CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 17 mai 2016, n° 15-22746
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ajaccio Diesel (SARL)
Défendeur :
Iveco France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Roy-Zenati
Conseillers :
Mmes Bodard-Hermant, Quentin de Gromard
Avocats :
Mes Grappotte-Benetreau, Bertin, Bricogne
Faits et procédure
La SA Iveco France commercialise sur le territoire français notamment des véhicules industriels et utilitaires de marque Iveco et les pièces de rechange afférentes par le biais d'un réseau de distributeurs sélectifs.
La SARL Ajaccio Diesel, qui a son siège social à Ajaccio (20504), a été l'un des concessionnaires du réseau Iveco jusqu'au 31 mai 2013 date de résiliation des contrats de concession pour la vente des véhicules et le service de garantie liant les deux parties.
Par acte du 9 juillet 2014 la SARL Ajaccio Diesel a fait assigner la SA Iveco France devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins principalement, sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce, de la voir condamner :
- au paiement des sommes de 2 954 542 euros et de 1 012 986 euros à titre de dommages-intérêts pour brusque rupture des relations commerciales établies entre les parties et pour avoir refusé de "façon discriminatoire et déloyale" de conclure avec elle de nouveaux contrats,
- à reprendre l'intégralité du stock des pièces de rechange Iveco de la SARL Ajaccio Diesel à sa valeur d'achat HT.
Par jugement contradictoire du 9 novembre 2015, le Tribunal de commerce de Paris relevant que la SA Iveco France a son siège social à Vénissieux (69) et que le fondement des demandes de la SARL Ajaccio Diesel est délictuel a, sur le fondement de l'article 42 du Code de procédure civile, principalement :
- dit la SA Iveco France recevable et bien fondée en son exception d'incompétence et s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal de commerce de Lyon pour statuer sur l'ensemble des demandes de la SA Iveco France y compris celle relative à l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SARL Ajaccio Diesel aux dépens.
Le 24 novembre 2015 la SARL Ajaccio Diesel a formé contredit contre cette décision.
Par conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience la SARL Ajaccio Diesel demande à la cour, sur le fondement des articles 43 et 46 du Code de procédure civile, L. 420-1, L. 420-7, L. 442-6 I 5°, R. 420-3 et D. 442-3 du Code de commerce de :
- " infirmer " le jugement du tribunal de commerce,
- dire le Tribunal de commerce de Paris matériellement et territorialement compétent pour connaître du litige opposant les parties,
- renvoyer la procédure devant le tribunal de commerce de Paris afin qu'il statue au fond,
- condamner la SA Iveco France aux dépens et au paiement d'une somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses écritures déposées et soutenues oralement à l'audience la SA Iveco France, sur le fondement des articles 1382 du Code civil, 442, 46, 75 et suivants et 97 du Code de procédure civile, L. 420-1, L. 442-6, R. 420-3 et D. 442-3 du Code de commerce, demande à la cour de :
- " confirmer " le jugement du Tribunal de commerce de Paris,
- renvoyer l'affaire devant le Tribunal de commerce de Lyon,
- débouter la SARL Ajaccio Diesel de toutes ses demandes,
- condamner la SARL Ajaccio Diesel aux dépens et à payer à la SA Iveco France une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Considérant, au visa de l'article 82 du Code de procédure civile, que le contredit soulevé dans les 15 jours de la décision querellée par la SARL Ajaccio Diesel avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir et motivée, est recevable ;
Considérant que l'article D. 442-3 du Code de commerce désigne notamment les tribunaux de commerce de Paris et de Lyon pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Considérant que l'article 42 alinéa 1 du Code de procédure civile dispose que " La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire celle du lieu où demeure le défendeur " ;
Que l'article 43 du Code de procédure civile prévoit que " Le lieu où demeure le défendeur s'entend : (...) s'il s'agit d'une personne morale, du lieu où celle-ci est établie " ;
Considérant qu'une personne morale peut être assignée devant la juridiction du ressort dans lequel elle dispose d'une succursale ou d'une agence ayant le pouvoir de la représenter à l'égard des tiers dès lors que l'affaire se rapporte à son activité ou que les faits générateurs de responsabilité se sont produits dans le ressort de celle-ci ;
Considérant que la SARL Ajaccio Diesel contredisante, invoquant la jurisprudence dite "jurisprudence des gares principales", soutient que l'établissement de Trappes dans les Yvelines (78) - ancien siège social de la SA Iveco France - est le lieu d'exercice des activités de la SA Iveco France relatives à la direction et à la gestion du réseau commercial de la marque Iveco, comme le démontre l'ensemble des correspondances du dossier, lieu où la SA Iveco France dispose d'un représentant habilité à la représenter ;
Que la SA Iveco France réplique que depuis le 1er janvier 2006 son siège social est situé à Vénissieux dans le département du Rhône (69) où elle a été assignée, peu important le lieu d'expédition des courriers relatifs au présent litige ;
Considérant que par acte du 9 juillet 2014 la SARL Ajaccio Diesel a fait assigner la SA Iveco France devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement des articles L. 442-6 I 5° et 420-1 et suivants du Code de commerce et 1382 du Code civil aux fins de voir la défenderesse condamnée au paiement de dommages-intérêts " pour avoir engagé sa responsabilité délictuelle en se rendant coupable de la brusque rupture des relations commerciales établies entre les parties de façon ininterrompues depuis 46 ans " et " en refusant de façon discriminatoire et déloyale de conclure de nouveaux contrats avec elle à effet du 1er juin 2013 " ;
Considérant que la SARL Ajaccio Diesel communique des courriers qui lui ont été adressés dans le cadre du présent litige par la " direction du réseau " de la SA Iveco France relatifs :
- à la notification de la résiliation des contrats : 27 mai 2011,
- à une information sur la modification et l'évolution du réseau : 6 février 2012,
- aux performances commerciales/qualité de service/respect des standards qualitatifs liés aux contrats : 3 mars 2012,
- à la notification du non-renouvellement des contrats de concession : 29 avril 2013 ;
Que s'ils mentionnent en bas de page l'adresse du siège social de la SA Iveco France à Vénissieux, ces courriers comportent l'ensemble des coordonnées postales et téléphoniques de l'établissement de Trappes, siège de la direction du réseau d'où ils ont tous été expédiés, ainsi que l'indique la mention portée sur ces documents, et ont été signés notamment par le directeur réseau M. Bottiglioni et par le directeur général délégué M. Ficarelli ;
Que la SARL Ajaccio Diesel communique par ailleurs un courrier de la SA Iveco France du 5 août 2013 (en réponse à une lettre du 30 juillet 2013 de la SARL Ajaccio Diesel critiquant les conditions de la résiliation), expédié de son établissement de Trappes par la " direction juridique & immobilière " et signé par Mme Brigitte Calcavecchia directeur juridique & immobilier ;
Qu'il apparaît ainsi que toutes les correspondances en rapport direct avec l'objet du litige opposant les deux parties quant à la résiliation des contrats de concession émanent de services - direction du réseau/direction juridique & immobilier - situés à Trappes dans les Yvelines ;
Considérant par ailleurs, ce qui n'est pas contesté par la SA Iveco France, qu'elle dispose dans son établissement de Trappes où sont situées la " direction du réseau " et la " direction juridique & immobilier " d'un représentant habilité à la représenter et à traiter avec les tiers et qu'ainsi l'ordonnance sur requête aux fins de constat du 13 mai 2014 du président du Tribunal de commerce de Paris a pu être régulièrement signifiée à la SA Iveco France le 6 juin 2014 à son établissement de Trappes ;
Considérant qu'il s'ensuit que l'exception d'incompétence soulevée par la SA Iveco France au profit du Tribunal de commerce de Lyon n'est pas fondée et que le contredit formé par la SARL Ajaccio Diesel doit être accueilli ;
Qu'en conséquence l'affaire doit être renvoyée devant le Tribunal de commerce de Paris, dans le ressort duquel est situé l'établissement de Trappes, territorialement compétent pour en connaître ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande de la SARL Ajaccio Diesel présentée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la SA Iveco France est condamnée à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision ;
Que la SA Iveco France qui succombe doit supporter les frais du contredit et ne saurait bénéficier d'une somme au titre des frais irrépétibles.
Par ces motifs, Déclare recevable et fondé le contredit formé par la SARL Ajaccio Diesel ; Renvoie la cause et les parties devant le tribunal de commerce de Paris ; Condamne la SA Iveco France à payer à la SARL Ajaccio Diesel une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SA Iveco France aux frais du contredit.