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Décisions

Cass. 1re civ., 12 mai 2016, n° 14-24.698

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut (président)

Avocats :

SCP Bénabent, Jéhannin, SCP Didier, Pinet

Cass. 1re civ. n° 14-24.698

12 mai 2016

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que, (19 juillet 2007), Franck X a été victime d'un accident mortel de la circulation alors qu'il pilotait sa motocyclette ; que sa veuve, Mme X, a sollicité la garantie de la société Assurance mutuelle des motards (l'assureur), auprès de laquelle le défunt avait souscrit, le 14 avril 2006, un contrat d'assurance comportant une garantie des dommages matériels causés au véhicule et des dommages corporels subis par le conducteur ; qu'après avoir versé à Mme X une indemnité au titre des dommages matériels, l'assureur a dénié sa garantie en raison de l'alcoolémie de Franck X lors de l'accident ; que Mme X l'a assigné en exécution du contrat ;

Sur le premier moyen : - Attendu que Mme X fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen : 1°) qu'en énonçant que le paiement de l'indemnité au titre des dommages matériels du véhicule assuré ne saurait être considéré comme un acte de renonciation non équivoque de l'assureur à opposer les exclusions de garantie, motifs pris que lors du versement de l'indemnité, l'assureur ne connaissait pas l'état d'alcoolémie de Franck X dont il a ultérieurement été informé par la gendarmerie, cependant que, pourtant conscient qu'il n'avait pas encore reçu le procès-verbal de la gendarmerie, l'assureur n'avait émis, au moment de verser l'indemnité, aucune réserve quant au résultat de l'enquête, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du Code civil ; 2°) qu'en énonçant que le paiement de l'indemnité au titre des dommages matériels du véhicule assuré ne saurait être considéré comme un acte de renonciation non équivoque de l'assureur à opposer les exclusions de garantie, par la considération que lors du versement de l'indemnité, l'assureur ne connaissait pas l'état d'alcoolémie de Franck X, sans rechercher si en n'émettant aucune réserve au moment de verser l'indemnité bien que conscient qu'il n'avait pas encore reçu le procès-verbal de la gendarmerie, l'assureur n'avait pas entendu renoncer à invoquer la clause de garantie quel que soit le résultat des investigations de la gendarmerie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que la renonciation à un droit ne se présume pas et qu'elle ne résulte que d'actes de son titulaire manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; que, lors du versement de l'indemnité le 25 octobre 2007, l'assureur ne connaissait pas l'état d'alcoolémie de Frank X, copie du procès-verbal de gendarmerie n'ayant été faite que le 30 octobre 2007 et transmise par trans-PV le 6 novembre suivant ; qu'il n'est nullement démontré que l'assureur aurait pu détenir cette information avant cette dernière date ; que le paiement rapide est intervenu postérieurement à une conversation téléphonique avec le notaire, laissant supposer la transmission d'informations sur l'état de nécessité de la veuve et des enfants de l'assuré ; que la diligence de l'assureur ne saurait lui être reprochée aujourd'hui ;

Que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche inopérante visée par la seconde branche du moyen, a pu déduire que le paiement de l'indemnité au titre des dommages matériels, intervenu avant que l'assureur n'ait connaissance des circonstances de fait lui permettant d'opposer les exclusions de garantie en cas d'imprégnation alcoolique, ne valait pas renonciation de ce dernier à s'en prévaloir ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen, pris en ses troisième, sixième et septième branches : - Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen, pris en ses première, deuxième, quatrième et cinquième branches : - Vu l'article L. 132-1 du Code de la consommation ; - Attendu que, pour rejeter les demandes de Mme X, l'arrêt retient qu'en application des articles 19 et 27 des conditions générales du contrat d'assurance souscrit par Franck X, sont exclus de la garantie les dommages aux véhicules assurés et les dommages corporels, s'il est établi que le conducteur se trouvait, lors du sinistre, sous l'empire d'un état alcoolique dont le seuil est fixé par l'article R. 234 du Code de la route, sauf s'il est prouvé par l'assuré que le sinistre est sans relation avec cet état ; qu'il ajoute que, dès lors qu'il est établi par le procès-verbal de gendarmerie que Franck X conduisait sous l'empire d'un état alcoolique au moment de l'accident et qu'il n'est pas démontré que le sinistre est sans lien avec cet état, démonstration incombant contractuellement aux ayants droit de l'assuré et non à l'assureur, de sorte que celui-ci est fondé à opposer à Mme X ces deux exclusions de garantie ;

Attendu, cependant, que, par arrêt du 4 juin 2009 (Pannon GSM Zrt., aff. C-243/08), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ;

Attendu que, dans les contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels ou des consommateurs, sont abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet d'imposer au non-professionnel ou au consommateur la charge de la preuve, qui, en vertu du droit applicable, devrait incomber normalement à l'autre partie au contrat ;

Attendu qu'il incombait, donc, à la cour d'appel de rechercher d'office si étaient abusives les clauses d'un contrat d'assurance prévoyant que sont exclus de la garantie les dommages occasionnés au véhicule assuré et les dommages corporels, s'il est établi que le conducteur se trouvait lors du sinistre sous l'empire d'un état alcoolique, sauf si l'assuré ou ses ayants droit prouvent que l'accident est sans relation avec cet état, alors qu'en vertu du droit commun, il appartiendrait à l'assureur d'établir que l'accident était en relation avec l'état alcoolique du conducteur ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il lui incombait de procéder à cette recherche, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : casse et annule, sauf en ce qu'il rejette la demande en répétition de l'indu de la société Assurance mutuelle des motards, l'arrêt rendu le 23 février 2012, entre les parties, par la Cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Amiens, autrement composée.