Cass. com., 21 juin 2016, n° 14-22.709
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Univers pharmacie (SAS)
Défendeur :
Union des groupements de pharmaciens d'officine
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Monod, Colin, Stoclet
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 11 juin 2014, n° RG 13-01206), que la société coopérative Groupements d'achats des centres Leclerc (la société Galec) a mené une campagne de communication sur le prix des médicaments non remboursés ; que cette campagne comportait deux affiches ayant respectivement comme slogan " Etes-vous assez riches pour avoir mal à la tête ? " et " Aujourd'hui pour soulager les jambes lourdes, il faut le budget qui va avec ", suivi de la réponse " Oui aux médicaments non remboursés à prix E. Leclerc " et comportant un texte identique illustré, pour la première, d'un dessin de comprimés empilés et, pour la seconde, d'un dessin figurant un verre à pied dont le fond contient un liquide et, à proximité du verre, une ampoule brisée ; que la société Univers pharmacie et l'Union des groupements de pharmaciens d'officine (l'UGDPO), estimant que cette campagne constituait une pratique commerciale déloyale et avait pour effet de dénigrer et de discréditer l'ensemble du secteur de la pharmacie, ont saisi le tribunal de grande instance en vue d'obtenir sa cessation ainsi que l'indemnisation de leur préjudice ;
Attendu que la société Univers pharmacie et l'UGDPO font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen : 1°) que le juge ne peut pas méconnaître l'objet du litige ; qu'en l'espèce, au soutien de leurs demandes, la société Univers pharmacie et l'UGDPO invoquaient l'existence de pratiques déloyales au sens de l'article L. 120-1 du Code de la consommation ; qu'en jugeant, pour écarter les griefs formulés, que seule serait invoquée une " publicité trompeuse ", incriminée à l'article L. 121-1 du Code de la consommation, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, violant ainsi les articles 4 et 5 du Code de procédure civile ; 2°) que sont prohibées les pratiques commerciales déloyales, c'est-à-dire les pratiques contraires aux exigences de la diligence professionnelle et susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service ; que la déloyauté peut s'évincer des seuls titres et passages très apparents d'un support de communication, à l'exclusion des passages en très petits caractères qui ne sont pas lus par un consommateur moyen ; qu'en l'espèce, la campagne publicitaire litigieuse se bornait, dans ses passages très apparents, à soulever un problème ("Etes-vous assez riche pour avoir mal à la tête ? " ou " Aujourd'hui, pour soulager les jambes lourdes, il faut le budget qui va avec "), à proposer une solution simple à ce problème (" Oui aux médicaments "non remboursés" à prix E. Leclerc ") sous la signature de " La parapharmacie E. Leclerc ", laissant ainsi faussement croire aux consommateurs moyens que les parapharmacies du groupe Leclerc pouvaient d'ores et déjà vendre des médicaments non remboursés, message qui était susceptible d'altérer le comportement des consommateurs en les attirant dans ces parapharmacies sur la foi d'une information erronée ; qu'en se bornant, par motifs éventuellement adoptés, à analyser les publicités litigieuses dans leur ensemble, et non dans leurs seuls passages lisibles de manière évidente, pour juger que le message était parfaitement clair quant à l'interdiction faite au groupe Leclerc de vendre des médicaments, la cour d'appel a violé l'article L. 120-1 du Code de la consommation ; 3°) que sont prohibées les pratiques commerciales déloyales, c'est-à-dire les pratiques contraires aux exigences de la diligence professionnelle et susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service ; qu'en l'espèce, pour écarter l'existence de pratiques commerciales déloyales, la cour d'appel a estimé, par motifs éventuellement adoptés, que l'on rechercherait vainement, dans les publicités litigieuses, des allégations trompeuses sur le médicament allant à l'encontre des messages de santé publique dans le seul but d'attirer le consommateur dans les parapharmacies Leclerc ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme cela était soutenu, si le message publicitaire litigieux ne se livrait pas à un plaidoyer pour la vente de médicaments non remboursés, contraire au message de santé publique de lutte contre la consommation abusive de médicaments, et ceci même lorsque ces médicaments n'étaient pas adaptés à la maladie visée, en particulier en cas de " jambes lourdes ", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 120-1 du Code de la consommation ; 4°) que la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur les produits, services ou prestations d'un concurrent potentiel constitue un dénigrement, peu important que cette information soit en tout ou partie exacte ; qu'en l'espèce, la publicité litigieuse stigmatisait les prix pratiqués par les officines de pharmacie sur les médicaments non remboursés et les effets pervers d'un monopole qui empêcherait une vraie concurrence permettant une diminution du prix des médicaments non remboursés ; que cette publicité, dont la cour d'appel a elle-même relevé qu'elle consistait en une " critique des prix pratiqués " et une " présentation critique des pratiques commerciales " des officines de pharmacie, divulguait donc une information de nature à jeter le discrédit sur les pratiques de ces officines et constituait dès lors un dénigrement, peu important d'ailleurs que certaines de ses allégations soient ou non exactes ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1382 du Code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 5°) que la divulgation d'une information mensongère discréditant un concurrent potentiel constitue un dénigrement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé l'existence d'une véritable concurrence entre officines de pharmacie ; qu'en jugeant pourtant que la publicité litigieuse, soutenant que seule l'ouverture du marché aux parapharmacies Leclerc permettrait d'établir une " vraie concurrence ", ne constituait pas un dénigrement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 1382 du Code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 6°) que la divulgation d'une information mensongère discréditant un concurrent potentiel constitue un dénigrement ; qu'en l'espèce, la société Univers pharmacie et l'UGDPO contestaient l'affirmation de la publicité litigieuse selon laquelle les parapharmacies Leclerc seraient à même de vendre les médicaments non remboursés à des prix systématiquement moins élevés que ceux pratiqués par les officines de pharmacies, soulignant à ce titre l'absence de comparaison possible entre les deux canaux de distribution ; qu'en s'abstenant de vérifier que les allégations de la société Galec sur ce point étaient justifiées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 7°) que la divulgation d'une information mensongère discréditant un concurrent constitue un dénigrement ; qu'en l'espèce, la publicité litigieuse, faisant état des " prix E. Leclerc " qui seraient systématiquement inférieurs à ceux pratiqués dans les officines de pharmacie, réclamait non seulement la possibilité pour les parapharmacies Leclerc de commercialiser des médicaments non remboursés, mais avait également pour objet et pour effet d'indiquer au consommateur que le prix des articles de parapharmacie d'ores et déjà vendus par les parapharmacies Leclerc était inférieur au prix des articles de parapharmacie vendus en officine de pharmacie ; qu'en s'abstenant de rechercher si cette allégation était justifiée, ce qui était contesté, la société Univers pharmacie et l'UGDPO produisant des pièces établissant que les produits de parapharmacie les plus vendus en France étaient moins chers dans certaines officines que dans les parapharmacies Leclerc, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 du Code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 8°) que le juge ne peut pas statuer par des motifs inopérants ; qu'en expliquant dès lors que " le parasitisme ou l'atteinte à l'honorabilité et aux qualités professionnelles des pharmaciens n'ont pas été jugés assez caractérisés pour que les organismes et ordres professionnels défendant les intérêts collectifs des pharmaciens, hormis l'UDGPO, estiment nécessaire d'agir en justice ", motifs radicalement impropres à exclure la concurrence déloyale invoquée par la société Univers pharmacie et l'UGDPO, dont l'intérêt à agir n'était pas discuté, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel, en relevant qu'" en l'état de la législation, les médicaments non remboursés ne sont pas commercialisés par Leclerc et ne peuvent l'être, de sorte qu'il ne peut être reproché à Galec d'avoir effectué une publicité trompeuse ", n'a pas dit que seule serait invoquée une publicité trompeuse incriminée à l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; que le moyen, en sa première branche, manque en fait ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'arrêt, par motifs adoptés, retient, d'abord, que les messages publicitaires ne comportent ni fausse allégation sur l'augmentation du coût des médicaments du fait de leur déremboursement, ni allégations trompeuses sur le médicament allant à l'encontre des messages de santé publique dans le seul but d'attirer le consommateur dans les parapharmacies des centres Leclerc, la vente des médicaments n'étant pas banalisée et restant, aux termes de ces publicités, l'apanage du pharmacien diplômé d'Etat ; qu'il retient, ensuite, qu'en présentant les centres Leclerc comme aptes à vendre des médicaments, si une modification de la loi le leur permettait, aux prix bas qu'ils pratiquent, ces publicités ne trompent pas le consommateur même peu avisé, qui tout au plus déplorera l'interdiction actuelle ; qu'en l'état de ces appréciations, faisant ressortir que les publicités litigieuses n'étaient pas contraires aux exigences de la diligence professionnelle ni susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, la cour d'appel, qui a, à juste titre, pris en considération les messages dans leur ensemble et qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu statuer comme elle a fait ;
Et attendu, en dernier lieu, qu'ayant, par une décision motivée, constaté que la campagne publicitaire de la société Galec, tout en constituant une revendication en faveur des intérêts commerciaux des centres Leclerc et en appelant à une vraie concurrence, s'insérait dans un débat d'actualité sur le maintien du monopole des pharmaciens en ce qui concerne la vente des médicaments non remboursés, la cour d'appel, qui a écarté le caractère mensonger de l'information et n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la huitième branche, en déduire que cette campagne de communication ne cherchait pas à ternir la réputation des pharmaciens, mais seulement à remettre en cause leur monopole, en sorte qu'elle ne constituait pas un dénigrement des pharmaciens et officines de pharmacie ; d'où il suit que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses première et huitième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.