Cass. crim., 31 mai 2016, n° 15-83.046
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Caragum international (sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Farrenq-Nési
Avocat général :
M. Lagauche
Avocats :
SCP Delvolvé, Trichet
LA COUR : - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 14 avril 2015) et des pièces de procédure que la société Caragum International, ayant pour dirigeant M. Jean-Claude X..., a vendu, courant janvier 2012, à la société Aromatech, de l'ester de colophane sous les dénominations Cararosin CG 132 et Cararosin CG 116, additif non autorisé dans les denrées alimentaires au sein de l'Union européenne ; que la société Aromatech l'a incorporé, comme émulsifiant, à l'arôme anis servant à l'élaboration de sirop à l'anis ; que poursuivis pour vente de produits non autorisés propres à effectuer la falsification de denrées alimentaires, les prévenus ont été relaxés par le tribunal correctionnel ; que le ministère public a interjeté appel ;
En cet état ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 112-1 du code pénal, et 591 du code de procédure pénale ; " en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. X... et la société Caragum coupables d'avoir mis en vente, en les présentant comme pouvant être utilisés dans l'élaboration de denrées alimentaires, des additifs non autorisés pour l'usage agro-alimentaire, et a prononcé sur les peines ; " aux motifs qu'aux termes de l'article 1er du décret du 15 avril 1912 modifié, il est interdit de mettre en vente ou de vendre des marchandises et denrées destinées à l'alimentation humaine lorsqu'elles ont été additionnées de produits chimiques autres que ceux dont l'emploi est déclaré licite par arrêté ministériel ; que l'incorporation d'un additif non autorisé à un aliment ou à une boisson consomme le délit de falsification de denrées alimentaires prévu par l'article 213-3, alinéa 1-1°, du code de la consommation tandis que sa vente en connaissance de sa destination est prévue par l'article L. 213-3, alinéa 1-4°, du code de la consommation qui réprime " ceux qui mettront en vente ou vendront, connaissant leur destination, des produits ... propres à effectuer la falsification des denrées servant à l'alimentation des hommes ou des animaux, des boissons ... ou qui auront provoqué à leur emploi par le moyen de brochures, circulaires, prospectus, annonces ou instructions quelconques... " ; que les prévenus, poursuivis sur le fondement de l'article L. 213-3, alinéa 1-4°, du code de la consommation, plaident en vain l'absence d'élément légal de l'infraction aux motifs que la vente d'ester de colophane n'est pas en elle-même interdite et que l'usage de cet additif dans l'alimentation humaine est autorisé en dehors de l'Union européenne où résident la plupart de leurs clients ; qu'en effet, l'incrimination vise ceux qui facilitent la falsification d'une denrée alimentaire par adjonction d'un additif non autorisé en vendant en connaissance de cause le produit prohibé et le prévenu ne peut s'exonérer de sa responsabilité pénale en se retranchant derrière son ignorance de la destination finale de produits acquis par des sociétés domiciliées en France ou dans l'Union européenne ; que l'usage comme additif alimentaire auquel la société Aromatech destinait l'ester de colophane acheté à la société Caragum ne pouvait pas échapper à M. X..., son président ; qu'en effet, la société Aromatech, ainsi qu'en atteste son extrait Kbis, est spécialisée dans la fabrication d'arômes alimentaires et s'approvisionne régulièrement auprès de la société prévenue, laquelle lui a fourni 1025 kg d'ester de colophane en 2010 et 750 kg de la même substance en 2011 ; que la société Caragum a remis de plus à sa cliente une fiche technique mentionnant, dans son en-tête, le nom de " Caragum international additifs alimentaires " et présentant la marchandise commercialisée sous la dénomination " Cararosin CG 132 " comme une " résine liposoluble utilisée dans les émulsions troubles aromatiques et agent alourdissant des huiles ", laissant ainsi penser qu'elle peut être destinée à un usage agro-alimentaire, les émulsions troubles aromatiques étant utilisées généralement dans la fabrication des boissons auxquelles elles donnent, outre l'arôme, un trouble ainsi qu'une texture ; que cette présentation trompeuse est renforcée par l'indication selon laquelle le produit vendu peut être utilisé, selon la fiche, " en synergie avec la gomme acacia ", additif alimentaire autorisé ; que cette fiche technique, enfin, met en exergue un usage agro-alimentaire que passait sous silence celle établie par le propre fournisseur de la prévenue, preuve de la détermination de cette dernière à inciter sa cliente à utiliser l'ester de colophane comme additif alimentaire ; qu'une fiche technique portant des indications similaires accompagnait la vente de l'ester de colophane commercialisé sous la dénomination " Cararosin CG 116 " ; que, professionnel averti de la commercialisation des additifs alimentaires, M. X..., qui dirige depuis de nombreuses années la société Caragum et n'ignore rien de la législation applicable en France aux additifs alimentaires, a délibérément mis en vente de l'ester de colophane qu'il savait destiné à l'alimentation humaine et a incité ses clients, par la délivrance de fiches techniques au contenu explicite, à l'utiliser comme additif alimentaire alors qu'il savait qu'un tel usage était interdit ; que, président de la SAS Caragum au moment des faits, il a engagé la responsabilité pénale de sa société en commettant pour son compte les faits visés par la prévention ; que la cour, réformant le jugement déféré, retiendra, en conséquence, la culpabilité des deux prévenus ; que la vente de l'ester de colophane, moins onéreux que l'additif E 445, additif alimentaire autorisé et doté de propriétés similaires, a permis à la société Caragum de réaliser des profits conséquents ; qu'en outre, son innocuité reste incertaine et des effets irritants et allergisants sur la peau et les voies respiratoires de ceux qui en consomment ont été signalés, selon la documentation produite par la direction de la protection des populations ; que la cour condamnera donc M. X... au paiement d'une amende de 10 000 euros et la société Caragum à celui d'une amende de 30 000 euros ; " alors que l'article L. 213-3 du code de la consommation est contraire au principe de légalité des délits et des peines résultant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'il ne définit pas la notion, imprécise, de falsification de denrées alimentaires ; que la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée de ce chef par M. X... et la société Caragum privera de fondement légal les condamnations prononcées à l'encontre de ces deux parties, dans la mesure où ces condamnations reposent sur les dispositions de l'article L. 213-3 susdit " ;
Attendu que, par arrêt du 16 février 2016, la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité à laquelle se réfère le moyen qui, dès lors, est devenu sans objet ;
- Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles, pris de la violation des articles L. 213-3 du code de la consommation, 111-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ; " en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré M. X... et la société Caragum coupables d'avoir mis en vente, en les présentant comme pouvant être utilisés dans l'élaboration de denrées alimentaires, des additifs non autorisés pour l'usage agro-alimentaire, et a prononcé sur les peines ; " aux motifs qu'aux termes de l'article 1er du décret du 15 avril 1912 modifié, il est interdit de mettre en vente ou de vendre des marchandises et denrées destinées à l'alimentation humaine lorsqu'elles ont été additionnées de produits chimiques autres que ceux dont l'emploi est déclaré licite par arrêté ministériel ; que l'incorporation d'un additif non autorisé à un aliment ou à une boisson consomme le délit de falsification de denrées alimentaires prévu par l'article 213-3, alinéa 1-1°, du code de la consommation tandis que sa vente en connaissance de sa destination est prévue par l'article L. 213-3, alinéa 1-4°, du code de la consommation qui réprime " ceux qui mettront en vente ou vendront, connaissant leur destination, des produits ... propres à effectuer la falsification des denrées servant à l'alimentation des hommes ou des animaux, des boissons ... ou qui auront provoqué à leur emploi par le moyen de brochures, circulaires, prospectus, annonces ou instructions quelconques... " ; que les prévenus, poursuivis sur le fondement de l'article L. 213-3, alinéa 1-4°, du code de la consommation, plaident en vain l'absence d'élément légal de l'infraction aux motifs que la vente d'ester de colophane n'est pas en elle-même interdite et que l'usage de cet additif dans l'alimentation humaine est autorisé en dehors de l'Union européenne où résident la plupart de leurs clients ; qu'en effet, l'incrimination vise ceux qui facilitent la falsification d'une denrée alimentaire par adjonction d'un additif non autorisé en vendant en connaissance de cause le produit prohibé et le prévenu ne peut s'exonérer de sa responsabilité pénale en se retranchant derrière son ignorance de la destination finale de produits acquis par des sociétés domiciliées en France ou dans l'Union européenne ; que l'usage comme additif alimentaire auquel la société Aromatech destinait l'ester de colophane acheté à la société Caragum ne pouvait pas échapper à M. X..., son président ; qu'en effet, la société Aromatech, ainsi qu'en atteste son extrait Kbis, est spécialisée dans la fabrication d'arômes alimentaires et s'approvisionne régulièrement auprès de la société prévenue, laquelle lui a fourni 1025 kg d'ester de colophane en 2010 et 750 kg de la même substance en 2011 ; que la société Caragum a remis de plus à sa cliente une fiche technique mentionnant, dans son en-tête, le nom de " Caragum international additifs alimentaires " et présentant la marchandise commercialisée sous la dénomination " Cararosin CG 132 " comme une " résine liposoluble utilisée dans les émulsions troubles aromatiques et agent alourdissant des huiles ", laissant ainsi penser qu'elle peut être destinée à un usage agro-alimentaire, les émulsions troubles aromatiques étant utilisées généralement dans la fabrication des boissons auxquelles elles donnent, outre l'arôme, un trouble ainsi qu'une texture ; que cette présentation trompeuse est renforcée par l'indication selon laquelle le produit vendu peut être utilisé, selon la fiche, " en synergie avec la gomme acacia ", additif alimentaire autorisé ; que cette fiche technique, enfin, met en exergue un usage agro-alimentaire que passait sous silence celle établie par le propre fournisseur de la prévenue, preuve de la détermination de cette dernière à inciter sa cliente à utiliser l'ester de colophane comme additif alimentaire ; qu'une fiche technique portant des indications similaires accompagnait la vente de l'ester de colophane commercialisé sous la dénomination " Cararosin CG 116 " ; que, professionnel averti de la commercialisation des additifs alimentaires, M. X..., qui dirige depuis de nombreuses années la société Caragum et n'ignore rien de la législation applicable en France aux additifs alimentaires, a délibérément mis en vente de l'ester de colophane qu'il savait destiné à l'alimentation humaine et a incité ses clients, par la délivrance de fiches techniques au contenu explicite, à l'utiliser comme additif alimentaire alors qu'il savait qu'un tel usage était interdit ; que, président de la SAS Caragum au moment des faits, il a engagé la responsabilité pénale de sa société en commettant pour son compte les faits visés par la prévention ; que la cour, réformant le jugement déféré, retiendra, en conséquence, la culpabilité des deux prévenus ; que la vente de l'ester de colophane, moins onéreux que l'additif E 445, additif alimentaire autorisé et doté de propriétés similaires, a permis à la société Caragum de réaliser des profits conséquents ; qu'en outre, son innocuité reste incertaine et des effets irritants et allergisants sur la peau et les voies respiratoires de ceux qui en consomment ont été signalés, selon la documentation produite par la direction de la protection des populations ; que la cour condamnera donc M. X... au paiement d'une amende de 10 000 euros et la société Caragum à celui d'une amende de 30 000 euros ; " 1°) alors que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que les produits dont l'article L. 213-3, alinéa 1er, point 4, du code de la consommation incrimine la vente sont ceux propres à effectuer la falsification de denrées alimentaires ; qu'un arôme ne constitue pas, en soi, une denrée alimentaire ; que l'ester de colophane vendu à la société Aromatech, spécialisée dans la fabrication d'arômes, ne pouvait devenir propre à effectuer la falsification de denrées alimentaires qu'à la double condition, premièrement, que la société Aromatech vendît elle-même les arômes élaborés avec ce produit à des clients susceptibles de les intégrer à des denrées alimentaires, deuxièmement, que les denrées considérées fussent ensuite distribuées dans des Etats interdisant l'usage agro-alimentaire de l'ester de colophane ; qu'en jugeant malgré tout que, dès le moment de son acquisition par la société Aromatech, l'ester de colophane apparaissait déjà comme un produit propre à falsifier des denrées alimentaires, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; " 2°) alors que la connaissance, par le vendeur, de la destination illicite du produit vendu est un élément constitutif du délit de vente de produits permettant de falsifier des denrées alimentaires ; qu'en invoquant leur ignorance de la destination finale du produit vendu à la société Aromatech, tout en soulignant que l'utilisation de ce produit comme additif alimentaire est autorisée en dehors de l'Union européenne et qu'Aromatech réalise une grande partie de son activité à l'export, les prévenus se prévalaient d'une circonstance propre à exclure leur culpabilité ; qu'en énonçant que les prévenus ne pouvaient pas s'exonérer de leur responsabilité pénale en se retranchant derrière une telle circonstance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; " 3°) alors que la destination dont l'article L. 213-3, alinéa 1er, point 4, du code de la consommation exige la connaissance, de la part du vendeur, consiste en l'utilisation du produit pour falsifier des denrées alimentaires ; qu'en se bornant à relever que la société Aromatech était spécialisée dans la fabrication d'arômes alimentaires et s'approvisionnait régulièrement auprès de la société Caragum, pour en déduire que l'usage comme additif alimentaire auquel la société Aromatech destinait l'ester de colophane ne pouvait pas échapper à M. X..., sans mieux caractériser en quoi les prévenus savaient, non seulement que les arômes pour lesquels Aromatech leur achetait le produit litigieux seraient ensuite incorporés à des denrées alimentaires, mais encore que ces denrées seraient destinées au marché intérieur de l'Union européenne, zone d'interdiction de l'usage agro-alimentaire de l'ester de colophane, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; " 4°) alors que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que l'article L. 213-3, alinéa 1er, point 4, du code de la consommation n'incrimine la provocation à l'emploi d'un produit que dans la seule mesure où l'incitation a porté sur l'utilisation du produit pour falsifier des denrées alimentaires ; qu'en assimilant à une telle incitation la délivrance de fiches techniques mentionnant l'utilisation de l'ester de colophane dans les émulsions troubles aromatiques, ainsi que son emploi en synergie avec la gomme d'acacia, quand ces fiches, rédigées en termes généraux, ne faisaient que citer des usages autorisés en dehors de l'Union européenne, et ne comportaient aucune préconisation tendant, spécifiquement, à l'utilisation de l'ester de colophane dans des denrées alimentaires destinées au marché intérieur de l'Union européenne, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et déclarer les prévenus coupables, l'arrêt relève que la société Aromatech, ainsi qu'en atteste son K bis, était spécialisée dans la fabrication d'arômes alimentaires et s'approvisionnait régulièrement auprès de la société Caragum international, de sorte que l'usage de l'ester de colophane comme additif alimentaire ne pouvait échapper à M. X..., professionnel averti de la commercialisation de tels additifs, qui dirigeait la société Caragum international depuis plusieurs années et qui n'ignorait rien de la législation qui leur était applicable en France ; que les juges ajoutent que la société prévenue a remis à sa cliente une fiche technique sous le nom de Caragum international, additifs alimentaires, présentant l'ester de colophane comme pouvant être utilisé dans les émulsions troubles aromatiques, généralement employées dans la fabrication de certaines boissons, et en synergie avec la gomme acacia, additif alimentaire autorisé, mettant ainsi en exergue un usage agro-alimentaire que son fournisseur passait sous silence dans sa propre fiche technique ; que les juges en déduisent que M. X... a délibérément mis en vente de l'ester de colophane qu'il savait destiné à l'alimentation humaine, sans pouvoir s'exonérer de sa responsabilité pénale et de celle de sa société qu'il a engagée en commettant pour son compte les faits visés par la prévention, du fait de l'absence d'interdiction de la vente d'ester de colophane en elle-même, et de l'ignorance de la destination finale de ce produit acquis par des sociétés domiciliées en France ou dans l'Union européenne ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a caractérisé les éléments tant matériels qu'intentionnel du délit de l'article L. 213-3 alinéa 1, 4° du code de la consommation qui incrimine le fait de faciliter la falsification d'une denrée alimentaire par adjonction d'un additif non autorisé en vendant en connaissance de cause le produit prohibé, a justifié sa décision, peu important à cet égard l'auteur de la falsification et la destination finale de la denrée falsifiée ; d'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa quatrième branche, la prévention ne visant pas la provocation à l'emploi d'un produit prohibé, doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.