CA Lyon, 1re ch. civ. A, 12 mai 2016, n° 13-08380
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Decap express (SARL)
Défendeur :
Haute Technologie Plastique (HTP) SAS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaget
Conseillers :
Mme Clément, M. Nicolas
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 18 octobre 2013 qui condamne la société Decap Express à verser à la société Haute Technologie Plastique la somme de 137 400 euro au titre du préjudice économique subi par celle-ci aux motifs que la société Decap Express a commis des actes de concurrence déloyale;
Vu l'appel régulièrement formé par la société Decap Express le 25 octobre 2013;
Vu les conclusions en date du 1er août 2014 par lesquelles la société Decap Express tend à la réformation du jugement aux motifs que la société Decap Express n'a commis aucun acte de concurrence déloyale, que la société Haute Technologie Plastique ne souffre d'aucun préjudice et que la société Haute Technologie Plastique ne justifie d'aucun lien de causalité entre la réparation des préjudices allégués et le comportement de la société Decap Express; et par lesquelles elle demande à la cour de condamner la société Haute Technologies Plastique à lui verser la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure;
Vu les conclusions en date du 26 septembre 2014 par lesquelles la société Haute Technologie Plastique tend à la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a dit que la société Decap Express a commis des actes de concurrence déloyale à son préjudice et qui tend à sa réformation quant aux montants des réparations allouées;
Vu les mêmes conclusions par lesquelles la société Decap express demande à la cour :
1) de constater qu'il est fait sommation par les présentes écritures à la société Decap Express de produire le chiffre d'affaires réalisé au titre de l'année 2013 dans le cadre du marché Nice Côte d'Azur,
2) de condamner la société Decap Express à lui verser les sommes suivantes :
- 236 400 euro au titre du préjudice économique
- 50 000 euro au titre du préjudice d'image subi par cette société,
3) de condamner la société Decap Express à lui verser la somme de 5 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 13 janvier 2015.
DECISION
1. Les sociétés Haute Technologie Plastique (ci-après HTP) et la société Decap Express sont des sociétés concurrentes ayant pour activité la lutte anti-graffitis. Elles travaillent pour différentes villes de France en répondant à des marchés publics.
2. Par acte d'huissier en date du 05 octobre 2012, la société HTP a assigné la société Decap Express car elle estime que cette dernière se livre à des actes de dénigrement à son encontre auprès de collectivités publiques, notamment à, Strasbourg, Toulouse et Nice.
Sur le marché de Strasbourg :
3. La société HTP soutient que la société Decap Express est l'auteur d'une lettre anonyme la dénigrant adressée à la commune de Strasbourg. Cette lettre anonyme soutenait faussement que la société HTP était mise en examen depuis trois ans pour escroquerie.
4. Mais la cour constate, comme le soutient à bon droit la société Decap Express, que la société HTP ne rapporte pas la preuve de l'identité de l'auteur de cette lettre et n'établit donc pas qu'elle émane bien de la société Decap Express. La demande de la société HTP n'est donc pas fondée à ce titre et doit être rejetée.
Sur le marché de Toulouse :
5. La société HTP avait obtenu un marché attribué par l'agglomération Toulousaine. Par la suite, ce marché lui a été retiré. La société HTP soutient que ce retrait a été motivé par une campagne de dénigrement menée par la société Decap Express.
6. Mais la cour constate, comme le soutient à bon droit la société Decap Express, que d'une part, le marché a été retiré par le pouvoir adjudicateur pour un motif d'intérêt général et car la commune a préféré effectuer le marché elle-même, en interne. D'autre part, la société HTP n'apporte pas la preuve que la société Decap Express a mené une campagne de dénigrement à son égard auprès de cette collectivité, ayant entrainé la perte du marché pour la société HTP. La demande de cette dernière à ce titre est donc mal fondée et doit être rejetée.
Sur le marché de Nice :
7. La société HTP soutient qu'elle a perdu un marché qui lui avait été attribué par la commune de Nice, en raison d'une lettre envoyée par la société Decap Express à Monsieur L., employé de la commune. Cette lettre mentionnait faussement que la société HTP était mise en examen depuis 3 ans à Lyon pour escroquerie en raison de sur-facturations. La société HTP expose que la perte de ce marché, directement causée par cette lettre diffamatoire, lui a causé un préjudice total de 236 400 euro.
8. De son côté, la société Decap Express soutient d'abord que la lettre adressée à Monsieur L. ne comporte pas de propos dénigrants, mais témoigne seulement de l'amertume de la société, et que cette lettre revêt un caractère privé.
La société Decap Express soutient ensuite que le retrait du marché préalablement attribué à la société HTP ne l'a pas été en raison de la lettre adressée par elle à Monsieur L. mais que celui-ci est intervenu pour d'autres raisons, en particulier le changement de cahier des charges. La société Decap Express en déduit donc qu'aucun lien de causalité n'existe entre la lettre qu'elle a adressée à la commune de Nice et la perte du marché subi par la société HTP.
9. La cour constate que la lettre adressée par la société Decap Express à l'organisme adjudicataire de la commune de Nice contient effectivement des propos mensongers à l'égard de la société HTP, à savoir: "Pour votre information, la société retenue (HTP) est mise en examen, depuis 3 ans, par la Ville de Lyon pour escroquerie (surfacturation) pour le même type de marché. Compte tenu de la lenteur de la justice, elle obtient malgré tout de nouveaux marchés en continuant à casser les prix". La société HTP n'était en réalité pas mise en examen. La société Decap Express a donc bien dénigré la société HTP par cette lettre et a commis une faute.
10. Mais comme le soutient à bon droit la société Decap Express, et comme le démontre le courrier adressé par la ville de Nice, le marché attribué par cette commune à la société HTP ne lui a pas été retiré à la suite du courrier diffamatoire de la société Decap Express, mais pour un motif d'intérêt général tenant à un changement de cahier des charges. En conséquence, la société HTP ne démontre pas d'un lien de causalité entre la lettre mensongère de la société Decap Express et le retrait du marché qui lui avait été attribué. La société HTP est donc défaillante dans la démonstration d'un lien de causalité entre la faute de la société Decap Express et son préjudice.
11. Il découle de ce qui précède que la demande de la société HTP à cet égard est mal fondée et doit être rejetée. Le jugement est réformé en toutes ses dispositions.
Sur l'atteinte à l'image de la société HTP :
12. La société HTP soutient que les actions de la société Decap Express tendant à la dénigrer lui ont fait subir un préjudice d'image auprès de ses clients.
De son côté, la société Decap Express soutient que la société HTP n'établit pas de lien de causalité entre les faits qu'elle lui reproche et les préjudices allégués, qu'elle estime injustifiés par ailleurs.
13. Mais la cour relève que si la lettre mensongère adressée par la société Decap Express à la ville de Nice n'a pas entrainé la perte du marché, ce comportement est bien constitutif d'une faute et celle-ci a bien fait subir directement un préjudice d'image à la société HTP en laissant croire à un client de celle-ci que cette société était malhonnête et poursuivie devant une juridiction, ce qui s'est avéré faux.
14. Le préjudice de la société HTP à ce titre, au regard des éléments versés aux débats, doit être fixé à la somme de 50 000 euro. La cour condamne donc la société Decap Express à verser la somme de 50 000 euro à la société HTP au titre de l'atteinte à l'image de cette dernière.
15. L'équité commande d'allouer la somme de 5 000 euro à la société HTP sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
16. La société Decap Express qui est condamnée, en appel, est condamnée aux dépens de cette procédure.
Par ces motifs LA COUR, - réforme en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 18 octobre 2013 ; - déboute la société Haute Technologie Plastique de ses demandes concernant les marchés de Strasbourg, Toulouse et Nice, comme mal fondées ; - condamne la société Decap Express à verser la somme de 50 000 euro à la société Haute Technologie Plastique au titre du préjudice d'image subi par cette dernière ; - condamne la société Decap Express à verser la somme de 5 000 euro à la société Haute Technologies Plastique sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; - autorise les mandataires des parties qui en ont fait la demande à les recouvrer aux formes et conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.