imposé à Ammoniac Agricole a été de deux ans et demi, de janvier 2010 à juillet 2012, la société Ammoniac Agricole ayant été condamnée à poursuivre son activité jusqu'à la fin de la saison d'épandage 2012 ; que néanmoins, cette activité a été interrompue le 8 avril 2011, l'Administration ayant informé Ammoniac Agricole du non-renouvellement de son agrément au motif que " la sous-commission constate que de nombreux éléments ne sont pas parvenus à l'administration de la part des clients de la société Ammoniac Agricole, et que, de ce fait, elle n'est pas en mesure de donner un avis favorable au renouvellement des agréments octroyés à cette société, agréments conditionnant sa reprise d'activité " ; que, si l'activité d'Ammoniac Agricole a cessé à partir d'avril 2011 et si la saison 2011 n'a pu être assurée, c'est en raison de l'absence de certains éléments qui n'ont pas été fournis par les clients d'Ammoniac Agricole ; qu'il ne peut donc être reproché à Ammoniac Agricole l'attitude de ses clients qui ont empêché la poursuite de son activité ; que les appelants n'établissent pas, dans ces conditions, la réalité d'un préjudice indemnisable ; qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les appelants de l'ensemble de leurs demandes ;

Considérant que l'équité n'impose pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum les appelants aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Grappotte Benetreau dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.