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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 19 mai 2016, n° 14-22340

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Djeco (SARL)

Défendeur :

France Cartes (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

M. Loos, Mme Scaller

Avocats :

Mes Teytaud, Boespflug, Bellichach, Oliveira

T. Com. Paris, du 13 oct. 2014

13 octobre 2014

Faits et procédure

La société Djeco a pour objet la création et la commercialisation de jeux et de jouets.

Elle a créé en 2005 un jeu de cartes dénommé Bata Waf dont les cartes comportent une graduation avec une toise et représentent des chiens de tailles différentes correspondant chacun à une graduation.

En 2011, la société Djeco a créé une variante de ce jeu avec pour sujets des animaux sauvages qu'elle a dénommée Batanimo. Elle a aussi commercialisé des jeux de cartes qu'elle a dénommés Bata Puzzle, Batameuh, Bataflash et Batabanga.

La société Djeco a découvert que la société France Cartes a lancé au mois de septembre 2013 un jeu de cartes dénommé " Batataille ! " dont elle a estimé que les caractéristiques principales et les règles étaient identiques à celles de ses jeux de cartes Bata Waf et Batanimo à ceci près qu'il a pour sujets des animaux domestiques.

La société Djeco a assigné la société France Cartes le 21 novembre 2013 devant le Tribunal de commerce de Paris pour concurrence déloyale ou parasitaire.

Par jugement rendu le 13 Octobre 2014, le Tribunal de Commerce de Paris a :

- Débouté la société Djeco de la totalité de ses demandes,

- Condamné la société Djeco à payer à la société France Cartes la somme de 5.000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- Dit qu'il n'y a lieu à exécution provisoire,

- Condamné la société Djeco aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 € dont 13,52 € de TVA.

Vu l'appel interjeté par la société Djeco le 07 novembre 2014 contre cette décision,

Vu les dernières conclusions signifiées le 02 février 2016 par la société Djeco par lesquelles il est demandé à la cour de :

- Infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.

- Dire et juger qu'en commercialisant le jeu de cartes dénommé Batataille, la société France Cartes a commis des actes de concurrence déloyale ou de concurrence parasitaire aux dépens de la société Djeco.

- Interdire à la société France Cartes de commercialiser le jeu de cartes dénommé Batataille sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir.

- Condamner la société France Cartes à payer à la société Djeco une somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts.

- Ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois supports au choix de la société Djeco et aux frais de la société France Cartes dans la limite de 15 000 euro hors taxes.

- Condamner la société France Cartes à payer à la société Djeco une indemnité de 10 000 euro en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la société France Cartes aux dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux le concernant au profit de Me.Teytaud dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées le 02 avril 2015 par la société France Cartes par lesquelles il est demandé à la cour de :

- Dire et juger que la fabrication et la commercialisation par la société France Cartes de son jeu " batataille! " ne constituent en rien des actes de concurrence déloyale ou parasitaire ;

- Dire et juger que la société Djeco ne démontre en rien l'existence d'un préjudice ;

- Dire et juger que les conditions de la mise en cause de la responsabilité de la société France Cartes ne sont pas réunies ;

- Confirmer le jugement rendu le 13 octobre 2014 par le Tribunal de commerce de Paris ;

- Débouter la société Djeco de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner la société Djeco à payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société Djeco aux entiers dépens dont le montant pourra être recouvré par Me Bellichach, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société Djeco soutient que le jeu de cartes dénommé Batataille commercialisé par France Cartes est à l'origine d'un risque de confusion pour le consommateur moyen avec les jeux de cartes dénommés Bata Waf et Batanimo qu'elle a créés, car outre le fait qu'ils sont des jeux de bataille dont le nom commence avec le préfixe bata, ils représentent en outre des animaux de tailles diverses associés à des graduations dont la valeur est déterminée par la taille des animaux, que cette combinaison va au-delà de la simple idée banale de comparer la taille, que les autres jeux de bataille existant sur le marché sont très différents, et que même ceux qui leur ressemblent, tel Jungle ou Kibaki, portent un nom très différent, sans le préfixe Bata. Elle rappelle qu'en tout état de cause le risque de confusion s'apprécie d'après les ressemblances et non d'après les différences, que la concurrence déloyale est établie. A tout le moins, elle indique qu'elle a consacré d'importants efforts à la création des jeux en question, et que France Cartes a réalisé des économies injustifiées en s'appropriant le travail accompli par Djeco en se mettant dans son sillage, ce qui constitue de la concurrence parasitaire.

La société France Cartes indique que les similitudes des produits ne sont que des caractéristiques fonctionnelles et banales, que le risque de confusion n'est pas établi, que tout d'abord, les similitudes relevées portent sur des caractéristiques imposées par la destination du produit qui est un jeu de cartes destiné à des enfants de 4 ans, telles que les règles de la bataille adaptées à leur âge, que le thème des animaux est universel et incontournable pour les enfants de cet âge, qu'il ne peut leur être proposé d'autre comparaison que celle de la taille des animaux, qu'ensuite, l'impression visuelle d'ensemble ne crée pas de risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne, que le conditionnement est très différent, ainsi que le graphisme, la forme et la taille des cartes, que le thème du jeu de France Cartes est en réalité celui de la ferme, avec les animaux de la ferme et aussi un tracteur, que même la représentation graphique de la taille est très différente, les jeux Djeco représentant des animaux sous une toise, alors que le jeu France Cartes représente des animaux de taille différente, avec simplement des valeurs et des pastilles colorées comme référence de taille, que la dénomination utilisée par France Cartes ne repose pas sur un préfixe, mais sur une déformation du mot bataille avec l'insertion de la syllabe " ta ". Sur la concurrence parasitaire, elle indique que l'appelante ne justifie pas de son investissement propre sur les produits litigieux, que le jeu Bata-Waf comme le jeu Batataille n'est qu'une banale adaptation du jeu de la bataille, qu'aucun agissement parasitaire n'est démontré.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, la cour,

Sur la concurrence déloyale

Considérant qu'en l'absence de droits de propriété intellectuelle sur un produit, l'action en concurrence déloyale fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil doit, pour prospérer, établir l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit d'un consommateur moyen qui ne se trouve pas en présence des deux produits ;

Qu'en l'espèce, la société Djeco ne revendique aucun droit de propriété intellectuelle sur son jeu de cartes Bata Waf ;

Considérant que la simple imitation d'un produit d'un concurrent n'est pas suffisante pour constituer un acte de concurrence déloyale ;

Qu'en l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats et notamment des jeux de carte Djeco et France Cartes ainsi que des emballages litigieux que les similitudes relevées résultent de fonctionnalités banales, non appropriables, à savoir :

- Les règles du jeu sont celles du jeu traditionnel de la bataille ;

- Les dessins et graduations (toise, chiffres, ronds de couleur) ont pour but de permettre à l'enfant de savoir qui est " plus grand que " ou " plus petit que ", la comparaison se faisant par des références

visuelles communes, connues des enfants de cet âge ;

- Le thème des animaux de taille différente, indépendamment du graphisme, est repris dans tous les jeux, y compris ceux des autres fabricants (Jungle, Kibaki, Zimbanimo, Bataille des fourmis) ;

Que par des motifs que la cour adopte, les premiers juges ont relevé que le graphisme des deux jeux était en outre très différent, et que le système de reconnaissance de la taille (toise d'une part, pastilles colorées d'autre part) ne pouvait créer un risque de confusion ;

Qu'en effet, l'impression d'ensemble des cartes du jeu n'est pas susceptible de créer un risque de confusion, même auprès des jeunes enfants, les emballages étant de forme et de couleur différentes carrée et non rectangulaire, avec un système d'ouverture différent, un carton d'épaisseur différente, et surtout un graphisme des animaux différent (chiens habillés avec des vêtements faisant penser à des êtres humains d'une part, animaux de la ferme rondouillards tout nus et stylisés de façon enfantine d'autre part) ;

Qu'enfin, la ressemblance du nom, commençant par " Bata ", n'est pas suffisante pour créer une confusion, puisque dans tous les cas il s'agit du jeu de la bataille, mot commun non susceptible d'être approprié ;

Qu'il n'y a en outre pas de ressemblance suffisante entre Batawaf et Batataille pour créer un risque de confusion ;

Que le mot " Batataille! " est une simple déformation du mot " bataille " ;

Que le logo est, sur chaque jeu, d'un graphisme très différent et n'entraîne aucun risque de confusion, les lettres étant en majuscules d'imprimerie pour " Bata Waf " et en minuscules et majuscules, avec un point d'exclamation pour " Batataille ! " ;

Qu'il y a lieu de confirmer la décision déférée sur ce point.

Sur la concurrence parasitaire

Considérant qu'il est constant que le parasitisme, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis, résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion ;

Que le parasitime résulte d'un comportement par lequel un agent économique tire profit, sans rien dépenser, des efforts et du son savoir-faire d'un concurrent ;

Qu'il n'est pas nécessaire que celui qui se plaint de parasitisme ait un droit privatif ou un droit de propriété intellectuelle ;

Que le seul fait de commercialiser des produits identiques à ceux distribués par un concurrent n'est pas en soi fautif ;

Qu'il faut établir l'appropriation injuste du travail d'autrui, ou le détournement à son profit des investissements réalisés par un tiers ;

Considérant qu'en l'espèce, Djeco ne justifie pas des investissements propres qu'elle a réalisés et dont France Cartes aurait fait l'économie ;

Que les règles du jeu de la bataille utilisées n'ont fait l'objet d'aucun investissement particulier ;

Qu'en ce qui concerne le graphisme, celui-ci a sans doute nécessité un investissement et des recherches, mais en l'absence de toute ressemblance graphique entre les dessins des animaux représentés et entre les emballages, il ne peut être établi que France Cartes aurait fait l'économie de ces investissements ;

Que Djeco ne démontre pas que France Cartes aurait pu profiter d'investissements déjà réalisés par la société DJECO, auprès d'acteurs de la distribution, qui lui auraient facilité la commercialisation de ses propres produits en réalisant des économies injustifiées ;

Que c'est dès lors à juste titre, par des motifs que la cour adopte, que le tribunal a rejeté l'action engagée tant sur le fondement de la concurrence déloyale que sur le fondement du parasitisme ;

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Djeco à payer à la société France Cartes la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Djeco aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.