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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 12 mai 2016, n° 15-00663

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Groupe Sigel (SARL)

Défendeur :

Moreno (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aubry-Camoin

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

Avocats :

Mes Daval Guedj, Fradet, Leberas, Mounier

T. com. Toulon, du 21 nov. 2012

21 novembre 2012

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Un " contrat d'exclusivité " a été signé le 9 mars 2001 entre la SA espagnole Hispanoliva aujourd'hui Moreno ayant pour directeur export Monsieur Rafael G., et la SARL française Groupe Sigel ayant pour gérant Monsieur Gérard B., pour la vente à la seconde des produits de la première; il est stipulé :

- la société Sigel " s'engage à ne vendre, à ne commercialiser et à ne proposer exclusivement que les produits [huile d'olive] de la société Hispanoliva ";

- une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction sauf avis contraire trois mois avant l'échéance;

- " la rupture du contrat (...) ne pourra avoir lieu que dans le cadre de non-respect du Groupe Sigel dudit contrat; si la société Hispanoliva souhaitait rompre ce contrat sans que les motifs évoqués ci-dessus soient remplis, elle devrait au Groupe Sigel un dédommagement égal à cinq années de chiffre d'affaires équivalent à ces ventes sur le territoire national français Dom Tom inclus ";

- " la société Hispanoliva favorisera les premières démarches commerciales par un positionnement de prix compétitif équivalent au premier prix des concurrents en vente en grande surface, dans une moyenne inférieure de plus ou moins 5 %, les prix de vente inclus [sic] le transport, la taxe babsa et la marges des hypermarchés - prix moyen huile d'olive vierge extra au 22 février 2001 soit prix rendu hypermarché = bouteille plastique 1 litre 14.00 bouteille verre 1 litre 14.50 prix au kilo à calculer en fonction ".

Par lettre du 4 mai 2005 la société Moreno, faute d'être payée de ses factures par la société Sigel, a notifié à celle-ci la rupture sans préavis de leurs relations.

La société Moreno a fait assigner la société Sigel en référé d'heure à heure le 19 mai 2005 devant le Président du Tribunal de commerce de Toulon, qui par ordonnance du 23 mai 2005 a condamné la seconde à payer la somme de 200 000 euro en principal à titre provisionnel à la première, et a renvoyé l'affaire pour qu'il soit statué au fond devant le tribunal. Un premier jugement du tribunal de commerce rendu le 21 mars 2012 a rouvert les débats, et ordonné la production par la société Sigel et par la société Moreno de diverses pièces (comptes, grands livres, bons de commande, bons de livraison). Un second jugement du 21 novembre 2012 a :

* constaté que le contrat d'agent commercial conclu entre ces 2 sociétés le 9 mars 2001 a cessé d'être exécuté dès la mise en place des accords des parties pour que la société Sigel soit le concessionnaire des produits de la société Moreno pour la France et les Dom-Tom;

* débouté la société Sigel de l'ensemble de ses demandes;

* condamné la même à payer à la société Moreno les sommes de :

- 1 668 635 euro 87 outre intérêts au taux légal à compter de l'échéance de chaque effet, avec exécution provisoire nonobstant appel et sans caution;

- 4 231 100 euro 11 outre intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2005;

- 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile;

* condamné la société Sigel aux entiers dépens.

La SARL Groupe Sigel a régulièrement interjeté appel le 20-21 décembre 2012. L'instance a été radiée par ordonnance du 17 juillet 2014, puis ré-enrôlée le 6 janvier 2015. Par conclusions du 18 février 2016 l'appelante soutient notamment que :

- le jugement du 21 novembre 2012 ne fait aucune référence à ses écritures faisant valoir notamment que le contrat d'exclusivité signé le 9 mars 2001 était resté en vigueur jusqu'à la rupture des relations commerciales;

- la société Moreno a stoppé dès 2003 toute livraison d'huile d'olive à elle-même dans le but de traiter directement avec les distributeurs français; la commercialisation a été difficile car laissée par cette société à la seule charge d'elle-même; le versement des commissions a été très long; le montant de la taxe BAPSA (0 euro 15 par litre) réglé par elle-même devait être reversé par la société Moreno qui ne l'a jamais fait; cette société refuse de lui rembourser les marges arrières pratiquées par elle-même; elle n'a jamais respecté ses engagements contractuels pour le prix bas; la même a tardé à réclamer la somme astronomique de 7 200 619 euro 30;

- le règlement des comptes entre les parties est difficile du fait de la société Moreno : absence de cohérence dans les demandes; non-respect du contrat pour les frais de transport, la taxe BAPSA et les marges arrières; non-respect de la méthode de calcul contractuelle pour déterminer le prix de vente; rupture brutale et injustifiée du contrat; pas de mise en demeure d'avoir à régler une quelconque somme; facturation injustifiée ou non adressée ou fantaisiste;

- la société Moreno connaissait les commandes et tarifs des clients d'elle-même, mais a majoré à tort les prix, ce qui constitue un abus de position dominante;

- l'expert Monsieur G. a chiffré son préjudice pour le prix moyen qu'aurait dû pratiquer la société Moreno en tenant compte de la taxe BAPSA et des frais de transport;

- elle conteste avoir revendu à perte;

- il y a absence de créance de la société Moreno;

- le contrat d'exclusivité n'ayant jamais été dénoncé est toujours en vigueur aujourd'hui;

- elle est créancière de la société Moreno.

L'appelante demande à la cour, vu les articles 455 du Code de procédure civile, 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, 1134 alinéa 1 du Code civil, L. 442-6 du Code de commerce et 1382 du Code civil, de :

* in limine litis, prononcer la nullité du jugement;

* au fond :

- dire le concluant bien fondé en ses prétentions;

- rejeter toutes fins, moyens et conclusions contraires;

- déclarer la société Moreno mal fondée en toutes ses demandes et l'en débouter;

- dire et juger que la société Moreno ne rapporte aucune preuve des sommes qu'elle indique lui être dues;

- en conséquence, dire et juger que la société Sigel ne doit aucune somme à la société Moreno, et débouter la société Moreno de sa demande;

* à titre reconventionnel :

- au principal dire et juger que la société Moreno n'a pas respecté le contrat d'exclusivité ni l'ensemble des engagements qu'elle avait pris dans le cadre de l'application dudit contrat d'exclusivité;

- subsidiairement dire et juger qu'elle a commis une brusque rupture des relations commerciales entre les parties;

- dire et juger que la société Moreno est redevable de la somme de 2 281 402 euro 86 au titre des écarts de prix pratiqués sur l'huile vendue;

- dire et juger que la société Moreno est redevable :

. des taxes BAPSA, des frais de transport et de stockage qu'elle devra rembourser à la société Sigel à hauteur de 603 389 euro;

. des intérêts bancaires à hauteur de 23 124 euro 65;

. des indemnités versées à la société Bonduel à hauteur de 47 840 euro;

- évaluer le préjudice subi par la société Sigel; en conséquence condamner la société Moreno à payer la somme globale de ...;

- dire et juger que la société Moreno a rompu brutalement et sans raison le contrat d'exclusivité la liant à la société Sigel;

- dire et juger qu'en application dudit contrat d'exclusivité la société Moreno sera condamnée à payer à la société Sigel la somme de 12 352 066 euro représentant la moyenne de 5 années de chiffre d'affaires;

- dire et juger que cette rupture abusive du contrat d'exclusivité a eu des conséquences très importantes pour la société Sigel l'ayant entraînée dans de grandes difficultés financières dont seule la société Moreno est responsable;

- condamner la société Moreno à payer à la société Sigel la somme de 23 124 euro 65 représentant les intérêts débiteurs du compte bancaire, intervenus suite à l'arrêt brutal des livraisons de la part de la société Moreno;

- condamner la société Moreno à payer à la société Sigel la somme de 47 840 euro représentant l'indemnité qu'a dû verser la société Sigel à la société Bonduel en raison de l'arrêt brutal des livraisons de la société Moreno;

* condamner la société Moreno à payer à la société Sigel la somme de 5 000 euro par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Concluant le 17 mai 2013 la SA Moreno répond notamment que :

- le premier jugement du 21 mars 2012 expose sur pas moins de 46 pages l'ensemble des arguments soulevés par les deux parties;

- ses factures de livraisons des marchandises commandées étaient réglables par la société Sigel dans un délai maximum de 120 jours qu'elle n'a pas respecté, non plus que ses engagements du 14 février 2005, ce qui justifie la rupture du 4 mai par elle-même; cette société reste lui devoir la somme de 5 909 062 euro 08 mentionnée dans ces engagements, qui comprend 1 707 638 euro 43 de factures avec émission de lettres de change pour 1 668 635 euro 87, et 4 231 100 euro 11 de factures sans lettres de change;

- c'est la société Sigel seule, et non elle-même, qui déterminait ses prix de revente auprès de ses clients, même si sur demande de cette société elle-même a accepté de consentir des réductions sur les prix afin que les produits soient référencés auprès d'importants distributeurs tels qu'Auchan et Intermarché; mais il est apparu que la société Sigel revendait ces produits à des prix inférieurs à ceux annoncés à elle-même et à ceux facturés par elle-même;

- l'article L. 442-6-5 du Code de commerce permet la résiliation sans préavis en cas d'inexécution par une partie de ses obligations, ce qui est le cas de la société Sigel qui n'a pas réglé le prix des marchandises achetées malgré demandes et relances par elle-même;

- la lettre du 14 février 2005 signée par la société Sigel vaut reconnaissance de dette au sens de l'article 1326 du Code civil; l'échéancier de paiement acceptée par cette société n'a pas été respecté, ainsi que l'a écrit Monsieur Moreno le 7 avril;

- la prétendue surfacturation du prix de vente de l'huile d'olive par elle-même à la société Sigel n'est pas prouvée, car il a été négocié entre elles deux;

- devant son incapacité à traiter les commandes de ses clients pour cause de maladie de son gérant la société Sigel a invité elle-même à contacter directement ses clients, ce qui exclut la prétendue violation de l'exclusivité et le prétendu détournement de clientèle;

- en ne respectant pas ses échéanciers de règlement la société Sigel ne peut se plaindre que désormais elle-même exige un paiement comptant; elle-même n'a jamais demandé le remboursement immédiat de la dette de la société Sigel avant la fin de leurs relations;

- la société Sigel a délibérément choisi une stratégie de vente à perte;

L'intimée demande à la cour, vu les articles 455 et 526 du Code de procédure civile, 1582 et 1650 du Code civil, et L. 442-6 du Code de commerce, de :

* constater que la société Sigel n'a pas exécuté les termes du jugement pourtant assorti de l'exécution provisoire; en conséquence, radier l'affaire du rôle de la cour;

* à titre subsidiaire :

- constater que la société Moreno a vendu et livré à la société Sigel, en application de leurs accords contractuels, des marchandises restant à ce jour impayées pour une valeur de 5 909 062 euro 08;

- constater qu'en dépit des nombreuses relances qui lui ont été adressées, la société Sigel ne s'est jamais acquittée du paiement des factures relatives auxdites marchandises;

- constater que la société Moreno et la société Sigel sont liées par un contrat de distribution;

- dire que la rupture des relations commerciales entre ces sociétés est imputable à la société Sigel en raison de la non-exécution de son obligation contractuelle essentielle qu'est le paiement des marchandises achetées auprès de la société Moreno et livrées par cette dernière;

- constater que le prix des marchandises achetées par la société Sigel à la société Moreno a été librement négocié et accepté par les parties;

- constater que la société Moreno n'a pas violé l'exclusivité de la société Sigel et n'a pas détourné la clientèle de cette dernière;

* par conséquent :

- condamner la société Sigel à payer à la société Moreno la somme de 5 909 062 euro 08, en deniers ou en quittances, correspondant à l'intégralité des factures impayées afférentes aux marchandises livrées par la société Moreno à la société Sigel, avec intérêts au taux légal à compter du 5 mai 2005;

- débouter la société Sigel de l'ensemble de ses demandes et prétentions, en ce compris sa demande de nullité du jugement;

- condamner la société Sigel au paiement de la somme de 30 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2016.

Motifs de l'arrêt :

L'éventuelle radiation de l'affaire du rôle de la cour, demandée par la société Moreno pour non-exécution par la société Sigel du jugement pourtant assorti de l'exécution provisoire, relève de la compétence exclusive du Conseiller de la mise en état en vertu de l'article 526 du Code de procédure civile, et ne peut donc être examinée par la cour.

En appel la société Moreno ne conteste aucunement que le contrat d'exclusivité signé le 9 mars 2001 avec la société Sigel soit resté en vigueur jusqu'à la rupture des relations commerciales le 4 mai 2005, ce qui rend sans intérêt le fait que le jugement dont appel n'a pas examiné ce point. La nullité du jugement demandée par la société Sigel ne sera donc pas prononcée.

L'abus de position dominante reproché à la société Moreno par la société Sigel n'est pas accompagné d'une demande de cette dernière dans le dispositif de ses conclusions du 18 février 2016, et ne sera donc pas examiné par la cour.

La société Sigel ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'arrêt par la société Moreno de toute livraison dans le but de traiter directement avec ses clients, d'autant que des éléments contraires ressortent des courriels de la société Sigel des 28 février et 7 avril 2005. Il en est de même pour le bien-fondé du remboursement de la taxe BAPSA, des frais de transport et des marges arrière, le rapport d'expertise de Monsieur Daniel G. du 4 décembre 2006 ayant été communiqué de manière incomplète.

Le contrat d'exclusivité signé le 9 mars 2001 entre la société Hispanoliva aujourd'hui Moreno et la société Sigel stipulait sa rupture par la première en cas de non-respect de ses clauses par la seconde.

Par courrier du 14 février 2005 sur 3 pages, qui ont toutes été signées et tamponnées par la société Sigel, la société Moreno, qui n'était pas tenue à délivrer préalablement une mise en demeure, a notifié à son débiteur les diverses factures restées impayées pour un total de 7 530 208 euro 46, et a imparti leur règlement par échéances mensuelles du 30 mars au 30 décembre 2005. Ces signatures et tampons constituent une reconnaissance de dette par la société Sigel au sens de l'article 1326 du Code civil, mais ces échéances n'ont pas été respectées malgré une réclamation le 4 mars puis le 7 avril, ce qui justifie la lettre du 4 mai dans laquelle la société Moreno a notifié la rupture du contrat; la rupture sans préavis par application de l'article L. 442-6-5 du Code de commerce est justifiée par l'importance et la répétition des réclamations en paiement formulées sans succès, et surtout par le non-respect de ces échéances pourtant librement acceptées par la société Sigel.

La créance de la société Moreno, chiffrée à bon droit par le tribunal à la somme de 1 668 635 euro 87 correspondant aux factures avec émission de lettres de change, n'est cependant pas démontrée pour le complément de 4 231 100 euro 11 correspondant à des factures sans lettres de change, ce qui conduit la cour à infirmer le jugement ayant condamné la société Sigel à la seconde somme.

La surfacturation du prix de vente de l'huile d'olive par la société Moreno à la société Sigel invoquée par cette dernière n'est pas prouvée par le rapport d'expertise de Monsieur Daniel G. du 4 décembre 2006 que la société Sigel communique d'ailleurs de manière incomplète.

Décision : LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire. Infirme le jugement du 21 novembre 2012 uniquement pour avoir condamné la SARL Groupe Sigel à payer à la SA Moreno la somme de 4 231 100 euro 11 outre intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2005. Confirme tout le reste du jugement. En outre, vu l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la SARL Groupe Sigel à payer à la SA Moreno une indemnité de 10 000 euro au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens. Rejette toutes autres demandes. Condamne la SARL Groupe Sigel aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.