CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 27 mai 2016, n° 14-03454
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Rogeon, Cambres, Technique de Rééquipement de combat (SARL)
Défendeur :
RDS Industries, OPS Equipement (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Nerot, Renard
Avocats :
Mes Veillon-Jonsson, Bellina, Ermeneux, Bonaldi-Nut
Messieurs Thierry Cambres et Sébastien Rogeon sont titulaires d'un brevet FR 08 07085 protégeant le montage d'un support adaptable et modulable pour arme automatique et semi-automatique déposé le 17 décembre 2008 puis délivré le 15 juillet 2011 et exposent qu'ils l'ont donné en licence à la Société Technique de Rééquipement de Combat SARL (ci-après : STRC) qu'ils ont créée pour exploiter cette invention.
Ayant constaté, en 2011, que la société OPS Equipement commercialisait sur le site internet <www ops-équipement.com> deux supports dénommés PMF interface seul et PMF à leur sens quasiment identiques au produit issu de l'invention et appris, après mise en demeure d'en cesser la commercialisation, que la société RDS Industries en était le fabricant, Messieurs Cambres et Rogeon ainsi que la société STRC ont assigné les sociétés OPS Equipement et RDS Industries en contrefaçon des revendications 1 à 3 du brevet précité ainsi qu'en concurrence déloyale, ceci selon acte du 02 avril 2012.
Par jugement rendu le 16 janvier 2014, le tribunal de grande instance de Paris a, en substance et sans prononcer l'exécution provisoire :
dit que les sociétés OPS et RDS précitées ne justifient pas d'un droit de possession personnelle antérieure sur l'invention,
déclaré nulles les revendications 1 et 3 du brevet FR 08 07085 et déclaré Messieurs Cambres et Rogeon irrecevables en leur action en contrefaçon de ce chef,
rejeté les demandes en ce qu'elles sont fondées sur la contrefaçon de sa revendication 2,
déclaré la société STRC recevable à agir en concurrence déloyale mais rejeté ses demandes,
condamné Messieurs Cambres et Rogeon ainsi que la société STRC à payer aux défenderesses, ensemble, la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par dernières conclusions (n° 3) notifiées le 08 mars 2016, Monsieur Sébastien Rogeon, Monsieur Thierry Cambre et la société à responsabilité limitée Société Technique de Rééquipement de Combat (STRC), appelants, demandent pour l'essentiel à la cour :
d'infirmer partiellement le jugement en ses dispositions qui leur sont défavorables, de le confirmer pour le surplus et, en conséquence,
de considérer qu'en fabriquant et en commercialisant les produits P.M.F interface seul et P.M.F. les sociétés intimées ont commis des actes de contrefaçon au préjudice de Messieurs Sébastien Rogeon et Thierry Cambres et, par ailleurs, des actes de concurrence déloyale et parasitaire au préjudice de la société STRC,
d'ordonner, sous astreinte, à la société RDS Industries de cesser la fabrication et la commercialisation des produits litigieux, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
d'enjoindre à la société RDS Industries d'informer et de faire cesser la commercialisation des produits P.M.F interface seul et P.M.F., fabriqués par elle, par tous ses revendeurs,
d'ordonner, sous astreinte, à la société OPS Equipement de cesser la commercialisation sur tout support desdits produits à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
d'ordonner, avant dire droit, sur les préjudices subis, une expertise comptable, aux frais des intimées, destinée à rechercher, déterminer et certifier dans la comptabilité de chacune des deux sociétés intimées, le nombre d'interfaces P.M.F interface seul et P.M.F. par elles fabriquées et commercialisées et les résultats comptables correspondants,
de condamner " solidairement " les sociétés intimées à verser, à titre provisionnel en cas d'expertise, ou à titre définitif à défaut d'expertise, à Messieurs Rogeon et Cambres la somme de 70.000 euros au titre du préjudice subi du fait de la contrefaçon du brevet précité et à verser, à titre provisionnel en cas d'expertise, ou à titre définitif à défaut d'expertise, à la société STRC la somme de 50.000 euros au titre du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaires,
d'ordonner la publication de la décision à intervenir par voie de presse et sur le site internet <www ops-equipement.com> aux frais solidaires des sociétés intimées,
de condamner " solidairement " les sociétés intimées à leur verser la somme de 35.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Par dernières conclusions (n° 4) notifiées le 04 avril 2016, les sociétés à responsabilité limitée OPS Equipement et RDS Industries prient, en substance, la cour, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et, y ajoutant :
sur le fondement de l'article L 613-9 du Code de la propriété intellectuelle, de déclarer la société STRC irrecevable à agir en contrefaçon,
de prononcer la nullité du brevet FR 08 07085,
de débouter les appelants de l'intégralité de leurs demandes,
d'ordonner, sous astreinte et aux frais des appelants, une mesure de publication de l'arrêt à intervenir par voie de presse et sur le site accessible à l'adresse <www accessoires-famas-minimi.com> de condamner les appelants à leur verser une somme complémentaire de 45.000 euros au titre de leurs frais non répétibles et à supporter tous les dépens.
Sur ce,
Sur la fin de non-recevoir opposée à l'action de la société STRC
Considérant que, formant appel incident, les intimées invoquent, d'abord, les dispositions de l'article L 613-9 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel " Tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur un registre, dit registre national des brevets, tenu par l'institut national de la propriété industrielle " pour affirmer que n'est pas recevable à agir en contrefaçon la société STRC qui ne justifie d'aucune publicité du contrat de licence du 02 avril 2009 qu'elle invoque ;
Mais considérant que la société STRC n'a pas la qualité de codemandeur à l'action en contrefaçon et n'agit qu'au titre de la concurrence déloyale si bien que ce moyen d'irrecevabilité ne peut prospérer ;
Considérant qu'ajoutant à ce qu'elles désignent comme un " préliminaire " dans le corps de leurs écritures, les intimées font valoir que les appelants qui ont justifié du règlement des annuités pour les années 2012 à 2014 s'en sont abstenus pour l'année 2015 ;
Mais considérant qu'outre le fait qu'elles se bornent à dire qu'ils devront en justifier pour être recevables à agir et que les appelants justifient du paiement de l'annuité pour l'année 2015 à la date du 26 décembre 2015 (pièce 33), elles ne reprennent pas cette demande dans le dispositif de leurs dernières conclusions, en méconnaissance des dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile si bien que la cour n'est pas saisie de cette demande ;
Sur la portée du brevet FR 08 07085
Considérant que l'invention vise le montage d'un support adaptable et modulable (entendu comme pouvant recevoir de un à cinq rails crantés sur lesquels tous types de poignée, visée laser, lampe et autres accessoires qui utilisent un système de fixation par rail ou à vis peuvent être montés) sur une arme automatique ou semi-automatique du type Famas ;
Que, sur l'état de la technique, seul le rapport de recherche de l'INPI en fait état, citant cinq brevets : GB 2 284 466 A (Bsa Guns) déposé le 07 juin 1995, US 2 663 083 A (Harms William P) déposé le 22 décembre 1953, US 6 508 027 B1 (Kim Paul Y) déposé le 21 janvier 2003, US 2005/268513 A1 (Battaglia Vincent P) déposé le 08 décembre 2005 et GB 2 168 795 A déposé le 25 juin 1986 ;
Que, selon sa partie descriptive, il apparaissait que sur de telles armes, le montage d'un accessoire oblige à fixer celui-ci directement sur l'arme, ce qui peut la détériorer tout en constituant un travail coûteux, minutieux et irréversible ;
Que le brevet litigieux vise à remédier à ces inconvénients puisque l'invention a pour but de réaliser un montage très rapide qui ne nécessite aucune modification de l'arme, ni aucun démontage et ne provoque aucune détérioration ;
Qu'il est précisé dans sa partie descriptive que pour monter le support sur une telle arme, il suffit de venir le glisser sur le fût en un seul mouvement par l'avant de celle-ci, en enfilant d'abord l'extrémité du support qui possède les deux réservations, venir en butée sur le rivet central, puis visser la vis pointeau pour verrouiller sur l'arme ;
Que ce brevet porte sur trois revendications que les appelants opposent aux intimées et qui se lisent comme suit :
revendication 1
Montage d'un support adaptable et modulable sur une arme automatique ou semi-automatique du type comprenant un fût, une réservation destinée à recevoir une vis pointeau, un rivet transversal destiné à recevoir les réservations dudit support, deux bords plats destinés à recevoir les coulisseaux,
ledit montage étant caractérisé en ce qu' il est constitué d'un support présentant, à une extrémité, deux réservations destinées à venir en butée sur le rivet transversal et comportant, d'une autre part, sur le dessus des parties latérales deux coulisseaux destinés à glisser sur le bord plat du fût et, d'une autre part, sur l'intrados une vis pointeau destinée à verrouiller le support sur le fût dans sa réservation.
revendication 2 Montage d'un support adaptable et modulable sur une arme automatique ou semi-automatique selon la revendication 1
caractérisé en ce que le support est réalisé à partir d'un bloc découpé et usiné en une seule pièce pour présenter, à l'intrados, une pente différente de l'extrados qui permet aux accessoires fixés sur le support de rester parallèles à l'axe du canon de l'arme, et d'autre part, des oblongs qui ajourent le support et qui permettent un allègement maximum dudit support.
* revendication 3 Montage d'un support adaptable et modulable sur une arme automatique ou semi-automatique selon l'une quelconque des revendications précédentes caractérisé en ce que le support comportant plusieurs taraudages permettant de fixer des rails crantés sur lesquels se montent les divers accessoires.
Sur l'exception au droit exclusif constituée par le droit de possession antérieure opposée par les Intimées
Considérant que, formant appel incident et se prévalant des dispositions de l'article L 613-7 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel :
" Toute personne qui, de bonne foi, à la date du dépôt ou de priorité d'un brevet, était, sur le territoire où le présent livre est applicable en possession de l'invention objet du brevet, a le droit, à titre personnel, d'exploiter l'invention malgré l'existence d'un brevet. Le droit reconnu par le présent article ne peut être transmis qu'avec le fonds de commerce, l'entreprise ou la partie de l'entreprise auquel il est attaché. ",
les sociétés intimées soutiennent que, dès 2007, la société RDS Industries avait mis au point un prototype reprenant intégralement les caractéristiques du brevet revendiqué, en en ajournant cependant la production en raison de ses doutes sur l'avenir commercial de ce produit ;
Que la société RDS Industries reproche au tribunal d'avoir jugé qu'elle ne pouvait se prévaloir de ce prototype sur lequel avait travaillé un ingénieur salarié de l'entreprise l'Armurier Breton et fait valoir qu'il s'agissait du nom commercial de Monsieur Kaigre exerçant en son nom personnel, que cette entreprise a été radiée le 10 septembre 2009 mais que lorsque Monsieur Kaigre, qui s'intéressait à la question depuis plusieurs années, a créé la société RDS Industries, il a repris ce prototype, si bien, conclut-elle, que le droit de possession antérieure est constitué ;
Considérant, ceci rappelé, qu'à la date du dépôt du brevet en cause, soit le 17 décembre 2008, la société RDS Industries était, certes, immatriculée au registre du commerce depuis trois semaines ;
Que si, lors de la création de la société RDS Industries, Monsieur Kaigre a pu posséder un prototype comme l'ayant reçu de son inventeur, salarié entre 2007 et 2009 de l'entreprise exploitée en nom personnel l'Armurier Breton, rien ne permet d'affirmer qu'il s'agit du prototype dont il est fait état, l'ingénieur désigné comme étant à l'origine de sa conception restant imprécis sur l'individualisation du prototype en question ainsi que sur ses caractéristiques présentées par les intimées comme étant identiques à celle de l'invention objet du brevet et écrivant, notamment, dans son attestation : " nous avons réalisé, dès début 2008, plusieurs prototypes " (pièce 7 des intimées) ;
Qu'en outre, à admettre même que Monsieur Kaigre puisse se prévaloir de la possession du prototype invoqué (seulement décrit au moyen de l'illustration incluse dans ses écritures), la pleine liberté d'exploitation dont il bénéficie par application du premier alinéa de l'article L 613-7 précité lui est personnelle ; qu'elle ne saurait profiter à la personne morale qu'il a créée, sauf à démontrer - ce dont la société RDS Industries s'abstient ' que cette personne physique lui a transmis ce droit d'usage selon les modalités précisées au second alinéa de ce texte ;
Que les intimées ne sont donc pas fondées en ce moyen si bien que le jugement qui en dispose ainsi doit être confirmé ;
Sur le moyen de nullité tiré de l'absence de nouveauté (revendication 1)
Considérant que, formant également appel incident sur ce point, les intimées, visant l'article L 611-11 du Code de la propriété intellectuelle, font valoir qu'outre le prototype déjà évoqué, un modèle " Isaa ", commercialisé depuis 2006 par une société tierce, la société OPS Solution, était compris dans l'état de la technique, qu'il présentait les mêmes caractéristiques que " le modèle breveté revendiqué par les demandeurs" et qu'il avait été adapté par l'armée française en faisant l'objet d'un référencement par l'Otan ;
Qu'à tort, à leur sens, le tribunal a jugé qu'il ne s'agissait pas d'une antériorité de toutes pièces du fait que ce produit ne comportait pas de réservations à l'avant destinées à venir en butée sur les rivets transversaux situés sur le fût du fusil dès lors que la fonctionnalité est identique, la présence de réservations (qui n'a aucune utilité en soi) étant indifférente dans la mesure où le support vient bien buter sur le rivet ;
Qu'elles estiment, enfin, que sont inopérants et étrangers à l'invention que protège le brevet les moyens qui leur sont opposés, tenant à une différence de structure, à la présence de griffes posant des problèmes de fonctionnement, à la mauvaise qualité de la visserie, à l'absence d'utilité des rails
Picatinny pour maintenir les composantes, au centrage d'une poignée comme accessoire, ajoutant que les développements consacrés aux avantages des réservations ne figurent pas dans le brevet ;
Considérant, ceci exposé, et s'agissant d'abord du prototype, que l'article L 611-11 sus-évoqué dispose : " L'état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen " ;
Qu'il y a lieu de relever que les intimées, qui ne justifient pas d'une telle divulgation, ne peuvent se prévaloir de l'existence d'un prototype qui ne satisfait pas à ces conditions ;
Que, s'agissant ensuite du produit dénommé " Isaa ", il est constant que pour être comprise dans l'état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention (et non le " modèle breveté ") doit s'y trouver toute entière dans une seule antériorité ; qu'en outre et comme le rappellent justement les appelants, l'antériorité ne peut être destructrice de nouveauté que si elle se caractérise par une stricte identité, c'est à dire avec les mêmes éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique ;
Que les intimées conviennent elles-mêmes que ce produit " Isaa " ne comporte pas les réservations en forme de " C " inversé destinées à venir en butée sur le rivet central qui ressortent de la partie caractérisante de la revendication 1 du brevet [illustrées par sa figure 4 (n° 13)] ; que le raisonnement par équivalence auquel se livrent les sociétés intimées doit être considéré comme inopérant dans le cadre de l'appréciation de la nouveauté, la protection conférée par le brevet à cette invention de produit couvrant sa structure dans tous ses éléments ;
Que les appelants identifient au surplus d'autres éléments de forme, telles la forme des parties latérales et celle de coulisseaux, qui, a fortiori, ne permettent pas de retenir la quintuple identité requise pour constituer une antériorité destructrice de nouveauté ;
Que le jugement ne saurait, par conséquent, être infirmé en sa disposition à ce titre ;
Sur le moyen de nullité tiré de l'absence d'activité inventive (revendication 1)
Considérant que pour voir infirmer le jugement qui a retenu l'absence d'activité inventive, les appelants soulignent d'abord que l'invention est le fruit d'un travail de recherche de vingt mois ayant nécessité l'élaboration de divers prototypes et l'intervention d'un tourneur pour parvenir à un support véritablement fiable et solide, alors que depuis vingt ans les militaires et armuriers recherchaient des solutions techniques sans parvenir au même résultat et que le succès commercial immédiat du support réalisé à partir de l'invention participe à la démonstration de son caractère inventif ;
Qu'ils reprochent au tribunal d'avoir retenu l'absence d'activité inventive à partir du " système Isaa " qu'opposaient les défenderesses à l'action en énonçant, selon un raisonnement a posteriori et sans aucun document de l'état de la technique venant le soutenir, que la seule différence tenait aux réservations sus-évoquées et que celles-ci ne présentaient aucune activité inventive alors qu'elles répondent à d'autres problèmes techniques que celui de la simple mise en butée, à savoir renforcer le maintien du support en évitant les vibrations lors du tir, conforter la zone fragile du fût en évitant la possibilité de casse notamment lors d'une utilisation en lance-grenades ;
Qu'ils lui font aussi grief d'avoir négligé d'autres différences, comme les deux parties latérales du support et l'absence de coulisseaux permettant une répartition optimale des supports et évitant les vibrations ou un arrachement de ce support ;
Qu'ils estiment que les documents opposés par les intimées - en particulier des photographies de piètre qualité ou des attestations non corroborées par d'autres éléments ou bien un prétendu prototype RDS Industries dont la réalité est plus que douteuse ou encore les figures de brevets étrangers - ne permettent pas de rapporter la preuve de l'état de la technique qu'elles invoquent dans sa réalité ou son contenu ou encore de sa date et ne rendent pas compte de la revendication 1 dans toutes ses caractéristiques structurelles et fonctionnelles ; qu'ils ajoutent que le recours à plus d'une divulgation de l'état de la technique pour étayer leur démonstration démontre bien qu'il y a activité inventive et enfin qu'est inopérant l'argument complémentaire invoqué par leurs adversaires selon lequel le Ministère de la défense n'a pas exercé son droit de préemption sur l'invention ;
Considérant, ceci rappelé, qu'il convient préalablement de définir l'homme du métier puisqu'il constitue la référence permettant d'apprécier l'activité inventive ; qu'à l'instar du tribunal, les appelants s'en abstiennent tandis que les intimées le font incidemment (page 20/32 de leurs dernières conclusions) en indiquant qu'il s'agit de l'armurier d'un régiment ou (en page 23/32) d'un soldat ;
Que, s'agissant d'un technicien exerçant dans le domaine technique dont relève l'invention, doté de connaissances et de compétences moyennes tant de manière générales que dans son domaine d'activité et non point de qualités caractérisant une personne inventive, il sera défini, au cas particulier, comme un ingénieur spécialisé dans la conception de matériel d'armement ;
Qu'à s'en tenir à " l'objet de la protection demandée " au sens de l'article L 612-6 du Code de la propriété intellectuelle, les intimées font état d'une combinaison d'antériorités relevant du domaine technique considéré, à la portée de l'homme du métier et qui lui aurait permis de parvenir de manière évidente à l'invention revendiquée, mais se prévalent d'abord de l'interface dénommée " Isaa " sus-évoquée, divulguée en 2006 et qui constitue la pièce la plus pertinente de l'état de la technique la plus proche ;
Qu'en outre, le problème objectif qui se posait dans l'art antérieur et que l'invention divulguée par le brevet en cause a entendu résoudre selon le moyen constituant la partie caractérisante de la revendication 1, consiste, selon sa partie descriptive (page 1, lignes 10 à 12 du fascicule), à " réaliser un montage très rapide qui ne nécessite aucune modification de l'arme, ni aucun démontage et ne provoque aucune détérioration ", ceci afin qu'il soit modulable, comme il été dit, étant précisé que la détérioration évoquée est entendue comme résultant d'une fixation directe d'un accessoire sur l'arme (page 1, lignes 7 à 9) ;
Qu'à juste titre, par conséquent, les intimées objectent que les appelants revendiquent, dans leur démonstration destinée à établir que leur invention n'était pas comprise dans l'art antérieur, des caractéristiques techniques inventives ne figurant pas dans le support de la revendication que constitue la description, laquelle, selon l'article R 612-12 (§ 3°) du Code de la propriété intellectuelle, doit comporter " un exposé de l'invention, telle que caractérisée dans les revendications, permettant la compréhension du problème technique ainsi que la solution qui lui est apportée " ; qu'elles citent, à cet égard et de manière inopérante, l'existence d'une zone de fragilité et de casse au dessus du rivet lors de l'utilisation de l'arme en lance-grenades ou bien de vibrations lors de tirs à cadence élevée invoquées ;
Que le préambule de la revendication mentionne la désignation de l'objet de l'invention à savoir : un support adaptable et modulable sur une arme automatique ou semi-automatique comprenant un fût plat avec un rivet central et une réservation qui peut recevoir une vis pointeau, un rivet transversal destiné à recevoir les réservations dudit support, deux bords plats destinés à recevoir les coulisseaux;
que ces éléments cités dans le préambule font partie de l'état de la technique ;
Que les caractéristiques techniques du produit " Isaa " en regard de la partie caractérisante de la revendication prise en combinaison avec les éléments du préambule, seule protégée, n'en diffèrent qu'en raison de l'absence des deux réservations comprises dans la partie caractérisante de la revendication (n°13 sur les figures) destinées à venir en butée sur le rivet central (n°4 ) ;
Qu'en effet, la présence " sur l'intrados, (d')une vis pointeau (7) destinée à verrouiller le support (5) sur le fût (3) dans sa réservation (1) " est déjà comprise dans le préambule visant un montage d'un support adaptable et modulable sur une arme semi-automatique " comprenant un fût (3), une réservation (1) destinée à recevoir une vis pointeau (7) " ; qu'il en va de même de la présence " sur le dessus des parties latérales (10) (de) deux coulisseaux (2) destinées à glisser sur le bord plat du filet (14) " de la partie caractérisante qui se trouve comprise dans le préambule visant " deux bords plats (14) destinés à recevoir les coulisseaux (2) ;
Que, sur ces dernières caractéristiques, l'homme du métier sus-défini, doté de connaissances moyennes et censé ne pas ignorer l'état de la technique dans son champ de compétence, cherchant à résoudre le problème objectif précisé ci-avant, y aurait donc trouvé sans difficulté l'information pertinente ;
Que, s'agissant de la présence de deux réservations à l'avant destinées à venir en butée sur les rivets transversaux situés sur le fût du fusil, se présentant comme des échancrures en forme de " C " selon les figures 1 et 4 du fascicule, et qui n'existent pas dans le produit dénommé " Isaa ", c'est en vain que les appelants précisent que ces réservations permettent de sécuriser la zone de fragilité du fût se situant entre le rivet transversal du fût et le bord plat du fût dès lors que cet avantage est étranger au problème objectif à résoudre sus-évoqué ; qu'il est simplement dit dans la partie descriptive du brevet que " (ces) deux réservations (sont) destinées à venir en butée sur le rivet transversal du fût de l'arme " ;
Qu'à juste titre, les intimées font valoir que cette absence dans le modèle " Isaa " est sans incidence puisque, dans celui-ci, le support vient en butée sur le rivet et se trouve parfaitement fixé par le serrage de la vis pointeau, le tribunal énonçant, quant à lui, pertinemment que ces réservations constituent un agencement mécanique connu pour opérer une butée et que leur existence est suggérée par la présence des rivets transversaux figurant sur le fût de l'arme ;
Qu'il suit que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré nulle cette revendication 1 pour défaut d'activité inventive ;
Sur le moyen de nullité tiré de l'absence d'activité inventive (revendications 2 et 3)
Considérant que contrairement à ce que prétendent en premier lieu les sociétés intimées, lorsque la revendication principale est annulée, il est nécessaire d'examiner la brevetabilité des revendications dépendantes ;
Que, nonobstant cette affirmation et pour voir infirmer le jugement qui n'a pas prononcé l'annulation de la revendication 2, faute de pièces versées aux débats permettant de retenir qu'étaient déjà connus les éléments de cette revendication caractérisée en ce que le support est réalisé à partir d'un bloc découpé et usiné en une seule pièce pour présenter, à l'intrados, une pente différente de l'extrados qui permet aux accessoires fixés sur le support de rester parallèles à l'axe du canon de l'arme, et d'autre part, des oblongs qui ajourent le support et qui permettent un allègement maximum dudit support, les sociétés OPS Industries et EPS Equipement intimées produisent différents brevets au soutien de leur appel incident (pièces 37 à 41 et 44) ;
Qu'alors que les appelants font valoir que ni le texte des brevets étrangers produits ni leurs dessins ne permettent d'apprécier suffisamment les éléments de la technique invoqués et qu'ils leur paraissent être des divulgations non pertinentes pour conclure à l'absence d'activité inventive aussi bien de cette revendication 2 que de la revendication 3, sous la dépendance des revendications précédentes et caractérisée en ce que le support comportant plusieurs taraudages permettant de fixer des rails crantés sur lesquels se montent les divers accessoires, les intimés poursuivent, en revanche, la confirmation du jugement qui a considéré que cette revendication 3 était dépourvue d'activité inventive en regard des attestations produites et versent en cause d'appel trois brevets destinés à étayer leur moyen (pièces 32, 35, 38) ;
Considérant, ceci rappelé, et s'agissant de la revendication 2, qu'il est constant que le modèle " Isaa " ne divulgue pas un support monobloc présentant une pente différente de l'extrados et des oblongs (compris comme des évidements) ajourant le support ;
Que, toutefois, cherchant à résoudre les problèmes objectifs explicités dans la partie descriptive du brevet, à savoir la réalisation d'un support monobloc (présenté comme une " caractéristique constructive " dans la description), l'allègement maximum de la pièce sans en modifier la rigidité (grâce aux ajours) et le parallélisme entre les accessoires fixés et le canon de l'arme (grâce à l'inclinaison différente de l'extrados), l'homme du métier trouvera dans les connaissances générales qu'il possède dans son domaine d'activité les solutions propres à permettre d'obtenir ces divers avantages ; qu'il y parviendra, au surplus, en partant des divers brevets cités par les intimés dont il sera incité à rechercher les enseignements du fait qu'ils concernent des pièces ajoutées à des armes à feu (en particulier le garde-main divulgué par le brevet EP 1 471 325 A1 déposé sous priorité d'un brevet DE 10318828 déposé le 25 avril 2003) ;
Que, s'agissant de la revendication 3, les intimés s'approprient à juste titre la motivation des premiers juges selon laquelle le fait de prévoir des trous filtés (ou " taraudages ") pour permettre la fixation de rails ne peut être tenu pour nouveau ou inventif ;
Qu'il convient d'ajouter que les appelants ne mettent pas la cour en mesure de les suivre dans l'appréciation qu'ils portent sur les moyens et pièces de leurs adversaires (page 27/42 de leurs conclusions) tant celle-ci se présente de manière imprécise et selon des formulations hypothétiques ;
Que le jugement sera, par conséquent, infirmé en ce qu'il n'a pas retenu, par motifs propres, que la revendication 2 du brevet en cause était dénuée d'activité inventive mais confirmé en ses dispositions relatives à sa revendication 3 ;
Sur la contrefaçon
Considérant qu'il s'induit de tout ce qui précède que Messieurs Rogeon et Cambres qui fondent leur action en contrefaçon sur les dispositions combinées des articles L 611-1, L 613-3 et L 615-1 du Code de la propriété intellectuelle et incriminent la fabrication des supports PMF par la société RDS Industries et sa commercialisation par la société OPS Equipement du fait qu'ils reprennent en tous points l'ensemble des revendications de ce brevet, peu important des différences secondaires - " qui n'ont pas d'autre but que de masquer la contrefaçon ", selon eux - en seront déboutés, ainsi qu'en leurs demandes subséquentes, comme en a jugé le tribunal ;
Sur l'action en concurrence déloyale et parasitaire
Considérant que la société STRC, recevable à agir à ce titre, comme jugé ci-avant, reproche au tribunal d'avoir rejeté son action en considérant que la reproduction des caractéristiques du support, non contrefaisante, ne pouvait être fautive alors, soutient-elle, que ces deux actions sont différentes par leurs nature et régime ;
Qu'elle estime, en outre, que, rejetant son action, le tribunal s'est contredit en qu'il n'en avait pas moins reconnu la présence de caractéristiques techniques identiques entre les deux produits ; que, sur leurs formes, le fait que le support adverse soit constitué, à l'instar de celui qu'elle commercialise, d'un bloc unique, avec des réservations à l'extrémité, coulissant sous le fût de l'arme, pouvant accueillir des rails crantés sur lesquels peuvent être montés des accessoires (poignée, lampe, visée laser) parallèlement à l'axe du canon, suffit, affirme-t-elle, à caractériser un risque de confusion et, partant, à démontrer une concurrence déloyale, ajoutant que l'absence d'oblongs sur les parties latérales ne saurait dissiper ce risque ;
Qu 'elle reproche, par ailleurs, au tribunal de n'avoir pas tenu compte des économies injustifiées réalisées à la faveur d'agissements parasitaires [attestés par l'argumentation commerciale de la société OPS Equipement indiquant : " cette interface Picatinny pour Famas est le plus robuste du marché. La jonction fût/PMF se fait sur toute la longueur et n'endommage pas l'arme " (pièce 6)], ceci dans le contexte d'une longue période marquée par l'apparition de " bricolages " de militaires et d'un marché en attente d'un support présentant les éléments caractérisant celui qu'elle exploite et qui a d'ailleurs connu un succès commercial immédiat ;
Qu'elle fait enfin état de la perte de marchés, de l' " écroulement " de ses propre ventes depuis l'apparition de l'interface adverse et du trouble commercial causé, invoquant les modes de vente tant en magasin que sur internet et la pratique de prix nettement inférieurs de ses adversaires, et sollicitant avant dire droit sur l'évaluation de son préjudice la désignation d'un expert ou, subsidiairement, l'allocation d'une somme indemnitaire de 50.000 euros ;
Considérant, ceci rappelé, qu'il appartient à celui qui impute à faute à un concurrent des actes contraires à la probité professionnelle de démontrer l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle pertinente, constituée en l'espèce d'utilisateurs d'armes à feu, et qu'à juste titre, les intimées soutiennent que le fait de reproduire un produit qui n'est pas protégé par un droit privatif n'est pas constitutif, en soi, d'un acte de concurrence déloyale ;
Qu'au cas particulier, le risque de confusion résultant d'une reproduction servile du produit commercialisé par la société STRC peut d'autant moins être invoqué que les accessoires PMF fabriqués et commercialisés par les intimées depuis 2009 diffèrent, par leur forme, du support exploité par la société STRC et que le risque de confusion tenant à l'origine de ce produit concurrent par le public pertinent n'est que prétendu ;
Que si la société STRC tire argument d'une pratique de prix inférieurs, elle ne soutient pas qu'il s'agit de ventes à prix abusivement bas en regard des coûts de production et de commercialisation et qu'à cet égard, le principe en la matière est celui de la liberté des prix ;
Qu'en outre, la création d'un risque de confusion tout comme la captation parasitaire dont fait état la société STRC pour caractériser le comportement fautif des sociétés intimées ne sauraient être retenues qu'autant que le produit qu'elle commercialise se distingue nettement de l'ensemble des produits aux fonctionnalités semblables présents sur le marché concerné et qu'à cet égard, les sociétés intimées établissent l'existence de systèmes similaires commercialisés dès avant le mois de décembre 2008 (pièces 2 à 6, 10 à 14) ;
Qu'enfin, la société STRC ne peut valablement reprocher aux intimées, comme elle le fait, d'être à l'origine de la perte de marchés et de la réduction de la masse de ses ventes depuis 2010 sans tenir compte du contexte économique particulier dans lequel s'inscrit ce litige et que précisent les intimées ;
Que ces dernières exposent, en effet, que les ventes de ce type de support se trouvent affectées par l'adoption officielle du support concurrent " Isaa ", distribué aux corps de troupe, ainsi que par l'achat, par l'armée de terre, d'un autre type de fusil (le HK 416) et qu'en outre, le Famas est donné en fin de vie au sein de l'armée (ce que concèdent les appelants en affirmant qu'il est obsolète tout en estimant qu'il a cependant " quelques belles années devant lui " mais sans évoquer l'achat éventuel d'accessoires par l'armée française), tous éléments expliquant qu'elles n'ont produit que 202 pièces permettant de positionner une seconde poignée, ainsi que certifié par leurs experts comptables (pièces 16 et 24) ;
Qu'il s'en déduit que la société appelante échoue en sa démonstration d'une faute dans l'exercice, par ses adversaires, de la concurrence ou d'une appropriation injustifiée d'une valeur économique à son détriment ;
Que, par voie de conséquence, le jugement sera confirmé en ses dispositions la déboutant de ses réclamations de ce chef ;
Sur les autres demandes
Considérant que, pas plus qu'en première instance, la demande de publication de la présente décision, formée par les sociétés intimées, n'est motivée si bien que le jugement doit être confirmé en ce qu'il énonce qu'il n'y a pas lieu d'y faire droit ;
Considérant que l'équité conduit à allouer aux sociétés RDS Industries et OPS Equipement une somme complémentaire de 15.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que déboutés de leur demande à ce dernier titre, les appelants supporteront les dépens d'appel ;
Par ces motifs, La COUR : Confirme le jugement hormis en ses dispositions relatives à la revendication 2 du brevet FR 0807085 et, statuant à nouveau et y ajoutant ; Déclare nulle pour défaut d'activité inventive la revendication 2 du brevet FR 08 07085 dont sont titulaires Messieurs Sébastien Rogeon et Thierry Cambres ; Condamne Monsieur Sébastien Rogeon, Monsieur Thierry Cambres et la Société Technique de Rééquipement de Combat SARL, tenus in solidum, à verser aux sociétés OPS Equipement SARL et RDS Industries SARL une somme complémentaire de 15.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens d'appel avec faculté de recouvrement conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.