CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 juin 2016, n° 14-26096
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Fidac Normandie (SARL)
Défendeur :
Necotrans France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
Mme Schaller, M. Loos
Avocats :
Mes Bernabe, Caulier, Teytaud, Nicolas
Faits et Procédure
La société Fidac Normandie qui exploite sous l'enseigne TSLT est une société de transports routiers. La société Necotrans AATA est spécialisée dans le transport international routier et maritime. Les deux sociétés étaient en relation d'affaires de longue date.
En 2011, la société DOM (Déménagement Outre Mer), a été mandatée pour organiser le déménagement de plusieurs particuliers de la Métropole vers la Réunion en acheminant un conteneur d'effets personnels. Elle a chargé la société Necotrans de louer un conteneur et d'en assurer le transport maritime. La location du conteneur et la réservation du fret ont été faits auprès de la compagnie maritime CMA CGM. L'embarquement du conteneur était prévu le 5 mai 2011 sur un bateau de cette compagnie.
Dans ce cadre, la société DOM a demandé à la société TSLT d'assurer le pré-acheminement de la marchandise et lui a donné instruction de positionner le 29 avril 2011 le conteneur vide dans ses locaux de Canteleu puis de la charger pour l'amener le 3 mai 2011 au port de Rouen chez la société Necotrans.
La société TSLT a bien pris en charge le bien mais n'en a pas effectué la livraison à la société Necotrans en prétextant une dette impayée de la société DOM d'un montant de 3 777,86 au titre de transports antérieurs.
Par jugement du 10 mai 2011, la société DOM a été mise en liquidation judiciaire.
La rétention du conteneur se prolongeant, la société Necotrans a fait état de pénalités (surestaries) réclamées par la société CMA CGM au titre de sa location. Malgré de nombreuses relances la société TSLT a refusé de libérer le conteneur et d'assumer les pénalités.
S'en sont suivies de nombreuses procédures :
Assignation en référé par la société Necotrans AATA en date du 12 août 2011 devant le Président du Tribunal de commerce de Rouen.
Ordonnance du juge des référés en date du 26 septembre 2011.
Fin 2011, la société Necotrans a décidé de suspendre ses relations avec la société TSLT.
Le litige a finalement perduré pendant 18 mois occasionnant d'autres procédures et péripéties : saisine du juge des référés par la société Necotrans AATA en date 13 novembre 2012, et tentatives litigieuses d'exécution de cette décision.
Il a cessé le 25 janvier 2013, le conteneur étant remis par la société TLST.
C'est dans ces conditions, que la société Fidac Normandie (TSLT) a fait assigner le 8 août 2013 la société Necotrans pour rupture brutale des relations.
Par jugement en date du 12 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Lille a :
- Dit recevable mais mal fondée l'exception d'incompétence soulevée par la société Necotrans AATA.
- Dit se déclarer compétent.
- Débouté la société Fidac Normandie de l'ensemble de ses demandes.
- Condamné la société Fidac Normandie à verser à la société Necotrans les sommes de :
* 10 000 à titre de dommages et intérêts.
* 10 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Condamné la société Fidac Normandie aux entiers dépens, taxés et liquidés à la somme de 81,12 (en ce qui concerne les frais de Greffe).
Vu l'appel interjeté le 22 décembre 2014 par la société Fidac Normandie contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées le 13 janvier 2016 par la société Fidac Normandie par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Recevoir la SARL Fidac Normandie en son appel du jugement rendu le 12 novembre 2014 par le Tribunal de commerce de Lille Métropole.
- Réformer ce jugement,
Statuant à nouveau,
- Dire et juger que la SARL Necotrans AATA a rompu de façon brutale les relations commerciales établies avec la société Fidac Normandie.
Par conséquent,
- Condamner la SAS Necotrans AATA à régler, au titre des différents préjudices subis par la société Fidac Normandie la somme de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts.
- Condamner la SAS Necotrans AATA à payer à la société Fidac Normandie la somme de 10 000 euro au titre de frais irrépétibles.
- Condamner la SAS Necotrans AATA à payer à payer à la société Fidac Normandie les entiers dépens.
Vu les dernières conclusions signifiées le 13 janvier 2016, par la société Necotrans par lesquelles il est demandé à la cour de :
- Recevoir la SARL Fidac Normandie en son appel du jugement rendu le 12 novembre 2014 par le Tribunal de commerce de Lille Métropole.
- Réformer ce jugement.
Statuant à nouveau,
Vu l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce :
- Dire et juger que la SAS Necotrans AATA a rompu de façon brutale les relations commerciales établies avec la société Fidac Normandie.
Par conséquent,
- Condamner la SAS Necotrans AATA à régler, au titre des différents préjudices subis par la société Fidac Normandie la somme de 150 000 euro à titre de dommages-intérêts.
- Condamner la SAS Necotrans AATA à payer à la société Fidac Normandie la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles.
- Condamner la SAS Necotrans AATA à payer à la société FIDAC Normandie les entiers dépens.
Sur l'exception d'incompétence territoriale (l'appelante faisant valoir qu'en vertu du décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009 relatif à la spécialisation des juridictions en matière de contestations de nationalité et de pratiques restrictives de concurrence, le tribunal territorialement compétent pour connaître des procédures initiées en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, pour le ressort de la Cour d'appel de Rouen, est le Tribunal de commerce de Lille Métropole) et l'exception de nullité de l'assignation : les explications données par l'appelante sur ces moyens de première instance ne sont faites qu'à titre de rappel de la procédure ; elles sont sans incidence en cause d'appel ;
Au fond
La société Fidac fait valoir qu'elle n'a jamais dissimulé un fait essentiel relatif au blocage d'un conteneur ;
Elle précise qu'elle n'a jamais exigé que Necotrans paye les sommes qui lui étaient dues en raison de la liquidation de la société DOM ;
Elle soutient que la société Necotrans n'avait aucun lien contractuel avec elle dans l'acheminement du conteneur litigieux puisque celle-ci " ne prenait en charge qu'à partir du moment où le conteneur plein était livré sur le port de Rouen " ; elle conteste que la société Necotrans ait dû payer des pénalités au propriétaire du conteneur, CMA CGM, ce qu'elle ne prouve pas alors qu'elle sous-entend toujours dans ses conclusions que ces surestaries ont participé à sa décision de rompre les relations contractuelles ; elle considère qu'il n'y a eu aucune inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard de Necotrans ni aucun cas de force majeure, pouvant empêcher cette dernière de lui donner un préavis régulier aux fins de prévoir et d'organiser la fin des relations contractuelles ;
Elle fait valoir qu'elle se trouvait en situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Necotrans, pour l'activité de transports combinés, ce qui a encore accru les conséquences de cette rupture brutale des relations commerciales ; qu'ainsi elle a subi pour les 9 mois qui ont suivi la rupture abusive des relations contractuelles, une baisse de son chiffre d'affaires de 81,857 euro tout en devant continuer à assurer le paiement des charges fixes importantes (salaires chauffeurs et location de camions) qu'elle avait mises en place pour faire face aux besoins de la société Necotrans ;
La société Necotrans AATA conteste toute rupture brutale émanant de sa part tout en exposant qu'une telle décision était parfaitement justifiée au regard de l'attitude de la société Fidac Normandie dans la gestion de l'affaire DOM ; elle souligne que la société Fidac Normandie a bloqué de façon injustifiée un conteneur pendant plus d'un an et demi pour tenter d'obtenir le paiement par la société Necotrans AATA des factures restées impayées par la société DOM, que le refus de la société TSLT de libérer les marchandises et le conteneur malgré les demandes répétées de la société Necotrans et des réceptionnaires a constitué clairement une rétention abusive justifiant de son droit de suspendre les relations commerciales ; que le 27 juillet 2012, le dirigeant de la société TSLT a frappé un employé de la société Necotrans AATA et que, par conséquent, la reprise des relations commerciales était devenue impossible.
Motifs de la décision
La société Necotrans AATA entend invoquer des éléments factuels déroulés sur une période allant de juin 2011 à janvier 2013 date de remise du conteneur ;
L'analyse de ces faits ne contrarie pas celle du premier juge qui, par des motifs que la cour adopte, a clairement et à bon droit stigmatisé l'attitude de la société Fidac Normandie qui a utilisé l'obligation pour la société Necotrans AATA de récupérer le conteneur afin d'en assumer le transport à la Réunion (les procédures de référé ont associé, à partir de 2012, les destinataires qui attendaient de retrouver leurs biens) et a tout fait pour bloquer ce moyen de pression ;
Pour autant la cour est saisie de la problématique d'une rupture au sens de l'article L. 442-6, I, 6° du Code de commerce ;
Force est de constater que la société Fidac Normandie n'a jamais été destinataire d'un quelconque préavis ; que si la société Necotrans AATA soutient que cette formalité n'était pas indispensable faute de rupture avérée - tout en arguant de ce qu'elle était en droit d'y procéder pour cause d'exception d'inexécution - le seul élément avéré sur ce point réside dans le mail du 29 décembre 2011 adressé par la direction financière de la société Necotrans à ses agences " suite aux problèmes rencontrés résultant d'un litige en cours avec le transporteur TSLT nous vous demandons instamment de ne plus travailler avec cette société et ce jusqu'à nouvel ordre.
Dans l'attente d'une issue favorable à cette situation (Service juridique saisi) nous demandons de relayer ces instructions à l'ensemble de vos collaborateurs pour action immédiate " ;
La directrice d'agence a transmis ces " instructions " à son contact chez la société Fidac Normandie lui précisant " nous sommes évidemment tenus de nous y tenir " en ajoutant " espérons que le litige sera résolu rapidement et qu'alors nous serons de nouveau autorisés à travailler avec toi ! " ;
Selon ces instructions toute relation avec la société Fidac Normandie était suspendue sine die ; il n'est pas invoqué que ces relations aient jamais repris et, en tout état de cause, la société Fidac Normandie n'était pas censée, sauf à le constater sur ses chiffres d'affaires mensuels, connaître cette sanction, qui a été effective dès le début de l'année 2012 ; dès lors les motifs avancés par la société Fidac Normandie, tenant essentiellement à la suite des événements, soit les tentatives de réception du conteneur dans un climat plus que tendu, sont inopérants : en décembre 2011, la société Fidac Normandie pouvait revendiquer le droit de rétention qui lui avait été reconnu par la décision rendue en référé le 26 septembre précédent ; par voie de conséquence le moyen tiré de la force majeure ne peut être validé, pas plus que la motivation du premier juge invoquée par la société Necotrans AATA tenant à ce que la société Fidac Normandie avait nécessairement à la fin de l'année 2011 pris en compte le retard opposé par la société Necotrans AATA dans le règlement de ses factures comme procédant d'un " signal clair " qui lui était adressé ;
L'existence d'une rupture brutale des relations commerciales doit en conséquence être reconnue à dater du 29 décembre 2011.
Sur le préjudice
Est invoquée par la société Fidac Normandie une situation de dépendance économique ; mais selon les chiffres qu'elle produit la société Necotrans AATA n'entrait que pour une moyenne de 25 % dans son chiffre d'affaires, ce qui exclut une telle situation ;
S'agissant du préavis il ne saurait excéder deux mois pour une activité de transport et, de reste, la société Fidac Normandie ne donne aucune précision sur sa situation ensuite de la rupture de 2011 ;
La société Fidac Normandie expose ensuite avec pertinence que son préjudice repose sur la prise en compte de la marge brute ; les autres préjudices invoqués (perte d'image, frais engagés, perte de chance sur des commandes futures) ne sont pas justifiés ;
Pour autant il n'est produit aux débats aucun calcul autre qu'une estimation invérifiable, qui procède des paramètres établis au regard de la durée du préavis de douze mois qu'elle revendique et de la marge brute qu'elle invoque ;
La Cour ne peut elle-même juger de manière forfaitaire ni modifier des données qui n'ont pas été établies en application des données de principe invoquées par l'appelante ;
La demande est en conséquence rejetée ;
Ni les circonstances du litige, ni les éléments de la procédure ne permettent de caractériser à l'encontre de la société Fidac Normandie une faute de nature à faire dégénérer en abus le droit de se défendre en justice ; il n'est pas fait droit à la demande de dommages intérêts formée à ce titre ;
Aucune considération tirée de l'équité ne conduit à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : Infirme le jugement en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Dit que la société Fidac Normandie a été victime d'une rupture brutale des relations commerciales imputables à la société Necotrans AATA ; Déboute la société Fidac Normandie de ses demandes d'indemnisation de cette rupture ; Déboute la société Necotrans AATA de ses prétentions ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Necotrans AATA aux dépens.