Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 6 ch. 4, 7 juin 2016, n° 13-03392

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Interlines (SAS), Paris Nord II

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Blanc

Conseillers :

Mmes Hunter Falck, Puig-Courage

Avocats :

Me Hubert, Gateau

CA Paris n° 13-03392

7 juin 2016

ARRET :

- Contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Bruno Blanc, Président et par Madame Chantal Huteau, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

Monsieur Z est engagé, le 10 septembre 2007, sur la base d'un contrat à durée indéterminée par la SAS Interlines en qualité d'agent d'exploitation.

Le 25 août 2009, Monsieur Z a donné par écrit sa démission indiquant dans son courrier que son départ de l'entreprise aurait lieu le 25 septembre 2009, après le délai de congé d'une durée d'un mois.

Monsieur Z a été, avec l'accord de la société, dispensé d'effectuer son préavis.

Le 26 septembre 2009, la société Interlines lui a remis son solde de tout compte avec le paiement du solde des congés payés, son certificat de travail et l'attestation Assedic.

Fin octobre 2009, la société a procédé au règlement de la contrepartie financière de clause de non concurrence insérée dans le contrat de travail du salarié en adressant à Monsieur Z dès son départ de l'entreprise, un chèque de 521,27 euro et le bulletin de salaire correspondant.

Le 4 novembre 2009, la société Interlines a déposé plainte à l'encontre de Monsieur Z et toutes autres personnes physiques ou morales, auteurs ou coauteurs ou complices, pour vol et complicité de vol des contrats de travail de Monsieur Z et de Monsieur Delgado appartenant à la société Interlines.

Le 9 novembre 2009, Monsieur Z a retourné à la société le bulletin de salaire et le chèque de 521,27 euro estimant n'être tenu par aucune clause de non concurrence. Il a demandé par ailleurs à la société de lui adresser une copie certifiée conforme de son ancien contrat de travail afin qu'elle apporte la preuve qu'il était tenu par une clause de non concurrence.

La société Interlines a saisi le Conseil des prud'hommes de Meaux le 19 février 2010 demandant la condamnation de Monsieur Z à lui verser la contrepartie financière prévue dans la clause de non concurrence en cas de non-respect de celle-ci et fixée à une indemnité équivalente à 12 mois de salaire brut, soit 31 260 euro, ainsi que 50 000 euro de dommages intérêts complémentaires pour concurrence déloyale.

Par jugement correctionnel du 1er avril 2011, le Tribunal de grande instance de Meaux a déclaré M. Z coupable de vol avec destruction ou dégradation commis au mois d'août 2009 et condamné ce dernier à un emprisonnement délictuel de trois mois avec sursis, déclaré M. Delgado coupable de recel de bien provenant d'un vol commis au mois d'août 2009 et condamné ce dernier à un emprisonnement délictuel de trois mois avec sursis.

Par ce même jugement, le Tribunal de grande instance de Meaux a condamné in solidum M.

Z et M. Delgado à payer à la société Interlines, partie civile, la somme de 20 000 euro au titre de dommages et intérêts, ainsi que 1 500 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Par arrêt du 17 septembre 2013, la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du Tribunal de grande instance de Meaux du 1er avril 2011 en toutes ses dispositions pénales.

Par jugement du 26 février 2013, le Conseil de prud'hommes de Meaux a condamné Monsieur Z à verser à la SAS Interlines les sommes de 31 260 euro à titre d'indemnité de clause pénale pour non-respect de la clause de non concurrence et 850 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, dit que ces condamnations seront assorties des intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement pour les sommes indemnitaires, débouté la SAS Interlines du surplus de ses demandes, débouté Monsieur Z de sa demande reconventionnelle, et condamné Monsieur Z aux entiers dépens.

Monsieur Z a interjeté appel de ce jugement.

Vu les conclusions en date du 4 mai 2016 au soutien de ses observations orales par lesquelles Monsieur Z demande à la cour de :

- infirmer dans toutes ses dispositions le jugement prononcé le 26 février 2013 par le Conseil de prud'hommes de Meaux,

statuant à nouveaux,

- débouter la société Interlines de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- dire et juger illicite la clause de non-concurrence et prononcer la nullité de cette clause,

- condamner la société Interlines à payer à Monsieur Z la somme de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts,

- à titre subsidiaire, constater le caractère excessif du montant de la clause pénale et en réduire son montant à zéro,

- en tout état de cause, condamner la société Interlines à payer à Monsieur Z la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et condamner la société Interlines aux entiers dépens.

Vu les conclusions en date du 4 mai 2016 au soutien de ses observations orales par lesquelles la société Interlines demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris,

- débouter Monsieur Z de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Monsieur Z à payer à la société Interlines la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner Monsieur Z aux entiers dépens.

SUR CE,

Sur l'illicéité de la clause de non concurrence :

Considérant que la clause insérée dans le contrat de travail de Monsieur Z est rédigée de la manière suivante :

Article 11 : clause de non concurrence

Compte tenu de l'importance de la nature des fonctions exercées par Monsieur Yoann Z, celui-ci, en cas de rupture des relations contractuelles pour quelque cause que ce soit, s'interdira d'entrer en relation commerciale directe ou indirecte, et d'avoir toutes activités avec les clients de la société Interlines, répertoriées à la date du départ de Monsieur Yoann Z.

1. Limitation dans le temps et dans l'espace

L'interdiction d'entrer en relation commerciale directe ou indirecte, et d'avoir toutes activités avec les clients de la société Interlines, commencera à compter du jour de la rupture des relations contractuelles et sera valable pendant une durée de 12 mois comme déjà dit en rapport avec les clients quelles que soient leurs zones géographiques.

2. Contrepartie financière

Pendant toute la durée de l'interdiction, il sera versé chaque mois à Monsieur Yoann Z une somme égale à 20 % de sa rémunération mensuelle calculée sur les 12 derniers mois.

La société Interlines se réserve le droit de dispenser Monsieur Yoann Z de l'exécution de la clause de non concurrence ou d'en déduire la durée, auquel cas la partie financière ne sera plus due.

3. Conséquences de l'infraction à l'obligation de non concurrence

En cas d'infraction, Monsieur Yoann Z s'exposerait au paiement immédiat, à titre de clause pénale sans qu'il soit besoin de remplir une quelconque formalité judiciaire ou autre, d'une indemnité équivalente à 12 mois de salaire brut.

Le paiement de cette somme n'est pas exclusif du droit que la société se réserve de poursuivre Monsieur Yoann Z au remboursement du préjudice effectivement subi, et de faire ordonner sous astreinte, la cessation de l'activité concurrentielle.

Considérant que Monsieur Z fait valoir que la clause de non concurrence ne contient aucune limitation dans l'espace et que le type d'activité n'est pas non plus précisé ; qu'il ne pouvait exercer aucune activité professionnelle quelle qu'elle soit, ni en France, ni en Europe, ni à l'international où sont situés les clients de la société Interlines ; que cette clause porte indéniablement atteinte à la liberté du travail ;

Considérant que la société Interlines fait valoir que la clause de non concurrence est nécessaire à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise car, en tant qu'affréteur au sein de celle-ci, Monsieur Z était en contact direct avec ses clients et les transporteurs ; qu'elle est limitée dans le temps, d'une durée de douze mois et également dans l'espace ; qu'en effet, la limitation dans l'espace n'est pas géographique mais professionnelle ; que la clause qui interdit Monsieur Z pendant un an d'entrer en contact avec les clients de la société, ne pouvait en conséquence, pas pour avoir pour conséquence de lui interdire de travailler et d'exercer une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle ; que la clause de non concurrence comporte une contrepartie financière qui respecte la proportionnalité avec la limitation apportée à la liberté professionnelle de Monsieur Z ;

Considérant que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;

Considérant qu'une clause selon laquelle il est fait interdiction à un salarié, durant une période déterminée, d'entrer en relation, directement ou indirectement, et selon quelque procédé que ce soit, avec la clientèle qu'il avait démarchée lorsqu'il était au service de son ancien employeur est une clause de non-concurrence ; que cette clause n'est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives ;

Considérant que la restriction imposée au salarié par cette clause n'est pas strictement limitée dans la mesure où elle lui fait interdiction d'entrer en contact avec les clients de la société sans qu'aucune limitation géographique ne soit prévue ;

Considérant qu'au surplus, cette interdiction d'entrer en contact avec les clients de la société Interlines sans limitation géographique empêche le salarié de retrouver un emploi conforme à son expérience professionnelle, qui est celle d'agent d'exploitation dans le domaine des transports ; qu'en effet, la clause vise 'les clients de la société Interlines, répertoriées à la date du départ de Monsieur Yoann Z', ce qui inclut tous les clients avec qui la société Interlines a contracté durant toute l'étendue de son activité ;

Considérant qu'en conséquence, il convient de prononcer la nullité de la clause de non concurrence ;

Considérant que la stipulation dans le contrat de travail d'une clause de non-concurrence nulle cause nécessairement un préjudice au salarié ;

Considérant qu'en l'espèce, les pièces produites établissent que Monsieur Z a créé une société ayant une activité de commissionnaire de transport et de conseil nommée Comitem dont les statuts, signés le 20 novembre 2009, établissent qu'il est l'actionnaire majoritaire ; que Monsieur Z a créé une deuxième société nommée la SARL Consult Fret ayant une activité de commissionnaire de transport et de conseil, dont les statuts, signés le 1er février 2010, établissent qu'il est l'actionnaire majoritaire ; que Monsieur Z est gérant des deux sociétés ;

Considérant que la clause de non concurrence n'a pas empêché Monsieur Z de constituer ces sociétés et exercer son activité professionnelle dans le domaine du transport avec certains clients de la société Interlines ; qu'en effet, les pièces produites établissent que la société Consult Fret a conclu le 1er janvier 2010 un contrat de consulting avec la société Defta Services, un client de la société Interlines ;

Considérant que Monsieur Z ne produit aucune pièce établissant le montant de son préjudice que la production de son avis d'imposition de 2015 n'est pas pertinente ;

Considérant néanmoins que le préjudice de Monsieur Z est nécessairement causé par la stipulation de la clause de non concurrence nulle ; qu'en conséquence, la société Interlines devra verser à Monsieur Z une somme d'un montant de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts

Sur la demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :

Considérant que l'équité et la situation économique respective des parties justifient que les demandes ces dernières au titre de l'article 700 du Code de procédure civile soient rejetées ;

Par ces motifs INFIRME le jugement déféré, et statuant à nouveau, PRONONCE la nullité de la clause de non concurrence ; CONDAMNE la société Interlines à payer à Monsieur Z la somme de 1 000 euro à titre de dommages et intérêts ; DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ; LAISSE aux parties la charge des dépens.