CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 27 mai 2016, n° 13-16102
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Soleos Solar France (SARL)
Défendeur :
Kefi, Alliance Energie Solutions (SARL), Chrétien (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
M. Richard, Mme Prigent
Avocats :
Mes Ruelle Weber, Boccon Gibod, Mear, Etevenard, Le Clercq
Faits et procédure
La SAS Soleos Solar, ayant alors pour président Monsieur Zouhaier Kefi, fabricante de matériel photovoltaïque, a vendu et livré, entre 2010 et 2011, du matériel solaire à la société Alliance Energie Solaire, spécialisée dans la commercialisation et l'installation d'équipement photovoltaïque.
Invoquant des dysfonctionnements affectant ces équipements, la société Alliance Energie Solaire a, par acte du 16 février 2012, assigné la société Soleos Solar France et Monsieur Zouhaier Kefi devant le Tribunal de grande instance d'Evry aux fins de réparation du préjudice occasionné par la non-conformité du matériel et d'indemnisation du préjudice causé par la rupture de la relation commerciale.
Par jugement rendu le 23 novembre 2012, rectifié par jugement du 31 mai 2013, le Tribunal de grande instance d'Evry a condamné la société Soleos Solar France à verser à la société AES la somme de 66 209 euros au titre du préjudice commercial et la somme de 6 620 euros au titre du préjudice d'image, rejeté les demandes formulées à l'encontre de Monsieur Kefi et a débouté la société Alliance Energie Solaire du surplus de ses demandes et condamné Soleos au paiement de la somme de 1 800 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Soleos Solar a interjeté appel le 1er août 2013 de ce jugement.
Par conclusions signifiées le 1er juillet 2015, elle demande à la cour de :
- déclarer la société Soleos solar France recevable et bien fondée en son appel ;
En conséquence,
- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de grande instance d'Evry le 23 novembre 2012 en ce qu'il a condamné Soleos à verser à Alliance Energie Solaire la somme de 66 209 euros au titre du préjudice commercial ainsi que la somme de 6 620 euros au titre du préjudice d'image ;
- constater que la société Alliance Energie Solaire n'apporte pas la preuve d'une défaillance dans le matériel photovoltaïque vendu par Soleos ;
- constater que Alliance Energie Solaire s'est comportée de façon déloyale à l'égard de Soleos en détournant son président Monsieur Kefi de ses fonctions statutaires ;
- débouter Alliance Energie Solaire de toutes demandes indemnitaires ;
A l'égard de Monsieur Kefi,
Compte tenu du comportement frauduleux de la société Alliance Energie Solaire et de Monsieur Kefi :
- dire que dans l'hypothèse extrêmement où la société Soleos Solar France serait déclarée responsable du préjudice invoqué par la société Alliance Energie Solaire, Monsieur Kefi sera condamné à relever et à garantir la société Soleos Solar France de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre ;
A titre reconventionnel,
- condamner la société AES, représentée par Maître Chretien ès qualités, au paiement de la somme de 31 323 euros, montant du solde des factures impayées ;
- la condamner à la somme de 50 000 euros au titre de dommages et intérêts pour le préjudice d'image subi par la société Soleos Solar France ;
- condamner la société MJ Synergie ès qualités et Monsieur Kefi à verser à la société Soleos Solar France la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle fait valoir que les matériels livrés correspondent aux commandes et sont pleinement conformes aux normes européennes et françaises.
Elle indique que :
- la réalité du litige qui l'oppose à Alliance Energie Solaire réside dans le non-respect, par AES et son conseiller Monsieur Zouhaier Kefi, avec lequel AES a souscrit un accord de partenariat parallèle et occulte, des prescriptions légales relatives à la pose du matériel ;
- les griefs de la société AES portent principalement sur un défaut de conseil et d'assistance technique relatif à l'installation, et non sur un défaut de conformité ;
- Soleos est totalement étrangère aux dysfonctionnements contractuels internes à AES et à Monsieur Kefi. Elle ajoute que Monsieur Kefi, à la fois actionnaire d'AES et président de Soleos Solar France, servait des intérêts antagonistes, voire contradictoires, utilisant les fonctions et pouvoirs qu'il détenait dans ces deux sociétés concurrentes.
Elle souligne qu'AES ne rapporte la preuve d'aucun préjudice.
Sur la rupture des relations commerciales, elle prétend que cette rupture est le fait unique et exclusif de Monsieur Kefi, que compte tenu de l'absence de règlement des factures par AES, Soleos a cessé de livrer du matériel dès le mois de novembre 2010, et que la rupture des relations commerciales avec la société Alliance Energie Solaire est en relation directe et certaine avec l'engagement vacillant de Monsieur Kefi en sa qualité de conseiller technique de cette même société.
La Selarl MJ Synergie, prise en la personne de Maître Fabrice Chrétien, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Alliance Energie Solaire, par ses dernières conclusions signifiées le 2 juillet 2015, demande à la cour, au visa des articles 1134 et 1604 du Code civil et L. 442-6-I 5° du Code de commerce, de :
- déclarer la Selarl MJ Synergie représentée par Maître Fabrice Chrétien, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Alliance Energie Solaire recevable et fondée dans son appel incident ;
- confirmer le jugement du 23 novembre 2012 en ce qu'il condamné la société SAS Soleos Solar France à verser à la SARL Alliance Energie Solaire aux droits de laquelle est venue la Selarl MJ Synergie ès qualité, la somme de 66 209 euros au titre du préjudice commercial subi ;
- confirmer le jugement du 23 novembre 2012 en ce qu'il a condamné la société SAS Soleos Solar France à verser à la SARL Alliance Energie Solaire aux droits de laquelle est venue la Selarl MJ Synergie ès qualité, la somme de 1 800 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Pour le surplus, infirmer et juger à nouveau ;
- dire qu'en décidant de rompre ses relations commerciales avec la société Alliance Energie Solaire, la société Soleos Solar France a engagé sa responsabilité envers la société Alliance Energie Solaire ;
- condamner la société Soleos Solar France à payer à la Selarl MJ Synergie ès-qualité, la somme de 148 671 euros en réparation du manque à gagner subi par la société Alliance Energie Solaire du fait de la rupture des relations commerciales ;
- condamner la société Soleos Solar France à payer à la Selarl MJ Synergie ès-qualité la somme de 10 000 euros au titre du préjudice d'image subi par la Société Alliance Energie Solaire auprès de sa clientèle ;
- débouter la société Soleos Solar France de l'intégralité de ses demandes fins et prétentions ;
- condamner la société Soleos Solar France à payer à la Selarl MJ Synergie ès-qualité la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Soleos Solar France aux entiers dépens de l'instance dont le recouvrement pourra être poursuivi par Maître Frédérique Etevenard, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Elle soutient que les matériels livrés par Soleos ne répondaient pas aux normes techniques en vigueur en France - la principale non-conformité des matériels Soleos étant l'absence de disjoncteur différentiel 30 millilitres dans le boîtier parafoudre - que la non-conformité du produit aux normes en vigueur est équivalente à une non-conformité de la chose au contrat.
Elle ajoute que l'appelante est mal venue à opposer à la société intimée le défaut de réserve à la réception, le défaut de réclamation ne pouvant priver le destinataire des livraisons d'une action en responsabilité à l'encontre du fabricant s'il démontre que le vice affecte le produit où, ce qui revient au même, que le produit n'est pas conforme à la commande et aux documents techniques qui l'accompagne. Elle précise que Soleos ne peut invoquer l'absence de preuve de la faute, du préjudice et du lien de causalité, puisque l'action est fondée, non sur la responsabilité délictuelle, mais sur la responsabilité contractuelle du fabricant vis à vis de son client revendeur, que Soleos a d'ailleurs reconnu sa responsabilité dans les non-conformités des matériels livrés :
- son Président, Monsieur Kefi, s'étant même engagé à prendre personnellement en charge le montant du préjudice subi par la AES à hauteur de 30 000 euros ;
- Soleos a proposé à AES un avoir de 15 661,76 euros et un accord de partenariat contenant des avantages financiers directs pour AES.
Elle fait valoir que l'appelante ne peut soutenir que Monsieur Kefi et la société AES auraient conclu ensemble un pacte frauduleux dans la mesure où Monsieur Kefi a toujours correspondu sur en-tête de la société Soleos et qu'en agissant ainsi, il le faisait nécessairement en sa qualité de représentant légal de la société Soleos et qu'il appartenait à cette dernier de contrôler son dirigeant.
Sur la rupture brutale de la relation commerciale, elle soutient que la décision prise par la société Soleos de rompre ses relations commerciales avec AES, sans préavis, a aggravé le dommage causé à AES qui n'a pu honorer des commandes en cours.
Monsieur Zouhaier Kefi, par conclusions signifiées le 22 janvier 2015, demande à la cour de :
- déclarer mal fondé l'appel formé par la société Soleos solar France ;
- rejeter l'ensemble des demandes formées par la société Soleos solar France, à l'encontre de Monsieur Zouhaier Kefi ;
- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a déclaré mal fondées les demandes de la société Alliance energie solaire à l'encontre de Monsieur Kefi ;
- condamner la société Soelos solar France, à payer à Monsieur Kefi, la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et à supporter les dépens de l'instance.
Il indique que Soleos ne rapporte pas la preuve de l'entente frauduleuse entre Monsieur Kefi et AES invoquée, les échanges de courriels produits ne présentant aucune valeur probante à cet égard.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.
MOTIFS
Sur le défaut de conformité du matériel photovoltaïque livré par la SAS Soleos solar France
Considérant qu'en application des articles 1604 et 1615 du Code civil, la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur, que la chose livrée doit par conséquent être conforme tant aux prévisions contractuelles qu'à la législation en vigueur ; que l'obligation de délivrance d'équipements complexes n'est pleinement exécutée qu'une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue ; que la réception sans réserve de la chose ne fait pas obstacle à l'invocation d'un défaut de conformité par l'acheteur si ledit défaut n'était pas apparent au moment de la livraison ;
Considérant qu'il résulte de la procédure qu'à partir du début de l'année 2010, la société Alliance energie solaire a, à plusieurs reprises, saisi Soleos du caractère incomplet des kits de matériels vendus par cette dernière ; qu'il n'est opposé aucun élément aux affirmations d'AES selon laquelle manquaient notamment le disjoncteur différentiel 30 millilitres dans le boitier parafoudre, pièce nécessaire à la conformité des installations des clients de la société AES par rapport aux normes européennes de l'Union Technique de l'Electricité (UTE) ; qu'il est constant que, par suite de ces non-conformités, le Comité français pour la sécurité des usagers de l'électricité (Consuel) a refusé de certifier les dites installations ;
Considérant que la certification n'intervenait qu'après l'installation du matériel, qui seule a vocation à attester du fonctionnement efficace du matériel ; que la conformité à la réglementation européenne du matériel photovoltaïque vendus par la société Soleos ne pouvait donc s'apprécier qu'au moment de la certification par le Consuel ; que la réception sans réserve des kits par la société AES ne suffit pas, dans ces conditions, à rapporter la preuve de l'exécution, par le vendeur, de son obligation de délivrance complète ; que la violation, par Soleos, de son obligation de délivrance conforme est dès lors caractérisée ;
Considérant qu'AES a été contrainte de modifier à ses frais les installations photovoltaïques de ces clients pour en corriger les imperfections et les rendre conforme aux normes UTE ; que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 mai 2011, la société AES a mis en demeure de payer la société Soleos ces frais d'interventions d'un montant de 66 209,73 euros HT soit 79 186,73 euros TTC ; qu'il résulte de ces éléments que, malgré la garantie de la qualité de son matériel assurée par la société Soleos, la société AES a dû supporter des coûts de mise en conformité du matériel vendu ; que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a reconnu le manquement de Soleos à son obligation de délivrance conforme et a condamné Soleos à hauteur de de 66 209 euros ;
Sur le comportement frauduleux de Monsieur Zouhaier Kefi et de la société AES
Considérant que, conformément à l'article 1134, alinéa 3, du Code civil, le contrat doit être exécuté de bonne foi ;
Considérant que manque à son obligation de loyauté le dirigeant de l'une des sociétés parties qui s'associe frauduleusement et déloyalement à l'autre partie pour faire échec à la bonne exécution du contrat ; que le dirigeant d'une société a seulement l'obligation de ne pas développer, en cours d'exercice de son mandat social, une activité concurrente à celle de la société qu'il dirige ; qu'il peut en revanche, sans faire preuve de déloyauté, être associé d'une société cliente de la société qu'il dirige, lesdites sociétés n'étant pas en concurrence sur le marché ; que, pour les mêmes motifs, il lui est également loisible de développer une activité connexe à celle de la société qu'il dirige ;
Considérant qu'en l'espèce, Monsieur Zouhaier Kefi, dirigeant de la société Soleos est également associé de la société AES et dirigeant de la société ZHK Consulting spécialisée dans le conseil technique aux énergies photovoltaïque ; que son statut d'associé d'une société spécialisée dans la commercialisation et l'installation de matériel photovoltaïque, pas plus que son activité de conseil ne viennent concurrencer l'activité de la société Soleos, spécialisée la fabrication de matériel photovoltaïque ;
Qu'il n'est apporté aucune preuve d'un lien réel établi entre la société AES et la société ZHK Consulting et notamment que la ZHK Consulting aurait perçu une rémunération pour ces prestations de conseil au profit de la société AES ; qu'il n'est pas davantage apporté de preuve attestant que le matériel fourni par la société Soleos ait été installé par la société ZHK Consulting pour le compte de la société AES ;
Qu'aucune collusion frauduleuse ne peut, dans ces conditions, être établie entre la société AES et Monsieur Zouhaier Kefi justifiant que le préjudice commercial subi par la société AES demeure sans réparation ou que Monsieur Zouhaier Kefi soit solidairement responsable avec la société Soleos pour ledit préjudice ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Soleos dirigées à l'encontre de Monsieur Kefi ;
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie entre la société ABE et la société Soleos
Considérant qu'en application de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, engage sa responsabilité l'entreprise qui rompt brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;
Considérant que Maître Chrétien ès qualités prétend que Soleos a rompu la relation commerciale en refusant d'exécuter les 23 commandes passées par AES entre juillet 2010 et mars 2011 ;
Mais considérant que l'absence d'exécution de commandes ne saurait être assimilée à une rupture de la relation commerciale ; qu'aucune preuve n'est rapportée que la société Soleos a rompu la relation commerciale avec la société AES, alors que, postérieurement au 26 mars 2011- date à laquelle la société AES invoque la cessation de la relation commerciale - une collaboration a continué d'exister entre les deux sociétés, notamment par la proposition d'un partenariat commercial entre la société AES et la société Soleos par courrier adressé par Monsieur Kefi le 2 avril 2011 à Monsieur Graves ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté AES de sa demande sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° ;
Sur le préjudice moral de la société AES au titre de l'atteinte de son image
Considérant que Maître Chrétien ès qualités de liquidateur judiciaire d'AES se borne à affirmer que l'arrêt de fourniture des matériels Soleos solar a contraint la société AES à se repositionner sur un autre produit et à modifier l'intégralité de ses plaquettes commerciales qui faisaient référence aux produits de la marque Soleos solar ; qu'aucune preuve n'étant rapportée d'un quelconque préjudice d'image, Maître Chrétien ès qualités sera débouté de sa demande de ce chef ; que le jugement déféré sera infirmé en ce sens ;
Considérant que l'équité commande de condamner Soleos à payer à Maître Chrétien ès qualités la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; que les parties seront déboutées du surplus de leurs demandes au titre des frais irrépétibles ;
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la SAS Soleos solar France au paiement de la somme de 6 620 euros au titre du préjudice moral, Statuant A Nouveau sur le point infirmé, Déboute Maître Chrétien ès qualités de sa demande au titre du préjudice moral, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la SAS Soleos solar France à payer à Maître Chrétien ès qualités la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la SAS Soleos solar France aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.