Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 26 mai 2016, n° 14-23114

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pharma Concept (SARL)

Défendeur :

Lafayette Conseil (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dabosville

Conseillers :

Mme Schaller, M. Loos

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Tosi, Fisselier, Djavadi

T. com. Bordeaux, 7e ch., du 17 oct. 201…

17 octobre 2014

Faits et procédure

Vu le jugement prononcé le 17 octobre 2014 par le Tribunal de commerce de Bordeaux qui a condamné la société Lafayette conseil à payer à la société Pharma concept la somme de 60 000 euro en réparation du préjudice subi pour rupture brutale et sans préavis des relations commerciales établies ainsi qu'à celle de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et a condamné la société Pharma concept à payer à la société Lafayette conseil la somme de 18 614,56 euro TTC en règlement du solde de sa facture du 23 juillet 2012 avec intérêts au taux légal à compter du 6 février 2013,

Vu les dernières conclusions du 4 mars 2016 de la société Pharma concept, appelante, qui demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce, de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Lafayette conseil dans la rupture brutale des relations commerciales qui l'unissaient à la société Pharma concept, de le réformer en ce qui concerne le quantum des sommes qui lui ont été allouées, de condamner la société Lafayette conseil à l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices à hauteur de la somme de 925 266 euro et à lui verser la somme de 5 000 euro au titre de ses frais irrépétibles,

Vu les dernières écritures du 9 mars 2016 de la société Lafayette conseil, appelante incidente, qui conclut à la confirmation de la décision entreprise en qu'elle a condamné la société Pharma concept à lui payer la somme de 18 614,56 euro, de l'infirmer en ce qu'elle a jugé que la relation commerciale entre les parties était établie, qu'une rupture brutale de relation commerciale lui était imputable, l'a condamnée au payement de la somme de 60 000 euro au titre de la brutalité de la rupture, demande à la cour d'enjoindre la société Pharma concept à lui payer le montant des commissions de 10 % dues sur le montant hors taxes des travaux d'agencement des pharmacies de Charleville, Dunkerque, la couronne, Poitiers et Toulon sous astreinte de 100 euro par jour de retard et de condamner cette société à lui verser la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Sur ce

Considérant que la société Pharma concept expose que la société Agence concept, dont l'objet était l'agencement, l'aménagement et la rénovation de locaux commerciaux et dont le gérant était M. Jean-Louis Chauvin, et la société Joël Cordeau, spécialisée dans la fabrication de meubles, ont travaillé ensemble dès l'immatriculation de la première en 2002, laquelle intervenait pour la définition du concept, l'établissement de plans et devis tandis que la seconde se chargeait de la réalisation et de la facturation aux clients, sont entrées en contact en 2007 avec la société Lafayette conseil, qui proposait aux pharmacies adhérant à son réseau un concept de présentoirs et de plans pour l'agencement de leur officine, pour réaliser les travaux d'agencement de la pharmacie de M. Richez à la Couronne et apporter leur concours à l'agenceur de la société Lafayette conseil, M. Bonnard ; qu'un premier contrat de prestations a été conclu avec la seule société Agence concept et la société Lafayette aux termes duquel celle-ci lui cédait les plans remodelés selon un concept de merchandising en contrepartie du versement d'une commission de 5 % du devis accepté y compris sur des modifications ultérieures, ce contrat étant reconductible tacitement ; que le 7 octobre 2008 était constituée à la demande de représentants de la société Lafayette conseil, une nouvelle entreprise dénommée Pharma concept, union des sociétés Joël Cordeau et Agence concept, avec laquelle un nouveau contrat de prestations de services a été conclu le 1er juillet 2009 reprenant les termes du précédent contrat régularisé avec la société Agence concept ; que la société Lafayette conseil a chargé la société Pharma concept à compter du 1er janvier 2010 de réaliser des pharmacies et magasins d'optique sur tout le territoire national et une nouvelle convention a été signée à cette date comprenant comme seule modification une augmentation de la commission de 5 à 10 % ; que pour faire face à l'augmentation de l'activité, elle a recruté du personnel, acquis un bâtiment plus grand pour fabriquer et stocker le matériel de pharmacie, ainsi que des matériels et véhicules et souscrit un emprunt de 70 000 euro pour réaliser les travaux de sécurité et de mises aux normes en vigueur ;

qu'alors qu'elle était l'agenceur exclusif de référence de la société Lafayette conseil celle-ci a mis un terme brutal à leurs relations contractuelles au début de l'année 2013, tous les nouveaux contrats et certains des anciens contrats étant confiés à une nouvelle société dénommée ARM sans que le contrat du 1er janvier 2010 ai été résilié et sans que la société intimée ne l'ait informée de la mise en concurrence avec cette société ; que c'est dans ces conditions qu'elle a fait assigner la société Lafayette conseil pour voir constater la rupture brutale de leur relation commerciale et obtenir réparation du préjudice en découlant devant le tribunal de commerce de Bordeaux qui a statué dans les termes susvisés ;

Considérant que la société Pharma concept critique le jugement en ce qu'il a évalué son préjudice à la somme de 60 000 euro en ne fixant un préavis que de six mois après avoir retenu que les parties n'étaient liées par aucune clause d'exclusivité et qu'elle ne rapportait pas la preuve de son état de dépendance économique alors qu'elle justifie devant la cour, par la production d'une attestation de son comptable, de ce que son activité auprès de la société Lafayette conseil était devenue de plus en plus importante au point de représenter en 2012 plus de 90 % de son chiffre d'affaires ;

Considérant que la société Lafayette conseil, après avoir indiqué que la relation contractuelle avec la société appelante avait débuté au mois de juillet 2009, allègue la précarité de cette relation et l'absence de toute clause d'exclusivité et de dépendance économique et fait observer que l'appelante, qui pouvait développer son activité auprès d'autres clients que les pharmacies du réseau Lafayette, n'apporte aucun élément comptable certifié de nature à démontrer que les pharmacies de ce réseau étaient ses seules clientes ; qu'elle souligne que la prétendue prépondérance des travaux d'agencement des pharmacies Lafayette dans le chiffre d'affaires de la société Pharma concept n'est pas démontrée par des justificatifs et que cette société n'a pas produit son compte fournisseur détaillé en dépit de ses demandes ; qu'elle dénie avoir incité les pharmacies adhérentes au réseau à choisir la société ARM au détriment de la société Pharma concept, ce choix s'étant imposé directement aux pharmaciens pour des raisons économiques et conteste l'existence d'un quelconque préjudice subi par l'appelante ;

Considérant, cela exposé, que la société Pharma concept sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu que la relation commerciale avait débuté le 1er juillet 2009 de sorte qu'il n'y a pas lieu de rechercher si cette relation avait débuté antérieurement à cette date ;

Considérant que les dispositions de l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce invoquées par l'appelante sanctionnent l'auteur de la rupture brutale d'une relation commerciale établie ; que la qualification de relation " établie " suppose que la relation soit régulière, stable et se rapporte à un volume significatif d'affaires ; qu'en l'espèce, les parties ont signé un premier contrat le 1er juillet 2009 aux termes duquel la société Lafayette conseil cédait à la société Phama concept, qui se proposait d'intervenir comme agenceur, des plans remodelés selon son concept de merchandising destiné aux pharmacies Lafayette adhérentes au réseau moyennant une commission de 5 % du devis accepté ; que ce contrat a été remplacé par un autre contrat signé le 1er janvier 2010 avec pour seule modification le taux de la commission qui était portée à 10 % du devis accepté et une précision portant sur les conditions du règlement dans les trente jours après règlement total du client à la société Pharma concept ; que ces dispositions contractuelles ont ainsi été reconduites tacitement en 2011 et 2012 comme en témoignent les factures relatives à ses commissions adressées par l'intimée les 8 octobre 2009 (40 901,15), 26 mars (4 318,85), 13 juillet (8 571,37), 9 septembre (6 877) et 30 novembre 2010 (8 400,06), 15 février (7 654,40), 21 juin (4 186) et 22 décembre 2011 (63 701,38 + 3 887) et 23 juillet 2012 (37 614,56) ; que la durée et la régularité du versement des commissions démontrent le caractère établi de la relation commerciale ;

Considérant que la société Pharma concept allègue la rupture brutale de cette relation par la société intimée qui a cessé de lui confier la réalisation des officines de ses adhérents au 1er janvier 2013 ; qu'elle fait valoir qu'après lui avoir demandé de s'aligner sur les tarifs de la société ARM, la société Lafayette conseil n'a pas répondu à sa demande portant sur les tarifs pratiqués par cette société afin de pouvoir les examiner ; qu'ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, la société intimée n'a pas informé la société Pharma concept d'une mise en concurrence avec la société ARM ; qu'il ressort des attestations de M. Guillaume Delos et de M. Stéphane Robert, développeurs en pharmacie, que dès les mois de juillet-août 2012, M. Hervé Jouves, nouveau directeur général de la société Lafayette concept, leur a demandé de ne plus remettre à la société Pharma concept les dossiers d'agencement des pharmacies Lafayette (M. Delos) et de les remettre à la société ARM (M. Robert) ; que l'intimée qui prétend que ces deux personnes ont fait l'objet d'un licenciement pour faute n'en justifie pas ; que l'attestation de M. Nicolas Baysset, pharmacien, produite par l'intimée, qui déclare avoir fait appel à la société ARM en précisant en avoir entendu parler en très bons termes sans indiquer le nom de l'auteur de cette recommandation, n'est pas de nature à contredire pour autant l'affirmation de M. Delos et de M. Robert ; que l'attestation de Mme Natalie Teissier, salariée de la société Lafayette conseil, décrit la procédure d'attribution des marchés d'agencement sur les ouvertures de pharmacies ou magasins d'optique Lafayette dont il résulte que c'est bien cette société qui propose les noms des agenceurs et encourage le pharmacien adhérent à son réseau à retenir l'un de ces agenceurs ;

Qu'il suit de ces développements que la société intimée a rompu brutalement la relation commerciale établie entre les parties sans préavis écrit tenant compte de la durée de cette relation commerciale et a, de ce fait, engagé sa responsabilité ; qu'eu égard à cette durée, soit trois ans et six mois, il y a lieu de fixer le préavis à quatre mois ;

Considérant que la société Pharma concept ne peut obtenir réparation que du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture et non du préjudice découlant de la rupture elle-même ; que ce préjudice doit être réparé au regard de la marge brute qui aurait dû être réalisée au cours du préavis ; que, cependant, cette société ne justifie pas du montant du chiffre d'affaires obtenu avec la société Lafayette conseil au cours des années 2009 à 2012 ; qu'elle affirme que la proportion de ce chiffre d'affaires par rapport à son chiffre d'affaires global représentait plus de 90 % en 2012, ce taux ayant été de 44 % en 2009, 76 % en 2010 et 93 % en 2011 d'après l'analyse émanant de Francis Remy qu'elle désigne comme son comptable mais qui lui-même ne fait pas état de cette qualité se présentant comme " maître en sciences économiques, ancien inspecteur principal des impôts, évaluations et stratégies d'entreprises " ; que ce dernier dresse un tableau dont il ressort qu'en 2010, sur un chiffre d'affaires global de 619 880 euro celui réalisé avec la société Lafayette conseil se serait élevé à 471 994 euro, en 2011 sur un chiffre d'affaires global de 770 153 euro la part correspondant à l'activité avec le réseau Lafayette aurait été de 714 757 euro et en 2012, sur un chiffre d'affaires global de 648 902 euro celui réalisé avec l'intimée se serait élevé à 599 262 euro ; que toutefois les pièces comptables qu'il a analysées pour parvenir à ces résultats n'ont pas été produites par l'appelante malgré les termes du jugement et les demandes en ce sens de la société Lafayette conseil de même que les éléments comptables (tels que salaires et achats de matières premières à déduire) permettant de fixer le taux de marge ;

Que si la perte de marge brute est certaine dès lors que les commandes ont cessé, néanmoins, en l'absence de documents comptables probants, les chiffres susvisés, contestés par l'intimée qui rappelle de surcroît à juste titre que la société Pharma concept ne bénéficiait pas d'une exclusivité, n'ont aucun caractère certain ; que la cour au vu des éléments d'appréciation versés aux débats fixe la perte subie par la société appelante à la somme de 50 000 euro ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a accordé de ce chef à la société Pharma concept la somme de 60 000 euro ;

Considérant que la société Pharma concept, qui ne peut prétendre à une autre réparation que celle du préjudice résultant de la brutalité de la rupture, ne peut réclamer, en sus de l'indemnité de rupture, les sommes correspondant aux pertes subies du fait de la rupture telles que celles relatives aux licenciements, à la résiliation des baux commerciaux, aux locations de matériel, aux commandes annulées et en stock et à la baisse de valeur de son fonds de commerce, étant relevé qu'aucun investissement particulier n'a été imposé par la société Lafayette conseil au cours de la relation commerciale ; que la réalité du préjudice moral qu'elle allègue en excipant du caractère brutal de la rupture qui l'aurait placée en porte-à-faux vis-à-vis des clients et adhérents du concept Lafayette n'est étayée par aucune pièce ; que c'est donc à bon droit que le tribunal a rejeté ce chef de demande ;

Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Pharma concept à payer à la société Lafayette conseil la somme de 18 614,56 euro, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 février 2013, au titre du solde impayé de la facture de commissions du 23 juillet 2012, cette somme n'étant pas contestée par l'appelante ; que celle-ci n'a pas davantage contesté dans ses conclusions avoir réalisé l'agencement des pharmacies de Charleville, Dunkerque, La Couronne, Poitiers et Toulon ; que ces pharmacies font partie des 28 nouvelles pharmacies dont elle indique avoir réalisé l'agencement et qu'elle a désignées par une croix sur sa pièce 54 qui énumère les pharmacies adhérentes au réseau Lafayette ; qu'il lui appartient dès lors de communiquer à la société Lafayette conseil les factures émises dans le cadre de ces agencements aux fins de versement des commissions dues à l'intimée ;

Et considérant qu'il n'y a pas lieu d'allouer aux parties une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile, le jugement étant confirmé en ce qu'il a condamné la société Lafayette conseil à payer sur ce fondement la somme de 2 000 euro à la société Pharma concept.

Par ces motifs : Confirme le jugement sauf en ce qu'il a condamné la société Lafayette conseil à payer à la société Pharma concept la somme de 60 000 euro en réparation du préjudice subi pour rupture brutale et sans préavis des relations commerciales établies ; Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant, Condamne la société Lafayette conseil à payer à la société Pharma concept la somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts ; Enjoint à la société Pharma concept de communiquer à la société Lafayette conseil aux fins de versement des commissions dues à celle-ci les factures émises à l'occasion de l'agencement des pharmacies de Charleville, Dunkerque, La Couronne, Poitiers et Toulon sous astreinte de 30 euro par jour de retard passé le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt ; Rejette toute autre demande, Condamne la société Lafayette conseil aux dépens d'appel.