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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 25 mai 2016, n° 14-05597

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Luje (SARL)

Défendeur :

Brasseries Kronenbourg (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panetta

Conseillers :

Mmes Dorsch, Alzéari

Avocats :

Mes Wetzel, Crovisier

TGI Strasbourg, du 29 sept. 2014

29 septembre 2014

FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Par contrat de brasserie du 10 juin 2008, la SARL unipersonnelle Luje exploitant un débit de boissons à Nantes sous l'enseigne "Le ferry" s'est obligée à s'approvisionner exclusivement, en bière en fût commercialisée par les Brasseries Kronenbourg pendant une durée de quatre années à compter du 1er avril 2008 jusqu'au 31 mars 2012, pour une quantité totale de 200 hl, et ce par l'intermédiaire du grossiste distributeur Elidis boissons services à Carquefou, devenu la SAS Atlantique boissons Nantes elidis.

En contrepartie, la SAS Brasseries Kronenbourg a payé à la SARL Luje une somme de 11 208,91 euro pour financer des travaux d'agencements de la façade, 6 027,84 euro pour financer l'acquisition de deux stores extérieurs, outre 2 222,16 euro à titre de prestation financière, de sorte qu'elle a versé une somme totale de 19 458,91 euro.

Par ailleurs, les Brasseries Kronenbourg ont mis à disposition de la SARL défenderesse, à titre de prêt à usage, une installation de tirage pression d'une valeur de 1 873,67 euro, et une enseigne extérieure d'une valeur de 387,44 euro.

La SARL Luje a cessé de s'approvisionner exclusivement auprès de la SAS Atlantique boissons Nantes depuis le 10 juin 2011, et n'a acquis que 40 hl de bière en fûts pour l'année 2011.

Malgré deux mises en demeure des 18 octobre et 8 novembre 2011, ainsi qu'une mise en demeure par avocat en date du 18 janvier 2012, la SARL Luje n'a pas repris l'approvisionnement.

En conséquence, les Brasseries Kronenbourg ont assigné la défenderesse afin d'obtenir le prononcé de la résiliation du contrat de brasseries aux torts exclusifs de la SARL Luje et la condamnation de celle-ci à rembourser l'avantage financier consenti, ainsi qu'à restituer le matériel mis à disposition et enfin obtenir condamnation de celle-ci à lui payer les dommages et intérêts prévus par l'article 11.

La défenderesse s'est opposée à la demande, sollicitant reconventionnellement la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la SAS Brasseries Kronenbourg.

Par jugement du 29 septembre 2014, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a :

- Débouté la SARL Luje de tous les chefs de sa demande reconventionnelle ;

- Dit que la demande de résiliation du contrat aux torts exclusifs de la SARL Luje était bien fondée ;

- Constaté qu'elle est devenue sans objet au cours de la présente procédure ;

- Condamné la SARL Luje à payer à la SAS Brasseries Kronenbourg la somme de 19.458,91 euro avec intérêts au taux légal à compter du 9 février 2012 ;

- Condamné la SARL Luje à restituer, à ses frais, à la SAS Brasseries Kronenbourg le matériel de tirage pression et l'enseigne extérieure à l'expiration d'un délai de 30 jours courant à compter de la signification du jugement ;

- Condamné la SARL Luje à payer à la SAS Brasseries Kronenbourg 9 367,25 euro à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement ;

- Condamné la SARL Luje à payer la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamné la SARL Luje aux entiers dépens de l'instance ;

- Dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ;

- Débouté la SAS Brasseries Kronenbourg de ses plus amples prétentions.

Par déclaration faite au greffe le 17 novembre 2014, la SARL Luje a interjeté appel de cette décision.

Vu les dernières conclusions de l'appelante en date du 17 février 2015 par lesquelles elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau de :

- Constater la résiliation du contrat de bière du 10 juin 2008 et dire et juger que cette résiliation est intervenue aux torts et griefs de la SAS Brasseries Kronenbourg.

- Dire que les investissements dits financiers prévus à l'article B du contrat resteront acquis à la SARL Luje à titre de dommages et intérêts.

Subsidiairement et pour le cas où la Cour estimerait que la demande initiale de résiliation du contrat par la SAS Brasseries Kronenbourg était fondée,

- Rejeter la demande de remboursement de l'avantage financier en valeur consentie pour les investissements effectués à hauteur de 11 208,91 euro et 6 027,84 euro, s'agissant d'agencement et stores nécessairement amortis et ayant une valeur comptable nulle.

- Décerner acte à la SARL Luje de son accord pour que la SAS Brasseries Kronenbourg reprenne le matériel objet d'un prêt à usage, soit un tirage pression et une enseigne extérieure.

- Réduire dans de notables proportions les dommages et intérêts contractuels sollicités par la SAS Brasseries Kronenbourg pour les causes sus énoncées.

- Débouter la SAS Brasseries Kronenbourg de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner la SAS Brasseries Kronenbourg à lui payer la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la SAS Brasseries Kronenbourg en tous les dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés par Maître Joseph Wetzel conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions de l'intimée en date du 2 avril 2015 par lesquelles la SAS Brasseries Kronenbourg sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ces dispositions, et réclame l'allocation d'une somme de 3 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 29 mai 2015,

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la résiliation du contrat de bière :

Attendu que l'appelante conteste la décision entreprise qui n'a pas fait droit à sa demande de résiliation du contrat aux torts exclusifs de la SAS Brasseries Kronenbourg alors que l'abus de droits, est selon elle caractérisé au regard de la fixation du prix, de l'exclusivité, et du défaut d'information et d'animation ;

Qu'à l'inverse l'intimée conclut que c'est à juste titre que le tribunal a prononcé la résiliation du contrat aux torts de la SARL Luje qui n'a pas respecté son obligation d'approvisionnement ;

Sur la fixation du prix :

Attendu que la SARL Luje affirme que le premier juge a dénaturé les dispositions de l'article 6 du contrat et que la fixation unilatérale du prix, et l'absence de communication des tarifs constituent bien un abus de droit, confirmé par le fait que l'absence de détermination du prix nécessite une expertise pour le connaître et le fixer ;

Attendu que le contrat de brasserie en cause prévoit dans son article 6 " Tarifs " que le débitant de boissons, en l'espèce la SARL Luje " reconnaît avoir pris connaissance et accepté expressément les prix des bières de la brasserie pratiqués actuellement par le distributeur " ;

Qu'il en outre précisé qu'en cas de contestation du prix des produits, les parties conviennent de se remettre à l'avis d'un expert, qui sera désigné par le Président de la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg à la requête de la partie la plus diligente ;

Attendu que la SARL Luje est une société commerciale et donc un professionnel ;

Qu'elle a en cette qualité signé avec la brasserie le contrat en cause en manifestant ainsi son consentement, et en reconnaissant expressément, conformément à l'article 6 du contrat, avoir pris connaissance et accepté les prix ;

Qu'il ne suffit pas de prétendre plusieurs années plus tard que les tarifs ne lui ont pas été communiqués pour caractériser l'abus de droit, et ce d'autant moins qu'elle ne justifie pas de la moindre réclamation à cet égard durant l'exécution du contrat ;

Qu'enfin il est relevé qu'elle disposait contractuellement, tout comme la brasserie, de la possibilité d'obtenir la nomination d'un expert en cas de contestation du prix des produits, mais qu'elle n'a jamais usé de cette faculté ; faculté qui ne peut en aucun cas participer d'un abus de droit ;

Que c'est par conséquent à juste titre que le premier juge a rejeté la demande reconventionnelle de résiliation fondée sur ce moyen ;

Sur l'exclusivité :

Attendu que la SARL Luge invoque les dispositions du règlement européen 2790/1999 du 22 décembre 1999 qui limitent l'exclusivité des achats globaux à 80 % de ceux-ci, et soutient que le tribunal a fait une mauvaise interprétation du contrat puisque l'interdiction de faire toute publicité pour une autre marque de bière, ne lui permet pas de commercialiser d'autres bières en bouteilles, des sirops, ou autres boissons délivrées par un concurrent ce qui constitue un abus de droit ;

Attendu que c'est à juste titre que la SAS Brasseries Kronenbourg rappelle que le règlement visé par l'appelante a été abrogé et remplacé par le règlement d'exception 330/2010 qui rappelle lui aussi que les contrats d'achat exclusifs doivent être limités à 80 % ;

Attendu qu'en l'espèce l'obligation d'approvisionnement exclusif ne porte que sur les seules bières en fut et qu'en revanche, et ceci n'est pas contesté, les ventes de bière en bouteilles, ou en boites, relèvent du libre approvisionnement ;

Que la SARL Luje ne démontre nullement que la SAS Brasseries Kronenbourg lui imposait un approvisionnement exclusif de plus de 80 % et ne conteste pas que la vente en fût représente environ les 2/3 des ventes de bières ;

Attendu enfin qu'elle invoque une interdiction de toute publicité, alors que l'article 5.6 du contrat interdit " la présence de toute publicité à d'autres marques relatives à des bière de même type que celles du présent accord" et que l'accord ne porte que sur les seules bières en fûts ;

Attendu que l'abus de droit n'est pas d'avantage caractérisé sur ce fondement ;

Sur les obligations d'information et d'animation :

Attendu que la SARL Luje estime que le contrat doit être résilié aux torts de la SAS Brasseries Kronenbourg eu égard aux manquements de cette dernière :

- qui a cessé de l'approvisionner dans certaines marques de bières entraînant une baisse de son chiffre d'affaire,

- qui ne lui a pas délivré d'informations,

- qui n'a pas respecté les dispositions de l'article 5.7 prévoyant des animations du point de vente ;

Attendu que l'article 5.5 du contrat de brasserie prévoit expressément que la gamme de bières proposées par les Brasseries Kronenbourg est susceptible d'évolution ou de changements, afin de répondre aux attentes du marché, des consommateurs, et que toute modification de cette gamme ne saurait constituer une cause de résiliation partielle ou totale du contrat de brasserie ;

Qu'il n'est à cet égard pas contesté que les bières en bouteilles de marque Forster's et Brugs n'ont plus été fournies, que cependant d'une part il s'agissait de bières préconisées, et d'autre part et surtout la SARL Luje n'a jamais émis la moindre contestation à cet égard ;

Que compte tenu de ce qui précède, il ne peut être utilement reproché à la société Brasseries Kronenbourg de ne pas avoir maintenu ces marques dans la gamme de bières en bouteilles fournies par le distributeur ;

Attendu que l'article 3 alinéa 3 du contrat de brasserie dispose qu'un point annuel pourra être réalisé entre le débitant de boissons la brasserie pour valider la bonne adéquation entre les volumes réalisés à date et les engagements ;

Que c'est par des motifs pertinents que le tribunal a jugé qu'il s'agit d'une simple faculté laissée à l'appréciation de chacune des parties, et ne constituant nullement une obligation de mise en garde ou d'information pesant sur la seule brasserie, qui ne saurait être tenue d'une manière générale et absolue d'une telle obligation à l'égard du débitant de boissons qui est une société commerciale, et qui ne saurait ignorer au vu des factures d'approvisionnement payées et de sa comptabilité, quels sont les volumes annuels d'approvisionnement en bière en fûts réalisés ;

Qu'en effet il apparaît que la SARL Luje qui n'a jamais provoqué une telle réunion est mal venue à en faire le reproche à son cocontractant ;

Attendu qu'en application de l'article 5.7 du contrat, la SARL Luje affirme que le brasseur ou son distributeur se devaient plusieurs fois dans l'année d'organiser diverses manifestations promotionnelles (bière de mars, bière de Noël etc) afin de maintenir et développer le fonds de commerce ;

Que l'article 5.7 "animation du point de vente" du contrat de brasseries dispose que "le débitant de boissons s'engage à utiliser les moyens mis à disposition par la brasserie pour l'animation exclusive de la gamme mentionnée à l'article 5. Il proposera en permanence les autres consommateurs variés et attractifs de type 30 cl et 40 cl ou tout autre moyen".

Que cet article n'impose nullement à la brasserie ou au distributeur une obligation telle qu'invoquée par l'appelante, dont l'exécution n'a au demeurant jamais été réclamée par la SARL Luje durant les relations contractuelles ;

Que l'article 5.7 impose au contraire au débitant d'utiliser les moyens mis à sa disposition par la brasserie pour effectuer des informations relatives aux bières commercialisées par la brasserie, et lui impose par ailleurs d'effectuer de manière permanente des promotions sur les ventes de bière en fûts dans de grands verres de 30 cl ou 40 cl ;

Que ce moyen d'appel ne peut d'avantage prospérer ;

Sur la résiliation du contrat aux torts de la SARL Luje :

Attendu que la SARL Luje a cessé de respecter son obligation d'approvisionnement exclusif et constant en bière en fûts à compter du 10 juin 2011, et ce malgré plusieurs mises en demeure ce qu'elle ne conteste pas ;

Que ce faisant, elle n'a pas respecté sa principale obligation contractuelle, de sorte que la SAS Brasseries Kronenbourg, (dont il a été démontré qu'elle n'a pas failli à ses obligations propres) est bien fondée à solliciter la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la SARL Luje ;

Qu'il est relevé que SAS Brasseries Kronenbourg avait introduit son action le 9 février 2012, soit avant l'arrivée à terme du contrat de bière le 31 mars 2012 ;

Sur les conséquences financières :

Sur la restitution des avantages :

Attendu que c'est à juste titre, en conséquence de la résiliation aux torts de la SARL LUGE, que le tribunal a, en application de l'article 11 du contrat, condamné celle-ci à restituer à la brasserie les avantages mentionnés soit :

- d'une part la somme de 19 458,91 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en date du 9 février 2012, montant total perçu par la SARL Luje au titre de la prestation financière ;

- d'autre part à restituer à ses frais le matériel de tirage pression et l'enseigne extérieure ;

Que les considérations fiscales et comptables développées par l'appelante ne sont pas de nature à l'exonérer de son obligation de restitution suite à la résiliation pour faute du contrat ;

Sur la clause pénale de 20 % :

Attendu qu'en application de l'article 11 du contrat, le débitant de boisson défaillant est tenu de payer à la brasserie des dommages et intérêts correspondant à 20 % du prix des quantités de bières manquantes valorisées sur base de la dernière facturation ;

Que l'obligation contractuelle d'approvisionnement est de 200 hl, et qu'il n'est pas contesté que l'approvisionnement réalisé pour toute la durée du contrat est de 68 hl, de sorte que la quantité manquante est de 132 hl ;

Que dès lors compte tenu de la dernière facturation du hl à 354,82 euro, l'intimée est bien fondée à réclamer la somme de 9 367,25 euro représentant 20 % de la somme totale ;

Attendu que l'appelante ne démontre pas en quoi cette la clause pénale serait manifestement excessive alors qu'elle correspondant à l'évaluation du préjudice subi par la brasserie ;

Qu'en effet d'une part le volume d'approvisionnement convenu permet au brasseur de maîtriser sa production, et de calculer les avantages financiers consentis, outils dont il est privé du fait de la défaillance du débitant ;

Que par ailleurs le non-respect du volume d'approvisionnement fait subir à la brasserie un manque à gagner de plus de 46 000 euro ;

Qu'en outre ce type de clause est en effet usuel dans de nombreux contrats de brasserie ;

Que le jugement est par conséquent également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de réduction de la clause pénale ;

Sur le surplus :

Attendu que l'appelante qui succombe sur les mérites de son appel est condamnée aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel, et déboutée de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Qu'à l'inverse l'équité commande de faire application des dispositions de ce même article en condamnant la SARL Luje à verser une somme de 1 000 euro à la SAS Brasseries Kronenbourg ;

Par ces motifs, LA COUR, Rejette l'appel, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,Y ajoutant, Condamne la SARL Luje aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel, La condamne à verser à la SAS Brasseries Kronenbourg la somme de 1 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à appliquer les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la SARL Luje.