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Décisions

Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-25.210

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Confédération nationale des buralistes de France, Courageux, LCH (SNC)

Défendeur :

Clop & co (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Riffault-Silk

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Potier de La Varde, Buk-Lament

Cass. com. n° 14-25.210

24 mai 2016

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 juin 2014), statuant en matière de référé, que M. Courageux et la société Les Courtilles, exploitants de débits de tabac, ainsi que la Confédération nationale des buralistes de France (la CNBF), union de syndicats professionnels représentant la profession des débitants de tabac, reprochant à la société Clop & co de promouvoir et vendre des cigarettes électroniques (e-cigarettes) et des produits (e-liquides) contenant des ingrédients du tabac ou qui rappellent les produits du tabac, en s'affranchissant de la législation applicable aux débitants de tabac relative aux produits du tabac et assimilés, et de leur causer ainsi un trouble de concurrence déloyale, l'ont assignée en cessation de la promotion et de la commercialisation de la cigarette électronique et des e-liquides dans deux de ses boutiques proches de leurs débits de tabac respectifs, sur son site internet et la page facebook associée, et en paiement d'une provision à valoir sur leurs dommages-intérêts ;

Sur le troisième moyen : - Attendu que M. Courageux, la société Les Courtilles et la CNBF font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'interdiction de commercialisation par la société Clop & co des cigarettes électroniques et des e-produits dans les boutiques "clopinettes" exploitées à Caen et Paris 11e alors, selon le moyen : 1°) que constitue un trouble manifestement illicite la vente par un commerçant de cigarettes électroniques et des liquides qui sont destinés à leur usage lorsqu'ils sont présentés comme supprimant l'envie de fumer ou réduisant l'accoutumance au tabac, sans avoir fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché ; qu'en l'espèce, en excluant l'existence d'un trouble manifestement illicite au regard de l'absence de certitude concernant la seule qualification de produit du tabac des articles en cause, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la société Clop & co ne commercialisait pas des cigarettes électroniques et les liquides destinés à leur usage en les présentant comme supprimant l'envie de fumer ou réduisant l'accoutumance au tabac et si ces produits avaient fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 809 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 5111-1, alinéa 1er, L. 5121-2 et L. 5121-8 du code de la santé publique ; 2°) que constitue un trouble manifestement illicite la vente par un commerçant autre qu'un débitant de tabac de produits destinés à être fumés, même s'ils ne sont que partiellement constitués de tabac, ou de produits à fumer, même s'ils ne contiennent pas de tabac ; que l'acte de fumer n'implique pas la combustion, dès lors qu'il recouvre tous les produits dégageant un fluide gazeux chaud que l'on peut inhaler ; que l'arrêt attaqué a relevé que la société Clop & co ne contestait pas que la cigarette électronique qu'elle distribuait contenait de la nicotine, principe actif du tabac ; qu'en affirmant néanmoins, par motif propre, que la qualification de " produits du tabac " appliquée à la cigarette électronique n'était pas établie avec évidence et, par motif adopté, qu'en l'absence de combustion, la cigarette électronique ne pouvait être un produit fumé, cependant que l'acte de fumer n'implique pas la combustion et qu'il n'était pas contesté que les produits en cause contenaient du tabac, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile, les articles 564 decies et 565, 2o du code général des impôts, ensemble l'article L. 3511-1 du code de la santé publique ; 3°) qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que l'Union européenne avait laissé aux Etats membres le soin de légiférer sur la qualification de la cigarette électronique en produits du tabac ou dérivés ; que pour affirmer qu'un trouble manifestement illicite n'était pas établi, l'arrêt a relevé la contradiction entre le droit de l'Union européenne et un rapport de l'Office français contre le tabagisme de mai 2013 d'après lequel " aucun pays européen ne classe les cigarettes électroniques comme produit du tabac et ne pourrait le faire car la définition européenne commune précise que ces produits doivent contenir du tabac ce qui n'est pas le cas " ; qu'en statuant ainsi, quand le droit de l'Union européenne prévalait nécessairement sur la mention erronée dudit rapport, si bien qu'il n'existait pas de contradiction empêchant de constater l'existence d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile, ensemble le principe de primauté du droit de l'Union européenne ;

Mais attendu que l'arrêt relève que, selon la direction générale des douanes et des droits indirects, la cigarette électronique ne constitue pas un produit du tabac au sens fiscal et répond à la qualification de médicament, que selon un rapport de mai 2013 de l'Office français contre le tabagisme, aucun pays européen ne classe les e-cigarettes comme produits du tabac, que n'étant ni un produit du tabac, ni un médicament, elle est un produit de consommation courante, et que selon la directive 2014/40/CE, il revient aux Etats de qualifier la cigarette électronique ; que la cour d'appel, qui en a déduit l'existence d'un doute sur la qualification de cigarette électronique et, partant, sur le régime de sa commercialisation, et qui n'avait pas à effectuer la recherche invoquée par la première branche, que ses constatations rendaient inopérantes, a pu décider que le trouble allégué n'était pas manifestement illicite ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen : - Vu les articles L. 470-7 du code de commerce, 31 du code de procédure civile, 3512-1 du code de la santé publique, L. 2132-3 et L. 2133-3 du code du travail ;

Attendu que les syndicats professionnels sont habilités à exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits ayant causé un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ;

Attendu que pour déclarer irrecevable, faute de qualité à agir, l'action engagée par la CNBF aux fins d'interdiction de la promotion de la cigarette électronique, l'arrêt relève qu'il s'infère des dispositions spéciales en matière de publicité pour les produits du tabac ou dérivés du tabac que la loi, au regard de l'objectif d'intérêt général que représente la lutte contre le tabagisme, a désigné, pour exercer les droits de la partie civile en cas d'infractions à ces dispositions, des associations dont l'objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme, auxquelles par conséquent l'action est réservée; qu'il en déduit que la CNBF n'est pas fondée, fût-ce dans le cadre d'une action en concurrence déloyale en vue de protéger l'intérêt particulier des buralistes, à se prévaloir de la violation de dispositions que seules les associations désignées comme agissant dans un intérêt de santé publique sont recevables à poursuivre ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le droit à agir reconnu par la loi aux associations investies de la mission d'intérêt général de lutte contre le tabagisme n'exclut pas celui des syndicats professionnels agissant pour la défense de l'intérêt collectif de leurs membres, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche : - Vu l'article 31 du code de procédure civile ; - Attendu que pour déclarer irrecevable la demande de M. Courageux et de la société Les Courtilles tendant à ce qu'il soit fait interdiction à la société Clop & co de toute activité de publicité, l'arrêt retient qu'ils n'ont pas précisé le préjudice personnel et direct qu'ils ont subi du fait de la publicité illicite imputée à la société Clop & co ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief : casse et annule, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables M. Courageux, la société Les Courtilles et la Confédération nationale des buralistes de France en leur demande tendant à voir interdire à la société Clop & Co toute activité de publicité de la cigarette électronique et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 24 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.