CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 20 mai 2016, n° 14-06887
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
DJO France (SAS)
Défendeur :
Thuasne (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Colette
Conseillers :
Mmes Nerot, Renard
ARRET :
Contradictoire
Par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
Signé par Mme Colette PERRIN, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.
La société Thuasne, créée en 1847 et dont l'activité porte, notamment, sur la commercialisation de textiles et de dispositifs médicaux prêts à l'emploi expose qu'elle commercialise depuis juin 2011, avec succès, une ceinture de grossesse dénommée " LombaMum ", première ceinture de soutien lombaire remboursée par l'assurance maladie.
S'étant aperçue que la société Djo France, constituée en 1996 sous la dénomination " Axmed ", filiale d'un important groupe américain et ayant pour activité la fourniture d'appareils orthopédiques, de produits de rééducation, de traitement de la douleur et de kinésithérapie commercialisait, à compter de fin décembre 2012, sous sa marque " Donjoy ", une ceinture de grossesse dénommée " Babystrap " dans des conditions caractérisant, selon elle, la concurrence parasitaire, elle a fait dresser un constat d'huissier en mars 2013 puis lui a fait délivrer, dûment autorisée, une assignation à bref délai le 26 avril 2013 afin d'obtenir réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.
Par jugement rendu le 14 mars 2014, le tribunal de commerce de Paris se déclarant valablement saisi et compétent, a, en substance et avec exécution provisoire, ordonné à la société Djo France de mettre un terme à ses actes de concurrence parasitaire et de cesser immédiatement, sous astreinte, la commercialisation de la ceinture " Babystrap " en déboutant les parties du surplus de leurs demandes et en condamnant la société Djo France à payer à la requérante la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 14 mars 2016, la société par actions simplifiée Djo France appelante, demande pour l'essentiel à la cour, au visa de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme de 1789 et des articles 1382 du Code civil et 32-1 du Code de procédure civile :
à titre principal, en considérant que la ceinture Djo " Babystrap " ne constitue pas la copie de la ceinture " LombaMum ", que la société Thuasne ne justifie pas des actes de concurrence parasitaire qu'elle aurait commis, qu'elle ne pouvait, de plus, ignorer qu'elle concevait et distribuait de longue date des ceintures de maintien pour femmes enceintes et, enfin, que l'action de la société Thuasne constitue une procédure abusive en ce qu'elle vise à évincer son concurrent du marché, de rejeter ses demandes, tant infondées qu'injustifiées, et de la condamner à lui verser les sommes indemnitaires de
:
50.000 euros pour procédure abusive,
15.799,12 euros au titre de la perte des matières et produits finis nécessaires à la commercialisation des ceintures " Babystrap ",
11.927,50 euros par mois courant du 31 mars 2014 jusqu'à la date de l'arrêt à intervenir au titre de sa perte de marge,
71.565 euros au titre de sa perte de clientèle,
211.556 euros au titre de la perte de son investissement initial sur la ceinture " Babystrap ",
à titre subsidiaire, de lui donner acte de ce qu'elle a d'ores et déjà cessé de commercialiser la ceinture " Babystrap " auprès de ses clients et de rejeter les demandes de l'intimée visant au rappel et à la destruction des ceintures acquises par des tiers à la présente procédure,
en tout état de cause, de condamner la société Thuasne à lui verser la somme de 40.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter tous les dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 15 mars 2016, la société par actions simplifiée Thuasne prie en substance la cour, au visa des articles 46 du Code de procédure civile et 1382 du Code civil, de confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de rappel et de destruction des stocks de ceintures " Babystrap " ainsi qu'en ses demandes de publication judiciaire et ;
in limine litis, de dire qu'elle a valablement assigné la société Djo France en considérant que l'article 46 visé autorise à assigner en matière délictuelle dans le ressort de la juridiction du lieu du fait dommageable ou dans celui où le dommage a été subi et qu'en l'espèce les actes illicites ont été réalisés dans le ressort de la juridiction commerciale parisienne où le fait dommageable s'est produit,
à titre principal, en regard des éléments caractérisant le parasitisme qualifié d'acte de concurrence parasitaire entre concurrents et du comportement de la société Djo France, de considérer qu'elle a commis des actes de concurrence parasitaire à son détriment, d'ordonner, sous astreinte, d'une part, qu'il soit immédiatement mis fin à ces actes, et, d'autre part, le rappel et la destruction de tous les produits " Babystrap ", ceci aux frais de l'appelante,
d'ordonner, de plus, la publication de la décision à intervenir par voie de presse et sur les sites
et ,
en tout état de cause, de débouter la société Djo France de toutes ses réclamations, notamment au titre de la procédure abusive et du préjudice subi du fait de l'exécution provisoire du jugement en la condamnant à lui verser la somme complémentaire de 20.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
SUR CE,
Considérant, à titre liminaire, que vainement la société Thuasne consacre des développements, pour le combattre, au moyen tiré de l'incompétence territoriale du tribunal de commerce de Paris dès lors que la société Djo France ne le soulève plus dans ses dernières écritures ;
Sur les actes de concurrence parasitaire incriminés
Considérant qu'en préambule la société Djo France, faisant valoir que le projet de lancement de la ceinture litigieuse " Babystrap Donjoy ", mené avec professionnalisme et au prix d'investissements durant 9 mois, est le résultat de son expérience ainsi que de savoir-faire et qu'en initiant cette procédure la société Thuasne ne poursuit d'autre fin que d'éliminer un concurrent sur le rémunérateur marché des ceintures de soutien lombaire à destination des femmes enceintes, retrace dans le détail son propre historique en affirmant qu'elle n'est pas, comme présentée par son adversaire, une société récemment implantée en France mais un concurrent sérieux figurant parmi les leaders mondiaux en matière d'appareils orthopédiques qui la place en deuxième position sur ce marché français et, s'agissant plus précisément du marché des ceintures de soutien lombaire, expose que depuis le début des années 2000 jusqu'en 2011, elle a commercialisé plus de 23 modèles destinés aux femmes dont deux (les ceintures " Cingula " et " Procare ") dédiés aux femmes enceintes, développant en outre, fin 2010, une gamme de cinq ceintures lombaires pour le marché allemand dans le cadre d'un projet " Spine " ;
Qu'elle soutient que le tribunal a retenu à tort des faits de concurrence parasitaire du fait de la reprise des principales caractéristiques de la ceinture " LombaMum " (composition en trois éléments, offre en taille unique adaptable, présentation bicolore et dans un tissu spécifique) en estimant qu'il s'agissait d'une valeur économique individualisée alors, selon elle, que ces caractéristiques sont communes à d'autres ceintures antérieurement commercialisées, dont les siennes, ou liées à des contraintes techniques, relevant que la société Thuasne s'est abstenue de déposer une demande de brevet, ne procédant qu'à un dépôt de dessins et modèles sans pour autant se prévaloir d'un droit privatif ;
Qu'agissant sur le terrain de la responsabilité civile, ajoute-t-elle, la société Thuasne se doit de démontrer qu'elle a adopté une véritable stratégie de pillage et que tel n'est pas le cas ; que le développement de la ceinture " Babystrap " est le fruit de ses propres investissements, que la comparaison des ceintures en conflit laisse d'ailleurs apparaître des différences significatives ou des caractéristiques déjà présentes dans les ceintures qu'elle-même commercialisait antérieurement, évoquant tour à tour leurs formes respectives et le positionnement des baleines, la couverture du dos et le caractère échancré de la ceinture, le système de serrage additionnel, le passe-doigt, le bandeau ventral amovible ou encore les couleurs et tissus respectivement employés ;
Qu'en outre, poursuit-elle, il incombe au demandeur à l'action en concurrence parasitaire de prouver non seulement que le public associe à son nom certains éléments caractéristiques d'un produit mais également que la reproduction desdits éléments par un concurrent expose le public à un risque de confusion entre les produits et/ou les entreprises en cause ; qu'est, par conséquent, inopérant l'argument de la société Thuasne selon lequel le parasitisme, notamment entre concurrents, ne nécessite pas la démonstration d'un tel risque et qu'eu égard aux nombreuses différences entre les produits en cause qu'elle met en exergue et qui excluent tout risque de confusion, aucun acte de concurrence parasitaire ne peut lui être reproché ;
Que la caractérisation d'agissements parasitaires nécessitant, selon la société Djo France, en sus de la démonstration d'un risque de confusion, la preuve de l'absence d'investissements propres réalisés par la partie à laquelle le parasitisme est imputé à faute, elle soutient que de manière infondée la société Thuasne lui reproche d'avoir profité de ses lourds investissements afin de réaliser de substantielles économies et proposer sur le marché des produits à prix " cassés " dès lors que son adversaire n'établit pas la réalité des investissements invoqués et qui ne sont que prétendus, qu'elle-même n'a effectivement réalisé aucune économie en engageant de son côté des investissements " normaux " pour sa nouvelle ceinture - la mise en jeu de la responsabilité civile n'introduisant, au demeurant, aucun seuil quantitatif - et qu'enfin, sa propre politique tarifaire n'apparaît pas systématiquement inférieure aux prix pratiqués par la société Thuasne ni n'établit l'existence d'un quelconque bénéfice déloyal ;
Considérant, ceci rappelé, que si les parties s'accordent sur la définition du parasitisme visant le comportement d'un agent économique se plaçant dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans bourse délier, de ses investissements et de son savoir-faire, elles se divisent sur les conditions d'accueil de cette action, la société Djo France faisant valoir que lorsque les entreprises sont, comme en l'espèce, en situation de concurrence, le parasitisme devient une forme de concurrence déloyale impliquant la preuve d'un risque de confusion ;
Que la société Thuasne réfute, cependant, à juste titre cette argumentation ; qu'en effet, le parasite désignant, dans ses acceptions premières, la personne qui se nourrit aux dépens de son hôte ou l'organisme vivant de la substance d'un autre, le risque de confusion ne peut être retenu comme un critère déterminant du grief de parasitisme qui tend à sanctionner, lorsque l'abus dans l'exercice de la liberté du commerce et de l'industrie est démontré, la captation de ce qui fait le succès commercial d'un produit exploité par un concurrent en limitant ses propres investissements pour vendre son propre produit ;
Qu'il s'en déduit qu'il appartient à la société Thuasne, qui ne se prévaut pas d'un droit privatif sur la ceinture lombaire " LombaMum ", de démontrer, d'abord, l'existence de la valeur économique, individualisée qu'elle déclare avoir créée à partir de son savoir-faire, de son travail intellectuel et de ses investissements, ensuite, la captation de cette valeur économique par la société Djo France et enfin, revers du préjudice dont elle se prévaut, l'avantage concurrentiel sur le marché dont cette dernière, s'inspirant des caractéristiques de ce produit " LombaMum ", bénéficie injustement et à titre lucratif ;
Considérant, sur la valeur économique permettant à la société Thuasne de se différencier des autres acteurs du marché et qu'elle entend voir protéger, que si cette dernière fait état d'investissements évalués à la somme de 2.429.485 euros (selon une attestation de son commissaire aux comptes établie le 31 juillet 2013 / pièce 28) représentant le cumul des sommes consacrées à la recherche et au développement durant une période de trois années et des frais de marketing et de communication engagés pour permettre à sa ceinture " LombaMum " d'être un produit leader du marché, en en reprenant le détail (§ 17 de ses conclusions) et en approuvant le tribunal qui en a retenu l'effectivité, la société Djo France s'attache à démontrer l'absence ou l'insuffisance des preuves produites par son adversaire, voire leur manque de pertinence ou leur caractère " farfelu " ;
Que, toutefois, à l'examen des pièces et des explications fournies par la société Thuasne qui met en particulier et à juste titre l'accent sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un banal produit de consommation mais qu'il ressort du domaine médical et de la santé, il y a lieu de considérer que la société Djo France n'est pas fondée en sa contestation ;
Qu'en effet, les frais de personnel ayant participé en interne à la recherche et au développement de cette ceinture entre 2009 et 2011, s'ils ne sont pas justifiés dans leur détail n'en sont pas moins attestés par le commissaire aux comptes ;
Que si la société Djo France invite la cour à s'interroger sur la pertinence des recherches invoquées par l'intimée dans la mesure où, expose-t-elle, " au moins une bonne demi-douzaine de publications existent déjà sur le sujet et ont été (par elle-même) identifiées en quelques minutes de recherches sur internet " et qu'en tout état de cause ces études, dont l'utilité n'est pas démontrée, sont postérieures à la date de lancement de la ceinture, elle n'entre pas dans le détail de cette " demi-douzaine de publications " que la société Thuasne a pu juger obsolètes, parcellaires ou impropres à la réalisation du produit qu'elle entendait commercialiser et qu'elle voulait innovant en ses divers aspects ; que l'essai d'un prototype de cette ceinture sur 124 femmes, selon une facture du 05 mai 2011, peut être considéré comme s'inscrivant dans cette logique et n'a pas vocation à être rendu public ; que, par ailleurs, force est de considérer qu'une partie des études cliniques réalisées porte une date antérieure à la commercialisation de cette ceinture et que celles qui lui sont postérieures ont pu avoir pour finalité, comme l'explique l'intimée, de rechercher une éventuelle nécessité d'évolution du produit pour le parfaire ;
Que, reprochant au tribunal d'avoir repris mot pour mot les conclusions de la société Thuane en énonçant que " la commercialisation de ce type de produit nécessite la réalisation de dossiers de validation médicale, d'assurance de responsabilité civile, des dossiers ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) et CPP (Comité de protection des personnes) pour la réalisation des études médicales et des homologations diverses et variées " alors que la société Thuasne ne verse aucune pièce au soutien de ses affirmations, elle en tire la seule conclusion qu'elle n'a pu personnellement bénéficier d'un avantage indu puisqu'elle est soumise aux mêmes contraintes réglementaires ;
Que, par ailleurs, en qualifiant de " farfelu " le coût global que la société Thuasne déclare avoir consacré à la présentation et à la promotion de ce seul produit auprès des médecins, pharmaciens ou magasins orthopédiques, ou en affirmant que ces pratiques seraient " totalement hors marché " en regard des usages de la profession selon lesquels le lancement d'un nouveau produit est en général supporté durant un trimestre, la société Djo France ne peut être suivie en sa contestation dès lors qu'elle perd de vue le fait que la société Thuasne entendait introduire sur le marché un produit se démarquant de ceux qui y étaient offerts en lui assurant une part de marché supérieure à celle des produits concurrents et qu'il lui importait, agissant dans le domaine de l'équipement médical, d'installer une relation de confiance propre à fidéliser la clientèle ;
Qu'il en résulte que quand bien même le coût de l'investissement global invoqué pourrait être affecté de correctifs ' au demeurant légers en regard des éléments qui précèdent -, il n'en demeure pas moins que la société Thuasne établit qu'elle a déployé des efforts importants pour créer et promouvoir la ceinture " LombaMum ", qu'elle y a consacré des investissements à leur mesure et qu'elle est fondée à revendiquer la création d'une valeur économique de nature à lui procurer à un avantage concurrentiel ;
Considérant, sur le caractère innovant de la ceinture " LombaMum " et la reprise de ses éléments pour créer la ceinture " Babystrap ", qu'alors que la société Thuasne affirme que les investissements sus-évoqués lui ont permis de réaliser une ceinture qui se distingue de celles que propose la concurrence et que la société Djo France s'est intégralement fondée sur elle pour réaliser la ceinture " Babystrap ", cette dernière s'en défend et soutient qu'il ne peut raisonnablement être considéré qu'elle s'est livrée à une quelconque stratégie de pillage destinée à la dispenser de tout effort ;
Que contestant, d'abord, le caractère innovant des différentes caractéristiques de la ceinture " LombaMum ", la société Djo France s'attache à démontrer que chacune préexistait à sa création et était déjà répandue sur le marché, qu'il s'agisse :
¤ des bandeaux abdominaux, communément adoptés et présents dans la ceinture " Procare maternity belt " qu'elle commercialise depuis 2006 ou objet d'un brevet US 2007/0073204 A1 enregistré le 21 septembre 2006, de la forme échancrée et du placement sous le ventre du bandeau abdominal, présents dans diverses ceintures commercialisées notamment par elle-même dès avant mai 2011 (" Soft form maternity support bell ", " Maternity support ", " Nextcare maternity support ", " Procare maternity support ",..) et qui ne font qu'épouser la morphologie de la femme enceinte en évitant les pressions, de la taille unique, concept largement répandu sur le marché (pouvant se présenter comme une ceinture décomposée en plusieurs parties solidarisables par une bande velcro et ajustables) qui présente des avantages financiers tant pour le fabricant (lorsque la Liste des Produits et Prestations Remboursées ou LPPR l'y autorise) que pour le consommateur et auquel elle a d'ailleurs eu recours en commercialisant, en 2006, trois modèles différents de ceintures de maintien ou qu'elle utilise désormais dans ses nouvelles ceintures de grossesse " Mybabystrap " et " Mybabystrap Evolution " sans que la société Thuasne ne soulève d'objection,
¤ du tissu employé, plus doux sur la partie ventrale que dorsale, dès lors que cela s'explique naturellement par le fait que la peau du ventre de la femme enceinte est plus fragile et que nombre de ceintures pour femme enceinte y recourent, comme les produits " Babylomb ", " Obstemix " et " Riena Lumba Grossesse " des sociétés Ortheis, Velpeau et Hartmann, ajoutant, ici aussi, que sa nouvelle ceinture " Mybabystrap " comporte lesdits tissus sans que la société Thuasne ne s'en émeuve,
¤ des sangles élastiques ajustables, qui sont utilisées depuis plus de 20 ans en raison notamment de leur adaptabilité aux changements de taille et qui font l'objet de nombreux brevets ou dessins et modèles portant sur des ceintures lombaires, ajoutant qu'elle développe elle-même depuis plusieurs années ce système de serrage (pour les ceintures " Donjoy Dynastrap ", " Clinic retention support ", " 10 '' Cris-cross support ", " Sacro-lumbar support mesh back ", ') et qu'au surplus, elle a réalisé un système plus performant de serrage en trapèze avec boucles nécessitant moins d'efforts physiques faisant actuellement l'objet d'une demande de brevet en Allemagne,
¤ des pattes de préhension et passe-doigts destinés à faciliter le serrage, également préexistants, notamment dans ses produits " Lumboforce 2 " et " Immolomb 2 " ou évoqués dans un brevet déposé le 25 novembre 2009 par la société Gibaud ;
Que, pour sa part, la société Thuasne fait le départ entre les caractéristiques inévitables afin de pouvoir prétendre à un remboursement par la sécurité sociale et ce qu'elle désigne comme les trois axes de rupture au regard des produits existants - aspects techniques, pratiques, de confort et esthétiques -, tous innovants, et fait justement valoir qu'aucun des documents évoqués par l'appelante ne décrit l'ensemble des caractéristiques de la ceinture " LombaMum " ;
Que c'est, en effet, à l'aune de cette combinaison d'éléments, susceptibles d'être connus ou tenus pour fonctionnels ou relevant de l'état de la technique pris individuellement, que doit être apprécié le caractère innovant de ce produit et qu'à cet égard, en dépit des multiples produits ou inventions dont elle fait état, la société Djo France n'oppose à son adversaire aucune ceinture lombaire pour femmes enceintes combinant les différents éléments sus-évoqués qui caractérisent ce produit et lui permettent, du fait de leur agencement particulier, de se démarquer des produits concurrents ;
Qu'elle n'est donc pas fondée en son moyen, la société Thuasne indiquant, au surplus, que les critères qu'elle a entendu privilégier ont fait de cette ceinture un produit se distinguant nettement des autres produits du marché à telle enseigne qu'en 2012, ce seul produit (qu'elle qualifie de " phare ") lui a permis de réaliser un chiffre d'affaires de 982.020 euros et 25.207 ventes ;
Que contestant, ensuite, l'emprunt de ces éléments afin de créer la ceinture " Babystrap " litigieuse qui lui est reproché, la société Djo France soutient que la reprise de quelques éléments présentés comme innovants ne suffit pas à caractériser un comportement parasitaire et qu'il appartient à son adversaire de démontrer qu'elle a adopté une véritable stratégie de pillage la dispensant de tout effort
;
Qu'à la faveur d'une minutieuse étude comparative des différentes composantes des ceintures " LombaMum " et " Babystrap " (forme générale des ceintures et positionnement des baleines, couverture du dos et caractère échancré de la ceinture, système de serrage additionnel, pattes de préhension, passe-doigt, bandeau ventral amovible, couleur de la ceinture, tissu), elle met en relief ce qui les distingue en précisant que les différences sont cruciales dans un domaine où la forme est essentiellement dictée par la fonction, laquelle est de soulager les diverses douleurs ressenties ;
Qu'en tout état de cause, poursuit-elle, la forme de la ceinture " Babystrap " résulte d'un savoir-faire développé de longue date dans le secteur des ceintures lombaires et s'inspire principalement de ceintures qu'elle avait précédemment créées, en particulier les ceintures " Lumboforce 2 " et " Cingula ", ou ressortent du fonds commun des ceintures lombaires pour femmes enceintes ;
Qu'eu égard à ce qui précède, cette argumentation ne saurait toutefois prospérer dès lors que ce qui peut être tenu pour une valeur ajoutée à l'existant en matière de ceintures lombaires pour femmes enceintes, procurant à la société Thuasne, du fait de sa singularité, un avantage concurrentiel, est l'association d'éléments à laquelle elle est parvenue, grâce aux investissements qu'elle lui a consacrés, pour réaliser le produit fini qu'elle exploite ;
Qu'ainsi, si la société Djo France relève quelques différences de détail entre les produits opposés et établit un continuum avec des produits qu'elle présente comme étant des réalisations dont elle a été antérieurement à l'origine, elle ne développe aucune critique utile relative à l'étroite proximité entre les produits opposés, pris dans leur ensemble, du fait de l'association d'éléments exactement identifiés par les premiers juges en contemplation, notamment, des pièces 37, 38, 47, 48 et 50 de l'appelante : couverture du dos, caractère échancré de la ceinture, système de serrage additionnel de même largeur et de matière élastique, pattes de préhension qui recouvrent l'anneau, passe-main de profondeur identique, bandeau ventral amovible, identité du haut de la forme et du positionnement des baleines ou encore couture du tissu ;
Que l'analyse comparative des produits en cause permet à la cour de considérer qu'en créant le produit " Babystrat " la société Djo France a repris la combinaison d'éléments qui permet à la société Thuasne, les regroupant en éléments techniques, pratiques, esthétiques et de confort, d'offrir à la vente une ceinture lombaire pour femmes enceintes se distinguant des autres produits présents sur ce segment du marché ;
Que l'appelante peut d'autant moins invoquer ses réalisations antérieures que la société Thuasne relève, à raison, que la ceinture " Cingula " à laquelle elle se réfère se présente comme une ceinture dépourvue d'élastique de renfort et de baleines mais dotée de boudins gonflables ; qu'en outre, rien dans les pièces de l'appelante ne permet de tenir pour acquis qu'afin de réaliser la ceinture " Babystrap ", la société Djo France a repris les éléments caractérisant la ceinture " Lumbaforce 2 ", d'autant qu'en avril 2011 ce futur produit était à l'état de dessins de prototypes qui diffèrent du produit ultérieurement commercialisé se présentant sans bandeau amovible, décliné en 6 tailles et qui n'est pas propre à la maternité (pièces 26 de l'appelante et 29 de l'intimée) ;
Qu'il s'en évince que la société Djo France n'est pas fondée à conclure que " la société Thuasne ne justifie aucunement du fait qu'elle aurait copié son produit " LombaMum " pour les besoins de la conception de sa ceinture " Babystrap " au demeurant dans des conditions qui lui auraient donné un avantage concurrentiel " ;
Considérant, enfin, et s'agissant de cet avantage concurrentiel dont a consécutivement pu bénéficier la société Djo France, que cette dernière, se prévalant d'une démarche autonome de conception et de création, tire argument de coûts " normaux " de développement et de commercialisation, sans qu'une quelconque économie ne puisse être identifiée comme résultant de l'activité de la société Thuasne et, contrairement à ce que prétend son adversaire, d'une politique tarifaire qui n'est pas systématiquement inférieure à celle pratiquée par la société Thuasne et qui ne lui permet pas de bénéficier d'un quelconque avantage ;
Qu'il ressort, il est vrai, des pièces produites par l'appelante (pièces 87 à 90) que, déliant sa propre bourse, elle a consacré une somme totale de 211.556 euros pour le développement et le lancement de sa ceinture " Babystrap " et que le fait que cette somme soit dix fois inférieure au montant total des investissements consacrés par l'intimée à la création et à la promotion de la ceinture " LombaMum " n'est pas, en soi, révélateur d'une captation parasitaire, encore qu'en l'absence d'éléments de comparaison, la cour n'est pas en mesure de se prononcer sur ce qu'il faut entendre par un investissement " normal " en ce domaine ;
Qu'il apparaît, néanmoins, qu'un faisceau d'éléments tend à démontrer qu'elle a délibérément usurpé les efforts intellectuels et les investissements de la société Thuasne ainsi que la réputation acquise par cette dernière en raison de son savoir-faire, ceci dans le dessein d'en tirer profit ;
Qu'il y a lieu de considérer, en effet, que ne peut être tenue pour fortuite la similitude des produits opposés, commercialisés à un peu plus d'un an de différence et alors que la ceinture de grossesse " LombaMum " se distinguait de tous les produits présents sur le marché ;
Qu'en outre, une analyse d'opportunité d'avril 2012 émanant de la société Djo France (pièce 34) précise, notamment, qu'à cette date, la société est absente du marché français des ceintures de grossesse, que le concurrent majeur est la société Thuasne ou encore, spécifiant divers éléments qui correspondent aux caractéristiques de la ceinture " LombaMum " (taille unique, bandeau ventral, caractère évolutif), qu'aucune connaissance spéciale ou expertise ne serait nécessaire ;
Que l'élaboration du produit " Babystrap " n'a requis qu'une durée extrêmement brève, ses caractéristiques étant précisément définies 20 jours après l'envoi de l'étude d'opportunité sus-évoquée, et qu'heurte la logique le fait que la recherche d'études scientifiques sur la question n'ait été entreprise qu'en juillet 2012, soit postérieurement à cette élaboration, ainsi que le relève le conseil en propriété industrielle consulté par l'intimée (pièce 29) ;
Que, s'agissant plus généralement de cette phase de conception et comme il a été dit, l'appelante ne peut expliquer sa célérité en faisant état de connaissances et du savoir-faire acquis à l'occasion de la commercialisation des ceintures " Cingula " ou " Lumbaforce 2 " par elle-même précédemment créés et commercialisées, en particulier sur le marché allemand ;
Que, par ailleurs, le produit " Babystrap " reprenant la combinaison des caractéristiques du produit " LombaMum " et ciblant la même clientèle, un lien de cause à effet peut être établi entre la brièveté d'élaboration et le moindre coût de communication et de marketing indiqués par la société Djo France et les données chiffrées fournies à ce titre par la société Thuasne ; qu'il peut être ajouté qu'elles sont stigmatisées pour leur excès par la société Djo France en contemplation d' " usages de la profession " dont, au demeurant, elle omet de justifier ;
Que la société Thuasne est, dans ces conditions, fondée à prétendre que la société adverse s'est placée dans son sillage pour se procurer un gain de temps, s'épargner des efforts humains ainsi qu'une part substantielle d'investissements et, incidemment, pour être en mesure de proposer un produit directement concurrent à des prix suffisamment attractifs pour devenir le numéro 2 du marché ;
Qu'il résulte de tout ce qui précède que le jugement doit être confirmé en ce qu'il retient l'existence d'un comportement parasitaire imputable à faute à la société Djo France au préjudice de la société Thuasne ;
Sur les mesures réparatrices
Considérant que, formant appel incident, la société Thuasne qui ne poursuit pas la réparation par équivalent de son préjudice, demande à la cour d'ajouter à la mesure de cessation immédiate ordonnée en faisant droit à ses demandes de rappel et de destruction que le tribunal a rejetées sans motiver sa décision sur ce point ;
Qu'elle expose, notamment, qu'elle a fait constater par huissier en 2014 que, nonobstant les termes du jugement qui ordonnait la cessation de la commercialisation de la ceinture " Babystrap " dans les quinze jours de son prononcé, elle était toujours offerte à la vente quatre moins plus tard, que, par ailleurs, selon lettre du 31 mars 2014, l'appelante invitait ses distributeurs à poursuivre la vente de ce produit en stock (pièces 31, 32) et qu'enfin, l'implantation de sa concurrente dans plus de 50 pays (pièce 5) pourrait l'inciter à écouler ses stocks, voire à poursuivre la commercialisation du produit hors du territoire national ;
Qu'elle sollicite également l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté ses demandes de publication, arguant, en particulier, de la nécessité d'informer le public afin de l'inciter à la prudence;
Considérant, ceci rappelé, que les agissements parasitaires de la société Djo France n'ont pu avoir d'autre effet que de banaliser la ceinture " LombaMum " en diminuant l'avantage concurrentiel qu'elle s'était procuré et en lui faisant perdre une chance de développement à la mesure des efforts déployés ;
Que, quand bien même la société Djo France affirmerait qu'elle a cessé la commercialisation de la ceinture " Babystrap " en lui substituant d'autres produits de même nature, il n'en reste pas moins que la persistance de stocks et la poursuite de leur exploitation ne peut qu'aggraver ce préjudice ; qu'est, par ailleurs, inopérante l'invocation, par l'appelante, de la Déclaration des droits de l'Homme pour opposer à cette demande le droit de propriété des tiers de bonne foi (tiers à la procédure) sur ces marchandises en stock et qu'il lui appartient, éventuellement, d'assumer à leur égard les conséquences de son comportement délictueux ;
Qu'il suit que le jugement sera réformé en ce qu'il rejette la demande portant sur la demande de rappel et de destruction des produits " Babystrap " litigieux ; que la mesure sera ordonnée sous astreinte, selon les modalités précisées au dispositif, sans qu'il y ait lieu de s'en réserver la liquidation
;
Que ces mesures réparant à suffisance le préjudice subi, les demandes de publication seront, en revanche, rejetées, ainsi qu'en a jugé le tribunal ;
Sur les autres demandes
Considérant que la teneur de la présente décision conduit à débouter la société Djo France de l'ensemble de ses demandes indemnitaires formées à titre reconventionnel, en confirmant, ce faisant, le jugement en cette disposition ;
Que l'équité commande d'allouer à la société Thuasne une somme complémentaire de 20.000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que, déboutée de ce dernier chef de prétentions, la société Djo France qui succombe supportera les dépens d'appel ;
Par ces motifs ; Confirme le jugement hormis en ses dispositions rejetant la demande relative aux mesures de rappel et de destruction des produits " Babystrap " et, statuant à nouveau en y ajoutant ; Ordonne, aux frais de la société Djo France SAS, le rappel et la destruction de tous les produits " Babystrap " dans le délai de 08 jours à compter de la signification du présent arrêt, ceci sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne la société Djo France SAS à verser à la société Thuasne SAS une somme complémentaire de 20.000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.