CA Bordeaux, 1re ch. civ. A, 12 mai 2016, n° 14-05290
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
General Motors France (SAS)
Défendeur :
Pigeon (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Fourniel
Conseillers :
Mme Brisset, M. Franco
Avocats :
Mes Rousseau, Le Douarin, Dahan, Picot, Berlan
EXPOSE DU LITIGE :
Selon bon de commande en date du 7 mai 2011, Mme Julie X a acheté à la société Pigeon un véhicule neuf de marque Opel type Insignia 2 litres CDTI au prix de 32 500,50 euros et en a pris possession le 8 juillet 2011.
Dès le 9 juillet 2011, elle a signalé le mauvais comportement routier de ce véhicule et l'apparition de vibrations anormales dans le volant et dans les sièges, phénomènes que le vendeur a reconnu mais auxquels il n'a pu remédier en dépit de plusieurs interventions ou vérifications en atelier durant l'été 2011.
A la suite d'une expertise amiable et contradictoire réalisée le 2 décembre 2011 par M. M., Mme X a, par actes en date des 3 août 2012, fait assigner la société Pigeon et la société General Motors propriétaire de la marque Opel, devant le Tribunal de grande instance de Bordeaux afin d'obtenir la résolution de la vente, le remboursement du prix de vente et l'indemnisation de son préjudice sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil.
Par jugement assorti de l'exécution provisoire en date du 3 juillet 2014, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a fait droit à sa demande et a :
- prononcé la résolution de la vente,
- condamné solidairement la société Pigeon et la société General Motors à payer à Mme Julie X la somme de 32 500,50 euros en remboursement du prix de vente avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation, la somme de 6 000 euro à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné la restitution du véhicule à la société Pigeon,
- condamné la société General Motors à relever la société Pigeon des condamnations prononcées contre elle.
- rejeté le surplus des demandes.
La société General Motors France a relevé appel de ce jugement le 10 septembre 2014.
Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 19 février 2015, elle demande à la cour, au visa des articles 9 du Code de procédure civile, 1641 et suivants du Code civil :
- d'infirmer le jugement,
- de dire que la preuve d'un vice caché n'est pas rapportée,
- de débouter Mme X de l'ensemble de ses demandes,
- de débouter toute partie des demandes formées à son encontre,
- de condamner tout succombant à lui payer une indemnité de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait principalement valoir :
- que le tribunal a commis une erreur de droit puisque seule la société Pigeon à laquelle le véhicule devait être restitué, était redevable du prix de vente après résolution du contrat,
- que le tribunal ne pouvait prononcer de condamnation en se fondant exclusivement sur le rapport d'expertise réalisé de manière partiale par M. M., mandaté par Mme X,
- qu'en toute hypothèse, le seul désordre réellement constaté, à savoir les vibrations minimes à 92 km/h, ne rend pas le véhicule impropre à sa destination,
- qu'au surplus, le véhicule ne se trouvait plus dans son état initial au moment des opérations d'expertise du fait des nombreuses interventions de la société Pigeon, et de dommages occasionnés en cours d'utilisation au niveau de la carrosserie,
- que, subsidiairement, Mme X ne peut obtenir la résolution de la vente alors qu'elle a indûment refusé la solution peu onéreuse du changement sous garantie de la boîte de vitesses, proposée pour mettre un terme aux vibrations,
- qu'aucune indemnisation ne peut être réclamée au titre du préjudice de jouissance ou d'immobilisation puisque Mme X a préféré conserver le véhicule alors même qu'elle avait fait signifier le jugement et obtenu la restitution du prix.
Par dernières conclusions déposées et notifiées le 23 décembre 2014, contenant appel incident, la société Pigeon demande à la cour, au visa de l'article 1641 du Code civil :
- à titre principal, de débouter Mme X de sa demande de résolution de la vente du véhicule, et de l'intégralité de ses prétentions,
- d'ordonner la réparation de ce véhicule à la charge du constructeur dans le cadre de sa garantie, en la mettant hors de cause,
- à titre subsidiaire, de dire que la société General Motors doit en sa qualité de constructeur la relever indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre, et supporter toutes les conséquences de la résolution de la vente,
- de confirmer en conséquence le jugement en ce qu'il a condamné la société General Motors à la relever indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,
- de condamner la partie succombante aux entiers dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle souligne principalement :
- que la résolution de la vente n'est nullement justifiée, puisque selon l'expert mandaté par le constructeur, le remplacement de la boîte de vitesses permettrait de mettre fin au désordre constaté, sans coût financier pour Mme X,
- que sa responsabilité personnelle ne peut être envisagée en qualité de garagiste réparateur, à l'occasion des mêmes interventions réalisées sur le véhicule puisque la procédure est fondée exclusivement sur la garantie des vices cachés,
- que Mme X ne justifie nullement d'une quelconque majoration de son préjudice alors qu'elle a obtenu l'exécution du jugement,
- qu'en raison de l'action contractuelle directe engagée contre le constructeur, celui-ci est tenu à la restitution du prix, et doit en toute hypothèse la relever indemne de toute condamnation du fait du vice interne affectant le véhicule neuf.
Par dernières conclusions déposées et notifiées le 28 octobre 2014, Mme Julie X, formant appel incident, sollicite la confirmation de la décision en ce qui concerne la résolution de la vente mais porte à 14 000 euro sa demande de dommages et intérêts et sollicite en outre paiement d'une indemnité de 7 500 euro pour frais irrépétibles.
Elle souligne essentiellement :
- que le rapport d'expertise amiable, établi contradictoirement, démontre l'existence d'un vice caché et la dangerosité du véhicule, dont la caisse vibre de manière anormale, et qui se déporte violemment sur la droite,
- que le changement de boîte de vitesses proposé par l'expert ne garantit nullement la disparition des dysfonctionnements inhérents au véhicule,
- que son préjudice de jouissance et son préjudice moral se trouvent établis puisqu'elle n'a pu utiliser le véhicule qu'à très faible vitesse afin d'éviter les phénomènes de vibrations et de déport de la caisse, avant finalement d'arrêter totalement son utilisation depuis décembre 2011.
Pour plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère expressément aux dernières conclusions précitées, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 février 2016.
MOTIFS DE LA DECISION :
Selon les dispositions de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre, s'il les avait connus.
En l'espèce, Mme X a produit à l'appui de son action en garantie des vices cachés le rapport d'expertise établi à sa demande le 2 novembre 2011 par M. M.
Ce rapport, régulièrement versé aux débats et soumis à la libre discussion des parties, doit être examiné par la juridiction mais celle-ci ne peut fonder exclusivement sa décision sur cette pièce.
Au terme de ses opérations techniques, effectuées le 3 novembre 2011 en présence de Mme X, de M. Sébastien S. et Philippe C. (préposés de la société garage Pigeon) et de M. Daniel A. (conseiller technique de la société Opel France), M. M. a constaté, après un essai de 36 kms sur route, que le véhicule Opel Insignia litigieux était affecté de vibrations, ressenties dans le volant et dans l'habitacle, et qu'il tirait fortement à droite, ce qui le rendait dangereux en l'état.
M. M. a précisé que ce phénomène était perceptible avec des conducteurs différents, à diverses vitesses, sans que le vendeur ait réussi à y mettre un terme en dépit de plusieurs interventions sur le train avant, avec remplacement des pneumatiques, des disques de frein, des transmissions, et des demi-trains avant.
Le vendeur a reconnu le caractère anormal de ce phénomène de vibrations, et a indiqué en page 9 de ses dernières conclusions que "l'avarie provient d'une défaillance d'origine du véhicule", qui présente un vice.
Les conclusions de ce rapport se trouvent confortées par le rapport établi le 6 novembre 2011 par M. A., technicien Opel, qui a lui-même conduit le véhicule lors de l'essai sur route, et qui note pour sa part avoir ressenti une vibration sur le volant à 92 km/h; phénomène non observé sur un autre véhicule de même type lors d'un test effectué à titre de comparaison.
Par ailleurs, plusieurs personnes ont attesté de la réalité et de la gravité du vice :
- Christian M. : "Je peux témoigner que lors des premiers kilomètres parcourus avec cette voiture, je n'avais pas du tout l'impression d'être dans un véhicule sûr. Celle-ci partait tout de suite sur la droite (...) Le volant était pris de vibrations",
- Kamir T. : "je peux témoigner que dès son acquisition, lors de sa première sortie, la voiture en pleine accélération s'est mise à vibrer, j'ai cru que Mme X Julie allait perdre le contrôle du véhicule",
- Mme Véronique M. : "ce véhicule est un danger sur la route, j'ai pu le constater en la (sic) conduisant","
- Mme Aurore B.: "Je souhaite préciser que lors d'un trajet sur autoroute, je me trouvais à l'arrière de cette voiture et j'ai pu ressentir et remarquer des vibrations importantes et anormales".
Contrairement à ce que soutient le constructeur, il n'est nullement établi que le comportement du véhicule, tel qu'observé lors des opérations de l'expert, ait pu être altéré par les interventions précédemment réalisées par le garage Pigeon, ni par les chocs constatés sur la carrosserie et le phénomène de vibrations anormales a d'ailleurs été dénoncé dès le lendemain de la prise de possession, ainsi que le vendeur l'a reconnu.
L'ensemble de ces éléments démontre de manière incontestable l'existence d'un vice caché affectant le véhicule neuf au moment de la délivrance; et il est indifférent que la cause technique réelle demeure incertaine, dès lors que ses manifestations physiques sont incontestables.
Ce vice présente un degré de gravité suffisant pour justifier la mise en œuvre de l'action rédhibitoire, puisqu'il affecte la direction du véhicule en compromettant par conséquent la sécurité des usagers, et que les précédentes interventions ont toutes été infructueuses (équilibrage des roues selon deux modes opératoires distincts, passage au banc de géométrie, test avec deux modèles de jantes différents, permutation des éléments tournants, remplacement des silentblocs de filtration des bras inférieurs, réglage du poussoir de direction).
Il est évident que Mme X n'aurait pas acheté un véhicule neuf au prix de 32 500,50 euros si elle avait connu ce phénomène de vibrations et de déport à droite.
Par ailleurs, le succès de l'action rédhibitoire n'est pas subordonné à la mise en œuvre préalable de toutes les réparations envisageables.
Le vendeur ne peut utilement invoquer le refus opposé par Mme X au changement de la boîte de vitesses, alors qu'aucun élément objectif sérieux ne démontre le rôle causal de cet organe dans les vibrations et le déport à droite.
Il s'agit en réalité d'une simple hypothèse évoquée par le constructeur à la fin des opérations d'expertise, afin "de poursuivre les investigations concernant le désordre" ainsi qu'il l'indique dans son courrier du 16 décembre 2011, et Mme X ne peut se voir imposer de nouveaux changements aléatoires de pièces.
Par ailleurs, l'existence d'une garantie contractuelle Opel ne prive nullement l'acheteur de son droit d'agir contre son vendeur direct, la société garage Pigeon, sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, même si ce vendeur a tenté à plusieurs reprises de remédier au vice.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à l'action rédhibitoire à l'encontre de la société Garage Pigeon, ordonné la restitution du véhicule, et condamné la société Pigeon à restituer la somme de 32 500,50 euros, sauf à préciser que les intérêts au taux légal sur le prix de vente courent à compter du jugement, et non à compter de l'assignation.
En revanche, il convient d'infirmer le jugement, en ce qu'il a condamné la société General Motors in solidum avec la société Garage Pigeon à la restitution du prix.
En effet, en cas de résolution d'une vente, les choses doivent être remises en leur état initial, et le remboursement du prix reçu par le vendeur est la contrepartie de la restitution de la chose par l'acquéreur.
En outre, Mme X qui exerçait l'action de son propre vendeur intermédiaire dans le cadre de l'action directe, ne peut obtenir de la société General Motors la restitution du prix de 32 500,50 euros, dont rien n'établit au demeurant qu'il ait effectivement été perçu. En effet, aucun élément n'a été produit au débat concernant les conditions de la vente initiale entre le constructeur et la société concessionnaire; celle-ci n'ayant pas entendu exercer elle-même l'action rédhibitoire contre le fabricant.
Par ailleurs, en application de l'article 1645 du Code civil, la société Garage Pigeon, vendeur professionnel, et la société General Motors France, constructeur, doivent réparer l'intégralité du préjudice provoqué par le vice affectant le véhicule vendu, qu'ils étaient tenus de connaître. La société Garage Pigeon ne peut s'exonérer de cette obligation en soulignant son absence de faute et les différentes diligences effectuées pour trouver les causes du dysfonctionnement, dès lors qu'elle n'a pas réussi à y remédier.
Mme X justifie d'un préjudice de jouissance indéniable puisqu'elle n'a pu utiliser son véhicule que durant 9 000 kms à vitesse réduite, alors qu'il s'agit d'un modèle haut de gamme, qu'elle a dû finalement remiser dans son garage depuis janvier 2012, ainsi qu'en attestent Christian M., Kamir T., Fabrice R., Francis M. et Laure L..
Elle a de plus subi les désagréments, tracas, perte de temps liés aux réparations inefficaces, à la mise en œuvre de l'expertise puis à la durée de la procédure judiciaire.
Le préjudice ainsi subi a été justement fixé à 6 000 euros, et le jugement sera confirmé de ce chef.
Dès lors que le vice affectait déjà le véhicule lorsqu'elle l'a reçu du constructeur, la société Pigeon est fondée à solliciter la garantie de la société General Motors France pour les dommages-intérêts mis à sa charge dans le cadre de l'action rédhibitoire, ainsi que pour l'indemnité de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
En revanche, le constructeur ne peut être tenu de garantir le concessionnaire de la restitution du prix auquel celui-ci est tenu du fait de la résolution de la vente, cette restitution ne constituant pas un élément de préjudice. Le jugement doit donc être infirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires :
Il est équitable d'allouer à Mme X une indemnité complémentaire de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La condamnation prononcée par le tribunal sur ce fondement doit être confirmée.
En revanche, la société garage Pigeon et la société General Motors France doivent conserver à leur charge leurs frais irrépétibles ainsi que les dépens d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Confirme le jugement, en ce qu'il a : prononcé la résolution du contrat de vente du véhicule Opel Insignia 2.0 CDTI immatriculé xxx intervenu le 7 mai 2011 entre la société garage Pigeon et Mme Julie X, ordonné la restitution du véhicule à la société Pigeon, vendeur, condamné la société Pigeon à rembourser à Mme Julie X la somme de 32 500,50 euros en remboursement du prix de vente, sauf à préciser que les intérêts au taux légal courent à compter du jugement et non de l'assignation, condamné la société Pigeon à payer à Mme Julie X la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts, et celle de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, condamné la société General Motors à relever et garantir la société Pigeon des condamnations prononcées contre elle, mais au titre seulement des dommages-intérêts, de l'indemnité de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens, condamné les défendeurs aux dépens de première instance, sauf à préciser que cette condamnation est in solidum, Infirme le jugement pour le surplus, Statuant à nouveau, Rejette la demande formée par Mme X à l'encontre de la société General Motors France, en remboursement de la somme de 32 500,50 euros au titre du prix de vente, Rejette l'appel en garantie formé par la société Pigeon à l'encontre de la société General Motors France, au titre de la restitution du prix, Y ajoutant, Condamne in solidum les sociétés Pigeon et General Motors France à payer à Mme X la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette les demandes formées par la société Pigeon et la société General Motors France sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum les sociétés Pigeon et General Motors France aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître D., avocat, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.