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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 mai 2016, n° 14-01597

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Soulier (ès qual.), Les Béthunes Automobiles (SA)

Défendeur :

Chrysler France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Ortolland, Bertin, Fertier, Ponsard, Lajnef

T. com. Versailles, du 9 nov. 2011

9 novembre 2011

FAITS ET PROCÉDURE :

Le 16 décembre 2002, la société DaimlerChrysler France, aux droits de laquelle vient la société Chrysler France a conclu avec la société Les Béthunes Automobiles (LBA) un contrat de distribution sélective quantitative aux termes duquel elle lui confiait la distribution de véhicules à moteurs portant les marques Chrysler, Jeep et Dodge à compter du 1er octobre 2003 ainsi qu'un contrat de réparateur agréé.

Les contrats, conclus pour une durée indéterminée, comportent une clause attributive de juridiction au profit du Tribunal de commerce de Versailles. Ils ne pouvaient être résiliés que moyennant le respect d'un préavis de 24 mois, sauf motif grave, auquel cas les parties avaient la possibilité de résilier le contrat sans préavis.

Afin de faciliter l'acquisition des véhicules par les distributeurs, les sociétés Chrysler France et Mercedes-Benz Financial Services (MBFS) ont conclu une convention-cadre d'affacturage de créances professionnelles en vertu de laquelle les créances de la société Chrysler France étaient cédées à la société MBFS, permettant ainsi à cette dernière d'accorder aux distributeurs un crédit de 180 à 360 jours à compter de la facture initiale.

À partir de la fin 2008, la société LBA a rencontré des difficultés financières et laissé impayées des sommes dues à la société MBFS.

Le 20 mai 2009, par lettre recommandée avec accusé réception, la société LBA a résilié les deux contrats à effet au 5 juin 2009 reprochant à la société Chrysler France d'avoir failli dans ses obligations contractuelles essentielles.

Par courrier du 3 juin 2009, la société Chrysler France a répliqué que les motifs invoqués n'étaient ni fondés ni de nature à justifier une résiliation à effet immédiat et que la société LBA devait respecter le délai de préavis de deux ans contractuellement prévu.

Par courrier du 5 juin 2009, la société LBA a maintenu sa décision de résiliation immédiate, seule possibilité pour elle d'éviter le dépôt de bilan et le 30 juin 2009, la société LBA a été mise en liquidation amiable, M. Jean-Pierre Soulier étant désigné liquidateur amiable.

Par exploit du 10 juillet 2009, la société Chrysler France a assigné la société LBA et M. Soulier, ès qualités, devant le Tribunal de commerce de Versailles en indemnisation au titre du non-respect du préavis contractuel prévu et de l'atteinte à l'image. Les défendeurs ont alors soulevé, au visa des articles L. 420-7 et R. 420-3 du Code de commerce, l'incompétence du Tribunal de commerce de Versailles au profit de celui de Paris en soutenant que le litige portait sur l'application des règles du droit de la concurrence prévues par les articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce et le règlement CE 1400/2002.

Par jugement du 9 mars 2011, le Tribunal de commerce de Versailles a :

- Pris acte de ce que la SAS Chrysler France est venue aux droits de la société DaimlerChrysler France.

- Reçu la SA Les Béthunes Automobiles prise en la personne de son liquidateur amiable M. Jean-Pierre Soulier en son déclinatoire de compétence, l'y dit mal fondée et l'en déboute

- Déclaré sa compétence

- Débouté la SA Les Béthunes Automobiles prise en la personne de son liquidateur amiable de sa demande de déclarer irrecevable la SAS Chrysler France à agir au titre de la rupture du contrat de distribution.

- Dit que la SA Les Béthunes Automobiles a résilié le contrat de distribution et de service la liant à la SAS Chrysler France de manière abusive ;

- Débouté la SA Les Béthunes Automobiles pris en la personne de son liquidateur amiable M. Jean-Pierre Soulier à payer à la SAS Chrysler France la somme de deux cent quarante-cinq mille euros (245 000 euros) au titre du préavis non réalisé.

- Condamné la SA Les Béthunes Automobiles prise en la personne de son liquidateur amiable M. Jean-Pierre Soulier à payer à la SAS Chrysler France la somme de dix mille euros (10 000 euros) au titre de l'atteinte à l'image des marques Chrysler, Jeep, Dodge.

- Reçu la SA Les Béthunes Automobiles pris en la personne de son liquidateur amiable M. Jean-Pierre Soulier en sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive, l'y dit mal fondée et l'en déboute.

- Condamné la SA Les Béthunes Automobiles prise en la personne de son liquidateur amiable M. Jean-Pierre Soulier à payer à la SAS Chrysler France la somme de cinq mille euros (5 000 euros) a titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Ordonné l'exécution provisoire.

- Condamné la SA Les Béthunes Automobiles prise en la personne de son liquidateur amiable M. Jean-Pierre Soulier à payer les dépens.

Le 18 novembre 2011, la société LBA a interjeté appel de ce jugement et par arrêt du 23 avril 2013, la Cour d'appel de Versailles a infirmé le jugement en toutes ses dispositions en estimant que seul le Tribunal de commerce de Paris était compétent pour connaître du litige et a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris en application de l'article 79 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées le 27 mars 2014 par la société LBA et son liquidateur amiable, M. Jean-Pierre Soulier, appelants, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles L. 420-7, R. 420-3 et R. 420-5 du Code de commerce

Vu les articles L. 420-1 et suivants du Code de commerce

Vu l'article 81-3 du Traité CE et le règlement CE 1400/2002 pris en application de ce texte

Vu l'article 16 du Code de procédure civile

À titre principal

- Dire que la SAS Chrysler France est radicalement irrecevable dans l'intégralité de ses demandes

- L'en débouter :

- Renvoyer la SAS Chrysler France à mieux se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Paris.

Très subsidiairement

- Infirmer le jugement entrepris dans l'intégralité de ses dispositions

- Dire la SAS Chrysler France mal fondée en toutes ses demandes

En conséquence,

- Débouter la SAS Chrysler France de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions

- La condamner au paiement d'une somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive

En tout état de cause

- La condamner au paiement d'une somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions signifiées le 27 juin 2014 par la société Chrysler France, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article 1147 du Code de procédure civile,

Vu l'article 1134 du Code civil,

Vu les contrats de distribution et de services, signés le 16 novembre 2002,

Vu l'acte introductif d'instance du 10 juillet 2009,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Versailles du 9 novembre 2011,

- Confirmer, en tant que de besoin, la motivation sur le fond de l'affaire du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Versailles du 9 novembre 2011 en ce qu'il a :

Jugé que la société LBA a résilié les contrats de distribution et de services la liant à Chrysler France de manière abusive ;

Condamné la société LBA à payer à Chrysler France la somme de 245 000 euros au titre du préavis non réalisé ;

Ordonné l'exécution provisoire ;

Condamné la société LBA au paiement des frais et dépens ;

- Confirmer, en tant que de besoin, le dispositif de la cour d'appel de Versailles en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par LBA ;

Et en tout état de cause

- Condamner la société LBA au paiement de la somme de 250 000 euros (deux cent cinquante mille euros) au profit de la société Chrysler France, au titre du préavis non réalisé ainsi que des intérêts de plein droit, à compter de la présente assignation ;

- Condamner la société LBA au paiement de la somme de 100 000 euros (cent mille euros) au profit de la société Chrysler France, au titre de l'atteinte à l'image de marque ainsi que des intérêts de plein droit, à compter de la présente assignation ;

- Débouter la société LBA de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- Condamner la société LBA au paiement de la somme de 30 000 euros à la société Chrysler France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

- Condamner la société LBA aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Fertier.

SUR CE,

Sur l'exception d'irrecevabilité des demandes formées par la société Chrysler France :

Considérant que la société Les Béthunes Automobiles représentée par son liquidateur, M. Jean-Pierre Soulier, fait valoir que l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles, après avoir constaté que le Tribunal de commerce de Paris était seul compétent, a cru pouvoir renvoyer l'affaire devant la Cour d'appel de Paris alors qu'elle était dépourvue de tout pouvoir juridictionnel pour statuer ainsi de sorte que la saisine de la Cour d'appel de Paris est irrégulière ; qu'elle ajoute qu'elle a ont été privée du droit d'être jugée en 1re instance par une juridiction spécialisée ; qu'elle en conclut que les demandes de la société Chrysler France sont irrecevables et qu'elle doit être invitée à mieux se pourvoir devant le Tribunal de commerce de Paris ;

Considérant que la société Chrysler France rétorque que la cour d'appel de Versailles a appliqué correctement les dispositions de l'article 79 du Code de procédure civile en renvoyant l'affaire directement devant la juridiction d'appel du Tribunal de commerce de Paris, juridiction qui eût été compétente en première instance ;

Mais considérant qu'en application des dispositions de l'article 79 alinéa 2 du Code de procédure civile, l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles s'impose aux parties comme à la présente cour d'appel à laquelle elle a renvoyé l'affaire ; qu'il en ressort la cour est privée du pouvoir d'apprécier sa compétence et saisie par le jeu de l'effet dévolutif, elle doit statuer sur le fond et ne peut renvoyer l'affaire à l'examen des premiers juges ; que dès lors, l'exception d'irrecevabilité des demandes sera rejetée ;

Sur la résiliation des contrats :

Considérant que la société Chrysler France fait valoir sur le fondement de la responsabilité contractuelle que la résiliation des contrats par la société Les Béthunes Automobiles est abusive en ce qu'elle n'a pas respecté le délai de préavis de deux ans prévu à la clause de résiliation sans faute contenue aux contrats ; qu'elle ajoute que les conditions de la clause de résiliation à effet immédiat pour motif grave ne sont pas non plus réunies en l'absence de délivrance d'une mise en demeure préalable lui reprochant de prétendus manquements auxquels elle n'a pas été mise en mesure de remédier ; qu'elle estime qu'en tout état de cause, les motifs invoqués par la société LBA, à supposer qu'ils soient fondés, ne caractérisent pas un manquement à une obligation essentielle du contrat ; qu'elle distingue les motifs invoqués dans la lettre de résiliation qui sont les seuls qui peuvent être pris en considération et pour lesquels elle considère qu'elle n'a commis aucune faute, des motifs invoqués postérieurement à la résiliation qui ne sont aucunement recevables au soutien d'une résiliation anticipée des contrats ;

Considérant que la société Les Béthunes Automobiles soutient que l'absence de préavis de résiliation est justifiée par un motif grave tiré de la violation de deux obligations essentielles du contrat, à savoir l'abandon d'une exploitation normale des marques CJD en France à compter de 2008 par Chrysler France et des discriminations en matière de prix d'achat et d'objectifs de vente ; qu'elle ajoute que la résiliation sans préavis était d'autant plus justifiée par la situation d'exploitation de la société LBA qui était lourdement déficitaire depuis 2008 et sans perspective de redressement, ce qui imposait sa dissolution amiable ou l'exposait, au cas contraire, à l'ouverture d'un redressement puis d'une liquidation judiciaire ; que de manière surabondante, elle indique qu'elle ne remplissait plus les critères de sélectivité lui permettant de se maintenir en qualité de réparateur et de distributeur au sein du réseaux, ce qui justifie la résiliation à effet immédiat des contrats ;

Considérant que le contrat prévoyait une résiliation unilatérale sans préavis pour motif grave lequel était notamment défini comme "le fait pour l'une ou l'autre des parties de manquer à l'une de ses obligations essentielles ou le manquement par l'une des parties à toute autre obligation contractuelle, s'il n'y pas été dûment remédié après une mise en demeure ayant constaté ledit manquement" ;

Considérant que les parties s'accordent à reconnaître qu'aucune mise en demeure préalable à la résiliation des contrats par courrier du 20 mai 2009 n'a été délivrée ; que dès lors, seul le manquement à une obligation essentielle était susceptible de permettre une résiliation unilatérale sans préavis ;

Considérant qu'aux termes de ses dernières écritures, la société Les Béthunes Automobiles soutient qu'elle était en droit d'opposer à la société Chrysler France la violation de deux obligations essentielles :

- son inadmissible défaillance dans l'exploitation des marques CJD en France à compter de 2008

Considérant que la société Les Béthunes Automobiles fait valoir que la société Chrysler France à laquelle la société Daimler Chrysler France avait transféré l'exploitation des marques CJD à effet au 1er octobre 2007, s'est délibérément désengagée de cette exploitation et dans son soutien au réseau de distribution ; qu'elle relève que le volume de ventes annuel aurait baissé de plus 60 % entre 2007 et 2009 ; que la société Chrysler France réplique que le fournisseur ne peut pas être tenu pour responsable des méventes de ses distributeurs et que la crise économique est la cause essentielle des difficultés rencontrées par le constructeur et son réseau ; qu'elle estime avoir déployé ses meilleurs efforts pour surmonter les effets de cette crise et aider son réseau à la surmonter ;

Mais considérant que c'est le distributeur qui a la charge de l'exploitation des marques dans sa zone de chalandise ; que le tableau des ventes réalisées en 2009 produit aux débats par la société Les Béthunes Automobiles fait apparaître que celle-ci est classée 57e sur 63 distributeurs avec seulement 8 véhicules vendus en 2009 ; qu'il est également établi qu'en mai 2009, ses résultats commerciaux (28 % de ses objectifs) étaient inférieurs à ceux de la moyenne nationale (56 %) ; qu'en outre, la société Chrysler France justifie avoir introduit de nouveaux produits compétitifs en multipliant son offre produit par 2 entre 2004 et 2008 et par 3 en ce qui concerne les applications diesel afin de répondre de façon réactive à l'évolution du marché et réduit, en 2009, d'une part, le standard de stock des distributeurs de 1,5 mois à 1 mois afin d'alléger leurs contraintes et d'autre part, les objectifs de vente de l'ensemble des distributeurs à hauteur de 25 % pour la marque Chrysler et de 20 % pour les marques Jeep et Dodge afin de tenir compte du contexte économique en récession dans le secteur automobile ; qu'elle a également maintenu les budgets publicité à hauteur moyenne constante de 6 % du chiffre d'affaire prévisionnel ; que dès lors, ce grief sera écarté ;

- une discrimination en matière de prix d'achat consécutive à la fixation arbitraire des objectifs de vente

Considérant que la société Les Béthunes Automobiles reproche à la société Chrysler France d'avoir fixé, à compter de l'année 2004, de façon manifestement discriminatoire et inéquitable des objectifs de vente, ce qui a abouti au terme de chaque exercice à une discrimination en matière de prix d'achat des produits contractuels, alors que dans les systèmes de distribution sélective ayant pour effet de placer en situation de concurrence directe chaque membre du réseau sur un territoire unique, les objectifs de vente se doivent d'être fixés de façon identique et non discriminatoire pour chaque distributeur ; qu'en réplique, la société Chrysler France relève que les prétendues pratiques dénoncées datent de l'année 2004 et que la société Les Béthunes Automobiles ne s'en est plainte officiellement que 5 ans plus tard, en 2009, et que dans tous les cas, ces objectifs ont été convenus et signés en pleine connaissance de cause ;

Considérant que l'article 4 du contrat prévoyait que les objectifs de vente étaient, chaque année civile, fixés d'un commun accord ; que comme le rappelle elle-même, la société Les Béthunes Automobiles, en cas de désaccord, les objectifs étaient susceptibles de faire l'objet d'un arbitrage ; qu'en outre, chaque objectif de vente est nécessairement propre à chaque distributeur et variable selon sa zone de chalandise et ses résultats antérieurs ; que c'est donc vainement que la société Les Béthunes Automobiles reproche à la société Chrysler France une pratique discriminatoire en ce qu'elle n'aurait pas fixé ses objectifs de vente de façon uniforme à ceux des autres distributeurs ; que ce grief sera donc également écarté ;

Considérant que la société Les Béthunes Automobiles oppose également les dispositions d'ordre public de l'article L. 652-1 4° du Code de commerce prohibant la poursuite d'activités déficitaires d'une société par son dirigeant ; qu'elle précise que si son dirigeant et sa famille, actionnaires de la société, avaient un double intérêt à la poursuite de l'activité, la situation d'exploitation lourdement déficitaire depuis 2008 sans perspective de redressement imposait une dissolution amiable qui a permis d'éviter l'ouverture d'une procédure collective et surtout de désintéresser la société Chrysler France de l'intégralité de sa créance ; que la société Chrysler France rétorque que les articles L. 652-1 4° et suivants du Code de commerce ont été abrogés, que les dirigeants de la société Les Béthunes Automobiles n'ont pas été contraints de la liquider amiablement et que cette liquidation correspondait à une volonté de cesser cette activité sans préavis ;

Mais considérant que ce grief n'a pas été invoqué dans la lettre de résiliation de sorte qu'il ne peut a posteriori fonder la résiliation ; qu'à titre surabondant, il sera relevé que les dispositions de l'article L. 652-1 4° du Code de commerce, abrogées par ordonnance du 18 décembre 2008, n'étaient plus applicables lors de la résiliation intervenue par courrier du 28 mai 2009 et que par suite, elles ne pouvaient constituer un motif grave de résiliation et ce, d'autant qu'elles visaient le cas d'une faute du dirigeant ayant contribué à la cessation des paiements ;

Considérant enfin que la société Les Béthunes Automobiles fait observer, à titre surabondant, que du fait de son non-respect des critères de sélectivité lui permettant de se maintenir en qualité de réparateur et de distributeur au seins des réseaux CJD, les contrats devaient être résiliés de plein droit et à effet immédiat sauf pour la société Chrysler France à lui faire bénéficier, en ne l'excluant pas du réseau, d'un traitement discriminatoire totalement illicite au préjudice des autres membres de ce réseau ; que la société Chrysler France réplique que la société Les Béthunes Automobiles ne démontre pas qu'elle n'avait pas la possibilité de continuer à respecter les critères de sélection et qu'elle ne peut ainsi invoquer ses propres fautes contractuelles pour justifier artificiellement la résiliation des contrats sans préavis ;

Considérant que le propre manquement de la société Les Béthunes Automobiles à son obligation contractuelle de respecter les critères de sélectivité, à le supposer démontré, ne peut constituer un motif grave lui permettant de résilier unilatéralement le contrat sans préavis ;

Considérant qu'en définitive, il n'est pas démontré que la société Chrysler France ait manqué à une obligation essentielle du contrat justifiant la résiliation des contrats de distribution sélective et de réparation à durée indéterminée par la société Les Béthunes Automobiles sans respecter le préavis de deux ans contractuellement prévu ; que cette dernière a donc rompu les contrats de manière abusive et doit réparation du préjudice qui en est résulté ;

Sur la demande en indemnisation :

Considérant que la société Chrysler France affirme qu'elle a subi un préjudice très important et réclame à ce titre deux ans de marge brute qu'elle aurait dû percevoir jusqu'au terme contractuellement prévu au contrat, soit la somme de 250 000 euros ; qu'elle sollicite en outre la réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à son image à hauteur de 100 000 euros ; qu'elle considère qu'en raison de la résiliation unilatérale abusive des contrats par la société Les Béthunes Automobiles, le secteur de ce concessionnaire s'est retrouvé, du jour au lendemain, dépourvu de tout distributeur et/ou réparateur agréé, sans aucun interlocuteur pour la clientèle, ce qui a causé un préjudice important à l'image des marques CJD d'autant plus qu'aucun autre distributeur n'étant présent à moins de 20 km de la zone de chalandise ;

Considérant que la société Les Béthunes Automobiles réplique que la société Chrysler France ne démontre aucun préjudice dès lors qu'elle a, elle-même, contribué à l'effondrement de la représentation de ses marques en France et au dépérissement de son réseau de distribution ; qu'elle fait valoir par ailleurs, l'absence de restriction territoriale prévue au contrat qui permet à chaque distributeur français de vendre activement sur un territoire représentant l'Espace économique européen ; qu'elle considère donc que sa cessation de l'activité n'a entraîné aucun préjudice pour la société Chrysler France puisque les autres distributeurs peuvent faire des ventes actives ou encore établir des points de vente secondaires ; qu'enfin, elle estime que la société Chrysler France est mal placée pour se plaindre d'une atteinte à l'image de marque alors qu'elle aurait elle-même sabordé les marques CJD avant de les céder au groupe Fiat en faisant passer les ventes en France de 12 000 à 3 000 unités en l'espace de deux ans ;

Considérant que du fait de la résiliation abusive des contrats le 20 mai 2009 à effet au 5 juin 2009, la société Chrysler France a perdu, non pas une chance de percevoir une marge brute comme le soutient à tort la société les Béthunes Automobiles, mais la marge brute qu'elle aurait dû percevoir pendant le délai de préavis contractuellement prévu de deux ans moins les quinze jours effectivement octroyés ; qu'à cet égard et peu important l'absence d'exclusivité territoriale, il convient de prendre en compte la marge brute moyenne qu'elle a réalisée au cours de l'année 2008, en tenant compte toutefois de la baisse du chiffre d'affaires de 46,19 % qu'elle a connu sur le plan national entre l'exercice 2008 et l'exercice 2009, ainsi que la progression de 1,65 % de ce chiffre entre les exercices 2009 et 2010 ; qu'au regard des pièces versées aux débats non contestées en défense, la marge brute moyenne pour 2008 s'élève à 225 193 euros pour les deux contrats ; qu'après corrections proportionnellement aux évolutions du chiffre d'affaires, le préjudice pour perte de marge brute pendant deux ans moins les quinze jours réalisés, sera fixé à 244 000 euros ; que s'agissant d'une créance indemnitaire, cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision, conformément aux dispositions de l'article 1153-1 du Code civil ;

Considérant que la société Les Béthunes Automobiles a cessé toute activité de distribution et de réparation, quinze jours après avoir l'avoir annoncé à la société Chrysler France ; que celle-ci s'est retrouvée sur la zone d'activité dévolue à la société Les Béthunes Automobiles sans aucun distributeur et réparateur CDJ ; qu'il s'en est nécessairement suivi une atteinte à l'image de ses marques CDJ ; que le préjudice subi à ce titre sera équitablement réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros ; que cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision ;

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive :

Considérant que la société Les Béthunes Automobiles soutient que la société Chrysler France a autorisé, sans engager la moindre procédure, d'autres de ses distributeurs à cesser leurs activités sans leur en faire grief et qu'il semble manifeste que la société Chrysler France a fait dégénérer son droit d'ester en justice en abus, aggravant ainsi le préjudice qu'elle lui causé ;

Considérant que compte tenu du sens de la présente décision, la procédure intentée par la société

Chrysler France n'est pas abusive ; que la société Les Béthunes Automobiles sera déboutée de la demande en dommages et intérêts formée à ce titre ;

Par ces motifs : LA COUR, Rejette l'exception d'irrecevabilité des demandes formées par la société Chrysler France, Condamne la société Les Béthunes Automobiles représentée par son liquidateur amiable, M. Jean-Pierre Soulier, à verser à la société Chrysler France à titre de dommages et intérêts la somme de 244 000 euros pour préavis non réalisé et celle de 10 000 euros pour atteinte à l'image des marques Chrysler, Jeep et Dodge, Dit que ces sommes seront augmentées des intérêts au taux légal à compte du prononcé du présent arrêt, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Condamne la société Les Béthunes Automobiles représentée par son liquidateur amiable, M. Jean-Pierre Soulier, aux dépens de première instance et d'appel, Autorise Maître Fertier, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Les Béthunes Automobiles représentée par son liquidateur amiable, M. Jean-Pierre Soulier, à verser à la société Chrysler France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.