CA Colmar, 1re ch. civ. A, 18 mai 2016, n° 14-03765
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Nico (SARL)
Défendeur :
Melrose (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vallens
Conseillers :
Mmes Dorsch, Alzeari
Par un acte sous seing privé du 8 janvier 2010, la société Nico, propriétaire de la marque Pizza de Nico et de l'enseigne du même nom, a concédé à la société Melrose la qualité de franchisé exclusif pour les secteurs de Saverne et d'Otterswiller.
Nico s'engageait aux termes du contrat à transmettre à sa franchisée le savoir-faire concernant la fabrication, la commercialisation, l'organisation et la gestion des stocks, et à assurer une formation d'environ 40 heures. Melrose de son côté s'engageait à respecter le savoir-faire transmis et l'image du franchiseur dans la mise en œuvre de ses recommandations, et à s'approvisionner exclusivement auprès de Nico ou de ses distributeurs, ainsi qu'à payer une redevance mensuelle de 6 % HT du chiffre d'affaires.
Le contrat a été conclu pour une durée de 5 ans à compter du 8 janvier 2010. Nico a commencé à facturer ses redevances la seconde année, à compter du mois de janvier 2011.
Par un acte d'huissier du 9 mai 2011, Nico a fait citer Melrose devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg, aux fins d'obtenir le paiement de redevances à hauteur de 4991, 58 euro en principal, la communication du chiffre d'affaires réalisé par Melrose sous peine d'astreinte et le paiement des frais publicitaires exposés à hauteur de 2169,09 euro et des frais de procédure pour 1500 euro.
Par un jugement du 30 juin 2014, le tribunal a annulé le contrat de franchise pour absence de cause, a débouté Nico et l'a condamnée à payer à Melrose une indemnité de procédure de 2500 euro.
Nico a interjeté appel du jugement.
Elle demande à la cour de :
- condamner Melrose à lui payer les sommes de :
4991,58 euro en principal, au titre des arriérés de redevances
50 000 euro à titre de provision sur redevances
2169,09 euro au titre des frais publicitaires
20 000 euro à titre de dommages et intérêts
et 6000 euro pour les frais de procédure,
- condamner Melrose à communiquer le chiffre d'affaires réalisé à compter de juin 2011 sous peine d'une astreinte de 500 euro par jour de retard,
- condamner Melrose à abandonner les éléments de décoration de son local propres au réseau La Pizza de Nico sous peine d'une astreinte de 500 euro par jour de retard.
Melrose demande la confirmation du jugement et le paiement d'une indemnité de procédure de 7500 euro.
La société Melrose sollicite la confirmation du jugement et le paiement d'une indemnité de procédure de 7500 euro. Elle fait valoir : les éléments constitutifs du contrat de franchise sont fictifs ; lors de la conclusion du contrat, Nico n'a pas fourni les documents nécessaires à une information sincère qui lui permettait de s'engager valablement, notamment quant au mode exploitation des membres du réseau et les investissements à réaliser ; le contrat est dépourvu de rentabilité, ce qui résulte du chiffre d'affaires réduit qu'elle a réalisé ; le contrat est également nul pour erreur et absence de cause, faute pour Nico de justifier d'un savoir-faire effectif identifié ; en ce qui concerne les méthodes commerciales et les éléments secrets particuliers, ils n'ont pas été communiqués ; Nico n'a fourni aucune assistance technique et commerciale.
Sur ce la cour,
Il ressort des documents contractuels et des pièces produites aux débats que les parties ont conclu le 8 janvier 2010 un contrat dit "contrat de franchise exclusif" portant sur la distribution et la vente de pizzas sous l'enseigne la marque Pizza de Nico et dont Nico était propriétaire selon une marque déposée à l'INPI le 26 juin 2006. Le contrat a été conclu sur la base d'un document d'information pré contractuel du 1er décembre 2009, relatant les spécificités de la franchise et du réseau Pizza de Nico.
Melrose invoque la nullité du contrat pour erreur et absence de cause.
Quant au premier moyen, la gérante de Melrose, qui avait des relations d'amitié avec M. P., gérant de Nico, allègue avoir été dupée par Nico en invoquant une erreur entraînant la nullité du contrat. Elle ne fonde cependant ce moyen que sur le fait que le document d'information pré contractuel ne serait pas conforme aux prescriptions des articles L. 330-3 et R 330-1 du Code de commerce applicables au contrat de franchise.
Elle ne précise cependant pas en quoi elle aurait été dupée par des manœuvres dolosives de la part de M. P..
Melrose soutient également l'absence de rentabilité, en précisant que, sans les manœuvres de M. O., elle n'aurait pas conclu le contrat en contestant parallèlement la notoriété de l'enseigne.
Ces manœuvres ne sont pas étayées et la notoriété, au moins locale, de la marque "Pizza de Pino" résulte en l'état de l'existence des autres établissements utilisant ce nom.
Quant au second moyen, le document d'information précontractuel contient l'identification de la société Nico, sa raison sociale, sa domiciliation bancaire et une indication du réseau des exploitants, l'indication de la durée du contrat, proposé pour 5 ans, et les dépenses nécessaires aux investissements.
La gérante de Melrose conteste la réalité des autres contrats de franchise énoncés ainsi que les indications portant sur les dépenses et les investissements nécessaires.
En ce qui concerne les franchisés, le document relate seulement 2 franchisés, la société M. à Vendenheim et la société O. à Wissembourg, selon 2 contrats datant du 4 juin 2008 et du 15 septembre 2008. Les 2 contrats de franchise évoqués ont été produits aux débats.
Le document mentionne par ailleurs 3 autres établissements "Pizza de Nico" faisant partie de son réseau, situés à Bischwiller, Betschdorf et Schweighouse sur Moder, sans être des franchisés.
En ce qui concerne les dépenses nécessaires, le document précise un coût d'aménagement estimé à 80 000 euro HT, sans autre précision ainsi que la prise en charge d'un stock initial, estimé à 3000 euro HT dont la consistance n'est pas indiquée.
En conséquence, l'intimée ne démontre ni l'erreur qui porterait sur un élément essentiel du contrat ni les manœuvres reprochées au franchiseur.
Par contre, le moyen fondé sur l'absence de cause est plus sérieux : l'analyse du document d'information pré contractuel et du contrat de franchise montre que la franchise en question était inconsistante : le document d'information pré contractuel ne relate que l'existence d'un réseau de franchise limitée à une société O. dirigée par M. O. lui-même et une autre société franchisée, les autres entreprises exploitant leur activité sous l'enseigne "Pizza de Nico" sans être liées par un contrat de franchise. En ce qui concerne le marché local, le document mentionne l'existence de 3 concurrents directs et de 4 concurrents indirects pour une clientèle potentielle de 12 000 habitants environ. Cette présentation sommaire et non détaillée n'est accompagnée d'aucune étude de marché sérieuse.
Le document mentionne par ailleurs sous "Perspectives de développement du marché" un "prévisionnel qui vous a été remis précédemment", mais qui n'a pas été produit aux débats et dont l'existence est contestée.
Les comptes annuels de Nico n'ont pas non plus été joints au document.
Il en découle que ce dernier ne mentionne pas les perspectives de développement du marché concerné par l'établissement faisant l'objet du contrat de franchise litigieux.
Le document ne comporte ainsi pas des informations sincères permettant à celui qui s'engage de le faire en connaissance de cause comme le prescrit l'article L. 330-3 du Code de commerce.
En ce qui concerne la rentabilité de l'établissement, son absence est corroborée par les résultats de la première année d'exploitation (2010) qui révèlent un bénéfice avant impôt de 637,86 euro pour un chiffre d'affaires de 128 190,10 euro, et par l'absence de réclamation de toute redevance par Nico pour la première année. Nico explique celle-ci par une volonté d'aider Melrose à démarrer son activité ce qui est pour le moins contestable, s'il s'agissait d'un véritable contrat de franchise.
Le document comporte en outre des généralités sur le marché de la pizza en France qui ne permet pas d'identifier le contenu de la franchise en question.
Quant au contrat de franchise lui-même, il énonce que M. O. a conçu des techniques originales de gestion et de conception de ses produits sans préciser lesquelles. Le contrat relate par ailleurs que le savoir-faire commercial en matière de gestion ainsi que la qualité des produits sont à l'origine de l'actuel succès de l'enseigne de la marque "Pizza de Nico" sans indiquer le contenu de ce savoir-faire. Le contrat relate ensuite la transmission du savoir-faire à Melrose en énonçant seulement le contenu suivant : "méthode de fabrication des pizzas à emporter, méthode de commercialisation, méthode d'organisation, gestion des stocks". Le contrat ne décrit pas autrement les particularités du savoir-faire transmis, alors que la vente de pizzas à emporter s'est banalisée comme le relève le document d'information précontractuel et représenterait 20 000 points de vente en France, sans qu'aucune spécificité du réseau Pizza de Nico soit décrite. Il n'est pas sérieux de soutenir comme le fait l'appelante, que le concept de fabrication de pizzas à emporter soit original ni que Nico l'aurait créé en 2000, alors que ce procédé, aujourd'hui répandu, est ancien et qu'il est entré dans les habitudes alimentaires des Français depuis plus de 30 ans.
Par ailleurs, aucune information n'est apportée quant à l'existence d'un concept relatif aux méthodes de commercialisation, aux méthodes d'organisation ni à la gestion des stocks.
Le contrat ne prévoit de fait qu'une formation de 40 heures, qui n'est pas contestée, et énonce le fait que le client pouvait assister à la fabrication des pizzas ce qui peut présenter une caractéristique particulière, mais rien n'indique qu'elle soit exceptionnelle ni qu'elle constitue un concept réellement original et propre au réseau Pizza de Nico.
Il est constant par ailleurs que, outre la formation apportée à Melrose, Nico lui a concédé l'utilisation d'enseignes et de signes distinctifs de son réseau ce qui permettrait de qualifier ce contrat de contrat de distribution, en dehors de la cession d'une véritable franchise, mais Nico ne formule aucune prétention en ce sens dans le dispositif de ses conclusions, qui seul saisit la Cour. L'évocation d'une telle qualification n'apparaît que dans le corps de ses conclusions en page 16.
L'usage de la marque Pizza de Nico concédé à Melrose et la formation apportée auraient pu permettre à Nico de demander l'application du contrat ou sa résiliation partielle du fait du défaut de paiement de redevances attachées à l'utilisation de la marque et de l'enseigne et à la formation, mais sa demande est basée uniquement sur la qualification d'un contrat de franchise dont la réalité n'a pas été démontrée.
Il est par ailleurs établi que dès 2011 Melrose a supprimé toute référence à l'enseigne à la marque Pizza de Nico au profit d'une autre dénomination, "Pizza Sole".
Enfin, il n'a pas été justifié des frais publicitaires exposés, selon Nico, pour le compte de Melrose.
Le jugement est donc à confirmer, la cour entérinant l'analyse du premier juge.
L'appel formé par Nico a occasionné à Melrose des frais qui justifient une indemnisation.
P a r c e s m o t i f s : LA COUR, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Condamne l'appelante à payer à l'intimée la somme de 1500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne l'appelante aux frais et dépens.