CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 juin 2016, n° 13-21346
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Aebi & Co AG (Sté)
Défendeur :
Paget France (Sté) ; Billioud (ès qual.), Paget France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Lechler, Matthey, Vuillermet
EXPOSE DES FAITS
La société Paget France est une entreprise spécialisée dans les machines dédiées aux professionnels des espaces verts, de l'entretien des routes.
Elle distribue notamment du matériel de la société Aebi & Co, société suisse qui conçoit et fabrique des machines d'entretien des voiries et de déneigement.
Une convention est passée le 20 avril 2005 entre les sociétés Aebi et Paget France pour la distribution de machines Aebi, valable jusqu'au 31 décembre 2005.
Le 1er décembre 2006, un contrat de distribution d'une durée d'une année est conclu entre les sociétés, valable du 1er janvier au 31 décembre 2007 et prévoyant son renouvellement automatique si aucun nouvel accord n'est conclu. Il sera reconduit régulièrement par lettres de la société Aebi du 14 décembre 2007, 12 mars et 8 décembre 2009, 21 janvier 2011.
Par courrier du 14 novembre 2011, la société Aebi a notifié à la société Paget sa décision de résilier le contrat les unissant, cette décision prenant effet le 15 décembre 2011.
Dans ce courrier, la société Aebi fait état des retards de la société Paget dans le paiement de ses machines, constate une baisse plus que significative des volumes d'achats "démontrant une dégradation aussi brutale qu'inattendue de votre efficacité commerciale'".
Le 30 juillet 2012, le Tribunal de commerce de Vienne a ouvert une procédure de redressement judiciaire concernant la société Paget France, transformée en liquidation judiciaire le 23 juillet 2013.
Saisi par la société Paget, ses mandataires et administrateur judiciaire, le Tribunal de commerce de Lyon a, par jugement du 14 octobre 2013 :
- jugé que la société Aebi s'est rendue coupable d'une décision de rupture brutale de ses relations avec la société Paget France,
- condamné la société Aebi à verser à la société Paget la somme de 1 400 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les intérêts à compter du 9 décembre 2011,
- débouté la société Aebi de l'ensemble de ses demandes,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- condamné la société Aebi au paiement de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Aebi a fait appel de cette décision.
Par dernières conclusions du 29 février 216, la société Aebi demande à la cour de :
- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 14 octobre 2013 en ce qu'il a condamné la société Aebi à payer à la société Paget la somme de 1 400 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- le confirmer pour le surplus,
- débouter la société Paget et son mandataire liquidateur de leur appel incident,
- et, statuant à nouveau, de constater que la société Paget a violé ses obligations contractuelles et légales envers la société Aebi,
- constater que la société Aebi était en droit de résilier le contrat de distribution en respectant un préavis d'un mois,
- et, en conséquence, débouter la société Paget et son liquidateur judiciaire, Maître Billioud, de toutes les demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Aebi,
Subsidiairement,
- fixer à 1 an la durée du préavis que la société Aebi aurait dû respecter lors de la résiliation du contrat de distribution,
- constater que la perte de la marge devant être prise en considération pour l'évaluation du préjudice de la société Paget, est de 182 000 euros par an,
- et, en conséquence, fixer à la somme de 166 833,33 euros le montant de l'indemnité compensatrice de préavis revenant à la société Paget,
- donner acte à la société Paget et Maître Billioud, ès qualités, de ce qu'ils ont renoncé en cours d'instance à leur appel incident concernant de prétendues " perte de main d'œuvre", " perte de marge brute sur la distribution de marque Rigitrac ", " perte d'utilisation des ateliers ", " coût de portage des véhicules en crédit-bail ", et " coût des licenciements "
- débouter la société Paget et Maître Billioud, ès qualités, de leur appel incident concernant un prétendu préjudice d'image,
En tout état de cause,
- condamner la société Paget et Maître Billioud (ès qual.), à payer à la société Aebi une indemnité de 5 000 euros, par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens.
Elle met en avant les conventions des 20 avril 2005 prévoyant une remise de 30 % et excluant toute exclusivité et 1er décembre 2006 excluant aussi l'exclusivité et renouvelable tacitement.
Par conclusions du 29 février 2016, la société Paget et son mandataire judiciaire demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a reconnu la société Aebi & Co AG coupable d'une décision de rupture brutale de ses relations commerciales établies avec la société Paget France,
- réformer le jugement déféré dans son appréciation du préjudice et,
Statuant à nouveau :
- condamner la société Aebi & Co AG à verser à la liquidation de la société Paget France une somme i) à titre principal, de 1 743 000 euros, ii) à titre subsidiaire, de 1 180 000 euros ou iii) à titre infiniment subsidiaire, de 850 000 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts pour le préjudice subi, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1er décembre 2011,
- ordonner la libération, à due concurrence, du séquestre de 1 415 857 euros intervenu le 15 avril 2014 sur le compte séquestre du Bâtonnier de l'ordre des Avocats de Lyon au profit de la liquidation de la société Paget France,
- condamner la société Aebi & Co AG au paiement d'une somme de 25 000 euros au profit de la liquidation de la société Paget France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance.
Elle indique s'être constituée en 2005 par le rachat d'un fonds de commerce exploité sous l'enseigne Louis Paget qui distribuait depuis sa création en 1948 les produits Aebi en France. Elle fait état d'une première tentative en 2008 par la société Aebi de rompre leurs relations commerciales, et des dysfonctionnements graves affectant les produits que la société Aebi peinait à résoudre, qui ont impactés son chiffre d'affaire et son exploitation.
MOTIVATION
Sur la rupture des relations :
La société Aebi fait état du caractère justifié de la résiliation, du fait du non-respect par la société Paget de son obligation de paiement prévue dans les accords intervenus et de ses retards importants, retards que la société Paget reconnaissait et qui doivent être attribués à des erreurs dans la gestion de son stock. Elle conteste avoir accepté ces retards de la société Paget, qui lui auraient permis de facturer des intérêts moratoires, et relève que les retards de paiement de la société Paget se sont transformés en impayés.
Elle ajoute que la société Paget a manqué à son obligation de loyauté, car elle proposait de nombreux produits provenant notamment de concurrents de ceux d'Aebi, de sorte que son personnel ne pouvait se consacrer à la vente des produits Aebi, et que le chiffre d'affaire auquel la société Aebi pouvait s'attendre s'en est ressenti. Elle souligne que parallèlement la société Paget revendiquait une exclusivité qui ne lui avait pas été concédée, fragilisant le réseau français de distribution de la société Aebi.
Elle fait aussi état de manquements de la société Paget dans le service après-vente, en ce qu'elle n'a pas su réaliser un diagnostic et conseiller son client le plus important.
La société Paget avance que les relations commerciales sont anciennes et ont duré 63 ans, du fait de la reprise de la maison Paget préexistante et de l'activité de cette société, les parties ayant montré leur volonté de se placer dans la continuation des relations antérieures.
Elle ajoute que la marque Aebi représentait environ 30 % de son chiffre d'affaires sur les exercices précédents 2011, ce qui l'a incitée à réaliser des investissements substantiels, et que la société Aebi a toujours su que la société Paget distribuait d'autres produits que les siens, ces autres produits étant complémentaires de ceux d'Aebi et non concurrents.
Elle revendique le bénéfice d'une exclusivité de distribution en France des produits Aebi que lui reconnaissait cette société.
Elle soutient qu'un préavis de 36 mois est justifié, sa liquidation judiciaire ne pouvant avoir d'impact sur cette durée.
Ses retards de paiement ne peuvent constituer un motif de rupture, ayant été tolérés par la société Aebi qui lui facturait des intérêts de retard et avait accepté un moratoire en octobre 2011 ; ces retards trouveraient leur origine dans les dysfonctionnements des machines Aebi, qui ont entraîné la baisse des commandes et le gel de son chiffre d'affaires, de sorte que la société Aebi est à l'origine de ses difficultés de trésorerie.
Elle soutient que les problèmes rencontrés par les clients avaient leur origine dans les avaries de moteur et les difficultés d'Aebi à trouver une solution, et que l'augmentation régulière des ventes de produits Aebi avant 2011 révèle ses bonnes performances commerciales.
Elle conteste tout manquement à son obligation de loyauté, avance que la société Aebi lui avait reconnu la qualité de seul distributeur en France de ses produits et était informée qu'elle distribuait des produits complémentaires qui élargissaient sa gamme.
Sur ce
Il ressort de la convention du 1er décembre 2006 passée entre les sociétés Aebi et Paget que celles-ci étaient engagées par des contrats à durée déterminée d'une année, du 1er janvier au 31 décembre 2007, "renouvelés à chaque fois automatiquement pour une autre année", et résiliable moyennant un préavis de six mois, et la société Aebi adressant pour le renouveler des courriers précisant de "conditions et rabais" pour les années 2008, 2009, 2010 et 2011 (pièces 2 à 6 Aebi) sans que le délai de préavis ne soit modifié.
Par courrier du 14 novembre 2011, la société Aebi a indiqué à la société Paget France qu'elle mettait fin au contrat de distribution les liants, avec effet au 15 décembre 2011, soit avec un préavis de 30 jours.
S'agissant d'un contrat à durée déterminée, la société Aebi ne pouvait le résilier avant son terme, sauf à justifier d'un manquement suffisamment grave de la société Paget.
Pour expliquer sa décision, la société Aebi faisait état dans son courrier de résiliation des retards de paiement de la société Paget France, et verse notamment un rapport relevant un retard de paiement moyen de 137 jours en 2011 de cette société (sa pièce 8).
La convention du 20 avril 2005, d'une durée de 6 mois, prévoit à la suite des conditions de paiement un intérêt de retard de 8 %, comme les conventions du 1er décembre 2006, 14 décembre 2007, 12 mars et 8 décembre 2009, 21 janvier 2011 (pièces Aebi 1 à 6).
Si les conditions de règlement doivent préciser les conditions et le taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles, il sera relevé qu'en 2008 et 2010 la société Aebi a facturé des intérêts de retard à la société Paget, sans se plaindre alors des difficultés créées par ces retards (pièces 30 et 31 Paget).
La société Paget a par mail du 29 septembre 2011 pris l'attache de la société Aebi afin de rechercher une solution pour épurer son retard de paiement sans impacter la livraison des machines neuves aux clients, et le 7 octobre 2011 la société Aebi faisait état de son accord sur un moratoire quant au paiement des retards de la société Paget (pièce 36 Aebi).
Ne pouvant invoquer utilement un mail non daté (sa pièce 35), la société Aebi ne justifie pas avoir adressé des mises en garde à la société Paget sur les retards de paiement des factures avant le courrier de résiliation du 14 novembre 2011, intervenant lui-même peu après ce moratoire.
Par ailleurs, ces retards de paiement doivent être considérés au vu des pannes importantes qui affectaient les produits de la société Aebi, ainsi qu'il ressort des échanges intervenus et que la société Aebi ne contestait pas, alors que la société Paget faisant état dès le mois de juillet 2011 des pertes importantes induites et en septembre 2011 des conséquences sur sa trésorerie (pièces 34 à 42 Paget).
La situation de la société Paget à la fin du mois de septembre 2011 (pièce Aebi 38) soulignait ainsi une forte baisse du chiffre d'affaires sur les produits Aebi par rapport aux années précédentes, alors que ce chiffre représentait les années précédentes entre un quart et un tiers des résultats de la société Paget.
S'agissant du grief portant sur la distribution par la société Paget de produits de marques concurrentes de la société Aebi, il est établi que la société Paget a repris en 2005 l'activité de la société Louis Paget, créée en 1948, distribuant les produits Aebi, et dont la société Aebi était actionnaire majoritaire.
La société Louis Paget distribuait déjà des produits d'autres marques " Lamborghini, Shibaura " que ceux de la société Aebi ; celle-ci ne pouvait donc l'ignorer, comme l'indique l'ordre du jour d'une réunion se tenant le 20 avril 2005 au siège de la société Aebi faisait mention de l'organisation "Shibaura" de la société Paget.
La société Aebi ne démontre pas que les produits des autres marques distribuées par la société Paget étaient en concurrence avec les siens, ni que la baisse du chiffre d'affaire 2011 de la distribution de ses produits par la société Paget s'explique par un désinvestissement de cette société de leur commercialisation, alors qu'il ressort des pièces versées que les moteurs des produits Aebi présentaient alors des difficultés sérieuses, et que le volume de leurs ventes par la société Paget avait régulièrement augmenté au cours des cinq années précédentes.
Si la société Aebi reproche des carences du service après-vente de la société Paget, elle ne fait état que de doléances de la société APRR quant à l'assistance reçue lors de pannes intervenues sur le moteur d'une machine Aebi.
Cependant, outre que la société Paget justifie être intervenue le jour même de la réception du fax de la société APRR auprès du motoriste de ladite machine, la plainte d'un seul client de la société Paget ne saurait caractériser un manquement de son service après-vente à ses obligations, ce d'autant que cette doléance est intervenue à la suite d'une panne moteur, soit une panne intervenant régulièrement en 2011, ce dont était informée la société Aebi qui essayait alors de mettre au point des kits de réparation.
Aussi cette unique plainte ne peut caractériser une faute pouvant être reprochée à la société Paget par la société Aebi, laquelle se réjouissait en début d'année 2011 de la collaboration de ces sociétés en indiquant "seulement grâce à votre expérience et votre bonne connaissance du marché nous pouvons continuer à augmenter la présence mondiale des produits Aebi".
Au surplus, la société Paget a revendiqué la qualité de revendeur exclusif des produits Aebi en France à la fin de l'année 2008 et est intervenue en mars 2009 auprès d'une société Europe Service en lui reprochant une utilisation selon elle frauduleuse du logo Aebi alors que les contrats en cours ne lui reconnaissaient pas cette exclusivité.
Pour autant, la société Aebi lui reconnaissait la qualité de distributeur de ses produits sur environ 90 % du territoire français en novembre 2009 ; de même dans un courrier du 23 février 2009 la société Aebi indiquait que "la maison Paget France est le seul distributeur pour le marché français de la gamme des produits Aebi & Co". Au vu de ces circonstances, l'intervention de la société Paget le 10 mars 2009 auprès de la société Europe Service, à la suite duquel la société Aebi n'a pas justifié être intervenue alors qu'elle en était destinataire, ne saurait non plus constituer une faute pouvant lui être reprochée par cette société plus de deux années et demi après pour justifier la rupture des relations contractuelles.
Au vu de ce qui précède, les manquements invoqués par la société Aebi n'apparaissent pas suffisamment graves ni établis pour justifier sa décision de rompre le contrat applicable alors entre les sociétés avant son terme et en se dispensant de respect le préavis convenu.
Sur la durée du préavis :
La société Aebi avance que les relations contractuelles entre les deux sociétés ont débuté le 30 mars 2005, date de la création de la société Paget laquelle a été radiée le 2 février 2009, et que la société Paget présente à la procédure n'a été immatriculée au RCS que le 21 janvier 2009, de sorte que les relations commerciales n'ont pu excéder six années.
Elle conteste la possibilité de transmettre une relation commerciale ancienne d'un distributeur à l'autre et soutient que les parties n'ont pas manifesté leur intention de reprendre une relation commerciale pré-existant, d'autant que leurs contrats étaient à durée déterminée renouvelable.
Elle affirme que la société Paget ne bénéficiait d'aucune exclusivité pour distribuer ses produits en France, et qu'en commercialisant d'autres produits elle pouvait se réorganiser rapidement.
Elle souligne que les sociétés avaient fixé le préavis à six mois, et qu'il n'est pas justifié d'y déroger.
La société Paget rappelle les critères usuellement retenus pour fixer la durée du préavis, affirme qu'en l'espèce la relation commerciale a duré 63 ans, qu'elle a réalisé des investissements importants, et que les produits Aebi constituaient une place substantielle dans son chiffre d'affaires. Elle rappelle que la cour n'est pas tenue par les dispositions contractuelles définies entre les parties, qui avaient retenu un préavis de six mois pour un contrat d'un an en 2006, et que le caractère exceptionnel des faits d'espèce justifient qu'un préavis de 36 mois lui soit reconnu. Elle ajoute que les autres marques qu'elle distribue étant concurrentes et non complémentaires elle ne peut se réorganiser rapidement.
Sur ce
En l'espèce, si la société Aebi soutient que les relations ont commencé en 2005 et s'appuie sur la convention du 20 avril 2005 et les conventions postérieures (ses pièces 1 à 6), il ressort des pièces que la société Louis Paget a été fondée en 1948 et distribuait les produits Aebi et Bautz, que la société Aebi en est devenue actionnaire majoritaire en 1958 et présentait en 1983 la société Paget comme une maison affiliée (pièces 23 et 24 Paget).
Le courrier du 11 avril 2005 de la société Aebi à la société Paget France, comme le contrat du 20 avril 2005 présentant la maison Paget France comme un partenaire important pour la société Aebi (pièces 11 et 12 Paget) établissent que la société Paget France a repris le fonds de commerce de la société Louis Paget dont le contrat de distribution des machines Aebi, et que la société Aebi entendait poursuivre avec la société Paget France la relation commerciale initiée avec la société Louis Paget.
Le transfert de ce contrat de distribution ressort de la promesse de vente du fonds de commerce signé le 26 novembre 2004 entre la société Louis Paget et monsieur Sarazin gérant de la société Paget, et du courrier que lui a adressé la société Aebi le 22 décembre 2004 confirmant "la poursuite des relations de Aebi... avec votre nouvelle organisation pour la reprise de la maison Paget" (pièces 57 et 58 Paget).
Le fait que la société Paget France en la cause avant d'être liquidée avait été inscrite au RCS en 2009 ne saurait contester la volonté des parties de se placer dans la continuation des relations antérieurement nouées.
La relation commerciale entre les sociétés, fondée sur une succession de contrats à durée déterminée conclus entre 2005 et 2011, sera considérée comme établie, et l'ancienneté des relations commerciales depuis 1948 avancée par la société Paget retenue.
Au vu de cette ancienneté, la décision prise par la société Aebi de mettre un terme aux relations commerciales avec la société Paget, en reconnaissant à celle-ci moins de 30 jours de préavis, sans justifier d'une inexécution suffisamment grave par la société Paget de ses obligations, révèle une rupture brutale telle que définie par l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce.
Il convient, pour fixer la durée du préavis prévu par l'article L. 442-6 I 5e du Code du commerce, d'évaluer le temps nécessaire pour remédier à la désorganisation résultant de la rupture.
Il importe ainsi de tenir compte de la nature de la relation commerciale entre les sociétés, de l'ancienneté de cette relation, de son importance dans le chiffre d'affaire de celui qui subit la rupture, ou des investissements qu'il a réalisés.
Il sera pris en considération le fait que la société Paget ne distribue pas exclusivement les produits de la société Aebi et a pu diversifier ses activités.
Pour autant, la société Paget soutient que les autres marques qu'elle commercialise proposent des équipements complémentaires et non concurrents de ceux de la société Aebi et verse certaines pièces en ce sens, et la société Aebi n'établit pas que d'autres produits que les siens distribués par la société Paget leur font concurrence.
La situation de la société Paget communiquée révèle que son chiffre d'affaires réalisé sur les produits Aebi entre les exercices 2007/2008 et 2009/2010 a augmenté respectivement de 34 %, 3 % et 47 %, avant de diminuer brusquement lors de l'exercice 2010/2011 lors duquel les machines Aebi ont connu des avaries de moteurs très importantes.
Les produits de la société Aebi étaient au cours des années 2005 à 2011 systématiquement l'une des deux marques les plus vendues par la société Paget, et représentaient entre un quart et un tiers de son chiffre d'affaires.
Si le seul contrat conclu le 1er décembre 2006 d'une durée d'une année prévoyait un délai de six mois en cas de résiliation de cet accord, la cour peut déterminer, les dispositions de l'article L. 442-6 I 5e du Code du commerce étant d'ordre public, que les faits de l'espèce justifient de reconnaître un préavis d'une durée plus importante.
Au vu de l'ancienneté de ces relations commerciales, et de l'importance du chiffre d'affaire induit par la vente des produits Aebi pour la société Paget, le tribunal de commerce a fait une juste appréciation du préavis qu'aurait dû respecter la société Aebi à l'égard de la société Paget en la fixant à 24 mois.
Sur le quantum du préjudice :
La société Aebi indique avoir sollicité un expert afin d'évaluer le préjudice de la société Paget en se référant à la perte de marge brute, et conteste l'évaluation du liquidateur de la société Paget.
Elle avance que la résiliation n'a concerné que la fourniture de matériels car elle a continué de fournir des pièces détachées dans des volumes considérables malgré les impayés, et souligne que la société Paget ne démontre pas qu'elle aurait cessé de lui vendre des pièces détachées.
Elle ajoute que la société Paget ne peut bénéficier que de la marge sur coûts variables qu'elle aurait pu réaliser durant le préavis, lequel doit se fonder sur les prévisions de cette société et non sur ces résultats des exercices antérieurs.
Il conviendrait selon elle, pour estimer les gains manqués, de retenir le taux de marge sur coûts variables, soit le taux de marge brut moins le taux de charge variables, soit 13 %.
De son côté, la société Paget fait état du rapport dressé par l'expert désigné par le juge commissaire chargée de sa liquidation, qui a conclu à l'existence d'un préjudice de 930 000 euros du fait de la rupture brutale, s'agissant de la perte de marge brute.
Elle soutient avoir perdu une part très importante de son chiffre d'affaire sur les pièces détachées après la résiliation, et relève que les chiffres avancés par la société Aebi sur ce point ne sont pas justifiés.
Elle se fonde, pour calculer le chiffre d'affaires de référence, sur les exercices antérieurs et non sur les prévisions, lesquelles sont impactées par les dysfonctionnements des machines Aebi, de sorte que cela reviendrait à la sanctionner doublement.
Elle retient un taux de marge sur coûts variables de 18,3, reconnu par l'expert nommé par le juge commissaire.
Enfin, elle sollicite le versement d'une somme de 250 000 euros du fait du non-respect du préavis de rupture, qui l'a privée de la chance de pouvoir poursuivre son activité.
Sur ce
Un mois s'étant écoulé entre le 14 novembre 2011, date à laquelle la société Aebi a adressé à la société Paget un courrier lui notifiant sa décision de résilier le contrat, et le 15 décembre 2011 date de prise d'effet de cette résiliation, il convient de fixer l'indemnité due par la société Aebi à l'équivalent de 23 mois.
Comme déjà indiqué, le juge-commissaire du Tribunal de commerce de Vienne a désigné le 15 juillet 2014 le cabinet Bruyas Moncorge aux fins notamment de vérifier les marges retenues par la société Paget dans le calcul de son préjudice.
Dans son rapport, l'expert nommé monsieur Moncorge a retenu les deux exercices 2007/2008 et 2008/2009 pour fixer le chiffre d'affaires moyen pondéré de la société Paget avec les produits Aebi, l'exercice 2009/2010 ayant été marqué par une hausse marquée avant une baisse forte de ce chiffre lors de l'exercice 2010/2011, au cours duquel des difficultés importantes ont été rencontrées sur les moteurs des machines de la société Aebi.
L'expert inclut dans le chiffre d'affaires celui réalisé sur les pièces et sur le matériel, en retenant qu'ils sont intimement liés (son rapport du 23 décembre 2015 et son courrier du 22 février 2016, pièces 72 et 73 intimée).
Si la société Aebi soutient qu'il convient d'exclure du périmètre des ventes considéré le chiffre d'affaire réalisé sur la vente de pièces détachées qu'elle aurait continué à fournir à la société Paget, les ventes de pièces de rechange sont par nature en lien avec les ventes de machines, et l'arrêt des ventes de matériels Aebi provoque nécessairement à terme la perte du chiffre d'affaires réalisé lors des ventes de pièces détachées de ces matériels par la société Paget.
De surcroit, si la société Aebi fait état de ventes de pièces détachées à la société Paget pour 214 000 euros et produit une liste en ce sens, les factures versées ne justifient que de ventes pour un montant inférieur à 48 000 euros sur une période de deux années, allant de septembre 2011 à août 2013.
L'expert a aussi relevé quant que les pièces communiquées étaient insuffisantes pour valider les chiffres de la société Aebi.
Au vu de ce qui précède, il convient de tenir compte du chiffre d'affaires réalisé sur la vente de pièces détachées dans le chiffre d'affaires retenu pour établir le préjudice subi par la société Paget.
Si la société Aebi conteste le choix de l'expert judiciaire nommé lequel a retenu les exercices 2007/2008 et 2008/2009 et soutient qu'il convient de se fonder sur la marge sur coût variables que la société Paget aurait pu réaliser durant le préavis, il convient d'observer que l'expert a lui-même proposé d'exclure l'exercice 2009/2010 au cours duquel la vente de produits Aebi par la société Paget avait augmenté considérablement.
Par ailleurs, les chiffres d'affaires des exercices 2007/2008 et 2008/2009 retenus par l'expert nommé par le juge commissaire ne sont pas impactés, comme l'a relevé l'expert missionné par la société Aebi, par les problèmes techniques qu'ont rencontrées les machines Aebi en 2010/2011 et qu'établissent les pièces versées.
Si la société Aebi propose de retenir les prévisions des exercices 2011/2012 et 2012/2013, il n'existe pas de prévisions sur les résultats de l'exercice 2012/2013, et la projection réalisée sur ce point par son expert n'apparaît pas étayée suffisamment pour pouvoir être retenue.
Les données disponibles font apparaître la baisse très substantielle du chiffre d'affaires réalisée en 2010/2011 par la société Paget sur la ventes des machines Aebi, soit l'époque à laquelle elles connaissaient des avaries importantes, alors que dans le même temps les autres produits vendus par la société Paget ne connaissaient pas cette baisse (seuls les produits Shibaura avaient légèrement diminué, la vente des autres produits étant en progression).
Dans ces conditions, fonder l'évaluation du préjudice sur la projection 2011/2012 du chiffre d'affaires de la société Paget sur les machines Aebi aboutirait à constater qu'elle subit un préjudice lié à la baisse de ses ventes du fait des avaries rencontrées par les produits Aebi, et à retenir pour base de calcul de son préjudice une prévision affectée par les difficultés de vente résultant de ces avaries et non représentative de son potentiel.
Aussi, la cour fait sienne l'analyse développée par l'expert missionné par le juge commissaire, en retenant comme base de calcul le chiffre d'affaires réalisé par la société Paget sur les produits Aebi en 2007/2008 et 2008/2009, soit un chiffre d'affaires moyen non contesté de 2 651 000 euros.
S'agissant du taux de marge, l'expert missionné par le juge commissaire retient, au vu des comptes annuels de la société Paget France, une marge brute de 26 % pour l'exercice 2007/2008 et de 23 % pour les trois exercices suivants, ainsi que des charges variables représentant en moyenne 1 % du chiffre d'affaires.
Pour ces quatre exercices 2007/2008 à 2010/2011, la marge brute réalisée par la société Paget sur les produits Aebi a été respectivement de 20,6 %, 20,3 %, 20 % et 25,1 %, le dernier exercice étant particulier au vu des difficultés rencontrées par les machines Aebi, de sorte qu'il apparaît justifié de retenir un taux de marge brute moyen de 20,3 %.
Le ratio des charges variables retenu sera de 2 % du chiffre d'affaires, soit un taux considéré par les deux parties. Par ailleurs, si la société Aebi propose de retenir un taux de marge brute de 15 %, il ne sera pas fait droit à cette demande dans la mesure où ce taux relève de la seule vente des machines et non des pièces détachées.
Au vu de ce qui précède, sera retenu un taux de marge sur coût variable de 18,3 % (soit 20,3 % moins 2 %).
Appliqué au chiffre d'affaires moyen, il permet de déterminer que la perte annuelle de marge de la société Paget sur coûts variables est de 485 133 euros ; ramenée sur 23 mois soit la durée de l'indemnité due par la société Aebi à la société Paget, cette perte totale de marge sur coûts variables est de 929 838 euros.
Aussi le jugement prononcé en 1re instance sera reformé sur ce point, et la société Aebi sera condamnée au paiement de ce montant à la société Paget.
S'agissant de la demande de dommages et intérêts du fait du préjudice lié à la liquidation judiciaire de la société Paget, celle-ci déduit l'existence d'un lien de causalité entre la rupture brutale des relations commerciales par la société Aebi et sa déconfiture de la rapidité de la procédure collective la concernant.
Pour autant, et alors que l'ordonnance du Tribunal de commerce de Vienne désignant le 24 novembre 2011 un conciliateur est intervenue moins de 10 jours après l'envoi par la société Aebi de la lettre résiliant les relations commerciales, ce lien n'apparaît pas suffisamment établi pour justifier la condamnation de la société Aebi au paiement de dommages et intérêts sur ce fondement.
Le jugement du 14 octobre 2013 sera confirmé sur ce point.
Sur les dépens et frais irrépétibles :
La société Aebi succombant au principal, elle sera condamnée au paiement des dépens.
L'équité commande de fixer à 5000 euros le montant de sa condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, Confirme le jugement du 14 octobre 2013 en ce qu'il a reconnu la société Aebi & Co AG coupable d'une décision de rupture brutale de ses relations commerciales établies avec la société Paget France, Réforme le jugement déféré dans son appréciation du préjudice, Statuant à nouveau : Condamne la société Aebi & Co AG à verser à la liquidation de la société Paget France une somme de 929 838 euros, à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de dommages et intérêts pour le préjudice subi, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 1er décembre 2011, Ordonne la libération, à due concurrence, du séquestre de 1 415 857 euros intervenu le 15 avril 2014 sur le compte séquestre du Bâtonnier de l'ordre des Avocats de Lyon au profit de la liquidation de la société Paget France, Condamne la société Aebi & Co AG au paiement d'une somme de 5 000 euros au profit de la liquidation de la société Paget France au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance.