CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 24 mai 2016, n° 15-00371
BESANÇON
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Axa (Sté), Solvin France SAS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mazarin
Conseillers :
Mme Uguen Laithier, M. Marcel
Avocats :
Mes Aitali, Denys, Lelièvre, Egloff, Gabizon
Faits, moyens et prétentions des parties
La SA Solvin France, exploitant une unité de fabrication de pvc 840 sur le site de Solvay à Tavaux, utilise un système de filtrage composé notamment de paniers métalliques sur lesquels sont enfilés des manches filtrantes. Ces matériels en acier noir présentant des points de corrosion après plusieurs années d'usage, la SA Solvin France a commandé à la SAS M., son fournisseur historique de manches filtrantes, la fourniture de paniers en acier inoxydable et ces nouveaux matériels commandés et stockés par la SA Solvin France dès le 23 novembre 1995 ont finalement été installés sur le site de production par la SAS M. le 8 septembre 1998.
La chute d'un morceau de tige inox constituant les paniers le 30 mars 1999 a donné lieu à un dysfonctionnement de l'installation et l'immobilisation de la production, les tissus des manches nouvellement installées présentant des déchirures en raison des ruptures de tiges inox au niveau des soudures.
En l'absence de solution amiable, la SA Solvin France a sollicité et obtenu par ordonnance de référé du 6 octobre 2004 la désignation d'un expert, dont les travaux ont été étendus à la compagnie Axa, assureur de la SAS M., laquelle a appelé en garantie la société PM Filtres, représentante française de la société italienne Defim Spa, fabricante des paniers litigieux. L'expert a déposé son rapport le 28 juillet 2006.
Par acte du 8 mars 2012, la SA Solvin France a fait assigner la SAS M. et la société Axa Assurances devant le Tribunal de commerce de Lons-le-Saunier, lequel, retenant la qualification de contrat d'entreprise et l'existence d'un défaut de conformité, a par jugement du 19 décembre 2014 :
- déclaré la demande de la SA Solvin France recevable,
- condamné solidairement la SAS M. et la société Axa Assurances à payer à la SA Solvin France les sommes de 62 130,60 euro, outre intérêts à compter du 14 janvier 2004, au titre de l'indemnisation de la perte des produits défectueux livrés par la SAS M. et de 4 490,84 euro au titre du coût de la livraison et de l'installation des 850 paniers et manches défectueux,
- débouté la SAS M. du surplus de ses demandes,
- condamné la société Defim Spa à relever et garantir la société Axa Assurances des condamnations prononcées à l'encontre de la SAS M., qu'elle aura indemnisée,
- condamné la SAS M. et la société Axa Assurances à payer chacune à la SA Solvin France une indemnité de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, incluant ceux de la procédure de référé et le coût de l'expertise judiciaire.
Suivant déclaration enregistrée au greffe de la cour le 23 février 2015, la SAS M. a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance du 15 juin 2015, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement partiel de la Sas M. à l'égard de la société Defim Spa et de la société PM Filtres.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 14 octobre 2015, l'appelante demande à la cour de :
- à titre principal débouter la SA Solvin France de ses prétentions et la condamner à lui verser une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel, incluant ceux de la procédure de référé et le coût de l'expertise judiciaire, avec droit pour son conseil de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du même code,
à titre subsidiaire :
- limiter la condamnation principale prononcée à son encontre à la somme de 62 130,59 euro,
- condamner la société Axa Assurances à la relever indemne et la garantir de l'intégralité des condamnations en principal, frais et accessoires de toute nature prononcées à son encontre au profit de la SA Solvin France,
- condamner la société Axa Assurances à lui verser une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel, incluant ceux de la procédure de référé et le coût de l'expertise judiciaire, avec droit pour son conseil de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du même code.
Par dernières écritures déposées le 20 octobre 2015, la SA Solvin France conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de l'appelante et de la société Axa Assurances à lui verser chacune une indemnité de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles et à assumer les dépens, avec droit pour Maître Egloff de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du même code.
Par dernières écritures déposées le 15 septembre 2015, la société Axa Assurances demande à la cour de :
- à titre principal, constatant que les défauts affectant les paniers constituent des vices cachés et que la SA Solvin France n'a pas agi dans le strict délai de l'article 1648 du code civil, débouter celle-ci de ses entières demandes (sic),
- à titre subsidiaire, constatant que les indemnisations de préjudice réclamées ne sont pas contractuellement garanties par Axa Assurances, dire qu'elle n'a pas à garantir la SAS M.,
- très subsidiairement, constater qu'une franchise contractuelle de 3.049 euro serait applicable,
- en tout état de cause, condamner la SA Solvin France à lui verser une indemnité de 2 500 euro au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens
Pour l'exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance du 29 mars 2016.
Discussion
Sur la qualification juridique de la relation contractuelle :
Attendu que la SAS M. prétend que le contrat litigieux qui la lie à la SA Solvin France doit être qualifié de contrat de vente de fournitures, et non de contrat d'entreprise, pour en déduire que la SA Solvin France n'est plus recevable à agir faute d'avoir observé les prescriptions de délai de l'article 1648 du code civil ;
Attendu qu'il ressort des pièces contractuelles versées aux débats que la SA Solvin France, après appel d'offre, a passé plusieurs commandes à la SAS M. portant sur des paniers en acier inox ainsi désignés dans le devis du 17 octobre 1997 : "paniers en acier inox 304 L, 155X2235 mm, 12 fils verticaux 4 mm, anneaux tous les 250 mm, dessus avec collerette, fond retreint 150 mm, en une seule partie";
Qu'il résulte par ailleurs d'un rapport d'intervention du 16 septembre 1998 que la SAS M. a procédé à la mise en place des 850 paniers inox neufs ainsi qu'à des essais, précisant les difficultés rencontrées lors de la mise en place du nouveau dispositif et appelant l'attention de sa cliente sur la vigilance à apporter à chaque cellule ; qu'il n'est pas inutile à cet égard de relever qu'elle se définit elle-même comme étant spécialisée dans la fabrication et la mise en œuvre de procédés industriels de filtration et qu'elle a elle-même suggéré à la SA Solvin France le remplacement des paniers initiaux en acier par des paniers de structure inox ;
Que dans ces circonstances, la SA Solvin France est bien fondée à soutenir que cette convention doit s'analyser en un contrat d'entreprise dès lors qu'il est établi que la commande a porté, non pas sur des choses déterminées à l'avance, mais sur un travail et selon un processus spécifiques destinés à répondre à des besoins très particuliers du donneur d'ordre ;
Sur la prescription :
Attendu que, s'agissant d'un contrat d'entreprise, le moyen tiré de la prescription de l'action invoqué par l'appelante et son assureur sur le fondement de l'article 1648 du Code civil est inopérant ;
Que l'action en responsabilité contractuelle de droit commun engagée par la SA Solvin France à l'encontre de la SAS M. est soumise à un délai de prescription de dix ans, qui n'était pas expiré à la date de la délivrance de son assignation du 8 mars 2012, ce qui n'est plus contesté par l'appelante et la société Axa Assurances ;
Qu'il s'ensuit que l'action n'est pas prescrite et que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré la SA Solvin France recevable en ses demandes ;
* Sur la responsabilité contractuelle de la SAS M. :
Attendu que les paniers litigieux se présentent sous la forme de cylindres composés de neuf anneaux assurant le maintien de douze tiges verticales fixées en partie haute par une collerette, sur lesquels sont enfilés les manches filtrantes en toiles destinées à éviter la dispersion de particules dans l'environnement ;
Que les pièces versées aux débats et notamment les constatations de l'expert permettent de retenir qu'à la suite de la mise en place du nouveau dispositif panier inox/manches filtrantes le 8 septembre 1998 des dégâts sont apparus dès le 30 mars 1999 prenant la forme de rupture des soudures des armatures en inox (anneaux et fils) entraînant des déchirures des manches filtrantes ; que dans le souci de limiter les pertes d'exploitation la SA Solvin France a rapidement commandé auprès d'un autre fournisseur des paniers en acier revêtu époxy, qui ont donné entière satisfaction ;
Attendu que l'expert indique tout d'abord que la suggestion par la SAS M. d'un acier inoxydable peut se justifier techniquement même si ce type d'acier résiste mal à la corrosion par les chlorures potentiellement présents dans ce type de fabrication de pvc et que sa soudure est moins aisée que celle d'un acier moins allié ; qu'il relève en revanche que les paniers fournis et installés par la SAS M. ont rapidement révélé des ruptures liées à des défauts de soudure "s'apparentant parfois à du collage" selon les termes employés par l'homme de l'art, et que ces ruptures ont été aggravées par l'inobservation des cotes de fabrication transmises par la SA Solvin France à son cocontractant, dans la mesure où ce phénomène génère des contraintes sur les points soudés, notamment en partie basse des paniers ; qu'il note en effet que les paniers examinés ont révélés un diamètre de fond de 143 mm alors qu'il était spécifié un diamètre de 150 mm dans les commandes ; qu'il relève d'ailleurs que l'offre de la SAS M. postérieure à la survenance des incidents a modifié en ce sens le diamètre de fond des paniers ;
Attendu qu'il résulte des conclusions de l'expert que la SAS M. a fourni et installé un produit non conforme aux spécifications techniques exigées dans la commande, alors même qu'elle connaissait parfaitement le fonctionnement du dispositif de filtrage pour être le fournisseur historique des manches filtrantes de la SA Solvin France ; que sa responsabilité contractuelle est donc clairement engagée, dans la mesure où il n'est pas contesté que les dégâts ainsi observés ont généré un préjudice au détriment de la SA Solvin France, la SAS M. n'en sollicitant que la limitation de l'indemnisation à la somme de 62 130,59 euro ;
Attendu que la SA Solvin France conclut dans le dispositif de ses écritures à la confirmation du jugement déféré, qui lui a alloué la somme de 66 621,44 euro (62 130,60 euro + 4 490,84 euro) à titre de dommages-intérêts et renonce expressément dans le corps de celles-ci à solliciter l'indemnisation de son préjudice d'exploitation et de celui résultant des dommages aux écluses sous les filtres ;
Que si la SAS M. s'estime subsidiairement tenue à rembourser le préjudice de l'intimée à hauteur de la somme de 62 130,59 euro telle que retenue par l'expert judiciaire, correspondant à la perte des produits défectueux livrés par elle, elle s'oppose au surplus des prétentions de la SA Solvin France ; que sur ce point, elle fait observer que l'expert a précisé que le préjudice invoqué au titre des dommages matériels et perte de production à hauteur de 4 101,64 euro et 6 956,70 euro ne doit être pris en compte que sous réserve de justification ; que cependant, la somme de 4 490,84 euro réclamée par l'intimée correspond non pas aux dommages matériels visés par l'homme de l'art mais au coût de livraison et d'installation des 850 paniers et manches défectueux ; que pour autant ce poste de préjudice n'est justifié par aucun devis ou même facture et n'a pas été soumis à l'examen de l'expert judiciaire ;
Attendu dans ces conditions qu'il y a lieu d'écarter cette prétention ainsi que le demande à juste titre l'appelante ; que le jugement, qui a fait droit à cette demande, sera donc infirmé sur ce point ;
* Sur la garantie de la société Axa Assurances :
Attendu que la société Axa Assurance expose subsidiairement au fond, et pour la première fois à hauteur d'appel, que sa garantie ne couvre que la responsabilité civile professionnelle de son assurée, la SAS M., mais exclut la garantie des éventuelles malfaçons ou non-conformités dont son assuré serait responsable ;
Attendu que l'article 9-3 des conditions générales de la police souscrite par la SAS M. stipule en effet qu'est exclue la garantie des " dommages aux biens fournis par l'assuré ou ses sous-traitants tant avant qu'après leur livraison/réception " ; que l'article 9-4 exclut par ailleurs la garantie du " remboursement des prestations effectuées par l'assuré ou ses sous-traitants " ;
Attendu qu'à cet égard, la SAS M. ne peut sérieusement soutenir que ces clauses doivent être réputées non écrite comme abusives ; qu'en application des termes du contrat, acceptés par l'assurée, la société Axa Assurances n'est pas tenue à garantir la SAS M. des condamnations prononcées à son encontre à ce titre ; que le jugement entrepris qui a solidairement condamné la société Axa Assurances à indemniser la SA Solvin France de son préjudice, sera infirmé de ce chef ;
Sur les demandes accessoires :
Attendu que l'issue du litige à hauteur de Cour, qui voit succomber partiellement la SAS M. et la SA Solvin France en leurs prétentions, commande de rejeter leurs demandes d'indemnité respectives sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que par ailleurs, il apparaît équitable de laisser à la charge de la société Axa Assurance les frais irrépétibles qu'elle a exposés en appel, dans la mesure où elle s'est abstenue en première instance d'invoquer les clauses d'exonération de garantie qui prospèrent à hauteur de cour ;
Que la SAS M., qui succombe au principal sera condamnée aux dépens d'appel, en ce compris ceux de la société Axa Assurances ;
Que les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance seront infirmées en ce qu'elles ont été mises en partie à la charge de la société Axa Assurances ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré, Confirme le jugement rendu le 19 décembre 2014 par le tribunal de commerce de Lons-le-Saunier sauf en ce qu'il a alloué à la SA Solvin France la somme de 4 490,84 euro au titre du coût de livraison et d'installation des paniers défectueux et en ses dispositions concernant la société Axa Assurances. L'infirme de ces seuls chefs et statuant à nouveau, Déboute la SAS M. et la SA Solvin France de leurs demandes formées à l'encontre de la société Axa Assurances. Déboute la SA Solvin France de sa demande de dommages-intérêts au titre du coût de livraison et d'installation des paniers défectueux. Déboute les parties de leurs prétentions sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel. Condamne la SAS M. aux dépens de première instance et d'appel. Autorise Maître Egloff à recouvrer ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.