CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 juin 2016, n° 14-22106
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Henkel France (SAS)
Défendeur :
Gemey Maybelline Garnier (SNC) , L'Oréal (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
Mme Schaller, M. Loos
Avocats :
Mes Bodin Casalis, Fajgenbaum, Caron
Fait et procédures
La société Garnier, très présente dans le domaine spécifique de la coloration permanente pour les cheveux, a lancé en mars 2012 au sein de sa dernière gamme de produits de coloration, et sous la marque "Garnier'', un nouveau produit dénommé "Olia''. La société Gemey Maybelline Garnier, qui a racheté Garnier en 1965, élabore depuis plus de 50 ans des colorations à domicile.
La société L'Oréal est un groupe industriel français, créé en 1909, et spécialisé dans les cosmétiques et la beauté. C'est un des leaders mondiaux dans ce domaine, présent dans 130 pays sur les cinq continents. La société Gemey Maybelline Garnier est une filiale à 100% de L'Oréal.
Les sociétés L'Oréal et Gemey Maybelline Garnier (ci-après également dénommées ensemble les demanderesses) ont relevé que la société Henkel France (ci-après dénommée Henkel) qui commercialise depuis des années des produits capillaires sous la marque " Schwarzkopf " avec des gammes différentes, vendait depuis début 2014 une gamme de produits de coloration pour les cheveux dénommée "Nectra Color". Henkel France est, depuis 1967, la filiale française de la société de droit allemand Henkel AG& Co KGA, fondée en 1876 et leader mondial des produits de grande consommation vendus dans les enseignes de grande distribution, et notamment de produits capillaires commercialisés au sein de sa division " Beauty Care ''.
Henkel a racheté en 1995 la marque "Schwarzkopf'' active dans le domaine capillaire. Les demanderesses ont considéré que cette gamme "Nectra Color" s'immisçait sciemment dans le sillage du produit de coloration " Olia '' qui a fait l'objet d'une intense publicité commerciale depuis son lancement en mars 2012, et qu'en s'inspirant délibérément des éléments caractéristiques du produit "Olia'' Henkel tirait indûment profit du travail et du succès d'un concurrent sans bourse délier.
N'ayant pu parvenir à un accord amiable, elles ont sollicité réparation du préjudice qu'elles estimaient avoir subi du fait de ces agissements parasitaires dont elles demandaient en outre la cessation.
C'est dans ces conditions que la société Gemey Maybelline Garnier et la société L'Oréal ont fait assigner la société Henkel France aux fins de contester les agissements parasitaires de celle-ci et d'obtenir la cessation du produit "Nectra Color", ainsi que le paiement de réparations à ce titre.
Par jugement rendu le 13 octobre 2014, assortie de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris, a :
- Dit la société L'Oréal recevable en ses demandes ;
- Ordonné à la société Henkel France la cessation de toute publicité relative au produit dans le packaging litigieux dès la signification du présent jugement ainsi que de toute commercialisation du produit "Nectra Color" dans le packaging litigieux dans les quinze jours de la signification du présent jugement, sous astreinte de 5 000 par infraction constatée dans l'un ou l'autre cas ;
- Condamné la société Henkel France à verser à la société Gemey Maybelline Garnier et la société L'Oréal les sommes de :
100 000 en réparation de leur préjudice du fait de la concurrence parasitaire exercée par Henkel,
15 000 sur le fondement de l'article 700 du CPC ;
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution ;
- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- Condamné la société Henkel France aux dépens.
Par jugement du 28 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Paris a rectifié une erreur matérielle affectant la décision originelle.
Vu l'appel interjeté par la société Henkel France le 5 novembre 2014 contre ces décisions.
Vu les dernières conclusions signifiées le 2 novembre 2015 par la société Henkel France par lesquelles il est demandé à la cour de :
Réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 13 octobre 2014 et le jugement rectificatif du 28 novembre 2014, en ce qu'ils ont fait droit aux demandes des sociétés L'Oréal et Gemey Maybelline Garnier et ont retenu l'existence d'actes de parasitisme, ont ordonné à la société Henkel France la cessation de toute publicité relative au produit dans le packaging litigieux dès la signification du jugement ainsi que de toute commercialisation du produit "Nectra Color" dans le packaging litigieux dans les 15 jours de la signification du jugement, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée dans l'un ou l'autre cas et ont condamné la société Henkel France au paiement de la somme de 100 000 euros en réparation de leur préjudice du fait de la concurrence parasitaire, 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers dépens, ces mesures étant assorties de l'exécution provisoire nonobstant appel et sans caution ;
Et statuant à nouveau :
- Déclarer les sociétés L'Oréal et Gemey Maybelline Garnier irrecevables et mal fondées en leurs demandes, fins et conclusions, à l'encontre de la société Henkel France ;
Dire et juger la société Henkel France recevable et bien fondée en ses demandes reconventionnelles. Et en conséquence,
- Dire la société L'Oréal irrecevable à agir faute d'intérêt ;
- Dire les sociétés L'Oréal et Gemey Maybelline Garnier irrecevables en leurs demandes d'interdiction à raison de leur caractère imprécis ;
- Débouter les sociétés L'Oréal et Gemey Maybelline Garnier de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- Ordonner la restitution de la somme de 100 000 euros versée par la société Henkel France en règlement des condamnations mises à sa charge avec intérêts de droit à compter de la date de son versement ;
En toute hypothèse,
- Dire et Juger que le visuel utilisé sur l'emballage de la coloration "Olia" et dans les publicités pour ce produit est constitutif d'une allégation trompeuse ;
- Interdire l'exploitation de ce visuel sous astreinte de 5 000 (cinq mille) euros par infraction constatée et ce, à compter du 3e mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir, la cour restant saisie pour statuer sur la liquidation de l'astreinte ;
- Condamner la société Gemey Maybelline Garnier à verser à la société Henkel France la somme de 100 000 (cent mille) euros en réparation du préjudice qu'elle lui a causé du fait de ces actes de concurrence déloyale ;
A défaut,
- Ordonner à la société Gemey Maybelline Garnier de mettre l'emballage de la coloration "Olia" en conformité avec les prescriptions de l'article 19 du Règlement communautaire n° 1223/2009, sous astreinte de 5 000 (cinq mille) euros par infraction constatée et ce, dans les 30 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir, la cour restant saisi pour statuer sur la liquidation de l'astreinte ;
- Condamner la société Gemey Maybelline Garnier à verser à la société Henkel France la somme de 10 000 (dix mille) euros en réparation du préjudice qu'elle lui a causé du fait de ces actes de concurrence déloyale ;
En toute hypothèse,
- Condamner la société L'Oréal à verser à la société Henkel France la somme de 100 000 (cent mille) euros en réparation des actes de concurrence déloyale dont elle s'est rendue coupable au titre d'un abus de position dominante ;
- Condamner les sociétés L'Oréal et Gemey Maybelline Garnier à verser, chacune, à la société Henkel France la somme de 10 000 (dix mille) euros pour procédure abusive ;
- Condamner les sociétés L'Oréal et Gemey Maybelline Garnier à verser à la société Henkel France la somme de 100 000 (cent mille) euros en réparation du préjudice qu'elles lui ont causé du fait de l'exécution des mesures d'interdiction sous astreinte prononcées par les jugements des 13 octobre et 28 novembre 2014, sur le fondement des dispositions de l'article L. 111-10 du Code des procédures civiles d'exécution ou, à défaut, de l'action de in rem verso ;
- Condamner les sociétés L'Oréal et Gemey Maybelline Garnier à verser, chacune, à la société Henkel France la somme de 25 000 (vingt-cinq mille) euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner solidairement les sociétés L'Oréal et Gemey Maybelline Garnier en tous dépens, y compris les frais de reproduction, dont distraction au profit du cabinet Récamier, représentée par Maître Bodin Casalis, Avocat aux offres de droit, dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 29 juin 2015 par la société Gemey Maybelline Garnier & société L'Oréal par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris, en date du 13 octobre 2014, sauf en ce que les sociétés Gemey Maybelline Garnier (ci-après Garnier) et l'Oréal ont été déboutées de leur demande de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral et de leur demande de publications judiciaires.
Et, statuant de nouveau :
- Déclarer la société l'Oréal recevable à agir et débouter la société Henkel de sa demande à ce titre.
- Dire et juger que les actes illicites résultent du parasitisme économique dont sont victimes les sociétés Garnier et l'Oréal, car la société Henkel, pour la réalisation du packaging de son produit de coloration " Nectra Color ", ainsi que de ses éléments promotionnels, s'est rattachée délibérément aux principaux éléments caractéristiques du packaging du produit de coloration " Olia " commercialisé par les intimées, ainsi que de son identité visuelle et de ses éléments de communication, bénéficiant indûment de leur travail et de leurs investissements, afin de s'immiscer dans leur sillage et bénéficier du succès rencontré par le produit " Olia " auprès du consommateur et dire et juger que la société Henkel l'a fait, à titre lucratif et de façon injustifiée, afin de se procurer un avantage concurrentiel.
En conséquence :
- Recevoir les sociétés Garnier et l'Oréal en leurs demandes, fins et prétentions.
- Dire et juger que la société Henkel a commis des actes de parasitisme à l'encontre des sociétés Garnier et l'Oréal.
- Ordonner qu'il soit mis un terme aux actes de parasitisme par la cessation immédiate de la commercialisation quelle qu'elle soit, des produits de coloration " Nectra Color " sous le packaging litigieux, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée, et ce, à compter de la signification de l'arrêt, et ;
- Ordonner l'interdiction d'en effectuer la publicité sous le packaging litigieux, sur tout support et de quelque moyen que ce soit, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée, et ce, à compter de la signification de l'arrêt.
- Se réserver la liquidation des astreintes conformément aux dispositions des articles 35 et 36 de la loi du 9 juillet 1991.
- Condamner la société Henkel à verser aux intimées la somme de 100 000 euros à parfaire, en réparation de leur préjudice matériel et la somme de 50 000 euros, en réparation de leur préjudice moral.
- Ordonner la publication de la décision à intervenir sous forme de communiqués dans cinq journaux français ou étrangers, au choix des intimées et aux frais de l'appelante, sans que le coût de chaque publication n'excède la somme de 7 000 euros HT.
- Ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir, en intégralité, pendant une durée de 90 jours consécutifs, à compter du prononcé de la décision à intervenir, en partie supérieure de la page d'accueil du site Internet à l'adresse suivante : http://henkel.fr.
A titre reconventionnel,
- Dire et juger à titre principal que les demandes reconventionnelles de la société Henkel sur le fondement d'une prétendue pratique commerciale trompeuse ne sont pas recevables et dire et juger à titre subsidiaire que ces demandes ne sont pas justifiées et que le consommateur n'est pas induit en erreur par la présentation du packaging du produit " Olia ".
En conséquence :
- Débouter la société Henkel de ses demandes en interdiction d'exploitation du visuel du produit " Olia " fondées sur de prétendues pratiques commerciales trompeuses, de mise en conformité de l'emballage et de l'intégralité de ses demandes indemnitaires.
- Dire et juger qu'aucun abus de position dominante résultant d'un comportement procédural n'est caractérisé en l'espèce et dire et juger que les intimées n'ont pas commis d'abus du droit d'ester en justice.
En conséquence :
- Débouter la société Henkel de ses demandes au titre d'une prétendue concurrence déloyale du fait d'un abus de position dominante et de sa demande en procédure abusive.
- Dire et juger que la société Henkel n'a subi aucun préjudice du fait de l'exécution du jugement de première instance et qu'en tout état de cause, elle ne le prouve pas.
En conséquence :
- Débouter la société Henkel de sa demande d'indemnisation en réparation du préjudice que lui auraient causé les sociétés intimées du fait de l'exécution des mesures d'interdiction.
En tout état de cause,
- Débouter la société Henkel de l'intégralité de ses demandes.
- Condamner la société Henkel à payer aux sociétés Garnier et l'Oréal la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du CPC.
Cela étant exposé, LA COUR
I - Sur l'absence de l'intérêt personnel à agir de la société L'Oréal
La société Henkel France estime que la société l'Oréal, en sa qualité de ''maison-mère'' de la société Garnier, ne démontre pas bénéficier d'un intérêt à agir car, au regard du produit en question, il apparaît que la société Garnier en était la seule exploitante et que, par conséquent, la société L'Oréal ne peut se prévaloir d'aucun préjudice et d'aucune entrave dans son activité commerciale ; que, dès lors que la société Garnier est une filiale à 100 % de L'Oréal, elle dispose d'une personnalité juridique propre, distincte de celle de sa maison-mère et que, en l'espèce, le parasitisme allégué impliquerait pour la société L'Oréal d'établir qu'il a été porté atteinte à sa propre activité commerciale, alors même qu'il n'est pas contesté que la gamme de produits de coloration permanente "Olia" est exploitée commercialement par la seule société Garnier ;
A cet égard la société Henkel France estime que ni l'existence de la convention de prestation de services invoquée par la société L'Oréal ni les pièces versées aux débats ne prouvent que celle-ci aurait effectivement fourni des prestations marketing à sa filiale et aurait donc travaillé à l'élaboration et au développement du produit "Olia" ;
La société Henkel France argue enfin qu'il est par ailleurs patent que la société L'Oréal n'escomptait aucun retour sur investissement, n'ayant pas vocation à commercialiser le produit "Olia" et donc à en tirer bénéfice ; et que le moyen tiré de l'existence d'une demande reconventionnelle, valant reconnaissance par la société Henkel France de la légitimité de son intervention, est inopérant ;
Elle en conclut que, au regard des dispositions de l'article 31 du Code de procédure civile la société L'Oréal est irrecevable en ses demandes ;
La société L'Oréal oppose que le fondement de son action est de réclamer réparation du pillage de la valeur économique individualisée née d'un travail et d'investissements tant intellectuels que matériels communs aux deux intimées, tant L'Oréal que Garnier, aux fins de faire du produit "Olia" une valeur créatrice d'innovation et de richesse ;
Elle estime que le premier juge ne s'est, sur cette question, pas limité à prendre en compte des déclarations orales faites à l'audience mais a tenu compte des pièces versées aux débats et qui justifient de son intérêt à agir ; elle conteste avoir soutenu qu'elle "n'escomptait aucun retour sur investissements" sur le produit "Olia" lors que, tout au contraire, en tant que société mère elle est directement intéressée au succès de ce produit sans pour autant que son action constitue une immixtion discutable dans les affaires de sa filiale ;
Enfin elle juge qu'il est contradictoire pour la société Henkel de demander la condamnation de la seule société L'Oréal à titre reconventionnel pour abus de position dominante et d'exiger dans le même temps que ladite société soit jugée irrecevable en ses demandes.
Sur ce,
L'article 31 du Code de procédure civile dispose que "l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé" ; cet intérêt doit être personnel ;
Le tribunal a statué en ces termes :
"Attendu que si le produit "Olia" est commercialisé par la société Garnier, il a été établi par L'Oréal lors de l'audience du 5 septembre 2014 qu'en qualité de maison mère, elle a travaillé dans le cadre de conventions de prestations de service - ce qui est au demeurant la règle entre une maison mère et ses filiales - à l'élaboration et au développement du produit, par la suite commercialisé par sa filiale ; que L'Oréal a notamment travaillé à la réalisation du packaging, a été facturée par l'agence de design et par celle ayant réalisé les spots publicitaires ou, encore, a annoncé le lancement du produit ; que les actes de L'Oréal sont allés au-delà d'une simple immixtion dans l'activité de sa filiale.
Attendu que L'Oréal a ainsi un intérêt propre à la protection des investissements engagés pour ce produit et au développement de son activité comme de celle de sa filiale ; qu'en outre Henkel sollicite, à titre reconventionnel, la condamnation de L'Oréal pour pratiques commerciales trompeuses, reconnaissant par là même son implication dans la commercialisation du produit, le tribunal déboutera Henkel de son exception et dira L'Oréal recevable à agir ;
La cour ne retiendra pas ce dernier motif dès lors que le fait pour la société Henkel France de réclamer réparation à la société L'Oréal des actions en justice diligentées à son encontre ne vaut pas reconnaissance de la recevabilité de ces actions - dont celle ici en cause ;
Par ailleurs la réalité et l'appréciation de l'intérêt à agir de la société L'Oréal ne sauraient relever d'éléments qui auraient, sans plus de précisions, été invoqués à l'audience ; la société L'Oréal entend du reste elle-même s'écarter de cette motivation en arguant de l'efficience de son dossier de première instance ; elle présente de nouveau un certain nombre de pièces qui démontrent effectivement que ses équipes ont travaillé à la réalisation du packaging'et échangé avec les designers : ainsi d'une facture avec l'agence de design Little Agency qui a créé le packaging et l'identité visuelle de Olia ; ou encore d'une facturation de Publicis pour la réalisation des spots publicitaires ; la société L'Oréal se prévaut également du contrat de prestations de services conclu avec la société Garnier aux fins de fournir à celle-ci différents services dans le domaine du marketing international pour l'exploitation des produits ;
Mais il n'est pas discutable que ces prestations ont fait l'objet d'une refacturation, laquelle n'est pas communiquée à la procédure "pour des raisons évidentes de confidentialité" ; or si la société L'Oréal soutient qu'elle n'a pas facturé à Garnier l'ensemble des prestations de services, mais une partie des frais, force est de constater que, ce faisant, elle ne démontre pas que sa filiale n'ait pas pris à sa charge la totalité de ces frais ;
Demeure ainsi purement formelle l'affirmation de principe qu' "il ne fait aucun doute que la société L'Oréal a considérablement travaillé et investi afin que sa filiale Garnier puisse mettre sur le marché un produit à succès dans un packaging innovant ; (que)ce succès est freiné par l'arrivée sur le marché d'un produit concurrent qui pille ledit packaging,(et que) la société L'Oréal subit donc un préjudice qui lui est propre du fait des agissements de la société Henkel " ;
Enfin, l'argument tiré du retour sur investissements sur le produit "Olia" que, en tant que société mère la société L'Oréal escomptait de son succès relève d'une évidence qui reste insuffisante pour ouvrir par elle-même un droit propre à agir de cette société mère ;
Le jugement est en conséquence infirmé sur ce point et la société L'Oréal jugée irrecevable à agir envers la société Henkel France ;
II - Sur l'absence de "valeur économique individualisée" sur l'emballage du produit "Olia"
La société Henkel France soutient que l'action en agissements parasitaires impose que soit établie l'existence d'une valeur économique individualisée et réelle sur le produit en cause et que, en l'espèce, la société Garnier, qui ne démontre pas la réalité des investissements qu'elle allègue-ses pièces ne révélant aucun travail ni effort créatif particulier sur le packaging mais uniquement sur les mesures publicitaires - échoue à établir que l'emballage de la coloration "Olia" constituerait une telle valeur ;
La société Henkel France se prévaut ainsi de ce que, selon les sondages, le public n'associerait pas le packaging "Olia" à cette valeur et ne lui attribuerait aucune attention ni impact sur l'acte d'achat ;
Elle en tire argument que l'acte de parasitisme n'existe pas ;
Cependant force est pour la cour de constater que ces mêmes pièces contredisent cette argumentation : le fait même que ces sondages aient été effectués atteste de l'importance de l'emballage et, de fait, les propos mêmes des clientes cités par la société Henkel France confirment cette évidence tant ils font référence-de manière positive ou négative - à cet emballage dont la portée ne saurait se confondre avec les critiques de fond élevées par ailleurs sur les informations qu'il comporte ; la société Garnier justifie du reste de l'importance de cette question - partant de ses coûts - et de la nécessité de produire un "pack" innovant et destiné à attirer l'attention dans les linéaires ; l'intimée souligne en outre avec raison l'évidence avérée du coût de ce type de packaging dans le cadre du lancement d'un produit nouveau, qu'atteste elle-même la société Henkel France en produisant les chiffres afférents à celui du développement de son propre packaging, lesquels se montent à 660 000 ;
En conséquence le moyen n'est pas fondé.
III - Sur l'absence de l'acte parasitaire
La société Henkel France oppose aux prétentions de la société Garnier un certain nombre de moyens tirés de :
- L'absence de faute
L'apellante rappelle tout d'abord le principe de la liberté commerciale en précisant qu'elle ne commet aucune faute en développant sa nouvelle gamme de produits et en la commercialisant, et que l'action en parasitisme n'a pas pour objet de reconstituer un monopole ;
Elle explique que son produit en question se situe dans la droite ligne des autres gammes de coloration commercialisées par elle, et dans le respect des codes Schwarzkopf ; que, notamment, et au rebours de ce qu'a retenu à tort le premier juge, il est faux de prétendre que cette dernière n'avait jamais utilisé dans le passé de packaging dont le fonds était noir ;
S'agissant de l'argument tiré de la formule non ammoniaquée, elle avance que la société Garnier n'en était pas l'initiateur, ce que des jurisprudences allemandes ont reconnu en relevant que revendiquer sur l'emballage "Olia" la "première coloration permanente activée par l'huile, sans ammoniaque" constitue une inexactitude ;
- L'absence de risque de confusion
La société Henkel France soutient que le produit ''Olia'' et le produit '' Nectra Color'' sont parfaitement distincts et présentent des différences significatives de dimensions, de couleurs, de composition et de structure, et que l'absence de risque de confusion tient également à la présence très visible, sur les emballages, des marques "Garnier" et "Schwarzkopf";
- L'absence de ressemblances
La société Henkel France argue de ce qu'une analyse très précise des emballages des deux produits, portant notamment sur les couleurs, les slogans, la lettre des marques, la présentation des mannequins affichés, la taille des emballages démontre les différences entre eux ; elle souligne également que le positionnement des deux produits en cause dans les linéaires est très fréquemment distinct ;
Concernant la campagne publicitaire, elle soutient que les probables ressemblances portent sur l'enchaînement des séquences, le fond, les textes prononcées et les voix et fonds musicaux accusés, ne relèvent en rien d'un processus d'imitation ;
- L'absence d'avantage concurrentiel et de détournement d'investissements
La société Henkel France soutient qu'elle ne commet aucune faute en ayant librement fixé son prix, inférieur à celui de Garnier, et que les arguments de détournement de la clientèle sur ce point doit être écartés ;
Elle ajoute qu'ayant elle-même dépensé plus d'argent et plus de temps que les intimés pour le développement du packaging de sa coloration, il est permis de s'interroger sur la nature de l'avantage concurrentiel dont elle aurait bénéficié ;
La cour entend relever à ce stade un moyen inclus dans la demande reconventionnelle présentée par la société Henkel France envers la société Garnier au titre des actes de concurrence déloyale, s'agissant de la non-conformité alléguée de l'emballage de la coloration "Olia" avec les prescriptions de l'article 19 du Règlement communautaire n° 1223/2009 et de la réparation du préjudice que cette violation lui aurait causé du fait de ces actes de concurrence déloyale ; L'argument principal invoqué en effet par la société Henkel France pour écarter le moyen qui lui est opposé au titre de l'irrecevabilité de ces demandes réside dans le lien entre la validité des symboles visuels figurant sur l'emballage d'Olia (tournesol, goutte d'huile) et l'absence alléguée de présence réelle de 60 % d'huile naturelle ; l'appelante relève ainsi que cette demande a un lien évident avec sa défense puisqu'elle est de nature à écarter l'association de ces visuels et obtenir la suppression du tournesol ;
Or la société Henkel France précise in fine, et presque incidemment à l'issue de dix pages de développements sur cette question que "les accusations de parasitisme (de la société Garnier) tombent d'elles-mêmes" ;
Pour autant la cour constate que cet argument qui serait logiquement de nature à être examiné à titre principal ne figure qu'au sein d'une demande reconventionnelle qui, outre la réparation de la violation des mesures citées plus haut, ne vise qu'à réclamer l'interdiction de l'emballage d'Olia pour l'avenir ;
Il convient en conséquence de se limiter aux moyens développés par la société Henkel France et la société Garnier au titre de leurs développements spécifiques sur la question du parasitisme ;
La cour rappellera que cette notion se définit comme : "la circonstance selon laquelle une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements" ;
En l'espèce, l'examen minutieux de l'ensemble des pièces produites aux débats conduit à dire que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a fait une juste appréciation du droit et des moyens des parties ;
Le tribunal a en effet rappelé que n'était pas en cause "la commercialisation d'un produit concurrent mais celle de ce produit sous un packaging précis" - ce qui est, de fait, l'objet des débats ;
Il convient ensuite de confirmer les éléments relevés par le premier juge qui en définitive, renvoient toujours à un faisceau d'indices visuels dont la référence subliminale est l'alliance de la goutte d'huile tombant d'une fleur de tournesol avec un fonds noir qui la met d'emblée en valeur ;
Peu importe du reste que la société Henkel France ait elle-même ponctuellement utilisé un tel fonds dans le passé dès lors que c'est cette combinaison particulière qui, reprise par elle dans le packaging "Nectra Color" associe à sa référence habituelle d'un visage féminin la source lumineuse issue du tournesol, figurant à droite de ce visage et dont procède également une goutte d'huile ; s'y ajoute l'association complémentaire des mentions couleur fuschia dont l'usage antérieur est certes revendiqué par la société Henkel France, mais qui, dans le cas présent, complète aux yeux de la clientèle le transfert d'image initié par les captations précédentes ;
Vainement est-il opposé la prétendue banalité du symbole de la goutte d'huile, dont la société Henkel France souligne qu'elle appartient au fond commun librement utilisable et qui figurait sur un certain nombre de ses propres packagings mais aussi sur ceux de la société Garnier : en effet, en l'espèce c'est la mise en valeur spécifique de ce symbole dans les conditions mentionnées ci-dessus qui est en cause ;
Au regard de ces éléments la société Garnier est fondée à relever que la notion de confusion mentionnée par la société Henkel France n'est pas l'objet de la discussion ; et, du reste, la société Henkel France a elle-même écarté le risque que la clientèle y soit soumise en rappelant clairement sur le produit, une fois l'association visuelle faite entre les produits concurrents, son propre visuel (visage de femme) invitant cette clientèle à se pencher sur un produit et sur son prix, inférieur à celui de la société Garnier ;
Cette référence, primordiale, à la goutte d'huile se retrouve dans les publicités télévisuelles citées par la société Henkel France elle-même ;
Ce faisant il n'est pas contestable que la société Henkel France, se plaçant, dans tous ces domaines, dans le sillage de sa concurrente, bénéficiait des investissements faits par celle-ci, et dont l'importance a été relevée plus haut; la société Henkel France ne saurait à ce titre entendre faire reconnaître que le public n'aurait aucunement été sensible à la campagne de la société Garnier laquelle "n'aurait eu aucune influence directe sur l'acte d'achat" dès lors qu'elle a elle-même choisi de s'inscrire dans les mêmes indices de référence de cette campagne ; elle fait sur ce point valoir l'absence d'avantage concurrentiel et de détournement d'investissements, arguant de ce qu'elle a elle-même eu recours à trois agences de design afin que le lancement de son propre visuel procède d'un réel travail intellectuel et d'une réflexion poussée, au titre desquels elle a assumé un coût d'un montant de 660 000 , plus élevé que celui de sa concurrente ; mais cette argumentation est inopérante en ce qu'elle ne tient précisément pas compte du bénéfice supplémentaire découlant de l'insertion de ces moyens dans le sillage des campagnes initiées depuis deux ans par la société Garnier ;
S'évince de ce qui précède que le parasitisme est établi.
IV - Sur le préjudice
La société Henkel France est, en premier lieu, fondée à relever que le tribunal a, en accordant de son propre chef la somme (qualifiée "d'exorbitante'') de 100 000 qui n'était pas réclamée - la société Garnier revendiquant un montant de 94 663 - statué ultra petita ;
La société Henkel France dénie, en tout état de cause, l'existence d'un préjudice matériel que le premier juge a évalué en retenant que l'arrivée de "Nectra Color" aurait "ramené le positionnement d'Olia à 4,5 % de parts de marché" ; elle juge que ce chiffre est partiellement inexact comme procédant d'une présentation tronquée de la part de la société Garnier des éléments en débat, notamment au vu d'une opération promotionnelle mise en place à l'initiative de Carrefour au bénéfice de "Nectra Color" dont la part de marché a, de manière purement conjoncturelle, été ainsi dopée ;
La société Henkel France estime ainsi que le tableau "parts de marché en valeur" présenté dans les conclusions adverses révèle que, de près de 12 % de parts de marché en janvier 2013, la gamme "Olia" est retombée à 5,9 % en janvier 2014, l'érosion des ventes "Olia" tenant autant aux limites mêmes du produit qu'à la concurrence de Schwarzkopf ;
Elle entend souligner que les actes de parasitisme qui lui sont reprochés portaient sur la reprise des éléments caractéristiques du packaging "Olia" et non sur sa campagne promotionnelle, ce qui exclut de prendre en considération pour le calcul de l'indemnité le montant global des investissements publicitaires consentis par la société Garnier, ce d'autant que les investissements pour le développement du packaging "Olia" seraient limités à la somme de 64 923 ;
La société Garnier reconnaît elle-même que l'évaluation du préjudice en la matière est difficile, et elle se réfère aux économies faites par la société Henkel France en se dispensant d'utiliser sous licence son packaging en l'espèce pour la vente de 295 823 exemplaires de son produit sur le prix de vente de laquelle serait appliquée une redevance de 4 % ;
Cependant la cour ne peut retenir un tel calcul qui repose, par analogie avec le droit de la propriété intellectuelle, sur des données avérées, lorsqu'en l'espèce le préjudice découlant du parasitisme relève en l'espèce de données beaucoup plus aléatoires ;
En tenant compte de l'importance des campagnes respectives engagées par les parties sur les deux produits litigieux, des investissements nécessaires à leur lancement, et qui ne se limitent pas au seul poste packaging, aux ventes réalisées, et, au regard de ces données, à l'avantage financier produit par l'action parasitaire de la société Henkel France dans le sillage de la campagne initiale puis de l'implantation tant matérielle qu'intellectuelle du produit promu par la société Henkel France, le chiffre de 100 000 correspond à une estimation raisonnable ;
La société Garnier ne justifie pas d'un préjudice moral supplémentaire et sa demande sur ce point est en conséquence rejetée ;
V - Sur la demande de publications judiciaires
La cour confirme la décision entreprise en ce qu'elle a à juste titre estimé que cette mesure n'avait pas lieu d'être prononcée au regard de celle ordonnant le retrait des packagings ;
L'information du public qu'invoque la société Garnier découle en effet implicitement de la disparition de ces produits ;
S'agissant des mesures de rappel et d'interdiction de commercialisation et de communication ordonnées sous astreinte par le tribunal la société Henkel France les estime également "manifestement exorbitantes", et juge qu'elles ont été accordées, alors qu'elles étaient irrecevables au regard des dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile lequel stipule : "Les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée (...). Les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif" ;
La société Henkel France invoque également l'article 753 du même Code qui rappelle l'obligation qui est faite au demandeur de formuler "expressément" ses prétentions et elle estime que, en l'espèce, elle a été privée du droit de savoir précisément les demandes qui étaient élevées à son encontre, la société Garnier sollicitant la cessation de la commercialisation de la coloration "Nectra Color" "sous le packaging litigieux" en se gardant de désigner expressément ceux des éléments composant ce packaging dont elle entendait précisément obtenir l'interdiction - ce qui rendait ses demandes irrecevables ;
Elle souligne en outre que ces mesures lui ont causé un grave préjudice ;
Cependant le moyen n'est pas fondé dès lors que le tribunal était saisi de tous les éléments avancés à l'encontre de la société Henkel France par la société Garnier, comme induisant un comportement parasitaire et que, dans la mesure où il retenait cette qualification, il lui appartenait de cibler ensuite les points susceptibles de permettre concrètement la diffusion ultérieure des emballages litigieux, mesure que tant le bon sens que la nécessité de mettre fin à un tel comportement rendaient nécessaire.
VI - S'agissant des demandes reconventionnelles de la société Henkel France
La société Henkel France soutient que, au rebours de ce qu'a estimé le premier juge elle est recevable à réclamer à la société Garnier la cessation de la présentation trompeuse - au sens du droit de la consommation - du produit "Olia" dont le packaging associe l'image d'une fleur de tournesol avec la mention "60 % d'huile - Aux Huiles Naturelles de Fleurs", ce qui s'avérerait une mention fausse, l'huile majoritairement présente dans le révélateur se révélant être une huile de synthèse ;
La société Henkel France revendique à cet effet l'application des dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation qui sanctionne les pratiques commerciales trompeuses lorsqu'elles reposent sur "des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur" et portant notamment sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir "ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service" ;
L'appelante invoque également le Règlement communautaire n° 1223/2009 du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques qui met à la charge des fabricants ou responsables de la mise sur le marché local de tels produits des obligations d'information très strictes à l'égard des consommateurs afin de leur garantir un haut niveau de protection ledit règlement étant notamment applicable aux "colorants capillaires" et aux produits de nettoyage pour les cheveux ainsi qu'aux produits d'entretien pour la chevelure ; elle rappelle que la rédaction des étiquettes est plus particulièrement encadrée afin "d'introduire une transparence en ce qui concerne les ingrédients employés dans les produits cosmétiques. Cette transparence devrait être assurée par la mention, sur son emballage, des ingrédients employés dans un produit cosmétique (...)", et que "Le consommateur (soit) protégé des allégations trompeuses concernant l'efficacité ou d'autres caractéristiques des produits cosmétiques " ;
La société Henkel France soutient que la violation de ces dispositions par la société Garnier lui cause nécessairement préjudice dès lors qu'elle induit en erreur un certain nombre de consommatrices d'attention moyenne lesquelles, souvent pressées, procèdent à leur achat de façon impulsive ou à tout le moins rapide, et que leur comportement commercial pourrait s'en être trouvé altéré, ce que confirment les blogs et forum Internet consacrés au produit "Olia" ;
La société Henkel France en conclut que le non-respect par la société Garnier de la réglementation en vigueur a eu pour conséquence de perturber le marché en plaçant cette société dans une situation anormalement favorable par rapport à une concurrente respectant ladite réglementation, et, partant, qu'elle est parfaitement recevable à présenter une demande reconventionnelle qui lui permet d'étayer son argumentation et est également de nature à entraîner le rejet total ou partiel des prétentions adverses ;
Mais force est de constater que ce faisant la société Henkel France, afin de satisfaire aux dispositions de l'article 70 du Code de procédure civile, se rattache à des moyens qui, ainsi qu'il l'a été relevé plus haut, s'agissant de la validité même du symbole principal figurant sur le packaging "Olia"et la non conformité du produit de la société Garnier, ne pourraient concerner que l'action en parasitisme, au titre de laquelle ils n'étaient pas formulés ; leur invocation au titre de demandes reconventionnelles fondées sur des pratiques commerciales trompeuses, indépendantes de l'action principale, relève d'un lien insuffisant pour rendre ces demandes recevables ;
VII - Sur l'abus de position dominante
La société Henkel France soutient que le comportement procédural des sociétés Garnier et L'Oréal est abusif et constitutif d'un abus de position dominante, non seulement dans le cadre du présent litige, mais en outre en ce qu'il s'inscrit dans un contexte plus large et plus ancien de harcèlement judiciaire dirigé à son encontre par ces deux entreprises ;
Elle estime que, au regard de nombreuses jurisprudences, nationales et européennes qui jugent qu'un abus peut être exceptionnellement reconnu lorsqu'une société "en position dominante intente des actions qui ne peuvent pas être raisonnablement considérées comme visant à faire valoir ses droits, et ne peuvent dès lors servir qu'à harceler l'opposant, et qui sont conçues dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer la concurrence" ou encore sanctionnant les entreprises qui "en disposant de moyens puissants, du fait de leur appartenance à un groupe de distribution d'importance mondiale... ont essayé d'entraver l'action de leurs concurrents directs en multipliant les instances judiciaires, génératrices de frais significatifs, dont les intéressés doivent faire l'avance, et grevant leur trésorerie à due concurrence, dans l'espoir dissimulé, de les voir renoncer de continuer à venir leur faire concurrence (...), il est en l'espèce avéré que les sociétés Garnier et L'Oréal ont multiplié les procédures afin de déstabiliser sa concurrente et l'évincer du marché ;
Selon la société Henkel France, le "Groupe L'Oréal" lui a adressé une mise en demeure à l'occasion du lancement de chaque nouvelle gamme de produits-soit à six reprises-sans que soit ensuite menée à son terme l'action judiciaire qui avait pourtant été clairement annoncée, L'Oréal reconnaissant par là même que ses accusations étaient dépourvues de fondement ; La cour relève que la recevabilité de cette demande n'est pas discutée ;
La société Henkel France ne soutient certes pas qu'un groupe de sa taille, et qui en outre n'est ni cliente ni fournisseur de la société L'Oréal puisse être victime d'un abus de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;
Est en cause la qualification susceptible d'être attribuée à des mises en demeure réitérées, demeurées exemptes de suites judiciaires ou soldées dans un cas par un désistement ; La cour relève que les deux protagonistes en cause sont des entités de taille mondiale et qu'ils se livrent à une concurrence vive sur des produits porteurs, issus de recherches longues et coûteuses et promus par un marketing important ; que le fait pour ces deux entités de surveiller de près les produits concurrents - la société Henkel France n'étant elle-même pas exempte de recourir à l'office du juge comme le souligne la société L'Oréal par référence à des actions intentées par cette société en 2000 et 2009 - ne caractérise pas un abus de droit, surtout lorsque ce type d'action se limite à des demandes d'explication et des mises en garde ; le reproche fait à la société L'Oréal de se limiter à de telles demandes apparaît ainsi singulier ;
En tout état de cause, la société Henkel France ne saurait sérieusement prétendre que les six réclamations auxquelles ses services ont répondu ont été de nature à déstabiliser ses programmes et ses actions commerciales ;
Doit in fine être rappelé que dans le cas présent le fondement de l'action intentée par la société Garnier se trouve validé ;
En conséquence le moyen n'est pas fondé ;
Au regard de ce qui précède sont rejetées les demandes de la société Henkel France au titre de la réparation des préjudices engendrés par l'exécution du jugement ; La confirmation de cette décision sur le fond implique qu'il n'y a pas lieu à prononcer ou réitérer des mesures d'interdiction déjà ordonnées et qui ont été exécutées ; leur prolongation n'est en effet pas justifiée dès lors que la société Henkel France a changé son packaging ;
Ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure ne permettent de caractériser à l'encontre des intimées une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit de se défendre en justice; il n'est pas fait droit à la demande de dommages intérêts formée à ce titre ; La société Henkel France sera condamnée aux dépens lesquels, aux termes de l'article 698 du Code de procédure civile ne concernent pas les frais des constats d'huissier établis à la demande des intimées qui ne sont pas fondées à les inclure dans cette condamnation ;
L'équité commande d'allouer à la société L'Oréal et la société Garnier la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande de la société Henkel France de ce chef.
Par ces motifs : Confirme le jugement hormis en ce qu'il a dit la société L'Oréal recevable en son action pour parasitisme. Statuant à nouveau quant à ce, dit cette action irrecevable. Dit irrecevables les demandes de la société Henkel France d'interdiction de l'exploitation du visuel "Olia". Condamne la société Henkel France à payer aux sociétés L'Oréal et Garnier la somme globale de 15 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Rejette toutes autres demandes. Condamne la société Henkel France aux dépens.