Cass. com., 7 juin 2016, n° 14-16.885
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
IOR Ltd (Sté)
Défendeur :
Visa International Service Association (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Hémery, Thomas-Raquin
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 novembre 2013), que la société Visa International, titulaire de la marque communautaire " Visa " n° 405 480, déposée le 25 octobre 1996, enregistrée le 2 octobre 2000 et régulièrement renouvelée, pour désigner notamment les services de cartes de crédit, de carte bancaire, de cartes de débit et autres cartes à usage financier, a assigné, pour atteinte portée à la renommée de sa marque, la société IOR, titulaire de la marque verbale française " Visa de Robert Piguet " n° 04 3 330 253, déposée le 17 décembre 2004, pour désigner, en classe 3, notamment des produits de parfumerie, parfums et fragrances, cosmétiques et produits cosmétiques parfumés ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses deux premières et deux dernières branches : - Attendu que la société IOR fait grief à l'arrêt de dire que la marque verbale communautaire " Visa " n° 405 480 dont est titulaire la société Visa International bénéficie de la protection accordée à une marque communautaire jouissant d'une renommée dans la Communauté telle que prévue à l'article 9 § 1, sous c) du règlement (CE) n° 207/2009, de dire que l'enregistrement de la marque verbale " Visa de Robert Piguet " n° 04 3 330 253 déposée le 17 décembre 2004 porte atteinte à la marque renommée "Visa " n° 405 480 en ce qu'elle tire indûment profit de son caractère distinctif et de sa renommée, de prononcer, en conséquence, la nullité de l'enregistrement de la marque " Visa de Robert Piguet " n° 04 3 330 253 et dire que l'inscription en sera faite au Registre national des marques à la diligence de la société Visa International et de faire interdiction à la société IOR d'utiliser, sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers, les dénominations " Visa ", "Visa de Robert Piguet " ou toute dénomination similaire portant atteinte aux droits antérieurs que la société Visa International détient sur l'enregistrement de sa marque " Visa " no 405 480 alors, selon le moyen : 1°) que la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'atteinte à une marque de renommée ne peut se produire que si le public concerné établit un lien entre les marques alors même qu'il ne les confond pas ; que l'existence de ce lien doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce et selon divers critères tenant au degré de similitude entre les marques en conflit, à la nature des produits et services désignés dans l'enregistrement, à l'intensité de la renommée, au caractère distinctif de la marque ; qu'en estimant, en l'espèce, qu'un lien serait établi dans l'esprit du public concerné entre les marques en présence après avoir seulement établi que le public établirait un lien entre les signes en présence, mais sans tenir compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce et notamment la nature des produits et services désignés dans l'enregistrement, l'intensité de la renommée, ou du caractère distinctif de la marque renommée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 § 1, sous c) du règlement (CE) n° 207/2009 ; 2°) qu'afin de déterminer si l'usage d'un signe tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée d'une marque, il convient de procéder à une appréciation globale qui tienne compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, au nombre desquels figurent, notamment, l'intensité de la renommée et le degré de caractère distinctif de la marque, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou des services concernés ; qu'en jugeant, en l'espèce, que la société IOR tirerait indûment profit de la renommée de la marque " Visa ", au motif que " la marque " Visa " largement connue du public grâce au nombre important de cartes en circulation et au budget conséquent consacré à sa promotion ou à sa défense, véhicule des qualités de confiance et d'excellence [et] que ces qualités sont également attendues par le consommateur normalement attentif et avisé de produits de parfumerie ou de produits cosmétiques de luxe, tels ceux qui sont commercialisés par la société intimée " sans procéder à une appréciation globale qui tienne compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, au nombre desquels figurent, notamment, l'intensité de la renommée et le degré de caractère distinctif de la marque, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou des services concernés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 § 1, sous c) du règlement (CE) n° 207/2009 ; 3°) que le titulaire d'une marque communautaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe identique ou similaire à la marque communautaire pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque communautaire est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d'une renommée dans la Communauté et que l'usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire ou leur porte préjudice ; qu'en excluant que la société IOR dispose d'un juste motif de faire usage de la marque " Visa de Robert Piguet" au seul motif qu'elle n'aurait pas démontré avoir elle-même "commencé à exploiter dans la vie des affaires la marque litigieuse " Visa de Robert Piguet " déposée en 2004 ", " avant la date à partir de laquelle la marque " Visa " a acquis sa renommée", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 § 1, sous c) du règlement (CE) n° 207/2009 ; 4°) que le juge ne peut prononcer l'annulation d'une marque enregistrée que si elle n'est pas conforme aux dispositions des articles L. 711-1 à L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle ; qu'il ne peut prononcer l'annulation d'une marque au motif qu'elle porterait atteinte à une marque renommée ; qu'en prononçant l'annulation de la marque française " Visa de Robert Piguet " n° 04 3 330 253, en raison de l'atteinte qu'elle porterait à la marque renommée " Visa " no405 480, la cour d'appel a violé l'article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir retenu, par des motifs non critiqués, la renommée de la marque " Visa " invoquée et rappelé que, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, l'atteinte portée à cette renommée suppose que le public concerné établisse un lien entre les marques en litige, alors même qu'il ne les confond pas, et que l'existence de ce lien doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce et selon divers critères tirés du degré de similitude entre les marques, de la nature des produits et services visés à leur enregistrement, de l'intensité de la renommée et du caractère distinctif de la marque antérieure ainsi que du risque de confusion, l'arrêt retient d'abord, au terme d'une comparaison motivée des marques en présence sur les plans visuel, phonétique et conceptuel tenant compte du caractère distinctif du terme " visa ", qu'eu égard à l'impression d'ensemble qu'elles produisent, il est établi un lien entre elles dans l'esprit du public concerné ; qu'il retient ensuite que la marque "Visa ", largement connue du public en raison du nombre élevé de cartes en circulation et de l'importance du budget consacré par la société Visa International à sa promotion ou à sa défense, véhicule des qualités de confiance et d'excellence, lesquelles sont également attendues par le consommateur normalement attentif et avisé de produits de parfumerie et de cosmétique de luxe ; qu'en l'état de ces appréciations souveraines, dont elle a déduit qu'en faisant usage de la marque " Visa de Robert Piguet " pour désigner de tels produits, la société IOR exploitait indûment la renommée de la marque " Visa ", la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en second lieu, que la Cour de justice de l'Union européenne (6 février 2014, Red Bull, C-65/12), interprétant l'article 5, § 2, de la directive n° 89/104/CE rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, dont les dispositions sont équivalentes à celles de l'article 9 § 1, sous c) du règlement (CE) no 207/2009 sur la marque communautaire, a dit pour droit que cet article " doit être interprété en ce sens que le titulaire d'une marque renommée peut se voir contraint, en vertu d'un " juste motif" au sens de cette disposition, de tolérer l'usage par un tiers d'un signe similaire à cette marque pour un produit identique à celui pour lequel ladite marque a été enregistrée, dès lors qu'il est avéré que ce signe a été utilisé antérieurement au dépôt de la même marque et que l'usage fait pour le produit identique l'est de bonne foi " ; que l'arrêt retient, d'abord, que la société IOR, qui déclare avoir, à l'occasion de la réédition de la gamme des parfums créés par Robert Piguet, déposé la marque " Visa de Robert Piguet", laquelle était en vigueur de 1947 à 1972, ne peut se prévaloir de la titularité de droits sur des marques déposées par un tiers et restées inexploitées durant plusieurs décennies et, ensuite, que cette société, qui a déposé la marque litigieuse en 2004, ne démontre pas avoir commencé à l'exploiter avant la date à partir de laquelle la marque " Visa " a acquis sa renommée ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui a retenu que la société IOR n'établissait pas avoir un juste motif de faire usage du signe incriminé, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu, en dernier lieu, qu'en application des articles L. 711-4 et L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle combinés, est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement d'une marque qui porte atteinte à des droits antérieurs, et notamment à une marque antérieure ; qu'ayant constaté que la marque " Visa de Robert Piguet " portait atteinte à la renommée de la marque communautaire " Visa ", c'est à bon droit que la cour d'appel en a prononcé la nullité ;d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident : - Attendu que la société Visa International fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l'atteinte portée à la renommée et à la valeur de la marque notoire " Visa " alors, selon le moyen : 1°) que l'exploitation injustifiée de la renommée d'une marque est, en elle-même, nécessairement constitutive d'une atteinte à la renommée et à la valeur de la marque justifiant, à elle seule, l'allocation de dommages-intérêts ; qu'en retenant, pour écarter la demande de la société Visa International tendant à voir condamner la société IOR à lui verser des dommages-intérêts pour l'atteinte portée à la renommée et à la valeur de la marque notoire " Visa ", qu'une telle demande ne tendrait qu'à réparer le préjudice, non admis par la cour, résultant de la dilution, la cour d'appel a violé les articles 9 § 1, sous c) du règlement (CE) n° 207/2009 sur la marque communautaire et L. 717-1 du Code de la propriété intellectuelle, ensemblel'article 1382 du Code civil ; 2°) que l'exploitation injustifiée de la renommée d'une marque est, en elle-même, nécessairement constitutive d'une atteinte à la renommée et à la valeur de la marque justifiant, à elle seule, l'allocation de dommages-intérêts ; qu'en affirmant que la société Visa International n'évoquerait ni n'établirait aucun préjudice avéré, quand le préjudice invoqué par cette société s'inférait nécessairement de l'atteinte à sa marque renommée " Visa " constatée par l'arrêt, la cour d'appel a violé les articles 9 § 1, sous c) du règlement (CE) n° 207/2009 sur la marque communautaire et L. 717-1 du Code de la propriété intellectuelle, ensemble l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir rappelé qu'il appartenait à la société Visa International de démontrer que l'atteinte résultait soit de ce que l'usage du signe second portait préjudice au caractère distinctif de la marque ou à sa renommée, soit de ce qu'il était indûment tiré profit de la marque ou de sa renommée, et que la société Visa International n'apportait pas la preuve d'une telle atteinte en l'absence d'une modification du comportement des consommateurs concernés, ni celle d'un risque sérieux d'une telle modification résultant de la dilution de la marque " Visa ", c'est à juste titre que la cour d'appel, ayant relevé qu'elle n'était saisie d'une demande de dommages-intérêts qu'en réparation du préjudice résultant de l'atteinte portée à la renommée et à la valeur de la marque renommée "Visa" et n'ayant pas admis l'existence d'un préjudice causé par une telle atteinte, a retenu qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette demande ;
Attendu, d'autre part, que, s'agissant du profit indûment tiré par la société IOR du caractère distinctif ou de la renommée de la marque "Visa", qu'elle a constaté, c'est à bon droit que la cour d'appel a accueilli les seules demandes formées par la société Visa International à ce titre, tendant au prononcé de la nullité de la marque incriminée et des mesures d'interdiction d'usage ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, du pourvoi principal, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Par ces motifs : rejette les pourvois principal et incident.