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Décisions

ADLC, 9 juin 2016, n° 16-D-12

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre par Carte Blanche Partenaires dans le secteur de l'optique

ADLC n° 16-D-12

9 juin 2016

L'Autorité de la concurrence (section II),

Vu les lettres, enregistrées le 26 janvier 2016 sous les numéros 16/0008F et 16/0009M par lesquelles la Centrale des Opticiens (ci-après " CDO ") et les sociétés FL2 et Opti'bambins ont saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le réseau de soins Carte Blanche Partenaires (ci-après " Carte Blanche ") dans le secteur de l'optique et ont sollicité l'octroi de mesures conservatoires ; Vu les articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par la CDO, FL2 et Opti'bambins ainsi que Carte Blanche ; Vu les décisions de secret des affaires nos 16-DSA-61 (CDO), 16-DSA-62 (FL2), 16-DSA-66 (CDO, Opti'Bambins), 16-DSA-78 (Carte Blanche), 16-DSA-79 (BBGR), 16-DSA-87 (Essilor), 16-DSA-93 (Rodenstock France), 16-DSA-100 (Hoya Lens France) et 16-DSA-103 (Rodenstock France) ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la CDO et des sociétés FL2, Opti'bambins et Carte Blanche entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 26 mai 2016 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. La CDO, FL2 et Opti'bambins (ci-après " parties saisissantes ") dénoncent des pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par le réseau de soins Carte Blanche dans le secteur de l'optique-lunetterie.

2. Cette saisine est accompagnée d'une demande de mesures conservatoires.

A. LES SECTEURS D'ACTIVITÉ CONCERNÉS

1. LES ACTEURS DE LA FILIÈRE

3. Le secteur de l'optique-lunetterie regroupe en amont les fournisseurs de produits d'optique, et en aval les distributeurs desdits produits (opticiens). Des centrales d'achat et/ou de référencement interviennent également dans ce secteur.

a) Les fournisseurs de verres et montures

4. Il existe de très nombreux fabricants de montures de lunettes, aussi bien de petites et moyennes entreprises que des multinationales.

5. Pour ce qui est des fabricants de verres en France, le secteur est assez concentré avec le leader du marché, le groupe Essilor, suivi de loin par le groupe allemand Carl Zeiss et le groupe japonais Hoya. Les ventes de verres ophtalmiques en France ont représenté 3,3 milliards d'euros en 2014 (1).

b) Les centrales d'achat ou de référencement

6. Pour leur approvisionnement, les opticiens peuvent s'appuyer sur des centrales d'achat et/ou de référencement (ci-après " centrale/s ") qui leur permettent de bénéficier de la force d'un groupement pour les négociations auprès des fournisseurs, tout en demeurant rattachés, le cas échéant, à leur propre enseigne. Ils peuvent choisir, auprès de la centrale, les produits des fournisseurs référencés par celle-ci, ainsi que, dans certains cas, des produits propres à la centrale. En effet, certaines centrales proposent aux opticiens leurs propres montures et verres. Les centrales peuvent être indépendantes ou rattachées à une enseigne d'opticiens.

c) Les opticiens

7. La distribution des produits d'optique-lunetterie est assurée par des opticiens-lunetiers, profession réglementée, notamment, par le Code de la santé publique.

8. Dans le secteur de l'optique-lunetterie, le nombre de points de vente en France n'a cessé de croître au cours des dernières années : il est passé de 8 700 en 2003 à un peu plus de 12 000 en 2014.

2. LE FINANCEMENT DES DÉPENSES D'OPTIQUE-LUNETTERIE

9. En France, les dépenses en optique médicale ont représenté en 2014, 5,8 milliards d'euros (2). Le financement des produits d'optique est assuré par trois catégories d'intervenants : l'assurance maladie, les organismes complémentaires de santé et les ménages. En schématisant, pour une paire de lunettes à verres simples à 200 euros, l'Assurance maladie rembourse en moyenne un peu moins de 8 euros, la complémentaire santé 150 euros, l'assuré devant prendre en charge 42 euros. Pour des lunettes à verres progressifs au prix de 500 euros, l'Assurance maladie rembourse en moyenne 24 euros, la complémentaire santé 280 euros, le reste à charge pour l'assuré étant d'environ 196 euros (3).

a) L'Assurance maladie

10. Certaines catégories de produits d'optique-lunetterie sont considérées comme des dispositifs médicaux remboursables par l'Assurance maladie. C'est le cas notamment des montures de lunettes, des verres ophtalmiques et des lentilles de contact. L'optique médicale est cependant faiblement remboursée par l'Assurance maladie, qui ne prend en charge que 3,6 % de la consommation totale, le reste étant financé par les complémentaires de santé et les ménages.

b) Les organismes complémentaires d'assurance maladie (" OCAM ")

11. En contrepartie, des cotisations versées par les clients ayant souscrit une assurance santé, les organismes complémentaires d'assurance maladie (ci-après " OCAM ") prennent en charge tout ou partie des dépenses de santé non remboursables par l'Assurance maladie. Environ 94 % de la population serait affiliée à un OCAM, soit par un contrat individuel souscrit de la propre initiative de l'assuré, soit par un contrat collectif souscrit par une entreprise (4). Les garanties de remboursements de frais de soins et de biens médicaux tels que les équipements d'optique varient selon les contrats.

12. Les OCAM peuvent être classés en trois catégories en fonction de leur régime juridique :

- les mutuelles, qui sont des sociétés de personnes de droit privé à but non lucratif, immatriculées au registre national des mutuelles qui ne peuvent intervenir que dans le domaine de l'assurance de personnes et relèvent du Code de la mutualité ;

- les sociétés d'assurance, qui sont des personnes morales de droit privé qui interviennent principalement dans le domaine de l'assurance de dommages et sont régies par le Code des assurances ;

- les institutions de prévoyance, qui sont des sociétés de personnes de droit privé à but non lucratif qui interviennent essentiellement dans le domaine de la prévoyance collective et qui ne peuvent exercer leur activité que dans le domaine de l'assurance de personnes. Ces institutions relèvent du Code de la sécurité sociale ou du Code rural (pour celles qui interviennent dans le secteur agricole).

13. Il s'agit d'un secteur particulièrement atomisé où les mutuelles sont prédominantes. En effet, elles représentent plus de 55 % dans l'assiette globale du Fonds CMU contre 27% pour les sociétés d'assurance et 17 % pour les institutions de prévoyance.

14. En vertu de la loi 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi (dite ANI) toutes les entreprises doivent proposer à leurs salariés, à compter du 1er janvier 2016, une complémentaire santé. Cette nouvelle obligation a concerné environ 500 000 structures et près de 4 millions de salariés (5).

c) Les ménages

15. Les ménages financent la partie des dépenses restantes, appelée le " reste à charge ".

d) Le mécanisme de tiers payant

16. Pour leurs dépenses d'optique, les assurés peuvent bénéficier du système de " tiers payant ". Ce système dispense l'assuré, sous certaines conditions, de faire l'avance des sommes remboursables, qui sont alors payées directement au professionnel de santé par l'Assurance maladie et/ou l'OCAM concerné.

17. Ce système suppose la mise en place d'accords avec les professionnels de santé. Les OCAM doivent également mettre en place les outils nécessaires au suivi des demandes de prise en charge, à la gestion des factures et aux prestations de télétransmission. Il est fréquent qu'ils s'adressent, pour cela, à des sociétés spécialisées.

3. LES RÉSEAUX DE SOINS

18. En tant que principaux contributeurs au financement de certaines dépenses de santé, plusieurs OCAM ont souhaité développer de nouvelles formes de partenariat avec les professionnels, allant au-delà du système de tiers payant et visant à limiter le montant de ces dépenses.

19. Depuis quelques années, les OCAM organisent ainsi des appels d'offres pour mettre en place des réseaux de professionnels agréés avec pour objectif de proposer de meilleurs rapports qualité/prix à leurs assurés. Ces réseaux ont, pour la plupart, été mis en place dans le cadre de partenariats entre plusieurs OCAM et sont gérés par une plateforme.

20. Ces réseaux ont été formalisés au moyen de conventions conclues :

- d'une part, entre la plateforme et les OCAM partenaires, ces derniers déléguant la gestion du réseau à la plateforme ;

- d'autre part, entre la plateforme et chacun des opticiens sélectionnés.

21. Les conventions conclues entre les gestionnaires de réseaux et les opticiens sélectionnés prévoient généralement des engagements des parties concernant l'orientation des assurés vers l'opticien agréé, la mise en place d'un système de tiers payant au bénéfice des assurés, la qualité des services rendus et du matériel vendu ainsi que le respect d'une certaine modération tarifaire. En effet, la plupart des réseaux ont des grilles tarifaires maxima par produits que les opticiens ne peuvent dépasser pour les adhérents du réseau. Ainsi, en contrepartie de l'accès à la clientèle des réseaux, ceux-ci consentent une baisse des prix de 15 à 40 % par rapport à ceux du marché.

22. Ces conventions ont été mises en place pour une durée limitée pouvant varier, selon les réseaux, entre une et quatre années. Il est interdit pour un réseau d'imposer à un opticien une exclusivité. Ainsi, un opticien peut être affilié à plusieurs réseaux.

23. Il existe des réseaux ouverts et des réseaux fermés. Les réseaux ouverts sont ceux qui accueillent tout opticien demandeur auprès de l'OCAM ou de la plateforme concernée et qui remplit certains critères définis par l'OCAM ou la plateforme. Les réseaux fermés, quant à eux, réservent l'accès au réseau à un nombre limité de professionnels par région géographique.

24. La part de financement des dépenses d'optique-lunetterie prise en charge par les OCAM pour des achats effectués dans le cadre de ces réseaux varie d'un OCAM à l'autre et dépend des niveaux de garantie. Certains OCAM pratiquent un remboursement différencié permettant à leurs assurés de bénéficier d'un meilleur taux de remboursement ou d'une bonification pour les achats réalisés dans le cadre du réseau (6). Globalement, la part de reste à charge des assurés pour des achats effectués dans le cadre d'un réseau est inférieure à celle que l'on retrouve, en moyenne, pour des achats réalisés en dehors de ces réseaux.

25. Dans son avis n° 09-A-46 (7), l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") s'est montrée favorable, d'une manière générale, et sous réserve que le processus de sélection des professionnels de santé repose sur une concurrence par les mérites, à la constitution de réseaux de soins. Elle a considéré en effet que, axée sur la régulation de l'offre, et reposant sur une identité d'intérêts entre l'organisme complémentaire - qui cherche à mieux maîtriser ses coûts - et les assurés - qui souhaitent bénéficier d'un reste à charge nul ou limité et d'une prime d'assurance la moins élevée possible -, la mise en place de réseaux de soins soumet les professionnels souhaitant être sélectionnés à l'obligation de respecter des engagements de modération tarifaire. En outre, l'Autorité a considéré que le développement du conventionnement est susceptible d'engendrer un fonctionnement plus concurrentiel du marché dans la mesure où les professionnels non conventionnés par les OCAM seront incités à offrir soit des services supplémentaires (telles que des conditions de paiement différé), soit une qualité de services supérieure ou encore des tarifs attractifs, pour continuer à attirer des assurés.

26. Aujourd'hui, dans le secteur de l'optique-lunetterie, les principaux réseaux sont, par ordre d'importance, les suivants : Kalivia, Santéclair, Carte Blanche, Itelis, Sévéane et Optistya.

B. LES ENTREPRISES

1. LES PARTIES SAISISSANTES

a) La Centrale des opticiens (ci-après " CDO ")

27. Avec 2 115 adhérents (8), la CDO est la première centrale de référencement en France pour opticiens et audioprothésistes indépendants sans enseigne (9). Pour les opticiens, la CDO négocie des conditions commerciales et assure le paiement centralisé des factures. Les commandes sont passées directement par l'opticien et livrées chez lui mais payées par la CDO en vertu d'un mandat des adhérents. La CDO est ensuite remboursée par les adhérents. L'adhésion à la CDO est gratuite et ouverte à tout opticien indépendant, c'est à dire qui exerce son activité en dehors des réseaux sous enseigne.

28. La CDO est majoritairement détenue par le groupe Krys (deuxième groupe de distribution d'optique en France (10)), lui-même majoritairement détenu par la Guilde des Lunetiers, coopérative d'opticiens qui exploitent leurs points de vente sous enseignes Krys, Vision Plus et Lynx Optique. Outre la CDO, le groupe Krys détient entre autres la société SAS Codir, fabricant et distributeur de verres.

29. La CDO a développé deux gammes de verres en partenariat avec des fournisseurs de verres ophtalmiques. Ces marques sont distribuées sous des marques de distributeur et sont destinées en exclusivité aux adhérents de la CDO. Il s'agit de la marque Orus, fabriquée par Codir, filiale du groupe Krys, et de la marque Neo, dont les verres sont fabriqués par BBGR, filiale du groupe Essilor.

30. La CDO a réalisé un chiffre d'affaires de [10-15] millions d'euros en 2014 et le volume d'achats en optique ayant transité en 2015 par la CDO représente 179,7 millions d'euros (11).

b) FL2

31. FL2 est un opticien généraliste indépendant exerçant à Carignan, dans les Ardennes, et adhérent de la CDO. Il emploie 1 salarié et a réalisé en 2014 un chiffre d'affaires de [150 000-170 000] euros.

32. FL2 est affilié aux six principaux réseaux de soins et a réalisé avec eux [50-55] % de son chiffre d'affaires en 2015. Le réseau le plus important pour FL2 est Kalivia, qui représente [30-40] de son chiffre d'affaires. Carte Blanche, quant à elle, représente [5-15 %] de son chiffre d'affaires (32).

c) Opti'bambins

33. Opti'bambins est un opticien indépendant spécialisé dans la fourniture de produits d'optique à destination des enfants au Mans. Il emploie 2 salariés et a réalisé un chiffre d'affaires en 2015 d'environ 160 000 euros.

34. En 2015, Opti'bambins faisait partie du réseau Carte Blanche, qui représentait [5-10] % de son chiffre d'affaires. En raison des conditions imposées par Carte Blanche dans son appel à référencement pour l'année 2016, et notamment l'obligation de l'achat de la collection de montures, selon lui, non adaptées aux enfants, Opti'bambins n'a pas finalisé sa candidature. Aujourd'hui Opti'bambins ne fait partie d'aucun réseau de soins.

2. LA PARTIE MISE EN CAUSE : CARTE BLANCHE PARTENAIRES

35. Carte Blanche est une société par actions simplifiée dont l'activité est celle d'une plateforme de santé qui intervient dans le domaine du tiers payant, de la gestion des réseaux de professionnels de santé et de l'accompagnement santé.

36. Le réseau Carte Blanche représente aujourd'hui 6,5 millions d'assurés. Son objectif est de " faciliter l'accès aux soins des assurés et la maîtrise des dépenses de santé pour les organismes complémentaires, en partenariat avec les professionnels de santé " (13).

37. Les actionnaires de Carte Blanche sont principalement Swiss Life, Henner, Mutuelle Nationale des Hospitaliers, Generali, Aviva, Pacifica et Thelem. Carte Blanche anime plusieurs réseaux de professionnels de santé : opticiens, chirurgiens-dentistes et audioprothésistes, qui s'engagent sur des critères tarifaires et le respect de bonnes pratiques.

38. Le réseau Carte Blanche est un réseau ouvert depuis l'origine, c'est-à-dire que tous les professionnels de santé qui acceptent les accords proposés peuvent en faire partie, sans limitation. Actuellement, le réseau d'opticiens de Carte Blanche comprend 7 632 opticiens (comparés aux 10 331 opticiens pour l'année 2015).

39. En 2014 Carte Blanche a réalisé un chiffre d'affaires de 6,9 millions d'euros.

C. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

1. LE RENOUVELLEMENT DU RÉSEAU D'OPTICIENS AU 1ER JANVIER 2016 ET LE RÉFÉRENCEMENT PREMIUM

40. Au cours du premier semestre 2015, Carte Blanche a annoncé sa volonté de procéder au renouvellement de son réseau d'optique. Elle a donc dénoncé les accords antérieurs avec les opticiens membres de son réseau et lancé, le 15 septembre dernier, un appel à candidatures afin de pouvoir mettre en place le nouveau réseau à compter du 1er janvier 2016.

41. Dans le cadre de cet appel à candidatures, Carte Blanche a proposé aux opticiens intéressés, deux niveaux de référencement (14) :

- Un référencement standard, ouvert à tous les opticiens qui acceptent de respecter les engagements suivants : respect des bonnes pratiques inhérentes à la profession, suivi d'une formation professionnelle, mise en œuvre du tiers payant, équipement du magasin, gratuité de certaines prestations, suivi du bénéficiaire et traçabilité des équipements, respect des catalogues de produits référencés par Carte Blanche, respect de la réglementation. À ce jour, 7 632 opticiens ont été référencés dans le réseau Carte Blanche.

- Un référencement premium, ouvert également à tous les opticiens dans la mesure où ils s'engagent à rendre des services supplémentaires à leurs clients tels que: accueil personnalisé, salle d'examen de vue cloisonnée, bilan personnalisé, innovations technologiques et un large choix de produits, et surtout, disposant d'une certification. En compensation de ces services supplémentaires, les opticiens premium peuvent bénéficier, sur certains verres individualisés, d'une valorisation tarifaire différenciée avec les fabricants de verres premium, ainsi que de services supplémentaires rendus par ces fournisseurs.

42. Parallèlement au renouvellement du réseau d'opticiens, Carte Blanche a lancé un appel d'offres auprès des fournisseurs de verres ophtalmiques afin de sélectionner ceux dont les verres pourront être proposés et délivrés par les opticiens partenaires dans le cadre du réseau devant entrer en vigueur le 1er janvier 2016 (15).

43. Le nouveau partenariat proposé aux fournisseurs de verres est constitué, comme pour les opticiens, de deux niveaux :

- Un référencement standard, constitué du référencement des fournisseurs dont les verres peuvent être délivrés par l'ensemble des opticiens partenaires de Carte Blanche. Dans le cadre de ce référencement standard, 24 fournisseurs ont été retenus, sur environ 35 actifs sur le marché. Carte Blanche est le réseau de soins ayant retenu le nombre le plus important de verriers, les autres réseaux limitant le nombre de fournisseurs entre 3 et 11.

- Un référencement premium, destiné à sélectionner des fournisseurs susceptibles de répondre à certaines exigences supplémentaires en termes de notoriété, d'innovations technologiques et de services mis à la disposition des opticiens et des bénéficiaires du réseau. Deux verriers ont été sélectionnés à ce titre : Essilor et Carl Zeiss. Les verres individualisés de ces deux verriers distribués par des opticiens premium peuvent être majorés de 10 euros.

44. Les deux marques de verres distribuées par la CDO, Orus et Neo, ont été référencées dans le référencement standard de Carte Blanche.

45. La CDO considère que les conditions du référencement premium des verriers sont discriminatoires et faites sur mesure pour référencer Essilor et Carl Zeiss alors que les deux marques de verres qu'elle commercialise n'ont pas pu être référencées premium. Le fait que les opticiens premium puissent vendre certains verres individualisés des fournisseurs premium dix euros plus cher que le prix indiqué dans la grille tarifaire de Carte Blanche, sans surcharge pour le client, donnerait un avantage concurrentiel aux fournisseurs de verres premium.

2. L'OFFRE PRYSME

46. Dans le cadre du renouvellement de son réseau pour l'année 2016, Carte Blanche a décidé de mettre en place, à titre expérimental, une offre appelée " offre Prysme " (16), destinée à permettre aux bénéficiaires l'accès à un équipement d'optique sans reste à charge, tout en bénéficiant d'un contrôle de la qualité des montures et des verres proposés. Trois fabricants de verres ont été retenus : Essilor, Carl Zeiss et Nikon (17). Ces trois verriers ont été sélectionnés de gré à gré sans appel d'offres. Pour les besoins de l'offre Prysme, chaque fabricant doit proposer huit références de verres (quatre verres simples et quatre verres progressifs) en fonction du niveau de garantie du bénéficiaire.

47. S'agissant des montures, Carte Blanche a décidé de créer sa propre collection, appelée " 1796 ", date de la création de la première monture en France, dont la fabrication a été confiée en partie à des artisans lunetiers installés en France.

48. Les opticiens membres du réseau ont l'obligation d'acheter la collection de montures à l'avance et de proposer systématiquement au bénéficiaire du réseau Carte Blanche une offre Prysme sans reste à charge. Ils n'ont cependant aucune obligation de vente ou de résultat. Par ailleurs, la collection de montures 1796 n'est pas réservée aux seuls bénéficiaires du réseau Carte Blanche, mais peut être proposée à tous les clients de l'opticien. La collection 1796, qui comprend 36 montures, est vendue par la centrale de Carte Blanche aux opticiens du réseau pour la somme de 1 310 euros HT.

49. Les parties saisissantes considèrent que la création avec l'offre Prysme d'un référencement préférentiel dans le référencement général, négocié de gré à gré et sans transparence, serait constitutive d'un abus de position dominante de la part de Carte Blanche ou d'une entente verticale restrictive de concurrence entre Carte Blanche et les opticiens membres du réseau et/ou les fournisseurs de verres.

II. Discussion

A. LES MARCHÉS PERTINENTS ET LE POSITIONNEMENT DES PARTIES

1. LA FOURNITURE DE MONTURES

50. Les fabricants de montures peuvent proposer des montures de marque ou sous marque de distributeur. Les prix sont très variables et le marché est éclaté. L'Autorité avait signalé en 2009 (18) que " L'industrie de la lunette est en effet très atomisée avec une population d'entreprises constituée à 90 % de PME. Les deux départements lunetiers sont le Jura, avec Morez centre de la lunette métallique, où les entreprises locales assurent 50 % de la production nationale de lunettes, et l'Ain, avec Oyonnax berceau de la lunette en plastique, où sont présents 630 établissements spécialisés. Ce faible degré de concentration confère d'emblée un avantage de poids aux centrales d'achat d'opticiens ". Les fabricants français subissent la concurrence d'entreprises italiennes sur le haut de gamme et chinoises sur le bas de gamme.

51. Il n'est pas nécessaire, pour les besoins de la présente affaire, de définir le marché de façon précise, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées.

52. Carte Blanche a mis en place un partenariat avec trois sous-traitants français afin de développer la marque 1796, qui doit devenir à terme " Origine France Garantie ". Les 36 montures de la marque 1796 sont vendues aux opticiens du réseau Carte Blanche par l'intermédiaire de la nouvelle centrale d'achat de Carte Blanche, CBP, association à but non lucratif. En imposant la vente des 36 montures à ses 7 632 opticiens adhérents, Carte Blanche a vendu en 2015 274 752 montures, sur un marché estimé à environ 13 millions d'unités (19). La part des ventes en volume des montures de la marque 1796 distribuées par Carte Blanche est dès lors de l'ordre de 2 % de l'ensemble des ventes de montures en France.

2. LA FOURNITURE DE VERRES OPHTALMOLOGIQUES

53. S'agissant de la fabrication des verres, il n'est pas non plus nécessaire de se prononcer de façon précise sur la définition du marché, les conclusions de l'analyse demeurant inchangées quelle que soit la segmentation du secteur des verres ophtalmiques.

54. En France, tous verres confondus, le secteur est largement dominé par le groupe Essilor (environ 70 % des ventes), suivi de loin par Carl Zeiss (environ 11 %), puis Hoya (environ 9 %). Codir, filiale du Groupe Krys, auquel appartient également la CDO, fabrique et distribue des verres sous marque de distributeur. Sa part de marché a été estimée en 2013 à 5,2 % (20).

3. LA DISTRIBUTION DE PRODUITS D'OPTIQUE-LUNETTERIE

55. Le marché de la distribution de l'optique lunetterie a été retenu comme marché pertinent par le Conseil, puis l'Autorité de la concurrence dans plusieurs décisions. Plusieurs éléments indiquent que la concurrence entre les détaillants de produits d'optique-lunetterie s'exerce essentiellement au niveau local (21).

56. Il existe aujourd'hui un peu plus de 12 000 opticiens en France que l'on peut répartir selon les quatre grands types de distribution :

- Indépendants : 47 % des points de vente pour environ 30 % de parts de marché,

- Groupements coopératifs : 30 % des points de vente,

- Mutualistes : 6 % des points de vente,

- Franchises succursalistes : 16,5 % des points de vente.

57. Le chiffre d'affaires réalisé par la vente d'équipements d'optique (monture plus verres) en France s'est élevé en 2014 à 5,8 milliards d'euros. En valeur, les ventes d'équipement d'optique réalisées par le réseau Carte Blanche en 2014 ont représenté 233 millions d'euros, soit environ 4 % du total. En volume, les ventes de lunettes en France se sont élevées à environ 13 millions d'unités, dont environ 900 000 par les opticiens du réseau Carte Blanche, ce qui représente une part des ventes de 6,7 % (22).

4. LE MARCHÉ DE L'ADHÉSION AUX RÉSEAUX DE SOINS

58. Actuellement, les six principaux réseaux de soins actifs dans le secteur de l'optique se répartissent de la façon suivante (la date figurant dans le tableau ci-dessous correspond à la date d'entrée en vigueur du réseau qui est renouvelé à l'occasion des nouveaux appels à candidature et des accords de partenariat correspondant) :

<TABLEAU>

a) La question du marché pertinent

59. Les parties saisissantes considèrent que chaque réseau de soins constitue un marché distinct puisque le gestionnaire de réseau choisit d'organiser un appel à candidatures pour l'accès à son réseau et que l'adhésion au réseau conditionne significativement l'accès à la clientèle des bénéficiaires des OCAM affiliés au réseau. Chaque gestionnaire de réseau serait donc en monopole sur le marché de l'adhésion à son réseau.

60. Les parties saisissantes justifient leur point de vue pour plusieurs raisons :

- les assurés ne le sont qu'auprès d'un seul OCAM, souvent imposé par l'entreprise employeur et seraient donc captifs ;

- le référencement des verres, imposé par le réseau, constituerait une condition pour accéder aux bénéficiaires du réseau, la vente des verres non référencés par un opticien étant difficilement remboursée par l'OCAM ;

- le taux de fréquentation des réseaux serait de plus en plus élevé et dans certains cas supérieur à 80 %. Ceci serait dû entre autres à l'entrée en vigueur de la loi Le Roux (23), qui permet de faire des remboursements et services différenciés selon que l'assuré se rende chez un partenaire du réseau ou non. Ainsi, d'après un communiqué de la FNOF (24), sur 11 complémentaires analysées, 82 % pénaliseraient l'assuré lorsqu'il ne se rend pas chez un opticien partenaire.

61. Cependant, dans une décision n° 13-D-05 du 26 février 2013 (Kalivia), l'Autorité a considéré que le choix d'un opticien d'adhérer à un réseau est principalement motivé par un accroissement espéré du flux de clientèle et a rejeté l'existence d'un marché de l'adhésion au réseau Kalivia, sur lequel le gestionnaire serait en position dominante, eu égard au fait que la " clientèle Kalivia " ne présenterait pas de caractéristique distinctive spécifique par rapport aux autres clients potentiels des opticiens. En outre, la " clientèle Kalivia ", ne présentait qu'une faible part des personnes assurées en France au titre de la complémentaire santé (25).

62. Le même raisonnement peut être tenu au cas d'espèce, les parties saisissantes n'apportant pas d'éléments suffisamment probants de nature à établir que les conditions de fonctionnement du marché ont été substantiellement modifiées depuis la décision n° 13-D-05 précitée.

63. Premièrement, et cela même si les réseaux de soins jouent un rôle de plus en plus important sur les marchés concernés, il convient de relativiser leur poids. En effet, comme indiqué dans le tableau concernant les réseaux de soins au paragraphe 58, près de 48 % des assurés ne bénéficient d'aucun réseau de soins. Et d'après une étude Ipsos de 2013 réalisée pour le compte de la CDO, seulement 34 % des porteurs de lunettes adhèrent à un OCAM proposant un réseau de soins. Parmi eux, 37 % connaissent cet avantage et ont acheté leur équipement dans le magasin partenaire, 34 % le connaissent mais ont refusé d'acheter dans le magasin agréé et 29 % ne le connaissent pas. Ainsi, seuls 14 % de l'ensemble des porteurs de lunettes utiliseraient les réseaux d'opticiens (26). À titre illustratif, alors que FL2 est adhérent aux six principaux réseaux de soins, il ne réalise que la moitié de son chiffre d'affaires avec eux (27). Même si la loi Le Roux permet aux OCAM de réaliser des remboursements différenciés, la pratique est variable selon les mutuelles. En ce qui concerne Carte Blanche, elle ne préconise pas le remboursement différencié auprès de ses OCAM (28).

64. Deuxièmement, il convient également de relativiser la prétendue captivité des bénéficiaires vis-à-vis de leur OCAM. En effet, si les bénéficiaires de contrats collectifs sont peu enclins à changer de mutuelle, les assurés individuels, qui représentent 57 % des contrats (29), sont tout à fait libres de changer de complémentaire de santé à tout moment.

65. Par ailleurs, cet argument s'avère inopérant pour deux raisons. Tout d'abord, à partir du moment où les opticiens peuvent adhérer à plusieurs réseaux de soins, ils peuvent potentiellement accéder à la totalité de la clientèle. D'ailleurs, il n'est pas rare que des opticiens adhèrent à plusieurs réseaux de soins. À ce titre, et comme souligné plus haut, FL2 est affilié aux 6 principaux réseaux de soins d'optique. Ensuite, comme l'avait établi la décision n° 13-D-05, l'intérêt des opticiens est d'accéder à la clientèle en général et non pas à la clientèle d'un réseau de soins en particulier, qui ne présente pas de caractéristique spécifique par rapport à la clientèle d'un autre réseau de soins. Les bénéficiaires de Carte Blanche n'ont rien de particulier par rapport aux bénéficiaires des autres réseaux de soins. L'offre est aujourd'hui abondante pour les opticiens souhaitant adhérer à un réseau de soins puisqu'il en existe 6 principaux, aucun ne détenant une part de marché supérieure à 15,1 %.

66. Troisièmement, les opticiens sont libres d'adhérer ou non au réseau Carte Blanche sans que cela ne représente une condition indispensable à la réalisation de leur activité. Ainsi, lorsque Carte Blanche a mis en place son réseau pour l'année 2016, presque 3 000 opticiens faisant partie du réseau précédent ont décidé de ne pas candidater puisque le nombre d'adhérents est passé de 10 331 à 7 632.

67. En conséquence, les parties saisissantes n'apportent aucun élément probant permettant de définir un marché spécifique du réseau de soins Carte Blanche.

b) La présence de Carte Blanche sur le marché pertinent

68. Contrairement à ce qu'affirment les parties saisissantes, le poids de Carte Blanche dans le secteur de l'optique doit être analysé en tenant compte, non pas du nombre d'opticiens adhérents au réseau, mais du nombre d'assurés et des ventes de produits d'optique-lunetterie réalisées par les membres du réseau. En effet, le nombre d'opticiens adhérents au réseau ne témoigne pas d'une prétendue domination de marché de Carte Blanche mais tout simplement du fait qu'il s'agit d'un réseau ouvert offrant des conditions avantageuses aux opticiens. Ainsi, le poids de Carte Blanche sur le marché concerné est très relatif puisque, si l'on tient compte du nombre d'assurés, sa part de marché est de 9,8 % et si l'on tient compte des ventes d'optique par les membres du réseau, sa part de marché est d'environ 4 % (voir § 57).

69. Ainsi, il ne peut pas être considéré que Carte Blanche soit en position dominante sur le marché de l'adhésion aux réseaux de soins.

70. Il s'ensuit que les parties saisissantes n'ont fourni aucun élément probant laissant suspecter l'existence d'une quelconque position dominante de Carte Blanche.

B. LA QUALIFICATION DES PRATIQUES DÉNONCÉES

71. Les parties saisissantes considèrent que le référencement premium des verriers de gré à gré ainsi que la mise en place de l'offre Prysme sont discriminatoires et de ce fait constitutifs d'un abus de position dominante de la part de Carte Blanche ou d'une entente verticale entre Carte Blanche et les opticiens et/ou les fournisseurs de verres.

1. LA QUALIFICATION D'ABUS DE POSITION DOMINANTE

72. Comme démontré aux paragraphes relatifs aux marchés pertinents et au positionnement des parties, Carte Blanche n'est en position dominante sur aucun des marchés concernés. Ainsi, aucun abus de position dominante ne peut être retenu à son encontre.

2. LA QUALIFICATION D'ENTENTE VERTICALE

73. Les parties saisissantes considèrent qu'à partir du moment où les opticiens et les fournisseurs de verres ont conclu des conventions avec Carte Blanche, et que les partenaires de Carte Blanche ont accepté les conditions imposées par celle-ci, les conventions peuvent être qualifiées d'ententes anticoncurrentielles de nature verticale. Pour autant, afin de qualifier une convention d'entente anticoncurrentielle, il faut que l'accord de volontés porte sur une pratique ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel.

74. À titre liminaire, il convient de relever qu'aucun des saisissants n'étant fabricant de verres (la CDO distribue des verres mais ne les fabrique pas) et le référencement premium étant réservé aux fabricants, il est difficile de voir l'intérêt des parties saisissantes à ce que l'Autorité considère le référencement premium comme étant anticoncurrentiel.

a) Absence d'objet anticoncurrentiel

75. Dans son avis n° 09-A-46 sur les réseaux de soins et sa décision n° 13-D-05 Kalivia, l'Autorité a considéré que, dès lors que les accords ne comportaient pas de " clauses noires ", la constitution de réseaux de soins n'était pas une entente verticale par objet. En effet, les réseaux de soins agissent pour le compte des OCAM qui eux-mêmes " agissent [...] dans une certaine mesure comme des " clients par subrogation " des assurés ", ce qui induit que le comportement d'un client final ne peut par sa nature même restreindre la concurrence. Par ailleurs, le référencement des produits susceptibles d'être vendus dans un réseau " est objectivement justifié par des considérations légitimes ", " motivées par le souhait de proposer aux assurés [...] des produits et services de qualité à des prix compétitifs "(30). Ces considérations antérieures sont applicables à la présente espèce.

76. La procédure de sélection des verriers, que ce soit pour le référencement standard ou le référencement premium, se fait au moyen d'un dossier de candidature que remet le fournisseur à Carte Blanche. Ce dossier est bien signé par le fournisseur et accepté ou non par Carte Blanche (31).

77. Les verres permettant de bénéficier de la majoration de 10 euros sont des verres individualisés de très haut de gamme qui prennent en compte de multiples paramètres. Rien dans les critères de sélection ne permet de considérer qu'ils sont discriminatoires puisque ceux-ci portent sur l'innovation technologique, la gamme de produits proposée, les services proposés aux opticiens et aux bénéficiaires, critères permettant de sélectionner des verriers capables de fabriquer des verres de très haut de gamme. D'ailleurs, plusieurs fabricants ont postulé à ce second niveau de référencement et quatre d'entre eux ont réussi à passer l'étape finale, Carte Blanche décidant finalement d'en référencer deux (32).

78. En conséquence, aucune disposition du formulaire de soumission ne peut être analysée comme une entente verticale entre Carte Blanche et le fournisseur ayant pour objet de restreindre la concurrence.

79. Quant à l'offre Prysme, elle est décrite au Chapitre 4 de la convention signée avec les opticiens (33). Aucune clause de la convention conclue avec les opticiens ne peut être considérée comme ayant un objet anticoncurrentiel (34).

80. Dans la mesure où les parties saisissantes n'ont apporté aucun élément probant justifiant de l'existence d'un objet anticoncurrentiel, il convient d'examiner si elles en ont présenté, laissant suspecter un ou des effets anticoncurrentiels.

b) Absence d'effets anticoncurrentiels

81. Concernant les effets du référencement premium, les parties saisissantes considèrent que celui-ci accorde un avantage concurrentiel aux verriers sélectionnés alors que la sélection a été faite de façon discriminatoire.

82. Cependant, les parties saisissantes n'apportent aucun élément de nature à démontrer un possible effet anticoncurrentiel lié au référencement premium des verriers. En effet, seuls certains verres individualisés des fournisseurs premium sont concernés par l'avantage tarifaire de 10 euros supplémentaires octroyé par le référencement premium et seulement lorsque ces verres sont vendus par un opticien lui aussi référencé premium. Comme l'a affirmé l'un des verriers non référencé premium, le volume attendu du référencement premium pour ce qui le concerne n'aurait pas été significatif (35). Carte Blanche estime quant à elle que les verres vendus à ce titre ne représentent que 2 % des ventes du réseau (36).

83. Les parties saisissantes estiment que, même en l'absence d'obligation de vente, la simple obligation pour l'opticien de devoir proposer un devis offre Prysme risque de réduire le nombre de verriers sur le marché puisque les opticiens qui n'ont pas comme fournisseur un des trois verriers référencés Prysme, changeront leur fournisseur habituel pour l'un des trois.

84. Ce risque doit cependant être écarté notamment en raison de l'importance très réduite de l'offre Prysme sur le marché, qui représentera, en 2016, au mieux 2 % de parts de marché (37). Ceci est confirmé par les trois verriers partenaires, qui ne s'attendent pas à des ventes importantes grâce à l'offre Prysme. Ainsi, pour Essilor, il s'agit " d'une offre expérimentale avec, en termes de ventes, un impact marginal " (38). Pour Carl Zeiss, " En termes de volumes attendus, le gain pour nous est infinitésimal. En pratique :

- Un opticien moyen fait environ 1000 ordonnances par an ;

- Carte Blanche représente 5 % du marché, c'est à dire, environ 50 ordonnances par an ;

- L'offre Prysme représentera maximum 10 % de ces 50 ordonnances, à savoir 5 ventes par an ou une vente tous les deux mois, à se partager entre trois verriers " (39).

85. Dans le même sens, un des verriers qui n'a pas été sélectionné Prysme déclare : " Les opticiens sont assez indépendants et conservateurs. Les verriers proposent des gammes très larges et les opticiens doivent bien maîtriser les catalogues. Pour cette raison, les opticiens n'aiment pas changer de fournisseur. Lorsqu'ils vendront une offre Prysme, ils pourront s'adresser ponctuellement au verrier de l'offre, qui ne comporte que huit références " (40).

86. Par conséquent, les parties saisissantes n'ont apporté aucun élément probant laissant suspecter un quelconque effet anticoncurrentiel des pratiques de référencement tant pour l'offre premium que pour l'offre Prysme.

3. CONCLUSION

87. L'article L. 462-8 du Code de commerce prévoit que l'Autorité peut " rejeter la saisine par décision motivée lorsque les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ". En outre, l'article R. 464-1 du même code dispose que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond de l'Autorité de la concurrence ".

88. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les faits invoqués dans le cadre de la saisine de la CDO, FL2 et Opti'bambins ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants pour étayer l'existence de pratiques qui auraient pour objet ou pour effet d'entraver le libre jeu de la concurrence. Il convient, en conséquence, de faire application des dispositions de l'article L. 462-8 du Code de commerce et, par voie de conséquence, de rejeter la demande de mesures conservatoires.

DÉCISION

Article 1er : La saisine au fond enregistrée sous le numéro 16/0008F est rejetée.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 16/0009M est rejetée.

Notes :

1. Communiqué de presse GfK du 24 mars 2014, Stabilité des dépenses d'optique en 2014, cotes 99 à 102.

2. Communiqué de presse GfK du 24 mars 2014, Stabilité des dépenses d'optique en 2014, cotes 99 à 102. Voir également Xerfi France, La distribution d'optique, Analyse du marché - Prévisions 2015, Forces en présence, cotes 3351 et 3357.

3. Xerfi France, La distribution d'optique, Analyse du marché - Prévisions 2015, Forces en présence, cote 3350.

4. " Enquête sur la santé et la protection sociale 2012 ", IRDES page 107, cotes 103 et 104.

5. " L'ANI en pratique : les questions clés (et les réponses) pour l'employeur ", Les Echos, 11 février 2015, cotes 107 et 108.

6. Ceci est permis par la loi dite Le Roux, loi n° 2014-57 du 27 janvier 2014 relative aux modalités de mise en œuvre des conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie complémentaire et les professionnels, établissements et services de santé.

7. Avis n° 09-A-46 du 9 septembre 2009 relatif aux effets sur la concurrence du développement de réseaux de soins agréés.

8. Communiqué de presse de la CDO de mars 2016, cote 4324.

9. Xerfi France, La distribution d'optique, Analyse du marché - Prévisions 2015, Forces en présence, cote 3583.

10. Xerfi France, La distribution d'optique, Analyse du marché - Prévisions 2015, Forces en présence, cote 3588.

11. Communiqué de presse de la CDO de mars 2016, cote 4324.

12. Saisine de FL2, cotes 3492 et 3493.

13 https://www.carteblanchepartenaires.fr/public/nous-connaitre/presentation-carte-blanche

14. Convention des opticiens de Carte Blanche, Réseau optique 2016, cotes 257 à 1117.

15. Notice de soumission de candidature du fournisseur, cotes 138 à 169.

16. Convention des opticiens de Carte Blanche, Réseau optique 2016, cotes 273 à 274 et 292 à 293.

17. Ces trois verriers ont été sélectionnés de gré à gré sans appel d'offres. Pour les besoins de l'offre Prysme, chaque fabricant doit proposer huit références de verres (quatre verres simples et quatre verres progressifs) en fonction du niveau de garantie du bénéficiaire.

18. Avis de l'Autorité de la concurrence n° 09-A-32 du 26 juin 2009, relatif à un accord dérogatoire aux délais de paiement dans le secteur de l'optique-lunetterie.

19. http://www.choisir-ses-lunettes.com/les-10-chiffres-cles-du-marche-de-loptique.html, http://image.quechoisir.org/var/ezflow_site/storage/original/application/a9b196494b54fcf6967b6305f9b2c3cc.pdf

20. Décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-05 du 26 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Kalivia dans le secteur de l'optique-lunetterie.

21. Décision n° 13-D-05 du 26 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Kalivia dans le secteur de l'optique-lunetterie; décision n° 91-D-04 du 29 janvier 1991 relative à certaines pratiques de regroupements d'opticiens et d'organismes fournissant des prestations complémentaires à l'assurance maladie ; décision n° 00-D-10 du 11 avril 2000 relative à des pratiques mises en œuvre au sein du réseau Alain Afflelou sur le marché de l'optique médicale ; décision n° 02-D-36 du 14 juin 2002, relative à des pratiques relevées dans le secteur de la distribution des lunettes d'optique sur le marché de l'agglomération lyonnaise et décision n° 12-D-20 du 12 octobre 2012 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'optique-lunetterie à La Réunion. Voir également la distinction opérée, dans le cadre de l'avis n° 10-A-11 du 7 juin 2010 relatif au Conseil interprofessionnel de l'optique, entre fabrication d'une part, et distribution d'autre part, dans le domaine de l'optique.

22. Observations de Carte Blanche, cotes 4311 et 4312.

23. Loi n° 2014-57 du 27 janvier 2014 relative aux modalités de mise en œuvre des conventions conclues entre les organismes d'assurance maladie complémentaire et les professionnels, établissements et services de santé.

24. Fédération Nationale des Opticiens de France, Communiqué de presse du 5 décembre 2011, cote 1165.

25. Décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-05 du 26 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Kalivia dans le secteur de l'optique-lunetterie, § 218-222.

26. Communiqué de presse du 25 septembre 2013, cote 4328.

27. Courrier du 4 mars 2016, cote 3922.

28. Courrier de Carte Blanche du 21 mars 2016, cotes 3990 et 4058.

29. Assurance complémentaire santé : les contrats collectifs gagnent du terrain, Etudes et résultats, DRESS, février 2016, numéro 0952.

30. Avis n° 09-A-46 du 9 septembre 2009 relatif aux effets sur la concurrence du développement de réseaux de soins agréés, § 69 à 71 et décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-05 du 26 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Kalivia dans le secteur de l'optique-lunetterie, § 161, 170 et 171.

31. Notice de soumission de candidature du fournisseur, cotes 138 à 169.

32. Procès verbal d'audition de Carte Blanche, cotes 3347 et 3348.

33. Réseau optique 2016, convention opticiens, cotes 273 et 274.

34. Réseau optique 2016, convention opticiens, cotes 257 à 1117.

35. Procès verbal d'audition de Rodenstock, cote 4379.

36. Observations de Carte Blanche, cote 4318.

37. La part de marché est calculée en multipliant les 36 montures vendues par le nombre d'opticiens 7 632 adhérents de Carte Blanche, divisé par 13 millions, nombre de montures vendues par an en France.

38. Procès verbal d'audition d'Essilor, cote 4278.

39. Procès verbal d'audition de Carl Zeiss, cote 4263.

40. Procès verbal d'audition de Rodenstock, cote 4380.