CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 13 mai 2016, n° 14-24727
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Petit
Défendeur :
Macif
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Greff-Bohnert
Conseillers :
Mmes Chesnot, Hecq-Cauquil
Avocats :
Mes Henry, Boddaert, Ribaut, Chroscik
Faisant suite à la rupture des relations contractuelles avec la Macif, Monsieur Christophe Petit a assigné cette dernière devant le Tribunal de grande instance de Lille aux fins de la voir condamnée à lui payer au principal une somme de 430 000 euro au titre du préjudice financier résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales outre une somme de 25 000 euro au titre du préjudice moral. Monsieur Petit réclamait en outre paiement d'une somme de 54 468,52 euro au titre de factures impayés et 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement en date du 4 novembre 2014, le Tribunal de grande instance de Lille a :
- rejeté les demandes de dommages et intérêts financiers et moraux pour rupture brutale des relations commerciales ;
- rejeté la demande de publication du jugement ;
- condamné la Macif à payer, en deniers ou quittance, la somme de 6 813,21 euro au titre de plusieurs factures émises par Monsieur Petit ;
- rejeté le surplus de la demande de paiement de factures ;
- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- condamné Monsieur Petit aux entiers dépens.
Par acte du 5 décembre 2014, Monsieur Petit a interjeté appel de ce jugement. Par des dernières conclusions en date du 18 janvier 2016, Monsieur Petit demande à la cour au visa des articles L. 442-6-5-1 du Code de Commerce et des articles 1134 et suivants, notamment l'article 1147 du Code civil,
A titre principal,
- constater la rupture brutale totale des relations commerciales du requérant avec la Macif aux torts exclusifs de cette dernière,
- la condamner au paiement de la somme de 154 869 euro au titre du préjudice purement financier, outre la somme de 25 000 euro au titre du préjudice moral.
A titre subsidiaire,
- constater la rupture brutale partielle des relations commerciales du requérant avec la Macif aux torts exclusifs de cette dernière,
- la condamner au paiement de la somme de 109 200 euro au titre du préjudice financier.
En toute hypothèse,
- la condamner au titre des factures impayées au paiement de la somme de 33 964,34 euro.
- la condamner au paiement d'une somme de 10 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
- condamner la Macif aux entiers frais et dépens, y compris ceux de première instance et d'appel, au profit de Maître Amandine Boddaërt, Avocat aux offres de droit conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Au soutien de sa demande, Monsieur Petit fait pour l'essentiel valoir qu'il travaillait pour la Macif depuis 1987 en qualité d'expert ; que cette société d'assurances représentait 80 % de son chiffre d'affaires ; que la baisse des missions annoncées l'a contraint de restructurer son cabinet ; que néanmoins nonobstant les reproches qui lui étaient faits de ne pas mener les missions qui lui étaient confiées dans les conditions de rapidité et d'efficacité voulues, la Macif lui a annoncé la rupture de leurs relations avec un préavis de 6 mois qu'elle n'a pas respecté et ce alors qu'il était en négociations active pour intégrer le groupe Polyexpert en vue d'améliorer l'ensemble de la qualité des services rendus à la Macif. Il ajoute que l'argumentation de la Macif pour justifier la rupture du préavis est fallacieuse et dénuée de tout fondement. Pour justifier du préjudice subi, il souligne qu'il était dans une situation de dépendance économique à l'égard de la Macif ; que la cession de son cabinet était en cours et que la rupture brutale lui a occasionné une perte de 160 000 euro, la rupture rendant au surplus obsolètes les investissements réalisés à sa demande pour un montant de 20 000 euro. Il estime qu'il pouvait prétendre à un préavis de 1an et que dès lors il a été privé de 9 mois de préavis.
La Macif, par conclusions récapitulatives signifiées le 10 février 2016, demande la confirmation du jugement déféré et la condamnation de Monsieur Petit à lui payer la somme de 12 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile outre les dépens.
La Macif souligne avoir dû rompre les relations commerciales avec Monsieur Petit non en raison de ses qualités professionnelles mais en raison de son organisation insuffisante et de son incapacité à répondre aux exigences de son cocontractant et notamment du retard de délai dans l'exécution des missions et des problèmes relationnels entre le secrétariat des experts et les sociétaires assurés auprès de la Macif et que dès 2005, elle lui a fait savoir qu'elle n'accepterait pas une nouvelle dégradation dans l'exécution des missions ; que les salariés de la Macif ont été contraints de saisir le comité d'hygiène et de sécurité face aux harcèlements des sociétaires dont l'indemnisation des dossiers était bloquée en raison de l'absence de dépôt par Monsieur Petit de ses rapports d'expertise ; que lors d'une rencontre le 8 décembre 2011, elle lui confirmait la rupture de confiance et Monsieur Petit confirmait sa volonté de céder son cabinet ; que la rupture lui était notifiée le 16 février 2012 avec un préavis de six mois ; que dès lors elle ne peut être qualifiée de brutale. Elle ajoute que durant la période de préavis, Monsieur Petit n'était plus joignable et n'exécutait pas les missions qui lui étaient confiées et que dans ces conditions la rupture immédiate était obligatoire et nécessaire, à défaut de quoi elle engageait sa responsabilité. S'agissant de sa demande de paiement d'honoraires, la Macif indique avoir étudié chaque dossier, y avoir apporté une réponse spécifique et avoir par la suite de cet examen minutieux réglé à Monsieur Petit une somme de 11 680,97 euro et une somme de 6 813,21 euro et estime dès lors qu'aucune somme ne reste due.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 mars 2016.
En application de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.
Ceci étant exposé,
LA COUR:
Sur les demandes en lien avec la rupture commerciale
Considérant que le tribunal, se fondant sur les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code du commerce, a estimé après avoir examiné les liens unissant les parties et les diverses lettres d'avertissement de la Macif demandant à Monsieur Petit d'améliorer sa prestation qualité notamment au regard des délais de dépôts des rapports d'expertise, de réponse aux gestionnaires, de sa joignabilité téléphonique, de ses liens avec les entreprises agréées et de répondre aux gestionnaires, que la rupture ne peut être qualifiée de brutale, ni violente imprévisible ou soudaine ;
Considérant que Monsieur Petit ne fait pas grief à la Macif, pour laquelle il effectue des missions d'expertise dans le cadre de sinistres subis par ses assurés, d'avoir rompu leurs relations commerciales après de nombreuses années de collaboration ; que toutefois, il estime que cette rupture, qu'il qualifie de brutale, lui fait grief et doit donner lieu à indemnisation financière et lui reproche encore de ne pas avoir respecté le préavis accordé de 6 mois et de ne pas lui avoir accordé un préavis d'une année ;
Considérant que le fondement juridique de la demande n'est plus contesté devant la cour ;
Considérant que Monsieur Petit, architecte DPLG, travaillait en qualité d'expert pour des sociétés d'assurances ; qu'il n'est pas contesté que la Macif était son principal donneur d'ordre ;
Considérant que dès le 22 février 2005 la Macif, à la faveur d'une enquête qualité demandait à Monsieur Petit d'améliorer ses relations avec les sociétaires et de respecter les délais de remise des rapports ; que par lettre du 18 février 2008, la Macif lui faisait de sévères reproches en raison de ses retards qu'elle chiffrait de 3 à 4 mois pour le dépôt des rapports et des engagements non respectés ;
Considérant qu'à la suite de nouveaux dysfonctionnements, la Macif, par lettre du 8 mars 2011, à la suite d'un entretien individuel préalable, intimait à Monsieur Petit de bien vouloir remédier à divers désordres et notamment de fixer des rendez-vous dans des délais raisonnables, de réorganiser sa permanence téléphonique pour être joignable toute la journée et de répondre aux relances en cours des gestionnaires de sinistres ;
Considérant que dans une note circulaire du 3 mai 2011, la Macif informait l'ensemble des experts IRD de la région Nord Pas-de-Calais que Monsieur Petit souhaitait cesser ses activités et redistribuait les secteurs géographiques de compétence, limitant ainsi le secteur de cet expert ; que par lettre du 6 juin 2011, la Macif constatait une nouvelle fois que Monsieur Petit voulait céder son cabinet et lui faisait grief d'avoir 500 dossiers en retard ; que toutefois, Monsieur Petit mentionnait dans une lettre du 21 juin 2011 qu'il n'envisageait pas d'arrêter sa collaboration avec la Macif ; qu'enfin par lettre du 27 décembre 2011, la Macif rappelait que lors d'une rencontre commune en date du 8 décembre 2011, le souhait de Monsieur Petit était de céder son cabinet et mentionnait que leurs relations s'inscrivaient dans le cadre du protocole " Cabinet d'expertise en difficulté " ;
Considérant que par lettre du 16 février 2012, suite à la persistance des difficultés depuis février 2005, la Macif décidait de mettre un terme à leur collaboration avec un préavis de 6 mois ; que par une lettre du 29 mai 2012, la Macif informait Monsieur Petit qu'elle ne lui enverrait plus de mission jusqu'à ce que son cabinet soit opérationnel ; que suite à de nouvelles réclamations d'assurés, la Macif, par lettre du 19 juillet 2012 informait l'expert qu'elle cessait toute collaboration avec son cabinet ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces lettres que Monsieur Petit, dont les qualités professionnelles ne sont pas discutées, n'a pas su depuis de nombreuses années gérer l'aspect administratif de son activité professionnelle ; que les griefs faits par la Macif de manière récurrente n'ont pas été résolus à la satisfaction de cette dernière ; que les difficultés de Monsieur Petit étaient telles qu'il envisageait sérieusement de céder son cabinet ; qu'il résulte des courriers produits que la Macif n'était pas opposée à cette cession et lui laissait le libre choix de cette initiative ;
Que dès lors c'est par une exacte appréciation des faits et une juste application de la loi que le premier juge a considéré que la rupture des relations de la Macif avec le cabinet d'expertise de Monsieur Petit n'était ni brutale ni imprévisible ou soudaine ;
Considérant que la durée du préavis de six mois n'a pas été contestée par Monsieur Petit après sa notification par la Macif ; que cette société d'assurances a abrégé le préavis au bout de 5 mois en raison de la perception par elle de plusieurs lettres de protestations de ses assurés faisant état de carences du cabinet d'expertise de Monsieur Petit et de résiliation de contrats d'assurance suite aux négligences de celui-ci ;
Que dès lors il ne peut être fait grief à la Macif, qui avait continué à proposer normalement des missions à Monsieur Petit durant le préavis, de n'avoir retenu qu'un préavis de six mois nonobstant la durée importante des relations commerciales passées et de l'avoir même abrégé au bout de cinq mois eu égard à la poursuites des dérives de Monsieur Petit dans l'accomplissement de ses missions ;
Qu'en conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur Petit de ses demandes d'indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales et pour rupture anticipée du préavis ;
Considérant que Monsieur Petit sollicite à titre subsidiaire une réparation du préjudice financier qu'il estime avoir subi du fait de la réduction par la Macif, à compter du mois de mai 2011, de son secteur de compétence ;
Considérant qu'il résulte des nombreux avertissements et notamment de celui du 6 juin 2011 que l'expert avait un retard de 500 dossiers ; que les griefs récurrents opposés par la Macif dénotent de l'incapacité de Monsieur Petit à gérer un volume trop important de sinistres ; que dès lors, il ne peut faire être fait grief à la société d'assurances d'avoir réduit le secteur et le nombre de missions de ce cabinet d'expertises compte tenu de l'encours non réglé ;
Qu'en outre, Monsieur Petit ne démontre pas que son chiffre d'affaires a sensiblement été réduit du fait de cette décision, sachant qu'il résulte des pièces produites que son résultat comptable pour l'année 2011 était de 276 610 euro alors qu'il n'était que de 185 477 euro en 2010 ;
Sur les factures impayés
Considérant que la Macif conteste ne pas avoir réglé l'ensemble des factures dues à Monsieur Petit suite à la rupture de leurs relations dans le cadre de la liquidation des missions en cours ; qu'elle explique qu'après avoir étudié l'ensemble des dossiers, elle a versé un montant de 11 680,97 euro et de 6 813,21 euro alors que Monsieur Petit estime qu'un solde de 52 485,52 euro est encore du ; qu'il explique le refus de paiement de la Macif par le fait qu'il s'agissait de dossiers terminés pour lesquels il avait été payé ;
Considérant qu'il résulte du tableau de notes d'honoraires réclamés (pièce 140) que le refus de versement d'honoraires par la Macif pour les dossiers 112702562, 102078819, 121990364, 102134333, 112708329, 112754052, 112785461, 122016738, 102121680, 092718845, 112790622, 112780374, 112790387, 112785200, 102036605, 122000190, 122018667, 122018014, 102117561 n'est pas justifié ;
Que la cour dispose des éléments suffisants, eu égard à la nature des travaux demandés au final par la Macif, de fixer forfaitairement le montant due pour ces dossiers à 30 euro soit à la somme totale de 570 euro et pour les dossiers 122000123, 112726946, 112740096, 121987946, 102128641, 102107306 à une somme forfaitaire de 80 euro par dossier soit à la somme de 480 euro ;
Que s'agissant des autres refus de paiement, eu égard au caractère négligeable des demandes de la Macif, il convient de considérer que les honoraires dues sont inclus dans les honoraires déjà versés ;
Qu'en définitive, la Macif est redevable d'un solde de 1 050 euro sur les factures impayées ;
Sur les autres demandes
Considérant que l'équité impose que chacune des parties supporte ses frais et dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Lille en date du 4 novembre 2014 sauf en ces dispositions sur les dépens ; Statuant à nouveau et y ajoutant : Condamne la Macif à payer Monsieur Christophe Petit la somme de 1050 euro au titre du solde des factures dues ; Laisse à chacune des parties la charge de ses entiers frais et dépens ; Déboute les parties de toutes autres demandes.