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Décisions

ADLC, 6 juin 2016, n° 16-D-11

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne terrestre

ADLC n° 16-D-11

6 juin 2016

L'Autorité de la concurrence (section V),

Vu la lettre, enregistrée le 22 septembre 2009 sous les numéros 09/0109F et 09/0110M, par laquelle la société Itas Tim a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques de la société TDF qu'elle estime anticoncurrentielles et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu l'avis n° 2011-1334 adopté par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (" ARCEP ") le 29 novembre 2011 sur le fondement des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce ; Vu l'avis n° 2011-18 adopté par le Conseil supérieur de l'Audiovisuel (" CSA ") le 13 décembre 2011 sur le fondement des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires n° 12-DSA-16, 12-DSA-20, 12-DSA-21, 12-DSA-62, 12-DSA-63, 12-DSA-219, 12-DSA-220, 12-DSA-221, 12-DSA-222, 12-DSA-223, 12-DSA-237, 12-DSA-238, 12-DSA-239, 12-DSA-340, 12-DSA-381, 12-DSA-382, 12-DSA-383, 12-DSA-384, 12-DSA-385, 12-DSA-388, 13-DSA-20, 13-DSA-21, 13-DSA-22, 13-DSA-24, 13-DSA-160, 14-DSA-69, 14-DSA-70, 14-DSA-71, 14-DSA-72, 14-DSA-331, 14-DSA-346, 14-DSA-359, 15-DSA-39, 15-DSA-40, 15-DSA-158 et 15-DSA-365 ; Vu les décisions relatives à une demande d'autorisation d'utilisation de pièces classées en annexe confidentielle n° 12-DECR-33, 12-DECR-34, 12-DECR-35, 12-DECR-36, 12-DECR-37, 12-DECR-38 et 12-DECR-39 ; Vu les décisions de secret des affaires et de déclassement n° 12-DEC-66, 13-DEC-01, 13-DEC-14, 13-DEC-15, 13-DEC-16, 13-DEC-38, 13-DEC-39, 13-DEC-42 et 13-DEC-43 ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Itas Tim et TDF entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 26 janvier 2016 ; Adopte la décision suivante :

I. Procédure

1. Par lettre du 22 septembre 2009, la société Itas Tim a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après, " l'Autorité ") de pratiques mises en œuvre par la société TDF qu'elle estime contraires aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

2. Accessoirement à sa saisine au fond, la société Itas Tim a sollicité, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, le prononcé des mesures conservatoires afin de mettre fin aux pratiques dénoncées consistant pour TDF à s'opposer à l'implantation d'infrastructures concurrentes à proximité de ses propres terrains et à refuser l'accès d'Itas Tim à ses terrains afin d'y installer ses propres infrastructures.

3. Par sa décision n° 10-D-09 du 9 mars 2010, l'Autorité a renvoyé l'affaire pour un examen au fond sans prononcer de mesures conservatoires.

4. En application des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce, par courriers du 28 septembre 2011, l'Autorité de la concurrence a communiqué pour observations la saisine d'Itas Tim à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après, " ARCEP ") ainsi qu'au Conseil supérieur de l'audiovisuel (ci-après, " CSA "). L'ARCEP s'est prononcée sur cette saisine par un avis du 29 novembre 2011 tandis que le CSA a rendu un avis le 13 décembre 2011.

5. Une notification de griefs a été transmise le 25 janvier 2013 à TDF et un rapport a été établi le 8 juillet 2015.

II. Constatations

A. LE SECTEUR

1. LE SECTEUR DE LA DIFFUSION DE LA TÉLÉVISION PAR VOIE HERTZIENNE TERRESTRE

a) Présentation

6. La chaîne de valeur du secteur audiovisuel comporte quatre activités : la production de contenus, l'édition de ces contenus, la commercialisation et la distribution de ces contenus et, enfin, l'acheminement du signal du lieu de production jusqu'aux terminaux du consommateur final (auditeur ou téléspectateur). Lorsque cet acheminement repose sur un réseau d'émetteurs et de réémetteurs hertziens, il est question de diffusion hertzienne terrestre.

7. Les sites de diffusion hertzienne terrestre sont généralement des points hauts auxquels sont associés des bâtiments techniques au sol. Les signaux hertziens sont réceptionnés par divers moyens, modulés et amplifiés par un émetteur. En sortie d'émetteur, les signaux sont diffusés à partir du système antennaire, composé de multiplexeurs, de guides d'ondes, de feeders (câbles) et enfin d'antennes situées en haut de pylône.

[Tableau]

Source : tableau de bord de l'ARCEP

b) L'ouverture progressive du secteur à la concurrence

8. La diffusion audiovisuelle par voie hertzienne terrestre a historiquement fait l'objet d'un monopole d'État confié à l'Office de radio et télévision française (ORTF) puis, à partir de 1975, à Télédiffusion de France (TDF). En 1987, Télédiffusion de France a perdu son statut d'établissement public de l'État et est devenue, en application de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée par la loi du 1er août 2000 relative à la liberté de communication, une société anonyme à capital majoritairement public, prenant le nom de " TDF ".

9. L'article 51 de la loi précitée du 30 septembre 1986 a conféré à TDF le monopole de la diffusion et de la transmission, en France et vers l'étranger, par tous procédés analogiques de télécommunication, des programmes de l'audiovisuel public : Radio France, RFI, RFO et le groupe France Télévision. Parallèlement à l'exécution de ces missions de service public, TDF était en situation de concurrence avec d'autres opérateurs pour offrir aux chaînes privées de radio et de télévision des services de diffusion hertzienne terrestre en mode analogique.

10. La loi n° 2003-1365 du 31 décembre 2003 relative aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom a transposé la directive communautaire n° 2002/77/CE du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques, ouvrant ainsi le secteur de la diffusion hertzienne terrestre à la concurrence. Cette loi de 2003, en abrogeant l'article 51 de la loi de 1986 précité, a fait perdre à la société TDF le monopole de diffusion en mode analogique des programmes des entreprises publiques du secteur audiovisuel.

c) Le fonctionnement actuel du secteur

11. L'activité de diffusion hertzienne terrestre s'articule verticalement autour de deux marchés. Sur le marché amont, se rencontrent l'offre d'hébergement émanant d'opérateurs de diffusion qui possèdent des infrastructures de diffusion (des sites-pylônes, ces opérateurs sont appelés des " tower company ") et la demande d'opérateurs de diffusion qui ne possèdent pas de telles infrastructures. Sur le marché aval, l'ensemble des opérateurs de diffusion, qu'ils soient propriétaires des sites ou hébergés, offrent des services de diffusion aux éditeurs audiovisuels. Dans le cas de la télévision numérique terrestre (ci-après, " TNT "), ces services sont offerts aux opérateurs de multiplex (ci-après, les " MUX "), qui regroupent un certain nombre d'éditeurs de chaînes de télévision.

12. Un multiplex est un ensemble de chaînes qui utilisent la même fréquence hertzienne pour leur diffusion par un émetteur TNT. Chaque multiplex est géré par un opérateur de multiplex, appelé couramment multiplex. Il existe aujourd'hui en métropole huit MUX de chaînes de TNT (GR1, NTN, CNH, MULTI 4, MR5, SMR6, R7 et R8), dont l'entrée sur le marché s'est étalée entre 2005 et 2012. Ainsi, les chaînes TF1 HD, France 2 HD et M6 HD sont regroupées dans le MUX MR5.

13. Les MUX ont recours aux services de diffusion offerts par les différents opérateurs de diffusion par l'intermédiaire d'appels d'offres, portant sur la diffusion de leurs chaînes sur une zone géographique donnée. Les opérateurs de diffusion proposent de tels services à partir de leurs propres infrastructures ou à partir d'infrastructures appartenant à d'autres opérateurs en ayant recours à des services d'hébergement.

2. LA TÉLÉVISION NUMÉRIQUE TERRESTRE

a) Le déploiement de la télévision numérique terrestre

14. La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, modifiée par la loi du 1er août 2000 précitée, a confié au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) la charge de l'organisation et du calendrier de déploiement de la TNT, pour l'ensemble du territoire national. Outre la planification du déploiement, le CSA est garant des objectifs législatifs de couverture de la population, à savoir que le taux de couverture de la population en TNT devait être, au terme du déploiement, égal ou supérieur à celui de la télévision analogique terrestre (ci-après, " TAT ") à son extinction. La loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur avait imposé une couverture numérique de 95 % de la population aux chaînes gratuites historiques et introduit un dispositif incitatif pour les nouvelles chaînes de la TNT, qui a amené ces dernières à s'engager à couvrir également 95 % de la population.

15. Le calendrier et les modalités d'extension de la TNT ont été fixés par le CSA, notamment dans un schéma d'extension de la couverture de la TNT entre 2008 et 2011 pour les chaînes historiques gratuites, arrêté le 10 juillet 2007. Le schéma a précisé des objectifs de couverture au niveau national, mais aussi au niveau départemental. Ces obligations de couverture figurent dans les conventions qui lient les éditeurs de chaînes de télévision au CSA, en contrepartie des autorisations d'utilisation de la ressource hertzienne pour la diffusion des chaînes que ce dernier leur délivre.

16. Le CSA a publié en décembre 2008, une liste de 1626 zones correspondant aux points de diffusion de la TAT par l'opérateur historique, qui devaient être couvertes en TNT au 30 novembre 2011.

17. Concrètement, le déploiement du réseau de TNT a commencé en mars 2005 et s'est effectué par phases successives en vue de l'extinction du signal analogique au 30 novembre 2011, date fixée par la loi du 5 mars 2007 précitée.

18. Les phases successives correspondent à des ensembles de zones géographiques prédéfinies sur lesquelles le réseau de la TNT devait se déployer. Les six premières phases de déploiement ont correspondu au déploiement du réseau " principal " ou " primaire ", soit 112 zones géographiques permettant de couvrir 85 % de la population. Les phases 7 à 10, mises en œuvre à partir de mars 2008, ont correspondu au déploiement du réseau " complémentaire " ou " secondaire ", permettant d'étendre la couverture à 95 % de la population.

19. Enfin, pour les territoires non desservis par la TNT au 30 novembre 2011, " les zones blanches de la TNT ", la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision prévoit depuis mars 2009 la possibilité pour les collectivités locales de se substituer à l'initiative privée en sollicitant une autorisation de devenir opérateur de diffusion auprès du CSA. Les collectivités peuvent ensuite recourir à un prestataire de service pour effectuer la diffusion.

20. En 2012, après la sélection par le CSA de six nouvelles chaînes de TNT gratuite en haute définition, deux nouveaux MUX ont été créés, les MUX R7 et R8, dont le déploiement devait initialement s'effectuer en 13 phases et se terminer en juin 2015.

b) La régulation sectorielle de la télévision numérique terrestre

La régulation mise en place par le CSA

21. Le CSA est en charge de la gestion des fréquences audiovisuelles conformément aux articles 21 et 22 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. L'article 22 précise que " le CSA autorise dans le respect des traités et accords internationaux signés par la France, l'usage des bandes de fréquences ou des fréquences attribuées ou assignées à des usages de radiodiffusion. Il contrôle leur utilisation. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel et l'Agence nationale des fréquences prennent les mesures nécessaires pour assurer une bonne réception des signaux et concluent entre eux à cet effet les conventions nécessaires ".

22. Ainsi, en ce qui concerne la TNT, le CSA autorise et délivre les droits d'utilisation des fréquences aux éditeurs de chaînes de télévision et autorise chaque MUX à utiliser " une ressource radioélectrique pour le multiplexage des programmes des éditeurs de services de télévision par voie hertzienne terrestre en mode numérique du réseau XX " (voir par exemple la décision du CSA n° 2003-548 du 21 octobre 2003).

23. De plus, le CSA intervient dans le cadre d'une procédure d'agrément des sites de radiodiffusion à partir desquels les MUX choisissent de diffuser consistant à vérifier si les sites de diffusion des opérateurs retenus par les MUX dans le cadre de leurs appels d'offres permettent d'atteindre les objectifs de couverture de la TNT et en particulier, au cours du déploiement initial de la TNT, à s'assurer du non-recul de cette couverture par rapport à celle de la TAT, avec un seuil de tolérance inférieur à 0,5 % de perte de couverture de la TAT.

La régulation mise en place par l'ARCEP

24. Conformément à l'article L. 37-1 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE), l'ARCEP est en charge de la détermination des marchés pertinents du secteur des communications électroniques, susceptibles d'être soumis à une régulation ex ante.

25. L'ARCEP retient l'existence de deux marchés de gros de diffusion par voie hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique : un marché de gros amont qui confronte l'offre d'hébergement émanant d'opérateurs de diffusion qui possèdent des infrastructures de diffusion et la demande d'opérateurs de diffusion qui souhaitent bénéficier d'un hébergement de leurs équipements et un marché de gros aval, sur lequel l'ensemble des opérateurs de diffusion offrent des services de diffusion aux éditeurs de programmes télévisuels, regroupés et représentés par les opérateurs de multiplex. Ces marchés sont de dimension nationale.

26. Dès 2006, l'ARCEP a concentré son intervention sur le marché de gros amont de la diffusion par voie hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique, en considérant que les effets pro-concurrentiels de cette régulation devaient mécaniquement se reporter sur le marché de gros aval non régulé (voir par exemple les décisions n° 06-0160 de l'ARCEP du 6 avril 2006 portant sur la définition du marché pertinent de gros des offres de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels et n° 06-0161 du 6 avril 2006 portant sur les obligations imposées à TDF en tant qu'opérateur puissant sur le marché pertinent de gros des offres de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels).

27. L'ARCEP, dans son " Analyse du bilan et des perspectives de la régulation du marché de gros des services de diffusion audiovisuelle hertzienne numérique " (consultation publique de février 2012), rappelle qu'" il est possible de distinguer trois situations pour le diffuseur en fonction de son positionnement dans l'échelle des investissements :

• s'il ne dispose d'aucune infrastructure en propre, il achète la prestation globale de diffusion vendue par TDF, dénommée " DiffHF ", dans laquelle l'antenne est mutualisée avec les autres points de service TNT sur le site, et installe ses équipements, notamment l'émetteur, à proximité du pylône de TDF, par exemple en ayant recours à un service d'hébergement de TDF ;

• si le diffuseur dispose de sa propre antenne, il peut acheter à TDF une prestation combinant l'hébergement de son antenne (sur le pylône de TDF) et l'hébergement de ses équipements ;

• si le diffuseur dispose de sa propre antenne et de son propre pylône, il n'a pas recours aux prestations de TDF sur le marché de gros amont.

Le marché de gros amont de la diffusion audiovisuelle hertzienne terrestre, qui constitue un marché entre diffuseurs, se compose donc principalement de deux prestations, partiellement substituables : la prestation de " DiffHF ", et la prestation d'hébergement d'antenne et des autres équipements de l'opérateur alternatif ".

28. Les graphiques ci-dessous illustrent ces différentes possibilités :

[Tableau]

Source : ARCEP

29. À l'issue du premier cycle de régulation (2006-2009), l'ARCEP a dressé le constat d'un degré de concurrence relativement faible sur le marché de gros des services de diffusion audiovisuelle hertzienne numérique et a renforcé son dispositif de régulation dans le cadre du deuxième cycle (2009-2012) dans l'objectif, notamment, de promouvoir davantage de concurrence en infrastructures.

30. En premier lieu, considérant que le déploiement d'infrastructures alternatives à celles de l'opérateur historique dépendait fortement de la typologie des sites nécessaires à la diffusion de la TNT, l'ARCEP a imposé à TDF une obligation d'orientation des tarifs vers les coûts pour les offres d'hébergement correspondant à un certain nombre de sites qu'elle a qualifiés de " non réplicables ". Pour les offres d'hébergement correspondant aux autres sites, dits " réplicables ", l'ARCEP a maintenu une tarification " non excessive et de non-éviction ".

31. En second lieu, l'ARCEP a imposé à TDF une obligation de faire droit à toute demande raisonnable d'accès, en particulier à ses bâtiments et pylônes, une obligation de non discrimination quant à la fourniture des offres de gros de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique et une obligation de transparence, consistant notamment à publier une offre de référence technique et tarifaire des offres de gros de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique.

32. Dans sa décision n° 2012-1137 du 11 septembre 2012 portant sur la définition du marché pertinent de gros des services de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique, sur la désignation d'un opérateur exerçant une influence significative sur ce marché et sur les obligations imposées à cet opérateur sur ce marché, l'ARCEP a reconduit la régulation sectorielle pour la période 2012-2015.

33. Dans le cadre du projet de quatrième cycle de régulation de l'ARCEP, l'Autorité a remis au régulateur sectoriel l'avis n° 15-A-10 en date du 24 juillet 2015, dans lequel elle se déclarait à nouveau favorable au maintien d'une régulation ex ante du marché de gros amont des services de diffusion de la TNT sur la période 2015-2018.

3. LES SERVITUDES RADIOÉLECTRIQUES ET LA PRÉVENTION DES RISQUES DE BROUILLAGE

34. La multiplication des usages commerciaux du spectre radioélectrique (radio, TV, téléphonie mobile) et le nombre des sociétés privées concernées a changé les modalités de prévention et de règlement des problèmes éventuels de perturbations radioélectriques entre les opérateurs.

35. Les servitudes radioélectriques prévues par le Code des postes et des communications électroniques (CPCE) sont de deux types. D'une part, les servitudes de protection des centres de réception radioélectriques contre les perturbations électromagnétiques (servitudes " brouillage/réception " ou PT1, articles L. 57 à L. 62-1 du CPCE), qui posent des conditions ou restrictions à l'implantation ou l'utilisation d'équipements potentiellement perturbateurs. D'autre part, les servitudes de protection des centres radioélectriques d'émission et de réception contre les obstacles (servitudes " obstacles " ou PT2, articles L. 54 à L. 56-1 du CPCE), qui posent des conditions ou des restrictions à l'implantation de bâtiments dans le périmètre qu'elles définissent.

36. Aux termes des articles L. 54 et L. 57 du CPCE, les servitudes radioélectriques PT1 et PT2 ne peuvent être établies qu'au bénéfice des " différents départements ministériels ", cette terminologie devant être interprétée selon l'Agence nationale des fréquences (ANFR) dans son sens le plus large et comprendre les ministères ainsi que les établissements publics et services sous tutelle des ministères, qui contrôlent ou exploitent les centres. Pour les servitudes " obstacles ", les centres concernés par les dispositions de l'article L. 54 et R. 21 sont " les centres émetteurs ou récepteurs radioélectriques de toute nature exploités ou contrôlés par des administrations de l'État " (ANFR, établissement et gestion des servitudes radioélectriques, documentation de référence : ANFR/DR-08, édition 2007). De même, les servitudes " réception ", concernent, aux termes de l'article R. 27, les centres " exploités par les différents départements ministériels ou se trouvant sous la tutelle de l'un d'eux ".

37. Un groupe de travail sur les servitudes radioélectriques a été constitué en 2009 sur décision de la commission consultative des sites et servitudes (COMSIS) de l'ANFR. Celui-ci a conclu en juillet 2010 à l'absence de qualité de TDF pour se prévaloir des servitudes radioélectriques PT1 et PT2 depuis son changement de statut : " les infrastructures de communications électroniques exploitées par [...] TDF n'entrent plus, en raison de la modification du statut juridique de chacune des sociétés précitées, dans le champ d'application des articles L. 54 et L. 57 du CP&CE " (cotes 6943 et 6944).

38. Toutefois, les décrets ayant accordé des servitudes à TDF avant sa privatisation n'étaient pas formellement abrogés en 2009. Ils ne trouvaient tout simplement plus à s'appliquer comme c'est aussi le cas pour France Telecom, devenue Orange. La direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers a ainsi indiqué dans une note du 9 août 2012 que " France Télécom (FT) et Télédiffusion de France (TDF), devenus opérateurs privés ne peuvent plus bénéficier des servitudes qui s'appliquent aux termes des articles L.54 et L.57 du CPCE à des centres " exploités ou contrôlés par les différents départements ministériels " (cotes n° 21951 et 21952). La masse des abrogations à prévoir est toutefois très importante puisque, selon l'ANFR, " [à] ce jour TDF bénéficie de 2 390 décrets de servitudes, octroyées à l'époque de son statut public. " (cote 2654).

39. TDF relève donc de la procédure de droit commun de prévention des perturbations placée sous l'autorité de la commission consultative des sites et servitudes, dite " COMSIS ", instaurée par l'ANFR (article R.20-44-11 5 du CPCE), qui traite spécifiquement des aspects de compatibilité radioélectrique.

40. Comme l'indique la DGCIS, la procédure COMSIS " consiste à consulter l'ensemble des affectataires de fréquences, dénommés les pétitionnaires, sur tout projet d'implantation, de modification ou de transfert d'une station radioélectrique afin de s'assurer qu'il ne remet pas en cause les droits acquis par les stations existantes selon la règle dite " du premier arrivé, premier servi ", autrement dit qu'il ne va perturber les émissions des stations déjà installées. Lorsqu'une réserve est émise par l'un des pétitionnaires, une procédure de concertation technique est mise en œuvre, et c'est seulement lorsque celle-ci n'aboutit pas que l'agence émet un refus ou un avis négatif ". L'ANFR a par ailleurs précisé que " l'accord ou l'avis " COMSIS " concernant l'implantation des stations radioélectriques prend également en compte l'aspect servitudes " (cote 2383 de la saisine n° 09/0110M).

41. Au travers de la procédure COMSIS, un opérateur tel que TDF a donc la possibilité de faire valoir sa position sur un projet d'implantation de pylônes ou de modification de diffusion à partir de sites existants qui serait susceptible de perturber les émissions depuis l'un de ses sites. En effet, l'étude de compatibilité radioélectrique effectuée par l'ANFR et les affectataires de fréquences, tels que le CSA ou l'ARCEP, se fait avec le concours des opérateurs qui sont destinataires de l'ensemble des demandes d'autorisation et peuvent émettre des réserves sur ces projets au cours de la procédure de consultation (voir en ce sens l'avis de l'Autorité de la concurrence n° 11-A-20 du 15 décembre 2011, paragraphes 11 à 16).

42. L'ANFR a précisé en décembre 2011 que l'agence avait traité plus de 10 000 dossiers concernant des fréquences de TNT (implantation de nouveaux sites ou modification de sites existants). Les risques de perturbations sont très faibles puisqu'une seule réserve a été émise, par la direction générale de l'aviation civile, qui avait fait état d'un cas de risque d'interférence. Au demeurant, après approfondissement de l'étude du dossier, ce service ministériel a lui-même levé sa réserve. En conséquence, il apparaît qu'à ce jour aucun projet de TNT n'a dû être abandonné en raison d'un problème avéré de compatibilité radioélectrique détecté par l'ANFR (cote n° 2652).

B. LES ACTEURS DU SECTEUR

43. La physionomie concurrentielle du secteur a évolué depuis le lancement de la TNT en 2005. Pendant le déploiement du réseau principal, entre 2005 et 2007, le secteur se caractérisait par une pluralité de petits opérateurs alternatifs ayant essentiellement recours aux services d'hébergement sur les infrastructures de l'opérateur historique, TDF, pour construire leurs propres offres de diffusion. Le nombre d'acteurs était plus réduit lors du déploiement du réseau complémentaire, à partir de 2008, en raison du rachat de plusieurs opérateurs alternatifs par TDF. Cependant, sur cette même période, un nouvel opérateur, Itas Tim, est entré sur le marché en proposant ses offres de diffusion à partir de ses propres infrastructures qu'il déploie progressivement.

1. ITAS TIM

44. La société saisissante, Itas Tim, est une société par actions simplifiée contrôlée par le groupe Itas et par des actionnaires privés. L'activité principale d'Itas Tim est d'offrir des services de diffusion par voie hertzienne et la société est à ce titre déclarée comme opérateur de réseaux de communications électroniques auprès de l'ARCEP selon les dispositions de l'article L. 33-1 du CPCE.

45. Itas Tim intervient en tant que diffuseur de la TNT et de la radio analogique depuis 2008 et propose ses prestations à l'ensemble des MUX de télévision numérique en France, aux télévisions locales et aux éditeurs de radios. Parallèlement, Itas Tim intervient en tant que gestionnaire de sites en fournissant des prestations d'hébergement pour les autres opérateurs sur ses propres pylônes (cote n° 6932).

46. Selon le " Bilan et Perspectives 2012 " de l'ARCEP, en possédant 189 sites, implantés essentiellement sur le réseau complémentaire de la TNT, Itas Tim est le principal concurrent de TDF en infrastructures. Itas Tim a par ailleurs répliqué un des 78 sites qualifiés de non réplicables par l'ARCEP en 2009, " montrant ainsi sa volonté stratégique de se développer également sur le réseau principal " (cote n° 11701).

47. Le chiffre d'affaires d'Itas Tim était, en 2009, de l'ordre de 2 millions d'euros dont 400 000 euros pour ses activités d'opérateur de TNT.

2. TDF

48. Télédiffusion de France, créée en 1975 sous la forme d'un établissement public à caractère industriel et commercial disposant du monopole de la radiodiffusion et de la télédiffusion hertzienne, a été transformée en société anonyme à capitaux publics majoritaires en 1987 prenant le nom de " TDF ". TDF a perdu son monopole légal de diffusion par la loi n° 2003-1363 du 31 décembre 2003. Elle a été privatisée en 2004.

49. Cette entreprise a pour principale activité la diffusion de services audiovisuels (télévision et radio). Elle développe également ses activités dans les domaines des services d'information multimédia et de la diffusion sur Internet.

50. TDF est détenue à 100 % par la société française Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue récemment TDF Infrastructure SAS, elle-même détenue à hauteur de 98,49 % par une autre société française, Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue récemment TDF infrastructure Holding SAS. Tyrol Acquisition 1 SAS est détenue à 100 % par Tyrol Acquisition 1 & Cie, société en commandite par actions de droit luxembourgeois. L'unique actionnaire commandité de Tyrol Acquisition 1 & Cie SCA est la société Tyrol Acquisition 1, société à responsabilité limitée de droit luxembourgeois, elle-même détenue à plus de 69 % par divers fonds d'investissement.

51. Le Groupe TDF dispose d'environ 8730 sites en France (cote n° 5589), qui sont les supports de services de diffusion audiovisuelle ou de services de communications électroniques et dont environ 3600 sont exploités pour la diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels.

52. En 2009, le chiffre d'affaires total réalisé par TDF en France s'élevait à environ 810 millions d'euros. Le chiffre d'affaires réalisé par TDF sur la diffusion hertzienne terrestre de la télévision analogique et numérique en France était de 387,5 millions d'euros (300,8 millions d'euros pour la télévision analogique et 86,7 millions d'euros pour la télévision numérique). Le groupe a quant à lui réalisé un chiffre d'affaires hors taxe mondial consolidé de 1,63 milliard d'euros.

3. LES AUTRES ACTEURS DU SECTEUR

53. Outre Itas Tim, TDF et les opérateurs Antalis et Emettel rachetés respectivement par TDF en 2006 et 2008, deux autres opérateurs de diffusion et un opérateur de multiplex en autodiffusion (CNH, qui regroupe notamment les chaînes du groupe Canal +) étaient présents sur les marchés de la diffusion hertzienne en métropole à l'époque des pratiques.

a) Towercast

54. Towercast, filiale à 100 % du groupe NRJ est à la fois acteur sur le marché de la diffusion de la radio et de la TNT depuis son lancement en 2005. Elle possède un parc d'environ 500 sites-pylônes dont 119 sont utilisés pour la diffusion TNT et 6 d'entre eux sur le réseau principal.

55. Outre la diffusion de la TNT sur ses propres sites, Towercast diffuse également les programmes de TNT à partir d'un hébergement sur les pylônes de TDF. La société a privilégié le développement d'une concurrence partielle en infrastructures via notamment l'implantation de son propre système antennaire sur les pylônes de TDF. En 2010, d'après l'ARCEP, la contribution du pôle " diffusion " au chiffre d'affaires du groupe NRJ s'est élevée à 33,9 millions d'euros.

b) Onecast

56. Onecast était à l'époque des pratiques une filiale à 100 % du groupe TF1 fournissant des offres de diffusion de la TNT depuis 2007 sur une base exclusive d'hébergement par TDF, à l'exception de deux sites détenus en propre, et uniquement sur le réseau principal. Le 30 octobre 2014, Onecast a cédé la totalité de ses actifs à Itas Tim qui en est devenue la société mère, faisant passer le nombre de concurrents de TDF de trois à deux.

C. LES PRATIQUES MISES EN œUVRE

1. LA POLITIQUE DE COMMUNICATION DE TDF AUPRÈS DES COLLECTIVITÉS

a) La communication générale sur le déploiement de la TNT

57. La communication de TDF destinée aux collectivités locales lors de la période d'extension de la couverture de la TNT s'est organisée en trois temps.

58. Dans un premier temps, début 2008, TDF indique avoir pris la décision, face à l'accroissement des demandes d'informations qui lui étaient adressées, de mettre au point des éléments de langage à destination de ses représentants locaux en s'efforçant de délivrer aux collectivités l'information nécessaire. Ainsi, un certain nombre de courriers types ont été envoyés, au premier trimestre 2008, aux collectivités locales généralement à la suite d'un entretien téléphonique ou de réunions entre TDF et les élus des communes concernées.

59. Dans un deuxième temps, fin 2008, l'action de communication de TDF s'est poursuivie par la diffusion d'une plaquette intitulée " Ambition Numérique - Faciliter la mutation des territoires " et d'interventions entre octobre 2008 et mars 2009 auprès des conseils généraux de 71 départements devant comporter des zones blanches (cotes 6077 et 6112 à 6150).

60. TDF fait valoir dans cette plaquette son expérience dans la diffusion et se présente comme un partenaire solide pour les élus locaux (cotes 6094, 6118 et 6119) qui " contribue[r] à limiter le nombre de pylônes sur le territoire " (cote 6124). Aussi, dans le chapitre " Les sites : un patrimoine mutualisé au service du public ", il est indiqué que " TDF opère dans une logique de mutualisation (plusieurs services sur un même site) [...]. Ainsi, ses sites permettent d'accueillir plusieurs opérateurs qui se partagent l'infrastructure ou le pylône, chacun y installant ses propres antennes et équipements afin de desservir ses propres clients " (cote 6126). Enfin, dans le chapitre " La TNT, un pont vers la télévision de l'avenir ", TDF se présente comme " facilitateur de la TNT ", notamment en ce qu'elle " accueille ses concurrents sur plusieurs de ses sites " (cote 6131).

61. TDF présente la plaquette Ambition Numérique comme une démarche commerciale destinée exclusivement aux collectivités locales concernées par la problématique des zones blanches de la TNT " au cas où elles décideraient de devenir elles-mêmes opérateur de diffusion pour assurer la couverture de leur commune en TNT " (cote 6078).

62. Mais l'expression " zones blanches " n'apparaît pas dans le document puisque, en novembre 2008, le CSA n'avait pas encore défini la liste des 1626 zones retenues pour définir la couverture nationale de la TNT, qui n'a été publiée que le 16 décembre 2008. La loi autorisant les collectivités locales à obtenir des fréquences de diffusion de la TNT dans les zones non couvertes par les MUX n'a été promulguée, quant à elle, que le 5 mars 2009.

63. Dans un troisième temps, TDF a lancé le " TNT Tour ", qui a commencé courant 2009 à la suite de la publication par le CSA des 1626 sites du schéma d'extension de la couverture de la TNT (cotes 5619 et 5620). Dans les documents utilisés, il est notamment indiqué que " [l]a TNT n'impose pas de construire un nouveau pylône : le pylône existant convient parfaitement " (cotes 5675 et 7922).

b) La communication de TDF auprès des collectivités locales de la plaque Alsace

Le courriel adressé par TDF aux communes de la plaque Alsace

64. En amont du déploiement du réseau de la TNT sur la " plaque Alsace ", première plaque du réseau complémentaire à avoir été concernée par le passage au tout numérique après les régions pilotes de Coulommiers, Kaysersberg et le Nord-Cotentin, TDF a pris contact téléphoniquement avec la grande majorité des collectivités concernées et doublé ce contact téléphonique par l'envoi d'un courriel type intitulé " Site de diffusion TDF et passage de la TV analogique à la TNT, mes coordonnées suite à notre entretien " (voir notamment cotes 6482, 6484, 6485, 6503).

65. Le responsable du Parc de Sites (RPS) de la zone Alsace-Lorraine de TDF, a adressé en juillet 2009 ce courriel groupé à 27 communes de la région - c'est-à-dire la quasi-intégralité des 31 communes concernées par le déploiement de la TNT en Alsace - en amont des résultats des appels d'offres des MUX. Ce courriel type a donc été envoyé concomitamment au lancement des appels d'offres des MUX sur cette plaque (cote 23259), c'est-à-dire au moment où les diffuseurs choisissant d'utiliser leurs propres pylônes devaient préparer leurs offres aux MUX et dépendaient donc des décisions des communes sur les projets d'implantation d'infrastructures concurrentes à celles de TDF.

66. Un exemple de ce courriel est reproduit ci-dessous (cote 6483) :

[Tableau]

67. Ce courriel se présente comme une " suite à notre entretien " et a pour but de souligner les " points importants " qu'il faut retenir en plus du rôle de " mutualiseur de sites " de TDF qui est rappelé. Les dates de ces entretiens ne sont pas précisées, mais le premier contact avec une collectivité de la plaque Alsace attesté au dossier est celui du 27 janvier 2009 au cours duquel le maire de Thiéfosse a indiqué s'être renseigné auprès de TDF sur une possibilité d'hébergement à la suite d'une demande d'implantation d'un pylône par Itas Tim (cote 8070).

68. Au-delà des moyens d'obtenir d'autres précisions, le point essentiel est une consigne impérative selon laquelle, en cas de demande d'installation d'un pylône concurrent, il est " nécessaire [d'] aviser [TDF] de la chose afin d'anticiper toute perturbation ". TDF justifie cette consigne par le fait que ses sites " sont parfois protégés par des servitudes radioélectriques et reliés par des faisceaux hertziens ", étant fait mention du fait que les sites de TDF diffusent " généralement plusieurs services ", sans que le lien entre cette multiplicité de services, la servitude et le risque de perturbation ne soit précisément expliqué.

69. Or, les servitudes qui sont mentionnées ne peuvent trouver leur origine que dans la période du monopole antérieure à 2004 puisque, en l'absence de textes réglementaires en ce sens, de telles servitudes ne pouvaient être attribuées à une entreprise privée opérant en concurrence. De plus, l'instruction a montré que, sur les 27 communes contactées par TDF, 14 ne sont grevées par aucune servitude radioélectrique datant de l'époque du monopole historique (cotes 18227 à 18 267).

70. En résumé, ce courriel, adressé quasiment à tous les maires concernés par le déploiement de la TNT, présente l'implantation d'infrastructures concurrentes colocalisées comme une source potentielle de problèmes pour les téléspectateurs tout en mettant en avant le rôle de mutualisation de TDF en matière d'hébergement qui offre par son hébergement une solution sans risque. À partir de ces affirmations, il présente la consultation préalable de TDF sur les projets de ses concurrents comme " nécessaire ".

Les interventions directes auprès des collectivités

En ce qui concerne la commune de Thiéfosse

71. Le maire de Thiéfosse indique avoir été contacté par Itas Tim, début 2009, pour une demande d'accès à un terrain communal, en vue de l'implantation d'un pylône. Un projet de bail entre Itas Tim et la commune pour la location d'un terrain cadastré sur la commune de Thiéfosse a même été préparé en ce sens (cotes 8080 à 8094). Puis, la commune a contacté TDF par téléphone et courriel le 27 janvier 2009 pour des renseignements sur une " possibilité d'accueil sur pylône " de TDF (cote 8071)

72. Le conseil municipal de Thiéfosse, par délibération du 26 février 2009, a ensuite rejeté le projet d'Itas Tim, en donnant l'explication suivante : " Après renseignements pris auprès de TDF, avec qui nous avons une convention signée en 1995 pour 30 ans, TDF postule également auprès du CSA pour la couverture de la TNT sur Thiéfosse. " Le Conseil a enfin adopté une proposition demandant que " la société Itas Tim se rapproche de TDF pour un regroupement sur un seul poteau " (cote 8109).

73. La lettre du maire de Thiéfosse à Itas Tim du 7 mars 2009 reprend fidèlement cette proposition : " À la suite de votre demande d'implantation d'un émetteur TNT sur la commune de Thiéfosse, je vous informe que le conseil municipal, lors de sa séance du 26 février dernier, a rejeté votre requête. Le conseil municipal vous demande de vous rapprocher de TDF afin de vous implanter sur leur poteau déjà existant sur le territoire " (cote 8078).

En ce qui concerne la commune de Mitzach

74. Le cas de la commune de Mitzach est présenté en détail dans le tableau ci-après car il illustre parfaitement la manière dont le courriel type pouvait influer sur la décision des maires :

[Tableau]

75. Il ressort du tableau ci-dessus qu'à la suite du courrier type adressé par TDF, le maire de Mitzach s'est opposé par écrit, à deux reprises, au projet d'Itas Tim d'implanter son propre pylône sur un terrain communal, alors qu'il l'avait précédemment autorisé à déposer une déclaration préalable de travaux. Ce n'est qu'après un échange de courrier, un nouveau dépôt de déclaration préalable et l'organisation d'une réunion tripartite avec Itas Tim et TDF que le maire de Mitzach a levé son opposition.

76. L'obtention de l'avis favorable à la déclaration préalable de travaux a pris quatre mois, retardant d'autant l'installation du pylône alors qu'Itas Tim avait remporté plusieurs appels d'offres lancés par les MUX. L'allumage du site de TNT est intervenu avec un mois de retard par rapport à la date prévue par le CSA. Pour limiter ce retard, Itas Tim a dû installer ses équipements dans l'urgence en moins de 15 jours (cotes 6683 à 6697).

En ce qui concerne la commune de Plaine

77. Le courriel type de TDF a été adressé à la mairie de Plaine le 2 juillet 2009 alors que les appels d'offres des MUX SMR6, NTN, CNH et MULTI 4 impliquant la zone de Plaine étaient en cours et, le 6 juillet 2009, le représentant de TDF a rencontré la communauté de communes de la Haute-Bruche, dont fait partie la commune de Plaine, " afin de lui présenter le déploiement de la TNT sur l'ensemble des sites de la Haute-Bruche " (cote 6615).

78. Début octobre 2009, les MUX adressent des courriers au maire de Plaine, aux maires d'autres communes de la plaque Alsace et à la sous-préfète, indiquant qu'à l'issue de leurs appels d'offres, ils avaient retenu Itas Tim pour la diffusion de leurs chaînes sur la zone concernée. Ils indiquent également qu'ils souhaitent que le meilleur accueil soit réservé à Itas Tim, les délais de mise en service de la TNT étant " très tendus ".

79. Le 12 octobre 2009 une réunion est organisée entre les élus de la vallée de la Haute-Bruche " concernés par le projet de déploiement de la TNT (PLAINE, SCHIRMECK, LUTZELHOUSE, LA BROQUE, SAALES) " et les opérateurs de diffusion TDF et Itas Tim. Comme l'indique le compte rendu, l'objet de la réunion est que les élus " ne comprennent pas l'installation d'un second pylône à proximité du pylône exploité par TDF. En effet, il s'avère techniquement possible que la TNT se déploie sans construction d'un nouveau pylône : le pylône de TDF pourrait être utilisé par ITAS TIM, contre rémunération financièrement acceptable. TDF a la maîtrise juridique des sites exploités et peut accueillir à des prix régulés d'autres entreprises " (cote 785 de la saisine n° 09/0110M).

80. Itas Tim a finalement obtenu le 28 décembre 2009 un arrêté de non-opposition à la déclaration préalable qu'elle avait déposée alors que la diffusion de la TNT à partir du site de Plaine avait été planifiée par le CSA pour fin octobre 2009 (cote n° 789). Le cas de La Plaine a d'ailleurs été mentionné par le MUX MULTI 4 parmi les " exemples marquants " des difficultés de mise en service rencontrées par Itas Tim sur la plaque Alsace (cote 5050).

c) L'utilisation par TDF de l'argument des servitudes et des risques de brouillage

81. Dans le cadre de l'instruction de déclarations préalables par les collectivités locales, TDF a rendu à plusieurs reprises des avis négatifs à l'implantation de pylônes alternatifs au motif de l'existence de servitudes radioélectriques PT1 ou PT2 alors même qu'elles étaient dépourvues de base légale. Dans tous ces cas, TDF a accepté de rendre de tels avis négatifs sans alerter les collectivités sur le fait qu'elles ne pouvaient plus la solliciter en qualité d'organisme public au sens de l'article R. 423-59 du Code de l'urbanisme. Dans d'autres cas, elle s'est prévalue de servitudes radioélectriques qui n'avaient jamais existé, même du temps du monopole, pour s'opposer à l'implantation d'infrastructures concurrentes.

En ce qui concerne la commune de Château-Gontier

82. Saisi de déclarations préalables présentées par Itas Tim en vue de l'implantation de son propre pylône, le service d'urbanisme de la commune de Château-Gontier a sollicité, le 4 mars 2009, l'avis de TDF sur ce projet, les documents urbanistiques de la commune mentionnant l'existence de servitudes radioélectriques anciennes.

83. Comme le montre la copie du courrier reproduit ci-après (cote 1522, saisine n° 09/0110M), cette demande de la commune a pris une forme officielle au titre de la " consultation des personnes publiques, services ou commissions intéressées " :

[Tableau]

84. La direction régionale Ouest de TDF a répondu, le 24 mars 2009, à la commune par un courrier dont l'objet est : " Avis sur demande de permis de construire ". Cet avis est en l'espèce négatif puisqu'il mentionne deux servitudes établies au profit de l'établissement public TDF, datant de 1976, et indique que " Les installations envisagées se situent dans la zone d'interdiction de la servitude PT1 jointe au présent courrier et pourraient être susceptibles de perturber la diffusion existante de la station ". La pièce jointe au courrier est une copie du document d'époque établissant la zone de protection à en-tête de " Télédiffusion de France, Établissement public de l'État " (cote 202 du dossier 09/0110 M).

85. Sans indiquer qu'elle n'est plus une personne publique, TDF fait état d'un risque de perturbation de la diffusion relevant d'une servitude de type PT1 et non des risques d'obstacle à la réception créé par une construction nouvelle de type PT2. Pourtant le courrier ajoute " Nous attirons votre attention sur l'application de l'article L 112-12 du Code de la construction et de l'habitation en cas de perturbations à la réception des émissions chez les téléspectateurs ".

86. Cette mention, qui aurait pu être pertinente dans le cas d'une servitude " obstacle à la réception " de type PT2, n'a pas de sens pour une servitude de type PT1. En effet, l'article L 112-12 du Code la construction et de l'habitation prévoit que "Lorsque la présence d'une construction, qu'elle soit ou non à usage d'habitation, apporte une gêne à la réception de la radiodiffusion ou de la télévision par les occupants des bâtiments voisins, son propriétaire ou les locataires, preneurs ou occupants de bonne foi ne peuvent s'opposer, sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, à l'installation de dispositifs de réception ou de réémission propres à établir des conditions de réception satisfaisantes ".

87. Suite à cet avis défavorable, la commune de Château-Gontier a préparé un projet d'arrêté d'opposition à la déclaration préalable de travaux d'Itas Tim, qui reprend intégralement l'argumentation de TDF (cote 200) :

[Tableau]

88. Ce projet adressé par fax à Itas Tim le 14 avril 2009, avant son adoption, a suscité une réaction immédiate du directeur général d'Itas Tim qui, à la suite de plusieurs échanges téléphoniques et de courriers, a pu faire valoir auprès de la commune que TDF était une entreprise privée et non un service de l'État et qu'en conséquence les servitudes mentionnées étaient caduques. Finalement, la commune de Château-Gontier a changé de position et a pris un arrêté de non-opposition à déclaration préalable de travaux.

En ce qui concerne la commune de Condé-sur-Noireau

89. Quelques mois après l'épisode de Château-Gontier, la même direction régionale Ouest de TDF, sollicitée à titre informel le 20 août 2009 par la commune de Condé-sur-Noireau sur une demande de travaux d'Itas Tim en vue de l'installation d'un pylône de diffusion, a rendu le 14 septembre 2009 un avis négatif dans les mêmes termes, avec la mention de servitudes datant de 1982, une motivation basée sur l'existence d'une " zone d'interdiction ", l'envoi d'un document ancien à en-tête de " l'Établissement public TDF " et le rappel de l'article L.112-12 du Code de la construction relatif aux obstacles à la réception (cote 2288).

90. Informé par la mairie de Condé-sur-Noireau de cette " consultation pour avis " préalable à la prise de l'arrêté de non-opposition, le directeur général d'Itas Tim a, dans un courrier du 7 septembre 2009, avant même la réception de l'avis négatif de TDF, fait valoir les arguments déjà développés devant la commune de Château-Gontier en indiquant notamment que " Sur la forme, TDF n'est plus un " Établissement Public de l'État " d'une part, mais est bien une société privée susceptible d'être concurrencée par d'autres opérateurs, et ce, depuis plusieurs années, pourtant ils utilisent des documents dont l'en-tête est au nom de " l'Établissement public ". Sur le fond, si TDF écrit que nos installations situées dans la zone d'emprise de la servitude PT1 pourraient perturber leur diffusion, qu'en aurait-il été de cette soi-disant perturbation si les signaux avaient été diffusés de leur propre site ? ".

91. Ces arguments ont été convaincants puisque l'arrêté de non-opposition rendu le 1er octobre 2009, ne fait état ni de l'avis défavorable de TDF du 7 septembre, ni de contraintes liées à l'existence de servitudes (cote 6711).

En ce qui concerne la commune de Sisteron

92. Dans un premier temps, le maire de Sisteron ne s'est pas opposé à l'implantation d'un nouveau pylône et a pris, le 29 janvier 2009, un arrêté de non-opposition à la déclaration préalable de travaux déposée par Itas Tim (cote 220 de la saisine n° 09/0110M).

93. Par un courrier en date du 2 mars 2009 adressé au député-maire de Sisteron, TDF a fait valoir son mécontentement à l'encontre de cet arrêté, soutenant que le projet d'Itas Tim, outre le fait que le premier terrain envisagé en colocation avec TDF n'était pas disponible, se situait dans une zone de servitude radioélectrique : " nous sommes particulièrement étonnés, [...] que [...] vous n'ayez pas entrepris les consultations nécessaires avant de délivrer votre arrêté de non opposition alors que le projet se situe à l'intérieur du périmètre d'une servitude de protection radioélectrique, comme l'atteste le POS de Sisteron " (cote 223 de la saisine n° 09/0110M).

94. Cependant, la consultation du répertoire des servitudes accessible depuis le site de l'ANFR fait apparaître qu'il n'existe aucune servitude radioélectrique grevant la commune de Sisteron, ce qui a été confirmé par l'ANFR : " concernant Sisteron, nous n'avons aucune installation ayant ou ayant eu de servitudes radioélectriques " (cotes 22018 à 22021 et 18441).

En ce qui concerne la commune de Ruy-Montceau (zone de Bourgoin-Jallieu)

95. Sollicitée, le 26 octobre 2009, par le maire de Ruy-Montceau au sujet d'une déclaration préalable de travaux déposée par Itas Tim pour l'installation d'un pylône, TDF a rendu, le 17 novembre 2009, un avis négatif en s'appuyant sur l'existence de servitudes PT1 et PT2 en des termes très clairs : " la construction envisagée perturbera la propagation des ondes radioélectriques émises par le site TDF de Bourgoin-Ruy. Le projet présenté étant incompatible avec les dispositions réglementaires applicables à la zone de construction et créant un obstacle à la propagation des ondes, TDF ne peut donner son accord au projet objet de la déclaration préalable [...] " (cotes 6563 et 6564).

96. Néanmoins, le répertoire des servitudes accessible depuis le site de l'ANFR fait apparaître qu'il n'existe aucune servitude radioélectrique grevant la commune de Bourgoin-Jallieu (cotes n° 22003 à 22014). Le chef du département sites et servitudes de l'ANFR a par ailleurs indiqué : " [j]e vous confirme qu'il n'existe aucune servitude radioélectrique au bénéfice de TDF sur les communes indiquées ". Il a également précisé qu'" [a]près recherche et interrogation de France Telecom, la servitude notée sur le PLU de la commune de Bourgoin Jallieu n'a pas lieu d'être. Une installation de [France Telecom] a bien existé sur cette commune et une servitude a été envisagée en 1986, une enquête préliminaire avait été faite, mais aucune suite n'a été donnée par [France Telecom] " (cote 8441).

97. Il en résulte que TDF n'a jamais été bénéficiaire de servitudes radioélectriques sur le site de Bourgoin-Ruy-Montceau, même du temps du monopole de l'établissement public. Il est à noter que, dans son courrier au maire, la direction Centre-Est de TDF se désigne elle-même comme un " service " au sens de l'article R.34 du CPCE : " il est interdit (article R.24), sauf autorisation du service exploitant le centre radioélectrique, de créer dans la zone grevée de la servitude des obstacles fixes ou mobiles ".

98. Pourtant, l'article R.34 utilise le terme service non pas au sens large d'exploitant public ou privé, mais au sens juridique restrictif de " service de l'État " comme le montre sa rédaction : " Dans toute zone primaire, secondaire ou spéciale de dégagement, ainsi que dans tout secteur de dégagement, il est interdit, sauf autorisation du ministre dont les services exploitent le centre ou exercent la tutelle sur lui, de créer des obstacles fixes ou mobiles ". (CPCE, article R.34, soulignement ajouté).

99. Pourtant, c'est bien l'avis défavorable rendu par TDF qui a justifié l'arrêté d'opposition pris par le maire de Ruy-Montceau le 5 mars 2010. L'arrêté mentionne en effet par trois fois " l'avis défavorable de TDF " dont il reprend souvent mot pour mot la rédaction, notamment en ce qui concerne la substance de l'article R.24 du CPCE et l'assimilation de TDF à un " service " (cotes 6565 et 6566) :

[Tableau]

100. Malgré un recours gracieux d'Itas Tim et la transmission de l'avis favorable de l'ANFR reçu au titre de la procédure COMSIS, le maire de Ruy-Montceau a maintenu, par courrier du 13 avril 2010, son opposition initiale au projet (cotes 889 à 894).

En ce qui concerne la commune de Vendôme

101. TDF, sollicitée en avril 2010 par la commune de Vendôme sur un projet d'Itas Tim, a rendu, le 5 mai 2010, un avis défavorable en invoquant une localisation dans la zone de protection de type PT2 délimitée de façon manuscrite et approximative sur un plan accompagnant l'avis (cotes 1341, 1350 et 567). Selon TDF, l'implantation se serait trouvée à 3,50 m à l'intérieur d'une zone grevée d'une servitude de type PT2 (obstacle) ce qui demandait un déplacement du projet de pylône. Mais, selon Itas Tim, le plan manuscrit était trop imprécis pour démontrer l'existence d'un empiétement aussi réduit.

102. Cependant, sur la base de cet avis défavorable de TDF, la commune de Vendôme a refusé la déclaration de travaux en invoquant à nouveau l'article R.34 du CPCE relatif aux autorisations ministérielles. Un historique du dossier d'Itas Tim établi par la commune de Vendôme lors de son audition fait état d'une " conversation téléphonique avec M. X..., service juridique de TDF, qui confirme l'impossibilité de s'implanter tel que cela est prévu et qui confirme également que la servitude nous oblige à les consulter " (cote 1349).

103. Enfin, saisie d'un recours gracieux d'Itas Tim contre sa décision de refus, la commune de Vendôme a consulté l'ANFR qui a indiqué avoir rendu un avis favorable à l'implantation du projet d'Itas Tim, le 21 mai 2010, au titre de la procédure COMSIS et en a déduit que " la compatibilité radioélectrique des stations en cause de TDF et d'Itas Tim est donc acquise " et que l'avis de TDF était illégal. Cette clarification a conduit au retrait de l'arrêté d'opposition par le maire de Vendôme.

104. À la suite de cet avis de l'ANFR du 21 mai 2010 rendu dans le dossier de Vendôme, TDF a cessé de répondre aux communes qui l'ont sollicitée pour avis sur les demandes d'autorisation de travaux et les a systématiquement renvoyées vers l'ANFR.

2. LES REFUS OPPOSÉS PAR TDF AUX DEMANDES D'ACCÈS À SES TERRAINS PRÉSENTÉES PAR LES CONCURRENTS AFIN D'Y INSTALLER LEURS PROPRES INFRASTRUCTURES

105. Dans sa saisine, Itas Tim a contesté le fait que TDF lui refuse l'accès à ses terrains, occupés soit en qualité de propriétaire soit en qualité de locataire, pour y installer ses propres pylônes de radiodiffusion.

106. Les services d'instruction ont cherché à déterminer les sites occupés par TDF dont l'accès serait indispensable au déploiement d'infrastructures concurrentes, compte tenu notamment de l'exigence de colocalisation des sites concurrents de diffusion de la TNT. Au terme de cette démarche, ils ont retenu 19 terrains de TDF comme étant indispensables pour l'implantation d'infrastructures concurrentes et pour lesquels un refus d'installation a été opposé à Itas Tim.

3. LES REMISES PRATIQUÉES PAR TDF À L'OCCASION DES APPELS D'OFFRES

107. Les éléments du dossier montrent que TDF a appliqué, entre octobre 2005 et mars 2009, lors des appels d'offres lancés par les MUX, plusieurs remises :

? une remise liée au nombre de sites de TDF que chaque MUX sélectionne à l'intérieur de zones géographiques délimitées par TDF pour chaque appel d'offres (ci-après, " la remise de plaque géographique "),

? une remise liée au volume de chiffre d'affaires annuel réalisé par TDF auprès de chaque MUX (ci-après, " la remise au volume "),

? la fourniture gratuite de la prestation de synchronisation des émetteurs lorsque la totalité des émetteurs d'une plaque mono fréquence (" SFN ") est confiée à TDF par le MUX, assimilable à une remise (ci-après, " la remise SFN ").

a) La remise de plaque géographique

108. Suivant le document d'aide au chiffrage personnalisé fourni par TDF dans ses réponses aux appels d'offres, une remise sur la part " émission " du prix est accordée lorsqu'un MUX retient TDF pour un certain nombre de sites de l'appel d'offres sur un même sous-ensemble géographique appelé " plaque géographique " (cote 10185). La remise de plaque (ou " effet plaque ") est le plus souvent proposée lors du second tour de l'appel d'offres (voir le tableau récapitulatif au paragraphe 513 de la notification des griefs).

Taux et seuils de déclenchement de la remise de plaque

109. Les taux de la remise de plaque varient entre 3 % et 23 % (cote 21937) sur des plaques comprenant entre 2 et 32 sites (cotes 22582 à 22588). Pour chaque plaque, TDF propose souvent deux ou trois taux de remise en fonction du nombre de sites qui lui sont attribués par le MUX lors de l'appel d'offres. Plus le nombre de sites confiés à TDF est important, plus le pourcentage de remise est élevé. Quel que soit le taux retenu, la remise n'est accordée que si une part substantielle des sites, presque toujours supérieure à 70 %, est confiée à TDF.

110. Il n'existe pas de grille standardisée pour l'application de cette remise. Il s'agit donc d'une remise individualisée qui varie, dans ses taux et dans ses seuils, non seulement selon les plaques géographiques concernées, mais aussi, pour une même plaque, en fonction des MUX, certaines remises étant par exemple proposées à certains MUX mais pas à d'autres.

111. En ce sens, les éléments recueillis par l'instruction font apparaître, sur la base de la quasi-intégralité des propositions commerciales de TDF faites aux clients MUX, que, sur la période concernée, les seuils d'obtention des remises de plaque géographique représentaient, en moyenne, suivant les taux applicables, entre 76 % et 98 % des sites d'une plaque géographique (tableau infra).

Répartition des plaques géographiques en fonction des seuils de déclenchement de la remise exprimés en pourcentage des sites à attribuer (taux de remise inférieur* [S1], intermédiaire** [S2] ou supérieure [S3])

[Tableau]

Source : données communiquées par TDF - calculs ADLC

* ce taux inclut les remises ayant un seul et unique taux de remise

**ce taux inclut les taux supérieurs des remises comportant deux taux

112. Le tableau ci-dessus se lit de la façon suivante. Par exemple, pour les plaques présentant deux seuils de remise (S1 et S2), le seuil supérieur de remise correspondait, pour 52 % d'entre elles, à une part de site attribuée à TDF d'au moins 90% et 96 % de ces plaques comprenant deux seuils de remise présentaient un seuil supérieur de remise supérieur à 70 % des sites de la plaque attribués à TDF. De même, pour les plaques comprenant trois seuils de remise, 86% d'entre elles présentaient un seuil maximal d'obtention des remises supérieur à 90 % des sites de la plaque attribués à TDF et 100 % d'entre elles présentaient un seuil maximal d'obtention des remises exigeant que plus de 80 % des sites de la plaque soient attribués à TDF.

113. Il apparaît donc que la part des sites que le MUX doit confier à TDF pour obtenir les remises correspond la plupart du temps à une fraction considérable des sites de la plaque géographique considérée.

114. Deux exemples permettent d'illustrer cette situation. Dans sa réponse à l'appel d'offres lancé par le MUX NTN pour la phase de déploiement 7c, qui concernait 49 sites de diffusion, TDF a identifié, dans sa proposition commerciale datée du 17 novembre 2009 (cotes 15675 à 15680), quatre plaques sur lesquelles se répartissent les 49 sites de l'appel d'offres. Les taux de remise et les seuils de déclenchement de la remise étaient fixés comme suit.

[Tableau]

115. De même, dans sa réponse à l'appel d'offres lancé par SMR6 pour la phase de déploiement 7c/7d, qui concernait 91 sites de diffusion, TDF a identifié dans sa proposition commerciale de janvier 2009 (cotes 10541 à 10552), huit plaques concernant 82 sites (sur 91) de l'appel d'offres avec les taux de remise et les seuils de déclenchement suivants :

[Tableau]

116. Il ressort de ces deux exemples que la remise proposée, d'une part, est susceptible de concerner une proportion très importante de la demande de diffusion exprimée par les MUX lors de chaque phase de déploiement de la TNT et, d'autre part, que le nombre absolu de sites n'est pas déterminant pour fixer le niveau de la remise, seul le pourcentage de sites de la plaque attribué à TDF étant pertinent pour accorder la remise.

Durée et étendue de la pratique

117. Cette remise de plaque géographique a été mise en œuvre entre les phases 3 et 8a du déploiement de la TNT, entre fin 2005 et mars 2009 (cote 17823).

118. La remise a porté principalement sur 43 plaques géographiques (cotes 18734, 22582 à 22588), incluant 357 sites. Dans la mesure où une remise de plaque géographique était souvent proposée à plusieurs MUX sur une même plaque, la remise de plaque géographique a été proposée aux MUX à 141 reprises sur 1022 points de service au total.

119. La part des sites inclus dans une plaque géographique délimitée par TDF, au regard du nombre total de sites concernés par les appels d'offres, varie fortement selon les phases de déploiement de la TNT et selon les MUX comme le montre le tableau suivant :

[Tableau]

Source : données communiquées par TDF - calculs ADLC

120. Il apparaît ainsi que, dans un très grand nombre de cas des phases 3 à 8a, au moins la moitié des sites sont visés par le mécanisme de remise de plaque géographique et que, pour les MUX R2, R3, R4 et R6, la quasi-totalité du déploiement du réseau secondaire (phases 7 et 8) a été touchée par les remises de plaque géographique.

b) La remise au volume de chiffre d'affaires

121. TDF a mis en place un mécanisme de remise au volume lié au montant de chiffre d'affaires annuel généré par chaque MUX au titre de l'ensemble des contrats en cours. Ce montant est appelé par TDF " montant annuel qualifiant ". Ce montant a un caractère cumulatif et augmente donc au fil des ans à mesure que le MUX passe de nouveaux contrats avec TDF. En outre, la remise annuelle s'inscrit dans un contrat plus long, la sélection des diffuseurs par les MUX se faisant par appels d'offres pour des durées fixes, généralement de cinq ans.

122. Le mécanisme de remise au volume a été introduit au cours de l'année 2005 dans ses propositions commerciales relatives à la phase 3 du déploiement de la TNT. La remise au volume a ainsi été proposée au MUX GR1 entre juin 2005 et juin 2007, aux MUX NTN et CNH entre septembre 2005 et novembre 2007, au MUX MULTI 4 entre juillet 2005 et février 2008 et au MUX SMR6 entre octobre 2005 et novembre 2007 (cote 19837).

123. La grille fixant les taux de remise est standardisée dans la mesure où elle est proposée à tous les MUX et que chacun d'entre eux peut obtenir le même taux de remise dès lors qu'il atteint le montant annuel qualifiant correspondant. Elle est reproduite ci-dessous :

Montant annuel qualifiant Max pour la tranche (en millions d'euros)

[Tableau]

124. Les taux de remise s'appliquent tranche par tranche. Ainsi, le taux de remise le plus élevé atteint par le MUX s'applique uniquement à la partie du chiffre d'affaires situé dans cette tranche supérieure et non à l'intégralité du chiffre d'affaires généré par le MUX. Il n'y a donc pas d'effet rétroactif permettant d'appliquer aux premières années le taux le plus favorable éventuellement obtenu en fin de période. Le tableau ci-dessus doit donc se lire ainsi : lorsque le montant qualifiant atteint 5 millions d'euros pour une année n, la remise est de 3 % pour la tranche allant jusqu'à de 4 millions d'euros de chiffre d'affaires et de 4,5 % pour les 1 million d'euros restants.

125. Il apparaît ainsi que faute d'avoir fait augmenter suffisamment vite son " montant annuel qualifiant " en début de période, un MUX diminue ses chances d'atteindre des taux de remise élevés en fin de période.

c) La fourniture gratuite de l'adaptation SFN

126. Alors que la télévision analogique terrestre était traditionnellement diffusée sur des réseaux multifréquences, le CSA a fait le choix d'utiliser la technologie SFN (Single Frequency Network ou réseau isofréquence) qui consiste à diffuser un MUX depuis plusieurs émetteurs d'une même zone géographique sur une même fréquence hertzienne dans un but d'économiser l'utilisation du spectre disponible (cote 17830). La logique des plaques SFN, répond donc à une optimisation des ressources spectrales. Elle n'a pas de lien avec les plaques géographiques définies par TDF.

127. La mise en œuvre de cette technologie nécessite néanmoins une coordination très précise entre les émetteurs et, dans la grande majorité des cas, un travail de synchronisation des sites, en l'absence duquel les émissions peuvent se brouiller mutuellement et empêcher toute réception de la TNT par les téléspectateurs.

128. Comme le souligne le MUX GR1, la technologie SFN " suppose une parfaite synchronisation entre les émetteurs et pose donc des problèmes particulièrement aigu[s] lorsque divers opérateurs sont en charge d'émetteurs concourant à la même plaque SFN. L'ensemble d'une plaque n'a pas été installé en une seule vague, mais en plusieurs. De ce fait la cohérence des opérateurs n'a pu être obtenue et pose des problèmes, en particulier si l'objectivité ne prévaut pas dans les rapports entre opérateurs " (cote 3841).

129. Dans ses propositions commerciales faites aux MUX, qui se situent entre début 2006 et mars 2008, soit de la phase 4 à la phase 7d du déploiement de la TNT, TDF mentionne l'existence d'une " option " d'adaptation des émetteurs d'une plaque SFN et les prestations que cette option couvre. Dans les réponses de TDF aux appels d'offres de SMR6 pour les phases 5 et 6 de déploiement de la TNT, il est indiqué que le tarif de " l'option " d'adaptation SFN d'un émetteur de TDF pour chaque site de diffusion exploité par un opérateur tiers est de 8 000 euros HT par an. En revanche, " lorsque la totalité des émetteurs d'une plaque SFN est confiée à TDF, l'option d'adaptation SFN est prise en charge par TDF du fait de l'intégration simplifiée (ingénierie et mesures) du système " (cotes 23000 et 14629).

130. Toutefois, TDF indique que l'adaptation SFN a été en pratique " facturée en plus de la diffusion, de manière annuelle, et par plaque SFN " (cote 17854) indépendamment du nombre de sites de la plaque diffusés par un autre opérateur pour le compte d'un MUX donné.

131. Lors de la séance, les représentants de TDF ont déclaré que le tarif de cette adaptation a été initialement fixé par site et non par plaque dans la mesure où la première plaque SFN expérimentale incluant le site de la Tour Eiffel et le site de Rouen qui a permis de lancer le processus ne comportait que deux sites. Or, quand deux opérateurs se partagent une plaque qui n'a que deux sites, la tarification de l'adaptation par plaque ou par site est équivalente. Par la suite, pour la mise en œuvre du réseau principal de la TNT (correspondant aux phases 1 à 6), les deux tiers des plaques SFN délimitées par TDF ne comportaient que deux sites de diffusion. La distinction d'une facturation par site à synchroniser ou par plaque à synchroniser est donc restée peu pertinente jusqu'au déploiement du réseau secondaire, moment à partir duquel le CSA a pris en charge la définition des plaques isofréquences, pouvant compter plusieurs dizaines de sites.

132. Fixé initialement à 8000 euros par site synchronisé jusqu'en 2008, le tarif de l'adaptation SFN en cas de plaque " multi-opérateurs " a été ramené à 2 000 euros lors des phases 7c et 7d de déploiement de la TNT puis a été supprimé lorsque le déploiement du réseau secondaire de la TNT composé de plaques SFN comportant une ou plusieurs dizaines de sites d'émission a permis de constater qu'il était devenu habituel que ces plaques SFN soient " multi-opérateurs " (cote 17178).

D. LES GRIEFS NOTIFIÉS

133. Par un courrier du 31 janvier 2013, la rapporteure générale a notifié les trois griefs suivants à la société TDF SAS ainsi qu'aux sociétés Tyrol Acquisition 2 SAS, Tyrol Acquisition 1 SAS, Tyrol Acquisition 1 & Cie SCA et Tyrol Acquisition 1 S.A.R.L. :

Grief n° 1

" Il est fait grief à la société TDF SAS d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique au travers de sa politique de communication :

• en tenant, à l'égard des collectivités locales et des opérateurs de multiplex, un discours biaisé de nature à les désinciter à accepter le développement d'une concurrence par les infrastructures, sur une période courant pour les premières de début 2008 à mars 2009 et, pour les seconds, de janvier 2006 à octobre 2011 ;

• en instrumentalisant, à l'occasion des avis rendus aux collectivités locales sous couvert d'une consultation en tant que service de l'État, l'existence de servitudes radioélectriques pour s'opposer à l'implantation d'infrastructures concurrentes alors que ces servitudes sont dépourvues de base légale depuis son changement de statut, sur une période courant de mars 2009 à mars 2010 ;

• en dénigrant ses concurrents en infrastructures par l'envoi d'un courriel type sur la quasi-intégralité des communes concernées par le déploiement de la TNT sur " plaque Alsace " alertant celles-ci sur les risques qu'une telle concurrence pourrait générer et en demandant à être systématiquement consultée pour éviter toute perturbation, sur une période courant de janvier 2009 à août 2009 ;

Cette pratique a eu pour objet et pour effet de restreindre et de fausser au moins potentiellement le jeu de la concurrence sur le marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique. Cette pratique contrevient aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 102 du TFUE ".

Grief n° 2

" Il est fait grief à la société TDF SAS d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique en opposant à Itas Tim un refus de principe injustifié aux demandes d'accès au foncier occupé par ses infrastructures de diffusion de la TNT alors que cet accès était indispensable à l'exercice d'une concurrence en infrastructures sur les sites de diffusion suivants :

• APT ROSCALIERE (courrier de TDF en date du 13 octobre 2011)

• ARS-SUR-MOSELLE (courrier de TDF en date du 18 août 2010)

• BISCARROSSE (courrier de TDF en date du 2 juillet 2010)

• BOURMONT (courrier de TDF en date du 24 avril 2009)

• CLERVAL (courrier de TDF en date du 15 octobre 2010)

• COMPS-SUR-ARTUBY (courrier de TDF en date du 2 juillet 2010)

• CROZON (courrier de TDF en date du 15 octobre 2010)

• FONTAINEBLEAU (courrier de TDF en date du 13 octobre 2011)

• LA GRAND-COMBE 2 (courrier de TDF en date du 15 octobre 2010)

• PERRIER-PUY MERCOEUR (courrier de TDF en date du 13 octobre 2011)

• PLAN DE LA TOUR (courrier de TDF en date du 2 juillet 2010)

• RAMATUELLE (courrier de TDF en date du 15 octobre 2010)

• SACLAS (courrier de TDF en date du 20 août 2010)

• SAINT-AMANT ROCHE SAVINE (courrier de TDF en date du 13 octobre 2011)

• SAINT-JACQUES DES BLATS (courrier de TDF en date du 13 octobre 2011)

• SAINT-RAPHAËL 2 (courrier de TDF en date du 2 juillet 2010)

• SALERNES (courrier de TDF en date du 2 juillet 2010)

• THIÉFOSSE (courrier de TDF en date du 24 avril 2009)

• VACHERESSE (courrier de TDF en date du 15 octobre 2010)

Cette pratique, qui s'est étendue du 24 avril 2009 au 13 octobre 2011 pour ce qui concerne les dix-neuf sites ci-dessus mentionnés, mais qui, dans son principe, est toujours en cours, a eu pour objet et pour effet de restreindre et de fausser au moins potentiellement le jeu de la concurrence sur le marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique. Elle contrevient aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 102 du TFUE ".

Grief n° 3

" Il est fait grief à la société TDF SAS d'avoir abusé de sa position dominante sur le marché de gros aval des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique en pratiquant des remises fidélisantes dans ses propositions tarifaires en réponse aux appels d'offres des opérateurs de multiplex sur la période courant de mars 2005 à mars 2009.

Cette pratique a eu pour objet et pour effet de restreindre et de fausser au moins potentiellement le jeu de la concurrence sur le marché de gros aval des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique. Elle contrevient aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 102 du TFUE ".

III. Discussion

A. SUR L'APPLICATION DU DROIT DE L'UNION

134. Les pratiques reprochées à TDF, qui concernent l'ensemble du territoire français, sont susceptibles d'affecter de manière sensible le commerce entre États membres. Elles sont, en effet, de nature à entraver l'entrée sur le marché de la diffusion hertzienne terrestre des opérateurs alternatifs, qu'ils soient français ou européens. Le droit de l'Union est donc applicable à ces pratiques. Ce point n'est pas contesté par les parties mises en cause.

B. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS

1. SUR LA DÉTERMINATION DES MARCHÉS PERTINENTS ET DE LA POSITION DE TDF

a) Les marchés pertinents

Sur le marché de services

135. La pratique décisionnelle constante du Conseil puis de l'Autorité, tant en matière de contrôle des pratiques anticoncurrentielles que dans les avis rendus lors de sa consultation par l'ARCEP, distingue un marché de gros amont et un marché de gros aval des services de diffusion hertzienne terrestre. Sur le marché amont, se rencontrent l'offre d'hébergement émanant d'opérateurs qui possèdent des infrastructures de diffusion, généralement des sites-pylônes (ces opérateurs sont appelés des " tower company ") et la demande d'opérateurs de diffusion qui ne possèdent pas de telles infrastructures. Sur le marché aval, l'ensemble des opérateurs de diffusion, qu'ils utilisent leurs propres sites ou soient hébergés, offrent des services de diffusion aux éditeurs de chaînes regroupés en multiplex (MUX).

136. Cette délimitation des marchés pertinents du secteur de la diffusion par voie hertzienne terrestre a été appliquée à la télévision analogique (décision n° 07-D-30 du 5 octobre 2007), à la télévision numérique (décision n° 10-D-09 du 9 mars 2010 et décision n° 15-D-01 du 5 février 2015) ainsi qu'à la radio FM (décision n° 15-D-10 du 11 juin 2015).

137. Les analyses de marché successives menées par l'ARCEP dans le secteur de la diffusion hertzienne terrestre ont abouti à la même définition des marchés de gros.

138. Aucun élément du dossier n'est de nature à remettre en cause cette délimitation des marchés, même si TDF soutient qu'il pourrait exister un marché global de la diffusion audiovisuelle intégrant toutes les plateformes, sans toutefois apporter d'élément probant permettant de revenir sur la pratique décisionnelle antérieure qui vient d'être rappelée.

Sur le marché géographique

139. L'Autorité a déjà considéré que le marché pertinent en matière de diffusion hertzienne terrestre de programmes audiovisuels est de dimension nationale notamment dans la mesure où les infrastructures de diffusion hertzienne couvrent l'ensemble du territoire français (décision n° 10-D-09 du 9 mars 2010, et avis n° 09-A-09 du 17 avril 2009, précités). Cette délimitation n'est pas contestée par les parties mises en cause.

b) La position dominante de TDF

140. Selon une pratique décisionnelle établie, l'Autorité a relevé, au vu des parts de marchés détenues par l'opérateur historique et des barrières à l'entrée sur les marchés de gros amont et aval de la diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels en mode numérique, que TDF était en position dominante sur ces marchés. Aucun élément du dossier ne conduit à remettre en cause ce constat et, au contraire, plusieurs éléments de nature à la fois quantitative et qualitative conduisent à confirmer la position dominante de TDF à l'époque des faits.

Les parts de marchés de TDF

141. Il ressort des données concordantes figurant dans les analyses du CSA (avis n° 2009-17 du 17 décembre 2009 et n° 2011-18 du 13 décembre 2011) et de l'ARCEP (avis n° 2009-1063 du 15 décembre 2009 et n° 2011-1334 du 29 novembre 2011) que TDF, à l'époque des pratiques, détenait une part de marché en volume avoisinant 85% sur le marché de gros amont et supérieure à 70% sur le marché de gros aval. En valeur, TDF détenait à cette époque une part de marché supérieure à 80 % sur l'ensemble du marché de la diffusion de la TNT.

142. Les opérateurs concurrents de TDF sont significativement plus petits que TDF, tant au regard de leurs parts de marchés sur le territoire national qu'au regard de leur taille ou de la taille de leur groupe.

143. En outre, TDF dispose d'une forte notoriété qui découle de sa situation particulière d'ancien opérateur historique de la diffusion hertzienne bénéficiant d'un monopole d'État. Ayant hérité du réseau historique d'infrastructures de diffusion déployé sur la totalité du territoire national du temps du monopole, il constitue, en tant qu'opérateur verticalement intégré présent sur tout le territoire, une référence pour l'ensemble du secteur.

144. L'ARCEP a indiqué, en ce sens, dans sa décision n° 2012-1137 du 11 septembre 2012 que " pour des raisons historiques, TDF dispose d'un capital unique d'informations, de relations et de notoriété auprès des acteurs directs et indirects de la diffusion hertzienne. Cette position incontournable dans le paysage [...] lui octroie une capacité particulière à influer sur le cours du marché, ce qui est une caractéristique des opérateurs puissants " (cote 118209).

Les barrières à l'entrée sur le marché amont

145. Le calendrier très tendu de déploiement de la TNT fixé par le CSA constitue la première barrière à l'entrée sur le marché de gros amont au regard des délais incompressibles nécessaires à la construction et à la mise en service d'un site de diffusion et de la nécessité de déployer simultanément un nombre important de sites pour exercer une concurrence suffisante par les infrastructures. Cette analyse est partagée par le CSA (cote 3878).

146. De même, le choix de la colocalisation pour éviter un changement d'orientation des antennes de réception des téléspectateurs déjà réglées pour la télévision analogique exerce une contrainte géographique pour l'implantation de nouveaux pylônes, ce qui constitue également une barrière à l'entrée pour les opérateurs alternatifs sur le marché de gros amont.

147. Enfin, il existe aussi des barrières administratives, techniques et réglementaires sur le marché amont qui tiennent aux contraintes urbanistiques et aux choix patrimoniaux des propriétaires de terrains, la construction d'un site de diffusion comportant un pylône étant soumise à autorisation du maire.

Le contre-pouvoir des acheteurs sur le marché aval

148. Contrairement à ce que soutient TDF, les MUX ne disposent pas d'un contre pouvoir de négociation qui serait de nature à effacer la puissance que l'opérateur historique détient sur le marché de gros aval de la diffusion hertzienne terrestre numérique. D'un point de vue structurel, le nombre relativement réduit des acheteurs (huit MUX entrés progressivement sur le marché de la TNT entre 2005 et 2012) qui pourrait leur procurer une puissance d'achat, doit être relativisé au regard du nombre encore plus réduit des offreurs qui a oscillé, depuis 2005, entre trois et quatre.

149. En outre, le contre-pouvoir d'acheteur des MUX est d'autant plus limité qu'ils ont l'obligation légale de recourir aux services de diffusion hertzienne terrestre pour assurer la couverture de la presque totalité de la population française (95 %) et ne peuvent donc s'abstenir de contracter avec un diffuseur. Or, TDF est le seul opérateur de diffusion à en mesure de se positionner, sans délai et à partir de ses propres infrastructures, sur la totalité des points de services mis en concurrence dans le cadre du déploiement de la TNT, ce qui lui donne une capacité commerciale sans équivalent pour un grand nombre de sites.

Conclusion

150. Il résulte de ce qui précède que TDF détient une position dominante sur les marchés de gros amont et aval des services de diffusion numérique par voie hertzienne terrestre.

2. SUR LA QUALIFICATION DES PRATIQUES VISÉES PAR LES GRIEFS

151. L'exploitation abusive d'une position dominante est une notion objective qui vise les comportements d'une entreprise bénéficiant d'une position dominante sur un marché où, précisément du fait de sa présence, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour objet ou pour effet de faire obstacle au maintien de la concurrence existante ou à son développement par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale par les mérites.

152. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, " pour établir une violation de l'article 102 TFUE, il n'est pas nécessaire de démontrer que le comportement abusif de l'entreprise en position dominante a eu un effet anticoncurrentiel concret sur les marchés concernés, mais seulement qu'il tend à restreindre la concurrence ou qu'il est de nature à ou susceptible d'avoir un tel effet " (arrêts de la Cour de justice du 17 février 2011, TeliaSonera, aff. C-52/09, point 61 ; du 3 juillet 1991, Michelin/Commission, aff. C-322/81, point 85 ; du 19 avril 2012, Tomra, aff. C-549/10 P, point 17).

a) Sur la communication de TDF lors du déploiement de la TNT (grief n° 1)

153. Le grief n° 1 regroupe trois pratiques susceptibles de faire obstacle à la concurrence par les infrastructures lors du déploiement de la TNT : le caractère biaisé de la communication générale de TDF sur les possibilités d'hébergement, le dénigrement des projets d'infrastructures de diffusion des concurrents présentés comme porteurs de risque de perturbation et l'instrumentalisation de la notion de servitude radioélectrique pour s'opposer aux projets d'implantation de pylônes concurrents.

154. Chacune de ces trois branches doit être examinée séparément pour déterminer dans quelle mesure elle peut contribuer à établir le premier grief.

En ce qui concerne la communication générale à destination des collectivités

155. En 2008, TDF a élaboré une communication destinée aux collectivités locales puis a lancé les programmes d'information " Ambition Numérique " et " TNT Tour ".

156. Comme cela ressort des constatations (paragraphes 57 et suivants), TDF a utilisé ces supports de communication dans un but promotionnel en mettant en avant ses atouts d'ancien opérateur historique, en particulier son rôle de mutualisateur de sites et sa capacité d'héberger les émetteurs de ses concurrents dans le cas où ils seraient choisis par les MUX. Le message selon lequel " [l]a TNT n'impose pas de construire un nouveau pylône : le pylône existant convient parfaitement " (cotes 5675 et 7922) résume le discours général qui était tenu.

157. Au plan factuel, il s'agit d'une information sur la possibilité d'accueillir un concurrent sur les sites de TDF qui se borne à mentionner une obligation issue d'une décision de l'ARCEP qui, au terme de son analyse de marché sur les opérateurs puissants, a imposé à l'ancien opérateur public la publication d'une offre de référence d'hébergement des équipements de ses concurrents sur le marché de gros aval de la TNT.

158. Néanmoins, ce discours sur l'accueil des concurrents sur ses propres pylônes n'était pas destiné à informer les MUX ou les opérateurs intéressés par cette possibilité, mais dirigé vers les collectivités, qui ne sont pas directement concernées, et pouvait influencer les maires des petites communes susceptibles d'être saisis d'éventuelles demandes d'installation de pylônes de diffusion concurrents à ceux de TDF. Cette communication n'était donc pas neutre.

159. Mais force est de constater qu'elle n'a présenté aucune information biaisée. Le caractère incomplet de cette communication, fût-elle le fait d'une entreprise en position dominante, ne peut donc, dans les circonstances de l'espèce, être retenu comme un des éléments constitutifs du premier grief.

En ce qui concerne le dénigrement

160. Selon la jurisprudence, le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié. Lorsque ce comportement est imputable à un acteur économique dominant qui cherche à en tirer un avantage concurrentiel en pénalisant son compétiteur et qu'il existe un lien entre la domination de l'entreprise et ce comportement, ce dernier peut être qualifié d'abus de position dominante (arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 mars 2010).

161. La notoriété de l'entreprise et la confiance que lui accordent les acteurs du marché figurent parmi les éléments que la pratique décisionnelle retient pour établir l'existence d'un lien entre la position dominante et la pratique de dénigrement (décision n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit).

162. En l'espèce, TDF a tenu à la quasi-intégralité des communes de la plaque Alsace un discours présentant l'implantation d'infrastructures concurrentes auprès de ses propres sites comme génératrice d'un risque de perturbation et a établi un lien entre ce risque et l'existence de servitudes radioélectriques dont bénéficieraient de TDF sur certains de ces sites.

163. Ce discours est constitutif de dénigrement au regard de trois éléments :une présentation trompeuse des risques de perturbations et de leur traitement, la capacité de ce message à discréditer les projets d'implantation de pylône concurrent et son lien avec le maintien ou le renforcement de la position dominante de TDF, notamment à travers le rôle de référent que cette entreprise pouvait jouer auprès des collectivités locales en matière d'autorisation d'implantation de nouveaux pylônes.

Une présentation trompeuse de nature à discréditer les projets des concurrents

164. Le courriel du 2 juillet 2009 adressé aux maires de la plaque Alsace mentionnait un risque de perturbation en cas d'installation d'un nouveau pylône en lien avec l'existence de servitudes. Nonobstant le fait que la majorité des sites visés par ce courrier n'ont jamais été concernés par de telles servitudes, même du temps où TDF était une administration publique, ce discours était trompeur à plusieurs titres.

165. En premier lieu, la nature de la perturbation évoquée par TDF n'étant pas précisée, aucune indication n'est donnée aux collectivités sur le problème pratique qui pourrait apparaître, ni sur sa gravité et la probabilité qu'il survienne, ni sur les moyens d'y remédier. Ainsi, un élu d'une petite commune, a priori peu au fait de ces sujets techniques, peut essentiellement retenir de ce discours qu'il existe un risque que ses administrés ne reçoivent pas la TNT du seul fait qu'il aurait autorisé l'implantation d'un pylône concurrent de TDF.

166. Or, il n'existe pas de risque spécifique tenant à la seule colocalisation des émetteurs sur des pylônes voisins. Si un tel risque existait, on ne comprendrait pas pourquoi le CSA et l'ARCEP, tout en encourageant une concurrence par les infrastructures, auraient précisément choisi d'organiser le déploiement de la TNT sur le principe de la colocalisation des émetteurs des différents MUX sur les mêmes emplacements, à savoir ceux de la télévision analogique, afin d'éviter de modifier l'orientation des antennes de réception des téléspectateurs.

167. Le fait que des dispositifs de diffusion soient installés sur deux pylônes proches appartenant à deux opérateurs ne crée en lui-même aucun risque supplémentaire de perturbation par rapport au risque inhérent à la proximité de ces émetteurs quel que soit le support sur lequel ils sont installés. Ainsi, il n'y a ni plus ni moins de risque de brouillage dans le cas d'installation sur deux pylônes proches que dans le cas d'installation sur un même pylône comme, par exemple, lorsqu'un opérateur installe ses émetteurs sur un pylône de TDF en utilisant son offre d'hébergement, solution préconisée par l'entreprise dominante qui rappelle systématiquement son rôle de " mutualisateur de sites " dans sa communication aux collectivités locales.

168. Comme le dit de manière très claire et sans être contesté le directeur général d'Itas Tim dans un courrier du 7 septembre 2009 adressé au maire de Condé-sur-Noireau " Si TDF écrit que nos installations situées dans la zone d'emprise de la servitude PT1 pourraient perturber leur diffusion, qu'en aurait-il été de cette soi-disant perturbation si les signaux avaient été diffusés de leur propre site ? " (cote 230).

169. En second lieu, en mentionnant l'existence de servitudes et en demandant d'être consultée au stade de la demande préalable de travaux en cas de projet d'installation d'un pylône concurrent, TDF laisse croire que cette installation créerait un risque irréversible de perturbation que seule une intervention ex ante pourrait prévenir, le cas échéant sous la forme d'une interdiction d'implantation. C'est en effet sur ce raisonnement implicite, renforcé par la mention de servitudes historiques, que TDF se fonde pour justifier ses avis défavorables à des demandes de travaux d'un de ses concurrents.

170. Cette perturbation éventuelle est présentée sous un jour encore plus défavorable lorsque ces avis négatifs de TDF sont assortis de la mention de l'article L 112-12 du Code de la construction et de l'habitation qui fait obligation au propriétaire de l'immeuble perturbateur d'installer des dispositifs de relais pour rétablir la réception du signal par les téléspectateurs, ce qui laisse penser que la perturbation pourrait appeler un remède structurel.

171. Or, en dramatisant ainsi les conséquences de l'implantation d'un pylône à proximité des siens, TDF fait une présentation trompeuse des risques et des remèdes à mettre en œuvre sans tenir compte de la mission de prévention des perturbations qui incombe aux régulateurs sectoriels, notamment l'ANFR. Il n'existe, en effet, aucun vide juridique à cet égard et ces risques sont, depuis 1997, traités par les régulateurs en application des dispositions de l'article L. 43 du CPCE qui donne à l'ANFR la mission de coordonner " l'implantation sur le territoire national des stations radioélectriques de toute nature afin d'assurer la meilleure utilisation des sites disponibles ainsi que la prévention des brouillages préjudiciables entre utilisateurs de fréquences [.../...] A cet effet, les décisions d'implantation ne peuvent être prises qu'avec son accord ou, lorsqu'elles relèvent de la compétence du Conseil supérieur de l'audiovisuel, qu'après son avis. ".

172. Les risques de perturbation sont donc traités à deux stades : en amont, par une gestion préventive du spectre et des implantations et, en aval, par une gestion curative des brouillages.

173. Les risques les plus importants sont réglés en amont par la procédure d'attribution des fréquences aux différents usages et par une gestion concertée des autorisations d'émettre dans le cadre de la procédure COMSIS de l'ANFR qui, comme son nom l'indique (" Commission des sites et des servitudes "), prend aussi en compte l'existence des servitudes pour délivrer ses autorisations. Le développement rapide des services de communication hertzienne (télévision, radio, téléphonie mobile), a renforcé le rôle de l'ANFR qui fait état de 40.000 décisions COMSIS en 2014. La procédure d'autorisation d'implantation relève donc d'un traitement en masse, dont on ne peut contester que tous les opérateurs, dont TDF, sont nécessairement devenus très familiers.

174. Cet examen préalable des implantations ne permet toutefois pas de garantir qu'aucune perturbation technique ne pourra apparaître au moment de la mise en service des émetteurs ou au cours de leur exploitation. C'est pourquoi l'article L.43 du CPCE donne aussi à l'ANFR une mission de surveillance et prévoit que : " Dans le cas où une perturbation d'un système radioélectrique lui est signalée, elle étudie cette perturbation et, le cas échéant, formule des préconisations aux utilisateurs des fréquences concernées dans le but de la faire cesser. Lorsque les préconisations formulées par l'agence ne sont pas respectées par les utilisateurs de fréquences, elle peut suspendre l'accord mentionné au quatrième alinéa du présent I. "

175. Il n'était donc nullement nécessaire pour TDF d'invoquer à titre préventif des servitudes radioélectriques et de s'immiscer de manière intempestive dans des procédures d'autorisation de travaux concernant ses concurrents pour traiter des risques de perturbation entièrement pris en charge par une procédure de droit commun. Ces pratiques étaient d'autant moins opportunes que, lorsque de tels problèmes apparaissent, ils sont d'une grande banalité et sont généralement réglés par les diffuseurs en quelques jours.

176. Le CSA relève ainsi à propos des perturbations transitoires qui ont accompagné le déploiement de la TNT : " En 2009, 932 enquêtes - contre 843 en 2008 - ont été effectuées par les comités techniques radiophoniques et l'ANFR, à la suite de 1328 réclamations des usagers. La majorité de ces réclamations (1192) sont liées à une mauvaise réception des programmes de télévision. " (Rapport annuel 2009 du CSA, page 78.) Les causes de ces perturbations résultent notamment de la multiplication des dispositifs : " les principales causes de mauvaise réception de la télévision identifiées lors des enquêtes ont été [...] les réaménagements TNT et interférences entre émetteurs " (idem, page 78).

177. Dans son rapport annuel 2009, l'ANFR confirme ce diagnostic et la banalité des interventions sur le terrain : " Compte tenu de l'évolution rapide du réseau TNT, un nombre croissant de réclamations résultent du brouillage causé à la réception de télévision par d'autres émetteurs de radiodiffusion. Bien que ces brouillages ne représentent en nombre que 20 % des cas environ, près de la moitié de la charge de travail correspond à leur traitement, notamment pour les brouillages résultant d'un défaut de synchronisation des réseaux numériques isofréquence (SFN). " (Rapport annuel 2009, p.10).

178. Les brouillages ne sont pas réservés à la TNT puisque " les trois quarts des demandes d'instruction de brouillage correspondent aux bandes de fréquence attribuées par l'ARCEP " pour les usages de téléphonie mobile (rapport ANFR 2009, page 29). Les causes en sont très diverses comme le montre le tableau suivant, extrait du rapport 2008 de l'ANFR :

[Tableau]

179. Malgré les centaines de cas traités chaque année, il n'est à aucun moment fait mention, ni dans les rapports annuels du CSA ni dans ceux de l'ANFR, d'un problème spécifique de brouillage résultant du seul fait que deux émetteurs sont installés sur deux pylônes proches ou exploités par deux opérateurs différents sur le même pylône.

180. Sans produire aucun argument de portée générale pour établir l'existence de ce risque spécifique et justifier son intervention directe auprès des collectivités locales, TDF met en avant le cas de la commune de Sisteron présenté comme un exemple de risque de perturbation justifiant la mise en jeu d'une servitude à titre préventif. Dans ses observations de janvier 2010, TDF indique : " De fait, le principe de ces servitudes demeure fondé. À titre d'exemple, lorsqu'Itas Tim a installé en juillet 2009 un pylône à proximité immédiate du site de TDF de Sisteron, dans une zone couverte par une servitude radioélectrique, la diffusion analogique de France 3 a été gravement perturbée " (cote 2074).

181. Mais cet exemple unique n'est pas probant. Outre le fait que la servitude n'existait pas en l'espèce, comme l'a confirmé l'ANFR " Concernant Sisteron, nous n'avons aucune installation ayant ou ayant eu de servitudes radioélectriques " (cote 18441), il apparaît que ni la gravité du brouillage, ni ses causes, ni les remèdes apportés n'auraient justifié une interdiction d'implantation, ce cas confirmant au contraire une situation banale qui relevait de simples mesures techniques.

182. Dans sa réponse du 28 juillet 2009 au courrier du maire de la commune faisant état de plaintes de ses administrés sur la qualité de la réception, TDF écrit en effet : " Nous avons constaté, suite à des plaintes, des problèmes sur la réception de France 3 aussi bien en analogique qu'en numérique. Nous avons trouvé l'origine du brouillage qui affectait le son de France 3, des travaux ont eu lieu le 27 juillet pour modifier le pilotage de notre réémetteur. Celui-ci était brouillé par le canal 40 correspondant au canal du R2 diffusé par notre concurrent depuis le pylône situé à quelques mètres de TDF. Des mesures, effectuées ce jour, montrent une nette amélioration de la qualité de France 3. Les téléspectateurs qui nous ont écrit ont été rappelés et confirment le retour à la normale. " (cote 1984).

183. Cette réponse montre que ce problème de brouillage du son de la chaîne France 3, qui résultait effectivement d'une interférence entre deux émetteurs installés sur deux pylônes distants de quelques mètres, a été réglé en une seule journée par une simple modification technique sur l'émetteur de TDF. En outre, le même courrier fait état d'autres perturbations sur cette commune : le cas du multiplex R1 pour lequel TDF indique avoir " rencontré, comme il est souvent le cas, des problèmes de jeunesse sur l'équipement de diffusion " et le cas de la chaîne M6 pour laquelle " une étude technique est en cours pour améliorer la qualité d'image et du son ", sans que la présence de son concurrent ne soit mentionnée.

184. TDF n'est d'ailleurs pas la seule à subir des perturbations et Itas Tim est également concernée par les plaintes des usagers puisque le courrier précise aussi " Au sujet des chaînes 13 à 18 incluant Direct 8, elles ne sont pas diffusées par TDF. Nous vous invitons à vous rapprocher de notre concurrent " (cote 1985).

185. L'exemple de Sisteron montre qu'une interdiction d'implantation du pylône d'Itas Tim aurait été totalement inopportune et disproportionnée, l'accord du maire pour la réalisation de ce projet n'ayant entraîné aucune conséquence pour la réception de la TNT dans sa commune une fois réglés " les problèmes de jeunesse " de la diffusion, pour reprendre l'expression utilisée par TDF à propos du multiplex R1.

186. Tous ces éléments démontrent que TDF n'était pas fondée à mentionner auprès des collectivités locales un risque de perturbation spécifique lié à la colocalisation afin de justifier son intervention préventive sur les projets d'implantation de ses concurrents.

Le lien avec la dominance et la concurrence sur le marché

187. La jurisprudence et une pratique décisionnelle ancienne ont reconnu que les relations privilégiées entretenues par les anciens monopoles publics avec les collectivités locales peuvent conférer à ces entreprises un statut de référent voire de prescripteur (décisions du Conseil de la concurrence n° 00-D-47 du 22 novembre 2000 relative aux pratiques mises en œuvre relative aux pratiques mises en œuvre par EDF sur le marché de l'éclairage public et n° 07-D-33 du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit ; décision de l'Autorité n° 09-D-14 du 25 mars 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture de l'électricité ; arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 mars 2010).

188. Or, TDF se décrit elle-même comme partenaire et référent des collectivités locales en reprenant notamment un discours sur l'aménagement du territoire habituellement porté par les pouvoirs publics : " Aménager les territoires : Partenaire des collectivités territoriales, avec des équipements en France dans 5526 communes dont 155 outre-mer, TDF œuvre pour un aménagement numérique équitable et équilibré. [...] TDF agit en proximité étroite avec les collectivités territoriales pour lutter contre les exclusions numériques. " (cote 5443).

189. Ce discours, qui n'est pas critiquable en soi, peut difficilement être tenu par un concurrent de TDF car il s'appuie sur les relations privilégiées que cette entreprise entretient avec les collectivités locales et qu'elle a héritées de son ancien statut de monopole public. Cette continuité est d'ailleurs revendiquée : " Le groupe TDF s'inscrit dans une histoire forte fondée sur une vision de l'intérêt général, des valeurs et des convictions partagées d'ouverture, de respect et de qualité, tant à l'interne que dans ses relations avec les collectivités locales, ses clients, ses partenaires et les usagers. " (cote 5449).

190. En l'espèce, ce rôle de référent prenait une importance particulière car les collectivités locales ne connaissaient au moment des faits, pour la plupart d'entre elles, qu'un seul opérateur de diffusion: TDF. Elles étaient, en outre, peu informées des conditions pratiques, techniques et réglementaires du déploiement de la TNT, le calendrier retenu par le CSA n'ayant pas permis de diffuser cette information (cotes 1318, 7238, 8007 et 8109). TDF indique ainsi avoir " tenté de pallier l'absence de communication adaptée sur le déploiement de la TNT à destination des représentants des collectivités territoriales en répondant à leurs diverses questions de façon objective et neutre " (cote 3086).

191. Il est donc établi qu'un discours porté par TDF pouvait avoir une crédibilité importante aux yeux des collectivités locales, notamment les plus petites, et pouvait exercer une influence sur leur comportement en matière d'autorisation d'implantation de nouveaux pylônes.

192. De plus, la communication de TDF s'est produite à un moment stratégique lors du déploiement du réseau secondaire qui ouvrait une réelle possibilité de concurrence par les infrastructures, puisque la plaque Alsace était la première du plan de passage arrêté par le CSA. En incitant les collectivités locales à ne pas autoriser ces implantations, TDF a réduit les opportunités de déploiement sites alternatifs dans les communes concernées.

193. Du fait que la communication de TDF, les maires pouvaient être d'autant plus incités à prendre une décision d'interdiction qu'ils comprenaient que celle-ci ne pénaliserait pas irrémédiablement les demandeurs en les empêchant de participer aux appels d'offres des MUX puisque TDF leur indiquait que ses concurrents pouvaient recourir à la solution alternative de l'hébergement sur ses propres pylônes.

194. C'est précisément cette argumentation, reprise à l'identique, que les maires de Thiéfosse, Mitzach et Plaine ont opposé aux demandes de travaux d'Itas Tim, entraînant le retard ou l'abandon du projet.

Conclusion intermédiaire

195. Il résulte de tous ces éléments que TDF, en mentionnant un risque spécifique de brouillage en cas de localisation des émetteurs sur deux pylônes proches appartenant à deux opérateurs concurrents a tenu un discours dénigrant de nature à induire en erreur les collectivités locales et à les inciter à refuser l'implantation d'infrastructures concurrentes à celles de TDF.

En ce qui concerne l'instrumentalisation des servitudes radioélectriques

196. Comme cela vient d'être expliqué, le traitement des perturbations qui pourraient résulter de l'implantation d'un émetteur relève d'une procédure de droit commun confiée à la COMSIS qui examine la compatibilité radioélectrique des projets de diffusion. Cet examen est mené avec le concours des opérateurs eux-mêmes qui sont destinataires de l'ensemble des demandes d'utilisation des fréquences et peuvent faire valoir leurs observations auprès de la commission. Ainsi, TDF a, comme tout opérateur, la possibilité de signaler un risque de perturbation des émissions depuis l'un de ses sites, lié ou non à l'existence d'une servitude, avant l'autorisation d'une implantation de pylône ou d'une modification du plan de diffusion.

197. À cet égard, la lettre de l'ANFR du 31 mai 2010 en réponse à une saisine du maire de Vendôme est particulièrement éclairante sur les étapes de la procédure normale : " la société Itas Tim a présenté à l'ANFR une demande d'accord concernant la compatibilité radioélectrique en application des articles L 43 et R 20-44-11 du CPCE. Cette demande traitée par nos services selon la procédure en vigueur prévoyant en particulier le recueil de l'avis des parties prenantes, et donc dans le cas présent de la société TDF mais aussi le CSA, a débouché sur l'accord de l'ANFR en date du 21/05/2010 dont TDF et le CSA ont également été destinataires. La compatibilité radioélectrique des stations en cause de TDF et d'Itas Tim est donc acquise. " (cote 571, soulignements ajoutés).

198. L'intervention surabondante de TDF dans les procédures d'autorisation de travaux engagées par Itas Tim justifiée par la nécessité de prévenir un risque de perturbation radioélectrique est donc sans fondement et entre en contradiction avec la procédure de droit commun comme l'a relevé l'ANFR " En particulier, je note que les servitudes existantes au profit de TDF n'ont pas été mises en avant par cette société dans le cadre de la procédure auprès de l'AFNR pour s'opposer à ce projet. Il est donc étonnant que TDF émette un avis différent sur un même sujet suivant les interlocuteurs et les procédures " (cote 571).

199. Toutefois, TDF fait valoir plusieurs moyens pour justifier la remise d'avis aux collectivités locales et contester toute instrumentalisation abusive: (i) il aurait existé, au moment des faits, un doute sur la validité des servitudes accordées à TDF avant sa privatisation, doute qui n'aurait été levé qu'en 2010 (ii) TDF n'aurait pas cherché à être systématiquement consultée et n'aurait fait que répondre aux demandes des collectivités qui la saisissaient en application de l'article R.423-59 du Code de l'urbanisme et (iii) dans ce cadre, l'article R. 34 du CPCE l'autorisait à protéger ses servitudes en rendant des avis défavorables, nonobstant l'avis favorable de la COMSIS.

200. Ces moyens seront examinés successivement afin de montrer que TDF ne pouvait délivrer des avis défavorables aux projets de ses concurrents dans le cadre d'une consultation d'urbanisme et s'opposer ainsi aux autorisations de la COMSIS car un tel droit d'opposition ne lui était pas accordé par le CPCE.

Sur l'argument tiré du doute que TDF avait sur la caducité des servitudes

201. Cet argument soulève deux objections : la première porte sur le doute raisonnable que TDF pouvait avoir sur la caducité des servitudes héritées du service public et la seconde porte sur les possibilités pratiques d'intervention qu'ouvraient ces servitudes si on les admettait.

202. En premier lieu, depuis qu'elle est devenue une personne morale de droit privé, la société TDF ne répond plus aux critères prévus aux articles L. 54 et L. 57 du CPCE pour bénéficier des servitudes radioélectriques, dans la mesure où ses centres ne sont plus ni exploités, ni contrôlés par un département ministériel.

203. Cela est d'autant plus incontestable que les entreprises privées qui souhaitaient bénéficier d'une servitude pouvaient les demander en application d'autres dispositions prévues aux articles L. 56-1 et L. 62-1 du CPCE. Cette procédure instaurée en 1997, qui n'avait jamais été utilisée, ni par TDF, ni par un autre opérateur, a été abrogée en 2016.

204. Le doute sur la caducité de ces servitudes publiques était d'autant moins permis que les administrations concernées se sont saisies, dès avril 2008, de la question de l'abrogation formelle des décrets anciens accordant des servitudes radioélectriques au bénéfice de France Telecom et TDF. Cette question a fait l'objet, en avril 2008, d'une réunion plénière de la COMSIS, formation dont TDF fait partie, qui a lancé un groupe de travail ad hoc dont les conclusions, rendues en juillet 2010 (cotes 6940 à 6959), sont à l'origine du processus actuel d'abrogation des décrets de servitudes anciens.

205. Il faut relever qu'en avril 2008, la COMSIS ne se posait pas la question de l'illégalité de ces servitudes, celle-ci ne faisant guère de doute puisqu'elle était la raison même de la création du groupe de travail : " ces opérateurs de communications électroniques ne peuvent plus se prévaloir de ces servitudes [...], dans la mesure où ils sont devenus des personnes morales de droit privé. " (cote 6941). De fait, ce groupe s'est essentiellement préoccupé de savoir s'il fallait, en opportunité, procéder à ces abrogations très lourdes plutôt que de laisser les choses en l'état et de déterminer la méthode la plus économique pour procéder à l'abrogation si elle était décidée : " Il est donc souhaitable de rechercher une solution évitant le recours à la rédaction et à la signature de 8000 décrets par le Premier Ministre " (cote 6942).

206. Il s'est également penché sur les moyens de mettre à jour des milliers de documents d'urbanisme après ces abrogations : " Quelle que soit la solution mise en œuvre, il ne faudra pas oublier que chaque servitude abrogée devra être retirée des documents d'urbanisme dans lesquels elle figure (PLU, documents des DDE, etc.). Chaque commune ou chaque DDE concernée devra donc être en mesure d'appliquer rapidement et sans ambiguïté le ou les décrets de retrait (ou arrêtés). " (cote 6943).

207. Ce contexte juridique, parfaitement connu des deux sociétés concernées, TDF et France Telecom, membres de la COMSIS plénière, aurait dû conduire TDF, eu égard à la responsabilité particulière pesant sur un opérateur en position dominante, à la plus grande prudence avant d'invoquer des servitudes héritées de son ancien statut de service public pour s'opposer à l'encontre de projets d'opérateurs concurrents, et cela dès l'année 2009 alors même que la question de leur abrogation était posée depuis avril 2008.

208. En second lieu, et au-delà de cette première objection, cet argument du doute est inopérant pour justifier le comportement de TDF, car l'incertitude qui pouvait éventuellement subsister sur la validité de ses anciennes servitudes ne l'autorisait pas, en toute hypothèse, à intervenir dans des procédures qui ne pouvaient plus la concerner en tant qu'entreprise privée. Cela vaut aussi bien pour les articles R. 423-50 et suivants du Code de l'urbanisme que pour les articles R. 24 et R. 30 du CPCE.

Sur les avis rendus aux collectivités en tant que personne publique

209. Dans le cadre de l'instruction de déclarations préalables d'urbanisme par les collectivités locales, TDF a rendu un certain nombre d'avis négatifs à l'implantation de pylônes alternatifs au motif de l'existence de servitudes radioélectriques PT1 ou PT2, après avoir été saisie par les collectivités locales.

210. Ces demandes des communes étaient fondées sur les dispositions des articles R. 423-50 à R. 423-56 du Code de l'urbanisme, figurant à la Sous-section 1 intitulée " Consultation des personnes publiques, services ou commissions intéressés ", et en particulier son article R. 423-50 qui prévoit qu'en matière d'autorisation de travaux ou de constructions : " L'autorité compétente recueille auprès des personnes publiques, services ou commissions intéressés par le projet, les accords, avis ou décisions prévus par les lois ou règlements en vigueur ". La teneur de l'ensemble des articles de cette sous-section ne laisse aucun doute sur le fait qu'aucune entreprise privée n'est concernée par cette consultation préalable.

211. C'est bien les dispositions de cette sous-section " Consultation des personnes publiques, services ou commissions intéressés " que les communes visent lors de leurs demandes d'avis à TDF. Par exemple, la commune de Château-Gontier, comme cela a été indiqué au point 83 ci-dessus (cote 1522) :

[Tableau]

212. Cette référence aux personnes publiques est confirmée par la mention de l'article R 423-59 du même Code qui prévoit que " les services, autorités ou commissions qui n'ont pas fait parvenir à l'autorité compétente leur réponse motivée dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande d'avis sont réputés avoir émis un avis favorable ".

213. Loin de démentir son assimilation à une personne publique, TDF continue de répondre aux sollicitations qui lui sont adressées à ce titre en visant en outre des textes relatifs aux servitudes des personnes publiques. Par exemple, la réponse du 17 novembre 2009 à la commune de Ruy-Monceau indique " S'agissant de la servitude de protection contre les obstacles prise en application des articles L 54 à 56-1 du CPCE " (cote 6563), alors que ces visas sont erronés puisqu'ils concernent les départements ministériels et non les entreprises privées qui pouvaient éventuellement relever des articles L. 56-1 et L. 62-1 du CPCE.

214. Enfin, il faut noter que TDF a joint à ses avis des documents anciens établissant la zone de protection des servitudes sous le timbre " Télédiffusion de France, Établissement public de l'État " (cotes 202 et 2288), sans mentionner le fait qu'elle n'était plus un service de l'État.

215. Le cumul de ces éléments - réponse dans le cadre d'une consultation des personnes publiques, mentions des servitudes publiques du CPCE, transmission de documents anciens mentionnant le statut d'établissement public - ne pouvait qu'induire les collectivités locales en erreur sur la portée des avis négatifs ainsi rendus.

216. Toutefois, TDF fait valoir qu'elle n'aurait jamais demandé à être systématiquement consultée par les maires et qu'elle n'a fait que répondre à leurs sollicitations, les avis rendus étant peu nombreux et relevant de la responsabilité des directions locales. Elle estime à cet égard être en accord avec l'ARCEP qui a souligné dans son avis que " la consultation de TDF ne semble répondre à aucune obligation légale incombant aux élus. C'est un fait : aucune obligation de ce type ne s'impose aux maires et TDF n'a jamais prétendu le contraire. Les demandes d'avis adressées à TDF relèvent d'une initiative propre des maires " (cotes 2089 et 2090 de la saisine n° 09/0110M).

217. Mais ces affirmations sont contredites par plusieurs éléments du dossier.

218. En premier lieu, la doctrine générale décrite dans le courriel type adressé par la direction Est de TDF à 27 communes de la plaque Alsace affirme clairement qu'il " est donc nécessaire [d'] aviser [TDF] de la chose afin d'anticiper toute perturbation " (soulignement ajouté). Cette doctrine est exposée par TDF avant qu'aucune de ces 27 communes ne l'ait sollicitée pour rendre un avis dans le cadre de la consultation des personnes publiques. C'est dans ce cadre et après avoir pris contact avec TDF que les refus d'implantation d'un pylône seront décidés par les communes de Thiéfosse, de Mitzach et de Plaine avec comme conséquence l'abandon ou le retard des projets d'Itas Tim.

219. En deuxième lieu, par un courrier en date du 2 mars 2009 adressé au député-maire de Sisteron, TDF a fait valoir son mécontentement à l'encontre d'un arrêté de non-opposition à travaux pris en faveur d'Itas Tim. Si le motif de contestation porte sur les droits de locataire exclusif de TDF sur la parcelle en cause, le courrier soulève la question des servitudes radioélectriques dans les termes suivants : " nous sommes particulièrement étonnés, [...] que [...] vous n'ayez pas entrepris les consultations nécessaires avant de délivrer votre arrêté de non opposition alors que le projet se situe à l'intérieur du périmètre d'une servitude de protection radioélectrique, comme l'atteste le POS de Sisteron " (cote 223).

220. En troisième lieu, les responsables de la mairie de Vendôme ont fait état lors de leur audition d'une " conversation téléphonique avec M. X..., service juridique de TDF, qui confirme l'impossibilité de s'implanter tel que cela est prévu et qui confirme également que la servitude nous oblige à les consulter " (cote 1349, soulignement ajouté). Or M. X... n'est pas un responsable local, mais un cadre du service juridique de l'entreprise dont il est devenu ensuite le directeur général adjoint.

221. En quatrième lieu, les avis de TDF ont été rendus à des communes appartenant à différentes régions, ce qui exclut l'hypothèse d'une erreur liée à une initiative locale. Ainsi, les directions régionales Ouest, Sud-Est, Est, Centre-Est et Ile de France-Centre ont été successivement impliquées dans ces procédures d'avis et ont utilisé des arguments identiques en visant les mêmes textes relatifs aux personnes publiques.

222. Enfin, après la séance de mesures conservatoires devant l'Autorité en mars 2010 et à la suite de l'intervention de l'ANFR qui, dans un courrier du 21 mai 2010, a qualifié d'illégal l'avis rendu au maire de Vendôme, TDF a changé sa conduite et a cessé de rendre de tels avis. Cela montre qu'il était possible d'adopter un comportement plus neutre d'entreprise privée en concurrence plutôt que d'intervenir en réponse à une sollicitation éventuelle d'un maire.

223. TDF ne pouvait donc, sans abuser de sa situation d'ancienne personne publique, rendre un avis dans une procédure d'urbanisme pour s'opposer à l'implantation d'un concurrent en invoquant des problèmes de compatibilité radioélectrique ou d'obstacle à la diffusion et risquer ainsi d'entraver la procédure COMSIS, commission dont il faut encore rappeler qu'elle est compétente en matière de servitudes même si TDF ne s'est jamais prévalue devant elle des servitudes héritées de son ancien statut de service public.

Sur les avis négatifs rendus en application de l'article R.24 et R.30 du CPCE

224. Pour rendre un avis négatif le 17 novembre 2009 à la commune de Ruy-Montceau la direction régionale Centre Est de TDF s'est aussi fondée sur les articles R. 24 et R. 30 du CPCE, le premier étant relatif aux servitudes obstacles de type PT2 et le second aux servitudes de réception de type PT1.

225. Ainsi, l'avis de TDF indique " " il est interdit (article R.24), sauf autorisation du service exploitant le centre radioélectrique, de créer dans la zone grevée de la servitude des obstacles fixes ou mobiles " (cote 6563). Mais cette présentation est tronquée et masque l'information essentielle comme le montre la citation in extenso de l'article en cause " il est interdit, sauf autorisation du ministre dont les services exploitent le centre ou exercent la tutelle sur lui, de créer des obstacles fixes ou mobiles " (art. R 24 du CPCE, soulignement ajouté).

226. Le même courrier dénature également l'article R 30 du CPCE en indiquant que l'existence d'une servitude PT1 au profit de TDF fait interdiction à Itas Tim " de produire ou de propager des perturbations se plaçant dans la gamme d'ondes radioélectriques reçues par le centre ". Cette citation du premier alinéa de l'article R 30 est exacte, mais le second alinéa ne laisse aucun doute sur la nature du centre ainsi protégé par la servitude, puisqu'il dispose que : " il est interdit de mettre en service du matériel électrique susceptible de perturber les réceptions radioélectriques du centre ou d'apporter des modifications à ce matériel, sans l'autorisation du ministre dont les services exploitent le centre ou exercent la tutelle sur lui. " (art. R 30 du CPCE, soulignement ajouté).

227. Cette confusion sur le statut de TDF explique également pourquoi un projet d'arrêté d'opposition aux travaux demandés par Itas Tim du maire de Château-Gontier a pu être ainsi rédigé : " Vu l'article R 30 du CPCE ; Vu l'avis défavorable de TDF en date du 24 mars 2009... ", alors que cet article ne prévoit que le cas d'un avis défavorable du ministre dont dépend le centre de diffusion de service public protégé par une servitude.

Sur le fait que certains avis négatifs de TDF ont pu être surmontés

228. S'agissant des effets des avis négatifs ainsi rendus, TDF fait valoir que certains maires sont finalement revenus sur leur arrêté d'opposition et que les concurrents de TDF ont pu construire leurs infrastructures même si elles ont subi un retard. La pratique en cause n'aurait pas eu de réels effets anticoncurrentiels sur le marché.

229. Mais dans son arrêt AstraZeneca précitée, le Tribunal a jugé que " la seule circonstance que certaines autorités publiques ne se soient pas laissées abuser et aient décelé les inexactitudes des informations fournies à l'appui des demandes de droits exclusifs, ou que des concurrents aient obtenu, postérieurement à l'octroi irrégulier des droits exclusifs, l'annulation de ceux-ci, ne suffit pas pour considérer que les déclarations trompeuses n'étaient en tout état de cause pas susceptibles d'aboutir. En effet, ainsi que la Commission le relève à juste titre, dès lors qu'il est établi qu'un comportement est objectivement de nature à restreindre la concurrence, son caractère abusif ne saurait dépendre des aléas des réactions des tiers ".

230. En l'espèce, même si les oppositions de certains maires ont pu finalement être levées, il n'en demeure pas moins que les pratiques ont pu retarder le développement des infrastructures concurrentes et des offres alternatives et, d'autre part, il résulte d'une jurisprudence constante que la circonstance que le résultat escompté n'a pas été atteint ne saurait suffire à écarter la qualification d'abus de position dominante.

Conclusion sur le grief n° 1

231. Eu égard à tout ce qui précède, il est établi que TDF a mis en œuvre une pratique de dénigrement auprès des collectivités locales consistant à pointer un risque non avéré de perturbation technique du seul fait de l'implantation d'un pylône concurrent. Il est également établi que cette entreprise a instrumentalisé l'existence de décrets instituant des servitudes au profit de l'ancien établissement public, servitudes parfois inexistantes, pour affirmer la nécessité d'être consultée par les maires avant d'autoriser des travaux et pour s'opposer, par des avis négatifs, aux projets d'infrastructures de diffusion des concurrents. Ces comportements, regroupés dans le grief n° 1 qui a été notifié, sont constitutifs d'un abus de position dominante au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE.

232. En revanche, les conditions d'une interdiction au titre des articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article L. 420-2 du Code de commerce ne sont pas réunies, sur la base des informations dont dispose l'Autorité, pour la pratique de communication biaisée visée par le grief n° 1. Il n'y a par conséquent pas lieu de poursuivre la procédure dans cette mesure, en application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

b) Sur les refus opposés par TDF aux demandes d'accès à ses terrains présentées par les concurrents afin d'y installer leurs propres infrastructures (grief n° 2)

233. Il ressort du dossier qu'un nombre significatif de terrains visés par la notification des griefs ne présentent pas de caractère indispensable, les concurrents étant parvenus à installer leurs propres infrastructures de diffusion de la TNT sur des terrains n'appartenant pas à l'opérateur historique. Par ailleurs, d'autres terrains ne pouvaient accueillir des installations supplémentaires en raison de l'exiguïté des emprises foncières disponibles.

234. Au regard de ces éléments, il n'est pas démontré que l'accès des opérateurs concurrents aux emprises foncières occupés par TDF pour y installer leur propre site de diffusion était à la fois techniquement possible et indispensable à l'exercice d'une concurrence par les infrastructures.

235. Il en résulte que les conditions d'une interdiction au titre des articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article L. 420-2 du Code de commerce ne sont pas réunies, sur la base des informations dont dispose l'Autorité. Il n'y a donc pas lieu de poursuivre la procédure au titre de cette pratique, en application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

c) Sur les remises pratiquées par TDF à l'occasion des appels d'offres (grief n° 3)

236. Le grief n° 3 n'est pas divisé en trois branches, mais vise globalement trois pratiques de rabais susceptibles de restreindre la concurrence, soit par leur effet propre, soit par le cumul de leurs effets combinés : une remise au volume, la non-facturation du service de plaque isofréquence (SFN) et une remise de plaque géographique. Chacune de ces trois remises doit être examinée séparément pour déterminer dans quelle mesure elle peut contribuer à établir le troisième grief.

Sur le droit applicable en matière de remises

237. Selon une jurisprudence constante, une remise accordée à ses clients par un opérateur en position dominante n'est pas licite si, en raison notamment de ses critères et de ses modalités d'octroi, le " rabais tend, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement, à barrer l'accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée " (arrêt du 15 mars 2007 de la Cour de justice, précité, point 67 et arrêt du 19 avril 2012 de la Cour de justice, Tomra Systems, aff. C-549/10 P, point 71).

238. Il est loisible à l'entreprise mise en cause " de démontrer que son système de primes produisant un effet d'éviction est économiquement justifié " (arrêt du 15 mars 2007 de la Cour de justice, précité, point 69). " En particulier, une telle entreprise peut démontrer que l'effet d'éviction qui résulte de son comportement peut être contrebalancé, voire surpassé, par des avantages en termes d'efficacité qui profitent également aux consommateurs " (arrêt du 6 octobre 2015 de la Cour de justice, Post Danmark, aff. C-23/14, point 48). En revanche, " si l'effet d'éviction de ce système est sans rapport avec les avantages pour le marché et les consommateurs ou s'il va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces avantages, ledit système doit être considéré comme abusif " (arrêt du 15 mars 2007 de la Cour de justice, précité, point 86).

239. La jurisprudence distingue trois grands types de remises pouvant être mises en œuvre par les entreprises en position dominante. La première est celle des pures remises de quantité réputées conformes au droit de la concurrence dans la mesure où elles reflètent des économies de coûts résultant de l'importance des volumes vendus. La deuxième est celle des remises dont les effets sont présumés nocifs pour le jeu de la concurrence parce qu'elles reposent sur une logique d'approvisionnement exclusif et sont considérées comme des " remises de fidélité " (arrêt du 13 février 1979 de la Cour de justice, Hoffmann-La Roche, aff. 85/75,) ou encore appelées " remises d'exclusivité " (arrêt du 12 juin 2014 du Tribunal, Intel, aff. T-286/09). Enfin, la troisième est celle de toutes les remises intermédiaires dont la licéité s'apprécie au cas par cas au vu des circonstances de l'espèce, désignée par l'expression " rabais relevant de la troisième catégorie " (arrêt Intel du 12 juin 2014 du Tribunal, précité).

La remise au volume

240. La remise au volume pratiquée par TDF est un mécanisme de rabais lié au montant de chiffre d'affaires annuel généré par le MUX au titre de l'ensemble de ses contrats en cours. Les appels d'offres de diffusion prévoyant des durées de contrat longues, généralement de cinq ans, le diffuseur perçoit, chaque année, le cumul des montants annuels de tous les contrats en cours. Ce montant total pour chaque MUX est appelé par TDF " montant annuel qualifiant ".

241. La remise, qui varie en fonction du montant annuel qualifiant engendré par le cumul des contrats, prend donc en compte le comportement passé du client qui est gardé en mémoire sur toute la période pendant laquelle s'exécutent les contrats. Il ne s'agit toutefois pas d'un rabais rétroactif dans la mesure où les remises sont accordées tranche par tranche de manière définitive chaque année et où les taux les plus favorables accordés aux tranches élevées ne sont pas appliqués rétroactivement à l'ensemble des tranches inférieures.

242. Ce mécanisme est hybride, en ce sens que le taux de remise annuelle ne correspond pas seulement aux économies de coûts réalisées par les contrats gagnés dans l'année, mais est également influencé par les commandes passées au cours de la période précédente.

243. En effet, si le montant des achats auprès de TDF d'un MUX est faible en début de période, il diminue ses chances d'atteindre les montants qualifiants élevés qui ouvrent droit aux plus forts taux de remise en fin de période. Du fait du cumul des contrats, le retard pris en début de période ne se rattrape pas. Ce mécanisme peut avoir un effet fidélisant si le client anticipe, en début de période, qu'il devra réaliser, en fin de période, une part importante de ses achats auprès de l'opérateur dominant. Il est alors incité à atteindre plus vite les montants qualifiants élevés en effectuant l'essentiel de ses achats auprès de l'opérateur dominant sur la partie contestable du marché pour pouvoir bénéficier ensuite de fortes remises sur la partie non contestable du marché.

244. Mais, en l'espèce, cette particularité du système mis en place par TDF est insuffisante pour caractériser, à elle seule, une remise fidélisante, dans la mesure où un tel fonctionnement du marché ne pouvait être anticipé.

245. Les caractéristiques du marché ont, en effet, changé entre le déploiement du réseau principal et celui du réseau secondaire. Concernant le déploiement du réseau secondaire, à partir de l'année 2008, les opérateurs de diffusion ont choisi la concurrence par les infrastructures et non la solution de l'hébergement sur les pylônes de TDF comme cela était le cas lors du déploiement du réseau primaire. Compte tenu des importantes barrières à l'entrée, notamment les délais d'accès au foncier et de construction, TDF a été très peu concurrencée lors des appels d'offres concernant le déploiement du réseau secondaire alors qu'elle était mise en concurrence sur une grande majorité des appels d'offres lors du déploiement du réseau primaire (cote 23471).

246. Itas Tim, le principal concurrent de TDF, a confirmé lors de la séance avoir librement choisi de privilégier une concurrence par les infrastructures en limitant sa présence aux seuls appels d'offres pour lesquels il était en mesure d'installer ses propres pylônes, ce modèle économique lui permettant de mutualiser plusieurs clients et plusieurs services (TV, radio, téléphonie mobile) sur un même site pour mieux couvrir ses coûts fixes.

247. Il n'est donc pas possible d'affirmer que les MUX pouvaient anticiper ce changement du mode de concurrence et ajuster leurs achats, avant 2008, dans le but de bénéficier ensuite d'une plus forte remise sur une partie du marché dont ils prévoyaient qu'elle ne serait pas contestée.

248. Au vu de ces éléments, il n'est pas établi que la remise au volume mise en œuvre par TDF entre octobre 2005 et mars 2009 lors du déploiement de la TNT était susceptible d'évincer la concurrence sur le marché de gros aval des services de diffusion par voie hertzienne terrestre en mode numérique.

La fourniture gratuite de l'adaptation SFN

249. Le service d'adaptation SFN en cas de partage d'une plaque isofréquence entre plusieurs opérateurs a été mis en place en 2005 par TDF lorsque le CSA a décidé de recourir à cette technologie pour le déploiement de la TNT. La tarification de ce service, fixé à 8000 euros par site et par an, a donc été instaurée pour les besoins du réseau principal de la TNT, lorsque les deux tiers des plaques SFN délimitées par TDF ne comportaient que deux sites de diffusion, le dernier tiers en comportant généralement trois. Dans les cas où il s'est produit, le partage d'une plaque SFN entre deux opérateurs ne pouvait donner lieu qu'à la facturation de l'adaptation d'un seul site.

250. La tarification de l'adaptation SFN en cas de partage de plaque a été abaissée à 2000 euros par site à partir de 2008, puis supprimée début 2009 pendant le déploiement du réseau secondaire pour lequel il était devenu habituel que les plaques SFN soient multi-opérateurs. La tarification à 8000 euros sur plusieurs sites d'une même plaque SFN pour inciter le MUX à l'attribuer en exclusivité à un même diffuseur n'a donc jamais été appliquée.

251. Au vu de ces éléments et des conditions concrètes de sa mise en œuvre, il n'est pas établi que l'offre de fourniture gratuite de l'adaptation SFN en cas de gestion de toute la plaque par TDF a été susceptible d'évincer les concurrents sur le marché de gros aval des services de diffusion par voie hertzienne terrestre en mode numérique.

La remise de plaque géographique

252. Comme cela a été expliqué aux points 109 à 116 ci-dessus, la remise de plaque géographique est un rabais accordé lorsqu'un MUX retient TDF pour un nombre important de sites de diffusion dans une zone donnée. Pour chaque plaque, TDF propose plusieurs taux de remise : plus la part de sites confiés à TDF est importante, plus le pourcentage de remise est élevé. De manière générale, la remise n'est accordée que si au moins 70 % des sites en jeu sont confiés à TDF.

253. Il n'existe pas de barème objectif fixant les taux des rabais. Il s'agit d'une remise individualisée dans la mesure où TDF fixe à la fois les contours de la plaque géographique et les seuils des remises et peut, en outre, les faire varier selon les plaques concernées mais aussi, pour une même plaque, en fonction des MUX.

254. Il ne s'agit pas d'une remise quantitative dans la mesure où le nombre absolu de sites n'est pas le critère déterminant, seule la part de sites de la plaque attribuée à TDF est pertinente pour fixer le niveau de la remise. En outre, elle présente un caractère rétroactif dans la mesure où le taux de remise le plus élevé atteint par le client s'applique à l'ensemble des sites et pas seulement aux sites inclus dans la tranche supérieure de remise. Le fait pour un MUX de confier une partie, même limitée, de ses sites à un opérateur concurrent peut lui faire perdre un taux de remise plus avantageux pour la totalité des sites qui restent confiés à TDF. La remise de plaque est donc de nature à dissuader les MUX de partager les sites d'une même plaque géographique entre plusieurs diffuseurs.

255. Ainsi, la remise de plaque géographique est accordée à condition que le client s'approvisionne auprès de TDF pour la totalité ou une partie importante de ses besoins, mécanisme de rabais qui est, en principe, constitutif d'un abus lorsqu'il est mis en œuvre par l'opérateur dominant (arrêt du 6 octobre 2015 de la Cour de justice, précité, point 27).

256. La restriction de concurrence a été d'autant plus sensible que cette remise a été appliquée à un grand nombre de sites (357) et a concerné une partie substantielle de la demande exprimée par les MUX lors des phases de déploiement de la TNT (1022 points de service). Dans la majorité des appels d'offres lancés à l'occasion des phases 3 à 8a du déploiement de la TNT, le mécanisme de remise de plaque géographique était mis en œuvre pour couvrir au moins la moitié des sites de diffusion du MUX concernés. Par son ampleur, le dispositif de remise a été de nature à produire un effet restrictif de concurrence sur le marché.

257. Aucun des arguments avancés par TDF ne permet de justifier objectivement sa pratique de remise de plaque géographique.

258. En premier lieu, conformément à une jurisprudence constante, la circonstance que les opérateurs concurrents proposaient également des remises lors des appels d'offres des MUX n'est pas de nature à justifier le comportement de TDF dans la mesure où l'opérateur dominant a la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée sur le marché.

259. En deuxième lieu, la circonstance, à la supposer démontrée, que la pratique de remise par plaque géographique réponde à une demande des clients n'exonère pas TDF de sa responsabilité particulière en tant qu'opérateur dominant (arrêt du 25 juin 2010 de la Cour de justice, Imperial Chemical industries, n° T-66/01, paragraphe 305).

260. En troisième lieu, si TDF invoque des gains d'efficacité liés à la diminution des coûts d'exploitation et de maintenance des sites que rendrait possible la gestion mutualisée des sites d'une même plaque géographique, cette allégation est formulée en termes très généraux et n'est appuyée sur aucun élément chiffré suffisamment précis et probant, d'autant que les justificatifs invoqués sont postérieurs à la période des pratiques. Ainsi, les données fournies par TDF à l'appui de son argumentation sont issues du " modèle technico-économique d'un réseau de diffusion hertzien terrestre " développé en 2012 par l'ARCEP aux fins de la régulation tarifaire de TDF pour estimer les coûts d'un tel réseau, ce qui ne permet pas de connaître les coûts encourus par TDF à l'époque des pratiques (2005-2009), ni leur répartition et leur affectation à une gestion mutualisée des sites.

261. Enfin, le fait que les modalités de calcul de la remise de plaque géographique soient fortement individualisées et que le nombre de sites par plaque ne soit pas le critère pertinent pour fixer le taux de remise tend à exclure que son montant puisse refléter de manière objective les économies de coûts éventuellement obtenues par TDF par une gestion mutualisée.

Conclusion sur le grief n° 3

262. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que TDF a abusé de sa position dominante sur le marché de gros aval des services de diffusion par voie hertzienne terrestre en mode numérique en mettant en œuvre une remise de plaque géographique qui tend à restreindre, sans justification objective, l'approvisionnement des MUX auprès des opérateurs concurrents pour une part significative des sites de diffusion. Cette pratique contrevient aux dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et de l'article 102 du TFUE.

263. En revanche, en ce qui concerne la remise au volume et la gratuité des frais d'adaptation de plaque SFN, les conditions d'une interdiction au titre des articles 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de l'article L. 420-2 du Code de commerce ne sont pas réunies, sur la base des informations dont dispose l'Autorité. Il n'y a donc pas lieu de poursuivre la procédure au titre de ces deux pratiques, en application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

C. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

1. EN DROIT

264. Le juge de l'Union a précisé que la notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, aff. C-97/08 P, Rec. 2009 p. I-8237, point 55, du 29 mars 2011, et de la cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a. n° 2011/01228, p. 18).

265. Au sein d'un tel groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale. Si la présomption n'est pas renversée, l'autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale (arrêts Arkema/Commission et Lacroix Signalisation e.a. précités).

2. APPRÉCIATION EN L'ESPÈCE

266. Au moment des faits, le groupe TDF était détenu par plusieurs fonds d'investissement privés, TPG Capital, Axa Private Equity, Charterhouse Capital Partners, et par le Fonds stratégique d'investissement (FSI), filiale de la CDC, sans exclure d'autres participations minoritaires non significatives. Ces fonds détenaient ensemble TDF par l'intermédiaire de quatre holdings selon un montage en cascade : une holding de droit luxembourgeois, Tyrol Acquisition 1 SARL, dite LuxCo1, qui détenait 60 % d'une autre société luxembourgeoise, Tyrol Acquisition 1 & Cie SCA, dite LuxCo2, qui elle-même détenait 100 % de la société française Tyrol Acquisition 1 SAS, dite TA1, qui détenait à son tour 98,3 % de la société française Tyrol Acquisition 1 SAS, dite TA2, qui détenait finalement 100 % de TDF.

267. Aucun des quatre fonds d'investissement ne disposait d'une participation majoritaire et on ne peut donc présumer qu'ils constituaient une seule entreprise avec TDF au sens du droit de la concurrence. Aucun d'entre eux n'a d'ailleurs été mis en cause par la notification de grief.

268. De plus, comme l'Autorité l'a déjà jugé dans ses décisions n° 15-D-01 du 5 février 2015 et n° 15-D-10 du 11 juin 2015, les sociétés luxembourgeoises Tyrol Acquisition 1 SARL, dite " LuxCo1 ", et Tyrol Acquisition 1&Cie SCA, dite " LuxCo2 ", n'étaient qu'un outil de ces quatre fonds d'investissement dans leurs relations avec les banques qui les finançaient et elles ne peuvent donc pas non plus former une unité économique avec TDF et se voir imputer les griefs notifiés à cette société.

269. En revanche, les pratiques de TDF sont imputées aux sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue récemment TDF Infrastructure Holding SAS, qui détient 98 % de Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue récemment TDF Infrastructure SAS, qui détient elle-même 100 % de TDF SAS et qui forment une unité économique avec cette société sur laquelle elles sont présumées exercer une influence déterminante. Cette présomption n'est pas contestée.

D. SUR LES SANCTIONS

270. Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le (titre VI du livre IV du Code de commerce). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ". Il y a lieu d'apprécier ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après, " le communiqué sanctions ").

271. TDF a été mise en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services d'instruction, d'influer sur la détermination de la sanction pouvant lui être imposée. La présentation de ces différents éléments par les services d'instruction ne préjuge pas de l'appréciation du collège sur les déterminants de la sanction, qui relève de sa seule délibération.

1. SUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE DES SANCTIONS

a) Sur la valeur des ventes

Rappel des principes

272. En application du point 23 du communiqué du 16 mai 2011, la pratique décisionnelle de l'Autorité retient comme assiette du montant de base pour le calcul de la sanction la valeur des ventes réalisées par l'entreprise mise en cause pour les biens ou les services qui sont en relation avec l'infraction.

273. Par ailleurs, selon le point 33 du communiqué du 16 mai 2011, la valeur des ventes est déterminée par référence au dernier exercice comptable complet de mise en œuvre des pratiques. Cependant, suivant le point 39 dudit communiqué, lorsque cette référence n'est manifestement pas représentative, l'Autorité retient un exercice qu'elle estime plus approprié ou une moyenne des exercices.

En ce qui concerne le grief n° 1

274. La pratique de communication dénigrante auprès des collectivités locales et d'instrumentalisation des servitudes radioélectriques, visée par le grief n° 1, a été de nature à affecter à la fois le marché de gros amont de la diffusion hertzienne terrestre en mode numérique et le marché de gros aval des services de diffusion.

275. Sur le marché de gros amont, cette pratique était susceptible d'entraver les projets d'infrastructures de diffusion de la TNT des concurrents et, par suite, le développement d'offres d'hébergement alternatives.

276. Cette pratique a également eu des répercussions sur le marché de gros aval. Elle a ainsi pu conduire des concurrents à perdre des appels d'offres des clients MUX en raison du retard pris par leur projet d'implantation du pylône sur le site concerné ou les contraindre à recourir aux offres d'hébergement de TDF, à défaut d'avoir pu installer leurs pylônes dans des délais compatibles avec les appels d'offres des MUX, ce qui limitait leur autonomie commerciale.

277. Contrairement à ce que soutient TDF, la circonstance que l'infraction retenue au titre du grief n° 1 se fonde sur des faits relatifs aux sites de la plaque Alsace et à quelques autres sites en France, sans que soit rapportée la preuve de la commission de l'infraction sur chacun des sites du territoire national, est sans incidence sur la détermination de la valeur des ventes devant servir de base au calcul du montant de la sanction pécuniaire.

278. En effet, selon les paragraphes 33 et 34 du communiqué sur les sanctions du 16 mai 2011, les ventes à prendre en compte sont " toutes celles réalisées en France " dans les " catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction " et non les seules ventes effectivement affectées par l'infraction. L'Autorité n'a donc pas à prouver une affectation directe de chaque vente par l'infraction lorsqu'elle détermine le montant de la valeur des ventes

279. En ce sens, le Tribunal a jugé, à propos des lignes directrices de la Commission ayant un contenu similaire au droit national sur ce point, qu'" il ne ressort pas du paragraphe 13 des lignes directrices de 2006 que seule la valeur des ventes résultant des transactions réellement affectées par les pratiques infractionnelles peut être prise en considération pour calculer la valeur des ventes pertinente [...]. La formulation de cette disposition vise, en effet, les ventes réalisées sur le marché pertinent concerné par l'infraction. " (arrêt du 27 février 2014 du Tribunal, LG Display Co. Ltd, aff. T-128/11, points 65 à 67, confirmé par l'arrêt du 23 avril 2015 de la Cour de justice, LG Display Co. Ltd, aff. C-227/14 P, point 57).

280. Au titre du grief n° 1, il convient donc de retenir comme valeur des ventes l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT par TDF sur le marché de gros amont auprès des opérateurs tiers et sur le marché de gros aval auprès des clients MUX.

281. Le dernier exercice comptable complet de mise en œuvre de la pratique visée par le grief n° 1 est l'exercice 2009-2010 (étant précisé que les comptes de TDF sont clos le 31 mars de chaque année) de sorte que, sur la base de cette année de référence qui est pertinente en l'espèce, le montant de la valeur des ventes à prendre en compte est de 99 998 429 euros.

En ce qui concerne le grief n° 3

282. La pratique de remise de plaque, visée par le grief n° 3 a affecté le marché de gros aval de la diffusion hertzienne terrestre en mode numérique sur lequel elle a été mise en œuvre à l'occasion des appels d'offres lancés par les clients MUX.

283. Au titre du grief n° 3, il convient donc de retenir comme valeur des ventes le seul chiffre d'affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT par TDF sur le marché de gros aval auprès des clients MUX.

284. Le dernier exercice comptable complet de mise en œuvre de la pratique visée par le grief n° 3 est l'exercice 2008-2009 de sorte que, sur la base de cette année de référence qui est pertinente en l'espèce, le montant de la valeur des ventes à prendre en compte est de 66 856 638 euros.

b) Sur la gravité des pratiques

285. Afin d'apprécier la gravité des faits au cas d'espèce, il convient d'évoquer successivement la nature des infractions en cause, la nature du secteur et des activités concernés et les caractéristiques concrètes de ces pratiques.

Sur le grief n° 1

286. En premier lieu, le dénigrement de l'implantation d'infrastructures de diffusion concurrente et l'instrumentalisation des servitudes auprès des collectivités locales, retenus au titre du grief n° 1 constituent des pratiques d'éviction de la part de l'entreprise dominante qui sont considérées comme graves dans la mesure où elles ont pour effet d'empêcher l'accès et le développement des concurrents sur le marché par des moyens ne reposant pas sur une compétition par les mérites.

287. En deuxième lieu, il résulte de la jurisprudence (par exemple, arrêt du 12 décembre 2016 de la cour d'appel de Paris, Monnaie de Paris, n° 2006/01743) que si toute entreprise en situation de position dominante doit veiller à ne pas abuser de son pouvoir de marché, cette responsabilité est plus importante lorsque cette position est héritée d'un ancien monopole légal et que la pratique en cause est en lien avec cet ancien statut.

288. En l'espèce, les pratiques ont été commises par TDF en qualité d'entreprise privée anciennement monopole d'État et détentrice, à ce titre, d'un patrimoine unique d'infrastructures de diffusion hertzienne terrestre. Elle a également hérité de son ancien statut une notoriété inégalée auprès des collectivités locales au travers notamment de son réseau de représentants locaux. Enfin, les contraintes liées au respect de l'orientation des antennes de réception des particuliers lors du basculement vers la TNT ont conduit les régulateurs à privilégier un déploiement des émetteurs numériques par colocalisation avec le réseau historique des sites exploités par TDF pour la diffusion analogique. Cet avantage hérité de l'ancien statut était renforcé par le fait que TDF a conservé le monopole de la diffusion des chaînes du service public jusqu'en 2004, juste avant le lancement de la TNT.

289. En outre, TDF a entretenu une confusion entre sa situation d'entreprise privée en concurrence et son ancien statut en se prévalant de servitudes accordées du temps du monopole public, en répondant à des consultations prévues pour les personnes publiques et en usant d'un droit d'opposition prévu par le CPCE pour les ministres ou les services dépendant d'eux. Ce comportement était d'autant moins justifié qu'il existait une procédure de droit commun devant la commission des sites et servitudes (COMSIS), qui permettait à TDF de faire valoir ses demandes en matière de servitudes, ce qu'elle n'a d'ailleurs jamais fait.

290. L'ensemble de ces éléments établit un lien entre les pratiques reprochées par le premier grief et l'ancien statut de monopole public. TDF avait donc une responsabilité particulière de ne pas abuser de sa position dominante au moment du déploiement de la TNT dont le service de diffusion était un marché ouvert à la concurrence. Il en résulte que les pratiques visées par le premier grief sont, dans les circonstances de l'espèce, d'une particulière gravité.

Sur le grief n° 3

291. Concernant la pratique du grief n° 3, la remise de plaque géographique, qui était subordonnée au fait que les MUX s'approvisionnent auprès de TDF pour la totalité ou une partie importante de leurs besoins en sites de diffusion sur ces plaques, s'analyse comme un rabais d'exclusivité (ou de fidélité) en principe prohibé dès lors qu'un tel rabais, mis en œuvre par opérateur dominant, a la capacité de restreindre la concurrence (arrêt du 12 juin 2014 du Tribunal, précité, point 85). Cette pratique est donc grave par nature.

c) Sur l'importance du dommage causé à l'économie

Rappel des principes

292. Le dommage causé à l'économie ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007/18 040, p. 4). Il s'apprécie donc de manière objective et globale en prenant en compte de l'ensemble des éléments pertinents de l'espèce.

293. L'existence du dommage à l'économie ne se présume pas (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a. n° 09-12984, 09-13163 et 09-65940). Pour autant, l'Autorité n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie. Elle doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause (arrêts de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, Orange France, n° 2010/12 049, p. 5, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité, et du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., n° 2012/23 945, p. 89).

294. Pour apprécier le dommage causé à l'économie, l'Autorité tient compte, notamment, de l'ampleur de l'infraction, au vu de sa couverture géographique et de la part de marché de l'entreprise mise en cause, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles sur le marché, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné (voir par exemple, les arrêts de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, précité, p. 5 et du 26 janvier 2012, précité, p. 89 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité). Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04-13910).

Appréciation du dommage à l'économie lié au grief n° 1

Sur l'ampleur des pratiques en cause

295. Les pratiques retenues au titre du grief n° 1 concernent la politique de communication trompeuse et de dénigrement mise en œuvre par TDF auprès des collectivités locales au travers, d'une part, de l'envoi d'un courriel type aux communes de la plaque Alsace et par l'invocation abusive des servitudes radioélectriques auprès des communes de Château-Gontier, Condé-sur-Noireau, Sisteron et Ruy-Montceau, situées respectivement dans les régions Pays-de-la-Loire, Basse-Normandie, Provence-Alpes-Côte d'Azur et en Rhône-Alpes.

296. TDF conteste l'ampleur de la pratique en faisant valoir que le nombre de ses interventions est resté très limité par rapport à l'ensemble des sites concernés par le déploiement de la TNT et que la durée des pratiques est également limitée.

297. Mais pour apprécier l'ampleur des pratiques en cause en considération de leur durée, il faut tenir compte de leur inscription dans le calendrier de déploiement de la TNT et pas seulement de leur durée absolue en nombre de mois. En l'espèce et compte tenu de leur point de départ précoce, elles étaient susceptibles d'avoir un effet sur la totalité de la période d'exécution des contrats puisque la plaque Alsace était la première plaque concernée par le passage au tout numérique à l'issue du déploiement du réseau secondaire sur cette zone. La saisine d'Itas Tim du 22 septembre 2009 puis la décision n° 10-D-09 du 9 mars 2010 de l'Autorité, saisie d'une demande de mesures conservatoires, ont interrompu la pratique avant qu'elle ne puisse être mise en œuvre à plus grande échelle, sur d'autres zones géographiques pour lesquelles le basculement vers la diffusion numérique était plus tardif.

Sur les caractéristiques économiques objectives du secteur

298. Les pratiques visées par le grief n° 1 ont concerné le marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique, caractérisé par d'importantes barrières à l'entrée (barrières économiques et naturelles, barrières d'ordre administratif et réglementaire, contraintes de calendrier et enfin, exigence de colocalisation des nouveaux sites à implanter avec les sites existants, détenus dans leur très grande majorité par TDF). La pratique s'est donc ajoutée à ces barrières à l'entrée déjà élevées.

299. De plus, cette pratique est intervenue pendant une période représentant une opportunité exceptionnelle pour des opérateurs de diffusion concurrents d'entrer et de se développer sur les marchés de la diffusion hertzienne terrestre récemment ouverts à la concurrence, en raison de la mutation technologique que représentait le mode numérique, ce qui a contribué au dommage à l'économie.

Sur les conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques

300. Les pratiques retenues au titre du grief n° 1 ne se sont pas toujours concrétisées par un refus définitif des collectivités locales de permettre la réalisation des projets d'infrastructures des concurrents, certains maires étant revenus sur leur arrêté d'opposition (comme dans les cas des communes de Château-Gontier, Condé Sur Noireau, Ruy-Montceau ou Vendôme). Néanmoins, ces oppositions injustifiées ont pu freiner les projets d'infrastructure portés par les concurrents et retarder le développement des offres d'hébergement alternatives sur le marché de gros amont.

301. Cette pratique a également eu des répercussions sur le marché de gros aval. Elle a pu conduire des concurrents à perdre des clients MUX en raison du retard pris par leur projet d'implantation du pylône sur le site concerné. Elle a pu, en outre, contraindre les concurrents à avoir recours aux offres d'hébergement de TDF sans pouvoir mutualiser leurs offres de diffusion avec d'autres services à partir d'une même infrastructure détenue en propre. Elle a donc ralenti la diversification des formes de concurrence sur le marché aval.

Appréciation du dommage à l'économie lié au grief n° 3

Sur l'ampleur des pratiques en cause

302. Les remises de plaques géographiques ont été proposées par TDF à tous les MUX, au cours de la période s'étendant de mars 2005 à mars 2009 et ont concerné l'ensemble du territoire métropolitain. De ce fait, les remises de plaque géographique, lorsqu'elles étaient utilisées, avaient le potentiel d'affecter de façon significative la concurrence sur le marché.

303. De plus, les remises ont été proposées sur 43 plaques géographiques, comprenant 357 sites. Sachant qu'une remise de plaque géographique était souvent proposée à plusieurs MUX sur une même plaque, la remise de plaque géographique a été pratiquée à 141 reprises, portant sur un total de 1022 points de service. Selon l'année considérée, les remises de plaques ont ainsi concerné en moyenne 41 % des points de services mis en jeu par les MUX sur la période 2005-2009.

Sur les caractéristiques économiques objectives du secteur

304. La pratique retenue au titre du grief n° 3 a été mise en œuvre à l'égard de clients MUX contraints, pour respecter leurs obligations réglementaires et légales, de s'approvisionner sur le marché de gros aval des services de diffusion de la TNT. La demande peut donc être considérée comme inélastique, les clients n'ayant pas la possibilité de renoncer au service en présence de prix trop élevés.

305. TDF souligne que l'un des multiplex (SMR6 ou " R6 ") comprenait des chaînes appartenant au même groupe que deux diffuseurs concurrents de TDF, Towercast (NRJ12) et Onecast (TF1), lien susceptible de favoriser le développement de ces deux concurrents. Mais ce multiplex a néanmoins choisi TDF pour la plupart de ses appels d'offres à certaines phases cruciales du déploiement du réseau principal (les phases 1 à 4 notamment). Réciproquement, l'intégration verticale peut également avoir nui à ces diffuseurs alternatifs, dans la mesure où les chaînes sont concurrentes entre elles (cote n° 19752).

Sur les conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques

306. Les conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques reprochées à TDF sont d'autant plus significatives qu'elles ont touché des appels d'offres donnant lieu à des contrats d'une durée de cinq ans.

307. En premier lieu, les remises de plaques étaient généralement proposées au second tour des appels d'offres, alors que TDF possédait une connaissance fine des sites sur lesquels elle était concurrencée et des sites sur lesquels elle était positionnée gagnante ou non concurrencée. À cet égard, il convient de relever que les remises de plaques étaient individualisées dans la mesure où elles étaient non seulement variables selon les plaques, mais au sein d'une même plaque, elles pouvaient parfois varier entre des MUX différents ou être proposées à certains MUX mais pas à d'autres.

308. En deuxième lieu, les taux de franchissement des différents seuils des remises de plaque géographique sont significatifs. Ils représentent en moyenne, suivant le taux de remise retenu, entre 76 et 98 % des sites de la plaque.

309. En troisième lieu, il peut être constaté que TDF a conservé des parts de marché très élevées sur l'ensemble de la période des pratiques. Même si, compte tenu du taux de franchissement des seuils et de la proportion de sites concernés, ce maintien ne peut être totalement attribué aux pratiques, elles y ont cependant contribué.

[Tableau]

310. TDF considère quant à elle que les taux de succès élevés d'Itas Tim aux appels d'offres auxquels il répondait démontrent l'absence d'effet d'éviction des pratiques. Mais Itas Tim n'est entrée sur le marché qu'en novembre 2008, peu avant la fin des pratiques visées au grief n° 3. En outre, les taux de succès des diffuseurs alternatifs aux appels d'offres doivent être mis en perspective avec les efforts qu'ils devaient faire pour emporter ces marchés malgré les pratiques mises en œuvre. La nécessité de centrer leurs efforts financiers sur certains sites a pu les empêcher de candidater à un plus grand nombre d'appels d'offres.

311. TDF considère également que la baisse des prix constatée pendant la période des pratiques est une preuve de l'absence d'effet d'éviction. Mais TDF se réfère à des constats de baisse de prix non pas pendant la période des pratiques, mais à l'occasion du renouvellement des contrats, c'est-à-dire après la fin des pratiques. La baisse des prix à l'occasion du renouvellement des contrats suggère donc au contraire que les pratiques ont pu élever les prix au-dessus du niveau de concurrence.

312. L'étude économique annexée au mémoire en réponse de TDF présente également une analyse de l'évolution des prix pratiqués lors des appels d'offres entre 2005 et 2009 pour trois grandes catégories d'appels d'offres regroupés par puissance d'émetteur (" petite ", " moyenne " et " grande ", cotes 23867 et 23868). La baisse des prix constatée attesterait d'une retransmission au moins partielle de la baisse du prix des émetteurs dans les prix proposés aux MUX et donc de l'existence d'une importante pression concurrentielle pendant la période des pratiques.

313. Mais l'évolution des prix moyens étudiés par TDF ne prend en compte aucune des autres caractéristiques des appels d'offres. Or, pour une même puissance d'émetteur, les sites peuvent être très hétérogènes et les montants varier du simple au double lors d'une même phase. De fait, selon le graphique figurant dans l'étude économique annexée au mémoire en réponse de TDF (cote 23868), les prix pratiqués par TDF sont inférieurs pendant les phases correspondant au réseau complémentaire alors que, fréquemment, TDF était seul candidat aux appels d'offres. L'évolution des prix présentée par TDF semble donc résulter plus d'un effet de composition des sites chaque année que d'une baisse réelle des prix au cours de la période des pratiques.

314. Ainsi, il n'est pas étonnant de constater une baisse des montants mis en jeu lors des appels d'offres entre 2005 et 2009, même en tenant compte de la catégorie d'émetteur, puisque les appels d'offres du début de la période (entre 2005 et 2007) correspondent à des sites du réseau principal, couvrant une population très importante et représentant des montants élevés, alors que les appels d'offres de la fin de la période (à compter de 2007) correspondent à des sites du réseau complémentaire, couvrant une population limitée et représentant des montants faibles.

d) Sur la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte

315. Compte tenu de l'appréciation qui vient d'être faite de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, il y a lieu de retenir, pour déterminer le montant de base des sanctions, une proportion de 9 % de la valeur des ventes définie aux paragraphes 280 et 281 en ce qui concerne les pratiques retenues au titre du grief n° 1, ainsi qu'une proportion de 5% de la valeur des ventes en relation avec la pratique de remise de plaque géographique visée par le grief n° 3, telle que cette valeur a été déterminée aux paragraphes 283 et 284.

e) Sur la durée des infractions

316. Dans le cas d'infractions qui se sont prolongées plus d'une année, l'Autorité s'est engagée à prendre en compte leur durée selon les modalités pratiques suivantes : la proportion retenue, pour donner une traduction chiffrée à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie, est appliquée une fois, au titre de la première année complète de participation individuelle aux pratiques de chaque entreprise en cause, à la valeur de ses ventes pendant l'exercice comptable de référence, puis à la moitié de cette valeur, au titre de chacune des années complètes de participation suivantes. Au-delà de cette dernière année complète, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent.

317. Dans chaque cas d'espèce, cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chacune des entreprises aux pratiques et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d'entre elles pendant l'exercice comptable retenu comme référence.

318. En l'espèce, la pratique visée par le grief n° 1 a été notifiée de fin janvier 2009 à mars 2010. Elle a donc été mise en œuvre sur une durée totale de un an et deux mois correspondant à un coefficient de 1,08.

319. La pratique visée par le grief n° 3 a débuté en octobre 2005 et se termine en mars 2009. Elle s'est donc déroulée sur une période de 3 ans et 6 mois, soit un coefficient de 2,25.

f) Conclusion sur la détermination du montant de base des sanctions

320. Eu égard à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie par les pratiques en cause, le montant de base des sanctions pécuniaires déterminé en proportion des ventes de TDF en relation avec chaque infraction, d'une part, et en fonction de la durée de chaque infraction, d'autre part, doit être fixé à 9,7 millions d'euros pour le grief n° 1 et à 7,5 millions d'euros pour le grief n° 3.

2. SUR LA PRISE EN COMPTE DES CIRCONSTANCES PROPRES A L'ENTREPRISE

a) Sur la réitération

321. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce, la réitération est un des critères légaux de détermination du montant des sanctions. Le constat d'une situation de réitération est subordonné à quatre conditions cumulatives rappelées par le communiqué sur les sanctions : une précédente infraction au droit de la concurrence doit avoir été constatée avant la fin de la commission de la nouvelle pratique ; la nouvelle pratique doit être identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d'infraction ; ce dernier doit avoir acquis un caractère définitif à la date à laquelle l'Autorité statue sur la nouvelle pratique ; le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et le début de la nouvelle pratique ne doit pas être supérieur à quinze ans.

322. La Cour de cassation juge que les conditions de la réitération sont réunies dès lors que l'entreprise avait été précédemment sanctionnée pour " une infraction de même type ". À ce titre, " la qualification de la réitération n'exige pas que les infractions commises soient identiques quant à la pratique mise en œuvre ou quant au marché concerné, qu'il s'agisse du marché de produits ou services ou du marché géographique " et " elle peut être retenue pour de nouvelles pratiques identiques ou similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction " (arrêt du 6 janvier 2015 de la Cour de cassation, société Orange et autres, n° 13/21 305).

323. Au cas présent, les décisions n° 15-D-01 du 5 février 2015 et n° 15-D-10 du 11 juin 2015, déjà citées, ne peuvent être prises en compte au titre de la réitération dès lors qu'elles font l'objet de recours devant la cour d'appel de Paris et n'ont donc pas acquis un caractère définitif à la date de la présente décision.

324. En revanche, par la décision n° 99-D-14 du 23 février 1999, devenue définitive à la date de la présente décision, TDF a été sanctionnée pour avoir abusé de sa position dominante en mettant en œuvre des pratiques d'éviction sur le marché des prestations d'installation et de maintenance des matériels de diffusion télévisuelle par voie hertzienne. Cette décision est antérieure de moins de 15 ans au commencement des pratiques sanctionnées dans la présente affaire (janvier 2009 pour les pratiques retenues au titre du grief n° 1 et octobre 2005 pour les pratiques retenues au titre du grief n° 3).

325. Ces pratiques sont similaires à celles sanctionnées au cas présent puisqu'elles consistent en des comportements d'éviction mis en œuvre par l'opérateur dominant et ayant pour objet ou pour effet d'élever des barrières à l'entrée sur les marchés dominés et d'y empêcher le développement d'une concurrence par les mérites.

326. Il en résulte que la situation de réitération est caractérisée.

327. Comme l'indique le communiqué de l'Autorité, en cas de réitération, le montant intermédiaire de la sanction après prise en compte des éléments d'individualisation, " peut être augmenté dans une proportion comprise entre 15 et 50 % en fonction notamment du délai séparant le début de la nouvelle pratique du précédent constat d'infraction et de la nature des différentes infractions en cause ".

328. Au regard de la propension de TDF à s'affranchir des règles de la concurrence, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de majorer de 20 % le montant de base des infractions.

b) Sur les circonstances atténuantes

329. TDF invoque le fait, qu'en 2009, les pouvoirs publics n'avaient pas pris position sur la question de la légalité des servitudes radioélectriques dont elle était bénéficiaire et que, dans l'attente, elle n'a fait que se conformer aux consignes constantes de l'ANFR qui lui rappelait qu'il appartient aux titulaires des servitudes de les gérer et d'en vérifier le respect. Ces éléments constitueraient une circonstance atténuante aux pratiques relevant du grief n° 1.

330. Mais il faut relever que la question de la suppression des servitudes radioélectriques dont bénéficiaient les anciens monopoles publics TDF et France Télécom a été portée, en avril 2008, à l'ordre du jour de la COMSIS plénière qui a mandaté un groupe de travail ad hoc pour examiner spécifiquement ce point.

331. Cette initiative a été prise pour des raisons qui sont clairement indiquées dans l'introduction du rapport final de l'ANFR : " Dans le cadre de sa mission de mise à jour et de diffusion de l'information relative à l'implantation des stations radioélectriques et aux servitudes radioélectriques (articles R20-44-11 5 du CP&CE), le cas des servitudes dont bénéficient toujours les sociétés France Télécom (FT) et Télédiffusion de France (TDF) a été présenté par l'ANFR en COMSIS Plénière du 15 avril 2008. En effet, ces opérateurs de communications électroniques ne peuvent plus se prévaloir de ces servitudes de protection contre les " obstacles " (art L.54 du CP&CE) et contre les perturbations " (art L.57 du CP&CE) qui ont été instituées à l'origine pour des " centres de toute nature exploités ou contrôlés par les différents départements ministériels ", dans la mesure où ils sont devenus des personnes morales de droit privé. " (cote 6941, soulignement ajouté).

332. Comme cela a été indiqué aux points 204 à 208 ci-dessus, le fait que les conclusions définitives de l'ANFR, qui portent principalement sur la méthode à retenir pour abroger une masse de milliers de décrets, n'ont été rendues qu'après la cessation des pratiques ne saurait exonérer TDF de ses pratiques dès lors que, en tant que membre de la COMSIS plénière, l'entreprise était informée de l'existence de ce groupe de travail et de sa mission dès avril 2008 et aurait dû adopter, en 2009, une démarche prudente dans ses interventions auprès des communes sans chercher à utiliser des servitudes anciennes dont elle savait que la validité était remise en cause pour entraver l'action des ses concurrents.

333. C'est pour cette raison que les éléments que TDF présente à décharge ont été pris en compte à charge au stade de la qualification des pratiques (cf. point 207 ci-dessus), ils ne peuvent donc être, au stade de l'individualisation, retenus au titre des circonstances atténuantes.

334. S'agissant des deux comptes rendus de la COMSIS Technique, du 24 juin 2003 et du 28 janvier 2004, produits par TDF pour attester de la position de l'ANFR sur la gestion des servitudes par leurs titulaires, il faut d'abord noter qu'ils sont antérieurs de plusieurs années à la réunion de la COMSIS plénière d'avril 2008 et qu'ils datent d'une époque où TDF bénéficiait encore du monopole de diffusion du service public audiovisuel.

335. En outre, il ne s'agit pas d'avis officiels rendus au terme d'une délibération de la COMSIS portant explicitement sur la validité des servitudes de TDF mais de réponses techniques assez sommaires qui ne présentent aucune analyse juridique et se bornent à rappeler une position traditionnelle sur la conduite que les administrations doivent suivre face aux questions des collectivités. Ils ne sauraient donc contredire la position de l'ANFR au moment des faits.

336. Mais surtout, il apparaît que TDF en fait une interprétation contestable. En effet, la COMSIS se borne à constater qu'il n'entre pas dans ses attributions de discuter des servitudes directement avec les communes, ni de répondre à leurs questions. Ainsi, le compte-rendu de la réunion COMSIS de 2003 rappelle qu'" Il appartient au gestionnaire de servitudes de gérer directement les demandes qui lui sont soumises et d'expliquer au tiers les règles en vigueur. TDF rappellera cette règle à ses services régionaux. " (cote 17905).

337. Il faut noter que l'ANFR maintient cette position alors même que son rapport de 2010 a conclu à l'absence de base juridique des servitudes de TDF, comme le montre le compte rendu de la COMSIS Technique du 6 mars 2012 : " Les servitudes de TDF n'ont plus de base juridique et il ne fait plus de doute qu'elles vont être supprimées dès que le ministère de l'Industrie aura déterminé la façon juridique de faire ce travail en masse. Dans cette attente, les servitudes sont toujours reportées sur des documents d'urbanismes et vous êtes régulièrement sollicités par des porteurs de projet. TDF a donné des consignes à ses services pour renvoyer les interlocuteurs vers l'ANFR. Cette façon de faire entraine une perte de temps pour tout le monde alors qu'il suffirait de leur expliquer simplement la situation tout en répondant aux questions techniques relatives à leurs projets et notamment en rappelant l'existence de l'article L.112-12 du Code de la construction. Cet article protège la réception audiovisuelle des usagers, il fait partie des dispositions réglementaires depuis des décennies " (cote n° 17924, soulignement ajouté).

338. Le second compte-rendu de 2004, qui concerne le " Rôle des gestionnaires de servitudes dans les études de projets éoliens " et donc une procédure différente de celle appliquée aux projets de diffusion radioélectrique, n'expose pas une position différente de la précédente : " L'agence est consultée dans le cadre de projets pouvant impacter les servitudes. Elle fournit aux demandeurs la liste des servitudes impactant la commune concernée ainsi que les coordonnées du gestionnaire de ces servitudes. Elle invite le porteur de projet [d'éolienne] à se mettre en relation avec ces gestionnaires pour l'étude concrète du dossier. Dans certains cas (TDF, CASSIC, DCTEI) ils n'ont pu obtenir les renseignements demandés, les plans de la servitude, et sollicitent à nouveau l'Agence. C'est bien aux gestionnaires de servitudes de traiter ces dossiers, d'accorder ou non des dérogations (cote 17925) ". Il faut noter que cet avis de janvier 2004 place TDF sur le même plan que la Direction centrale des télécommunications et de l'informatique du ministère de la défense (DCTEI) et l'assimile implicitement à un opérateur rattaché à la sphère publique ce qui, comme on l'a vu, n'était plus le cas au moment des pratiques comme l'a indiqué la COMSIS plénière d'avril 2008.

339. Ainsi, le fait que l'ANFR s'en tienne à la règle qui veut que le titulaire d'une servitude se charge de la gérer, que ce soit pour répondre à des questions ou l'invoquer éventuellement devant la COMSIS lors de l'examen d'un projet de diffusion, ne signifie ni qu'elle approuve les avis défavorables rendus par TDF, ni qu'elle considère que les autorisations de la COMSIS peuvent être contournées ou contredites par les titulaires de servitudes lorsqu'ils rendent de tels avis.

340. Au vu de l'ensemble de ce qui précède, il n'y a pas lieu de retenir la circonstance atténuante invoquée par TDF en ce qui concerne le grief n° 1.

c) Sur les autres éléments d'individualisation

341. TDF soutient que sa qualité d'entreprise " mono-produit " justifierait une baisse de sa sanction en application du point 48 du communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires qui prévoit que l'Autorité peut adapter à la baisse le montant de base de la sanction pour tenir compte du fait que " l'entreprise concernée mène l'essentiel de son activité sur le secteur ou marché en relation avec l'infraction (entreprise "mono-produit ").

342. Dans un premier temps, TDF tire argument que le communiqué utilise la formule " secteur ou marché " pour considérer qu'il est possible de faire une lecture extensive de cette disposition : " Sauf à vider de son sens l'existence de la proposition alternative du point 48 du communiqué sur les sanctions, l'Autorité doit prendre en considération non seulement le " marché " en relation avec l'infraction, mais également le " secteur " en relation avec l'infraction " (cote 24216).

343. Dans un second temps, elle raisonne sur son secteur d'activité entendu en un sens très large pour constater que : " TDF est active dans le secteur de l'exploitation d'infrastructures pour la diffusion de signaux radioélectriques.TDF réalise plus de 91 % de son chiffre d'affaires grâce à l'exploitation de réseaux de communication électronique (42 % dans les télécoms, 29 % pour la télévision et 20 % pour la radio), c'est-à-dire dans le secteur concerné par les pratiques poursuivies. Ainsi, le fait que TDF puisse mobiliser ses infrastructures de diffusion pour plusieurs types d'applications (téléphonie, radio et télévision) n'implique pas qu'il s'agisse d'une entreprise diversifiée. Quel que soit le signal diffusé, l'activité de TDF est unique " (cote 24216).

344. Mais ces arguments sont inopérants car TDF fait une interprétation erronée de la notion d'entreprise mono-produit et du point 48 du communiqué sur les sanctions.

345. L'erreur principale de TDF est de considérer que le caractère " mono-produit " sert à qualifier l'entreprise elle-même alors qu'elle sert à qualifier une situation de l'entreprise au regard d'une certaine infraction. Cette conception, qui conduit à accorder cette qualification indépendamment de l'infraction considérée et ne tient donc pas compte du fait que la valeur des ventes en lien avec l'infraction joue un rôle essentiel, revient à faire de ce caractère " mono-produit " une qualité permanente de l'entreprise dont on peut faire le constat à tout moment avant même d'avoir notifié des griefs.

346. Ainsi, un constructeur automobile serait en situation d'entreprise " mono-produit " puisqu'il est essentiellement actif dans le secteur de l'automobile, un opérateur de téléphonie serait " mono-produit " puisqu'il est essentiellement actif dans le secteur des services téléphoniques, un laboratoire pharmaceutique serait " mono-produit " puisqu'il est essentiellement actif dans le secteur du médicament, et ainsi de suite. À ce compte, seules les entreprises diversifiées ou conglomérales ne pourraient bénéficier ex ante de cette qualification d'entreprise " mono-produit ".

347. En réalité, comme cela ressort clairement des points 23, 24 et 48 du communiqué sur les sanctions, la notion de " mono-produit " a été introduite en droit français comme en droit européen dans un but fonctionnel pour traiter de manière individualisée les cas où l'application de la méthode normale de détermination des sanctions aboutirait à des montants disproportionnés.

348. Elle doit donc s'insérer dans un raisonnement sur la détermination de la sanction et non servir à décrire l'activité de l'entreprise sanctionnée. Il ne faut l'utiliser que dans le contexte d'une infraction particulière commise sur des marchés particuliers, aussi bien des marchés de produits que des marchés géographiques, pour qu'elle puise remplir sa fonction : identifier une situation dans laquelle l'assiette de la sanction, c'est-à-dire la valeur des ventes en lien avec l'infraction, est proche du chiffre d'affaires de l'entreprise sanctionnée, ce qui peut conduire à adapter la méthode de détermination de la sanction.

349. Ainsi, ce caractère d'entreprise " mono-produit " peut être reconnu par l'Autorité à une entreprise dans une certaine affaire et refusé à la même entreprise dans une autre affaire si, dans le second cas, la valeur des ventes en lien avec l'infraction est plus faible, quand bien même la situation de l'entreprise en termes de secteurs d'activité serait la même.

350. C'est ainsi que cette notion doit être utilisée même s'il est vrai que l'expression qui s'est imposée conduit à résumer sommairement cette situation par l'expression " d'entreprise mono-produit " aussi bien en droit français qu'en droit européen alors qu'on veut désigner une " situation d'entreprise mono-produit " dans le contexte de l'infraction.

351. On peut, à cet égard, se reporter à la pratique décisionnelle de la Commission européenne qui applique le test d'entreprise " mono-produit " dans le cadre de l'individualisation prévu à l'article 37 de ses lignes directrices pour s'écarter de sa méthode normale de détermination des sanctions lorsque " les particularités d'une affaire donnée [et non d'une entreprise] peuvent justifier que la Commission s'écarte de cette méthodologie ",

352. Le communiqué de presse de la Commission IP/12/313 du 28 mars 2012 relatif aux sanctions infligées au cartel de la quincaillerie de fenêtres illustre bien le raisonnement sous-jacent qui justifie une adaptation de la méthode et le recours à la notion d'entreprise " mono-produit " : " La quincaillerie de fenêtres représente une part importante du chiffre d'affaires de la plupart des parties à l'entente. De ce fait, pour presque toutes les entreprises concernées, les amendes auraient atteint le maximum légal prévu par le règlement sur les ententes et les abus de position dominante, soit 10 % de leur chiffre d'affaires mondial. La Commission a donc exceptionnellement exercé le pouvoir d'appréciation que lui confère le point 37 des lignes directrices et a réduit les amendes de manière à tenir compte de la nature "mono-produit" des entreprises et des différences quant à la participation de chacune à l'entente.".

353. Dans la présente espèce, la valeur des ventes de TDF en lien avec l'infraction, d'environ 100 millions d'euros, ne représente qu'une faible part aussi bien du chiffre d'affaires de la société TDF que du chiffre d'affaires consolidé du groupe TDF. Il n'y a donc pas lieu d'adapter le montant de base dans le sens prévu aux points 47 et 48 du communiqué sur les sanctions.

d) Sur le respect du plafond légal de la sanction

354. Lorsque les comptes sont consolidés, le plafond légal de la sanction correspond à 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxe consolidé le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant le commencement des pratiques.

355. Au cas présent, le chiffre d'affaires mondial hors taxe consolidé de l'exercice clos au 31 mars 2009, le plus élevé réalisé par TDF, est de 1 629 millions d'euros. Le plafond légal de la sanction est donc fixé à 162,9 millions d'euros pour chacune des deux sanctions qui seront infligées. Le plafond légal de la sanction est par conséquent respecté.

3. CONCLUSION FINALE SUR LE MONTANT DES SANCTIONS

356. Au vu de l'ensemble de ce qui précède, il y a lieu d'infliger solidairement à TDF SAS, en tant qu'auteur des pratiques et à Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés mères de la société TDF SAS, des sanctions pécuniaires d'un montant de 11,6 millions d'euros pour les pratiques retenues au titre du grief n° 1 et d'un montant de 9 millions d'euros pour les pratiques retenues au titre du grief n° 3.

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que la société TDF SAS, en tant qu'auteur des pratiques, et les sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés mères de la société TDF SAS, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en mettant en œuvre une communication trompeuse et dénigrante auprès des collectivités locales.

Article 2 : Il est établi que la société TDF SAS, en tant qu'auteur des pratiques, et les sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS , devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés mères de la société TDF SAS, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce et celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en mettant en œuvre une remise de plaque géographique.

Article 3 : Sur la base des informations dont dispose l'Autorité, il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure en ce qui concerne les pratiques visées par le grief n° 2.

Article 4 : Les sociétés Tyrol Acquisition 1 SARL et Tyrol Acquisition 1 et Cie SCA sont mises hors de cause.

Article 5 : Au titre des pratiques visées à l'article 1er, il est infligé solidairement à TDF SAS, Tyrol Acquisition 1 SAS devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, une sanction pécuniaire d'un montant de 11,6 millions d'euros.

Article 6 : Au titre des pratiques visées à l'article 2, il est infligé solidairement à TDF SAS, Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, une sanction pécuniaire d'un montant de 9 millions d'euros.

Délibéré sur le rapport oral de Mmes Hélène Bonnet et Lauriane Lépine-Sarandi, rapporteures, et l'intervention orale de Mme Juliette Théry-Schultz, rapporteure générale adjointe, par M. Thierry Dahan, vice-président, président de séance, Mmes Pierrette Pinot, Carol Xueref et M. Philippe Choné, membres.