Cass. com., 21 juin 2016, n° 14-22.710
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Union des groupements de pharmaciens d'officine, Direct labo (SA), Univers pharmacie (SAS)
Défendeur :
Coopérative Groupements d'achats des centres Leclerc (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Monod, Colin, Stoclet
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 11 juin 2014), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 27 avril 2011, pourvoi n° 10-15.648), que la société coopérative Groupement d'achat Edouard Leclerc (la société Galec) a mené une campagne de communication sur le prix des médicaments non remboursés ; que cette campagne avait pour slogan " En France, le prix d'un même médicament peut varier du simple au triple : il faut changer de traitement ! " et comportait un texte illustré du dessin d'un verre d'eau dans lequel se dissout une pièce d'un euro à l'image d'un comprimé effervescent ; que les sociétés Univers pharmacie et Direct labo et l'Union des groupements de pharmaciens d'officine (l'UGDPO), estimant qu'une telle campagne avait pour effet de dénigrer et de discréditer l'ensemble du secteur de la pharmacie, ont saisi le tribunal de grande instance en vue d'obtenir sa cessation ainsi que l'indemnisation de leur préjudice ;
Attendu que les sociétés Univers pharmacie et Direct labo et l'UGDPO font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen : 1°) que la divulgation d'une information sur les produits, services ou prestations d'un concurrent potentiel, en des termes insuffisamment mesurés, constitue un dénigrement, peu important que cette information soit en tout ou partie exacte ; qu'en l'espèce, pour contester le monopole des officines de pharmacie en matière de vente de médicaments non remboursés, la publicité litigieuse avait recours à des formules outrancières, " il faut changer de traitement ! ", " c'est inacceptable ! ", " pourquoi s'acharne-t-on à préserver le monopole officinal ? " ; qu'en s'abstenant pourtant d'en déduire l'existence d'un dénigrement, malgré le caractère insuffisamment mesuré des termes employés, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 2°) que la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur les produits, services ou prestations d'un concurrent potentiel constitue un dénigrement, peu important que cette information soit en tout ou partie exacte ; qu'en l'espèce, la publicité litigieuse stigmatisait les prix pratiqués par les officines de pharmacie sur les médicaments non remboursés, l'incapacité des officines de pharmacie à assurer une transparence des prix malgré les demandes du ministre de la santé, et les effets pervers d'un monopole qui empêcherait une vraie concurrence permettant une diminution du prix des médicaments non remboursés ; que cette publicité, dont la cour d'appel a elle-même relevé qu'elle consistait en une " critique des prix pratiqués " et une " présentation critique des pratiques commerciales " des officines de pharmacie, divulguait donc une information de nature à jeter le discrédit sur les pratiques de ces officines et constituait dès lors un dénigrement, peu important d'ailleurs que certaines de ses allégations soient ou non exactes ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 3°) que la divulgation d'une information mensongère discréditant un concurrent potentiel constitue un dénigrement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé l'existence d'une véritable concurrence entre officines de pharmacie ; qu'en jugeant pourtant que la publicité litigieuse, soutenant que seule l'ouverture du marché aux parapharmacies Leclerc permettrait d'établir une " vraie concurrence ", ne constituait pas un dénigrement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 1382 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 4°) que la divulgation d'une information mensongère discréditant un concurrent potentiel constitue un dénigrement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que l'allégation du dirigeant du groupe Leclerc selon laquelle il pourrait proposer des médicaments à des prix inférieurs de 50 % à ceux actuellement pratiqués était " invérifiable " et " fallacieuse ", certaines pharmacies, notamment celles rattachées au réseau Univers pharmacie, proposant déjà des prix très bas ; qu'en jugeant pourtant que la publicité litigieuse, soutenant que seule l'ouverture du marché aux parapharmacies Leclerc permettrait de faire baisser les prix, ne constituait pas un dénigrement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 1382 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 5°) que la divulgation d'une information mensongère discréditant un concurrent constitue un dénigrement ; qu'en l'espèce, la publicité litigieuse, faisant état des " prix E. Leclerc " qui seraient systématiquement inférieurs à ceux pratiqués dans les officines de pharmacie, réclamait non seulement la possibilité pour les parapharmacies Leclerc de commercialiser des médicaments non remboursés, mais avait également pour objet et pour effet d'indiquer au consommateur que le prix des articles de parapharmacie d'ores et déjà vendus par les parapharmacies Leclerc était inférieur au prix des articles de parapharmacie vendus en officine de pharmacie ; qu'en s'abstenant de rechercher si cette allégation était justifiée, ce qui était contesté, les sociétés Univers pharmacie et Direct labo et l'UGDPO produisant des pièces établissant que les produits de parapharmacie les plus vendus en France étaient moins chers dans certaines officines que dans les parapharmacies Leclerc, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; 6°) que le juge ne peut pas statuer par des motifs inopérants ; qu'en expliquant dès lors que " le parasitisme ou l'atteinte à l'honorabilité et aux qualités professionnelles des pharmaciens n'ont pas été jugés assez caractérisés pour que les organismes et ordres professionnels défendant les intérêts collectifs des pharmaciens, hormis l'UDGPO, estiment nécessaire d'agir en justice ", motifs radicalement impropres à exclure la concurrence déloyale invoquée par les sociétés Univers pharmacie et Direct labo et l'UGDPO, dont l'intérêt à agir n'était pas discuté, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ; 7°) que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, les sociétés Univers pharmacie et Direct labo et l'UGDPO soutenaient que la société Galec s'était rendue coupable d'un autre acte de concurrence déloyale, en discréditant les officines de pharmacie par la manière dont elle avait fait mention sur son site internet de la décision de première instance la condamnant, produisant à cette fin la reproduction de l'extrait litigieux ; qu'en écartant les faits de concurrence déloyale invoqués sans répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant, par une décision motivée, constaté que la campagne litigieuse, tout en constituant une revendication en faveur des intérêts commerciaux des centres Leclerc et en appelant à une vraie concurrence, s'insérait dans un débat d'actualité sur la question du maintien du monopole des pharmaciens en ce qui concerne la vente des médicaments non remboursés et était destinée, conformément à une démarche courante, à transmettre aux consommateurs le message que les centres Leclerc sont capables d'offrir les prix les plus bas possibles, la cour d'appel, qui a écarté le caractère mensonger de l'information et n'a pas relevé que celle-ci était divulguée en des termes non mesurés, a pu, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la sixième branche, en déduire que cette campagne de communication ne cherchait pas à ternir la réputation des pharmaciens, mais seulement à remettre en cause leur monopole, en sorte qu'elle ne constituait pas un dénigrement des pharmaciens et officines de pharmacie ;
Et attendu, en second lieu, que sous le couvert d'un grief de défaut de réponse à conclusions, le moyen critique en sa septième branche une omission de statuer, laquelle peut être réparée par la procédure prévue par l'article 463 du code de procédure civile ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses sixième et septième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.