CA Rouen, 1re ch. civ., 1 juin 2016, n° 15-04223
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Hygena cuisines (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lottin
Conseillers :
M. Samuel, Mme Feydeau-Thieffry
Avocats :
Mes Odekerken, Sedillot, Lelandais
Exposé du litige
M. André B. et Madame Evelyne R. épouse B. ont commandé à la SAS Cuisines Hygena la réalisation de leur cuisine en bois de chêne de style rustique (modèle " Gainsborough "), en souscrivant, moyennant une somme complémentaire de 99 euros, une extension de garantie de 5 ans s'ajoutant à la garantie contractuelle de base de 5 ans.
La livraison a été effectuée le 6 novembre 2006 et la facture, d'un montant de 4 693,68 euros, a été entièrement réglée.
A la fin de l'année 2012, les époux B., après avoir constaté une modification de teinte de certaines façades de leurs meubles de cuisine, ont sollicité la garantie de la société Cuisines Hygena qui a proposé de leur allouer une somme de 1 470 euros correspondant à 50 % du prix de la cuisine (hors service et sanitaires), en précisant que le remplacement des meubles était impossible en raison de l'arrêt de la production du modèle Gainsborough.
Faute d'accord entre les parties, une expertise amiable contradictoire a été diligentée par la Macif, assureur protection juridique des époux B., et confiée au cabinet PB Expertises qui a conclu à la mauvaise qualité de l'adjuvant utilisé dans le vernis des meubles, responsable du blanchiment de certaines façades, et à l'incidence de l'exposition de ces meubles aux rayons UV.
Par acte du 27 mars 2014, les époux B. ont assigné la société Cuisines Hygena devant le Tribunal d'instance du Havre sur le fondement de l'article 1641 du Code civil aux fins de la voir condamner à leur payer la somme de 5 792,98 euros correspondant au remplacement de l'ensemble des façades de leurs meubles de cuisine par un modèle de style similaire ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance et une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement rendu le 24 mars 2015, le Tribunal d'instance du Havre a adopté le dispositif suivant :
Condamne la SAS Hygena cuisines à payer à Monsieur André B. et Madame Evelyne B. les sommes suivantes :
- 2 500 euro en réparation de leur préjudice matériel,
- 650 euro en l'application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Rejette le surplus des demandes ;
Condamne la SAS Hygena cuisines aux dépens ;
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision.
Les époux B. ont interjeté le 2 septembre 2015 un appel total de cette décision.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 avril 2016.
Prétentions et moyens des parties
Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions remises au greffe par les époux B. le 15 mars 2016 et à celles remises au greffe par la société Hygena Cuisines (ci-après dénommée société Hygena) le 23 décembre 2015.
Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.
Les époux B. demandent à la cour de réformer la décision entreprise quant au montant de leur préjudice et de condamner la société Hygena à leur payer les sommes de :
- 5 792,98 euro au titre de la réparation de leur préjudice matériel ;
- 2 000 euro au titre de leur préjudice de jouissance ;
- 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Hygena, sur son appel incident, demande à titre principal à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de débouter les époux B. de l'ensemble de leurs demandes.
A titre subsidiaire, elle sollicite que soit déclarée satisfaisante sa proposition de verser aux époux B. la somme de 1 470 euros TTC en réparation du préjudice esthétique.
En tout état de cause, l'intimée conclut à la condamnation in solidum des appelants à lui verser la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Sur le fondement de la garantie des vices cachés
Pour écarter la garantie des vices cachés, le premier juge, après avoir considéré que l'action n'était pas prescrite, a retenu que ce fondement supposait l'existence d'un défaut grave et déterminant quant à l'utilité de la chose vendue, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, s'agissant d'une décoloration blanchâtre survenue sur certains éléments de la cuisine et n'empêchant nullement l'utilisation normale et le fonctionnement de celle-ci.
À l'appui de leur appel de ce chef, les époux B. font valoir que la garantie des vices cachés ne nécessite pas une impossibilité d'utiliser la chose vendue et s'apprécie au regard de la destination du bien pour lequel, s'agissant d'une cuisine équipée, l'aspect esthétique est essentiel.
L'intimée soutient pour sa part que l'action en garantie n'a pas été engagée dans le délai de deux ans prévu par la loi.
A cet égard, la société Hygena inverse la charge de la preuve en affirmant qu'il n'est pas démontré que la décoloration invoquée n'aurait commencé à se produire qu'à la fin de l'année 2012, alors que les époux B. exposent que les désordres sont apparus fin 2012 et qu'aucune preuve de ce qu'ils seraient apparus plus tôt n'est produite.
Toutefois, la cour, adoptant de ce chef les motifs du premier juge, confirmera le jugement en ce qu'il a retenu que le désordre esthétique invoqué ne constitue pas un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil, faute de compromettre l'usage de la cuisine ou d'être suffisamment grave.
Sur le fondement de la non-conformité
À titre subsidiaire, les appelants invoquent les dispositions des articles L. 211-5 et suivants du Code de la consommation pour soutenir que le désordre constitue un défaut de conformité, alors qu'ils pouvaient légitimement s'attendre à ce que les façades des meubles ne décolorent pas.
Toutefois, sous réserve des dispositions de l'article L. 211-7, la garantie légale prévue par ces textes concerne les défauts existant au moment de la livraison.
En l'espèce, il résulte des prétentions mêmes des appelants que les désordres sont survenus plusieurs années après la livraison, de telle sorte qu'il ne s'agit pas de défauts de conformité relevant de l'obligation de délivrance du vendeur.
Le jugement sera en conséquence également confirmé en ce qu'il a écarté ce fondement.
Sur le fondement de la garantie contractuelle
Pour s'opposer à l'application de la garantie contractuelle, la société Hygena fait valoir que les époux B. ne produisent pas " le document relatif aux conditions d'application de la garantie contractuelle de 10 ans ", dont il ne peut dès lors être démontré qu'elles sont réunies.
Elle conteste en outre les conclusions du rapport d'expertise, le jugeant partial et non démonstratif quant aux causes de l'origine du désordre.
Toutefois, ainsi que l'a souligné le premier juge, le document relatif à la garantie contractuelle ne comprend qu'une seule page sans verso et ne fait pas état de conditions particulières.
Il institue une garantie contractuelle d'une durée de cinq ans pour les meubles de cuisine, avec possibilité de souscription d'une extension supplémentaire de cinq ans " à compter du terme de la garantie contractuelle Hygena, dans les mêmes conditions ", pour laquelle les époux B. ont opté.
Ainsi que l'a souligné le tribunal au vu du tableau figurant sur ce document, la garantie, qu'elle soit de 5 ou 10 ans, ne concerne que les pièces et non la main d'œuvre ni le déplacement.
Contrairement à ce que prétend la société Hygena qui affirme que les conditions d'application de la garantie contractuelle ne sont pas réunies, il résulte du courrier qu'elle a adressé le 24 février 2013 aux époux B. que l'offre d'une somme de 1 470 euros leur a bien été faite en application du contrat ( " Dans le cadre de votre garantie 5+5 ans, nous sommes en mesure de vous proposer... ").
Enfin, sans qu'il soit besoin d'une expertise judiciaire, il résulte de la seule production des photographies versées aux débats que, contrairement à l'appréciation du premier juge, la décoloration constatée sur une partie des meubles est exclusivement liée à un défaut de fabrication et non pas, dans quelque proportion que ce soit, par une exposition excessive aux rayons de soleil comme l'avait retenu le rapport d'expertise, les désordres étant localisés sur certains éléments de cuisine et non pas sur d'autres, ce indépendamment de leur degré d'exposition à la lumière.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'un partage de responsabilité, étant observé qu'en toute hypothèse il n'est pas rapporté la preuve d'une exposition anormalement excessive des meubles à la lumière.
La société Hygena sera en conséquence déclarée entièrement responsable, sur le fondement de sa garantie contractuelle, des désordres ci-dessus évoqués et décrits dans le rapport d'expertise amiable.
Sur l'évaluation des préjudices
- préjudice matériel
Dès lors que la société Hygena, bien que s'étant engagée contractuellement sur une garantie de 10 ans, a cessé avant ce délai de produire le modèle " Gainsborough " et que son offre de remplacement ne concerne que des modèles forts différents au vu des pièces produites, les appelants sont fondés à prétendre au remplacement des meubles par un modèle d'une autre marque.
Ainsi que ci-dessus rappelé, la garantie contractuelle ne porte que sur le remplacement des pièces, à l'exception des frais de déplacement et de main-d'œuvre.
Le devis de l'entreprise Coquelin d'un montant de 5 792,98 euro TTC produit par les époux B. ne distinguant pas ces différents coûts, le préjudice matériel sera chiffré à partir de cette pièce et sur la base du pourcentage du coût de main d'œuvre tel que résultant de la facture de la société Hygena (27,75 % de main d'œuvre, soit 72,25 % de pièces).
Le préjudice matériel des époux B. sera ainsi fixé à la somme de 4 185,42 euros.
- préjudice de jouissance
Pour les débouter de leur demande à ce titre, le premier juge a considéré que les époux B. ne démontraient pas avoir subi un préjudice de jouissance dès lors qu'ils avaient toujours pu utiliser leur cuisine.
L'intimée fait valoir au surplus que ce préjudice n'était pas invoqué dans l'assignation initiale, qu'il n'est étayé par aucune pièce et qu'il fait double emploi avec la réparation du préjudice esthétique.
Toutefois, il résulte des photographies produites que, si la demande faite à ce titre par les époux B. est excessive, ils justifient bien d'un préjudice de jouissance pour avoir utilisé depuis fin 2012 et jusqu'au futur remplacement des meubles, qui constitue un préjudice distinct, une cuisine dont la teinte de certains éléments avait blanchi, présentant un ensemble disparate.
Il leur sera alloué de ce chef une somme de 1 000 euros.
Sur les autres demandes
Les dispositions du jugement entrepris relatives à l'application de l'article 700 seront confirmées.
La société Hygena sera déboutée de sa demande faite en cause d'appel au titre des frais irrépétibles et sera condamnée à payer au même titre aux époux B. la somme complémentaire mentionnée au dispositif.
Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, Condamne la société Hygena Cuisines à payer à M. André B. et à Madame Evelyne R. épouse B. les sommes de 4 185,42 en réparation de leur préjudice matériel et de 1 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance, Déboute la société Hygena Cuisines de sa demande faite en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Hygena Cuisines à payer une somme de 2 000 euros à M. André B. et à Madame Evelyne R. épouse B. au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, Condamne la société Hygena Cuisines à payer les dépens d'appel.