Cass. com., 21 juin 2016, n° 15-10.028
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Sivade, Souchon (ès qual.), Ambre marine (Sté)
Défendeur :
Casapizza France (SAS), Dasa (SAS), Blanc (ès qual.), Dauverchain (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Bénabent, Jéhannin, SCP Richard, SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Casapizza France (la société Casapizza), après avoir remis à M. Sivade et à son épouse, Mme Michel (Mme Sivade), un document d'information précontractuelle, a conclu avec la société Ambre marine (la société Ambre), constituée par ces derniers et dont Mme Sivade est gérante, un contrat de franchise ; que la société Ambre et Mme Sivade ont assigné la société Casapizza en nullité du contrat de franchise et en réparation de divers préjudices ; que la société Ambre a été mise en redressement puis en liquidation judiciaires, M. Souchon, désigné liquidateur, reprenant l'action engagée par elle ; que la société Casapizza a été placée sous sauvegarde de justice, Mme Dauverchain et la société FHB, désignées respectivement mandataire et administrateur judiciaires, intervenant à l'instance aux côtés de celle-ci ;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que M. Souchon, ès qualités, et Mme Sivade font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à la condamnation de la société Casapizza au paiement d'une certaine somme en réparation de leur manque à gagner alors, selon le moyen, que la partie de bonne foi à un contrat annulé est fondée à obtenir la condamnation de la partie fautive à réparer l'ensemble des préjudices résultant de la conclusion du contrat annulé ; qu'elle a ainsi droit à l'indemnisation non seulement des pertes subies, mais également du gain qu'elle aurait perçu en l'absence de conclusion du contrat annulé, lequel peut notamment correspondre aux bénéfices qu'elle aurait tirés de la conclusion d'un contrat similaire avec un tiers ; qu'en l'espèce, en concluant un contrat de franchise entaché de nullité, la société Ambre marine s'est trouvée dans l'impossibilité de conclure un autre contrat, qui lui aurait permis d'obtenir des gains similaires à ceux escomptés du contrat annulé ; que M. Souchon, ès qualités, sollicitait donc la réparation d'un gain manqué, évalué à partir des bénéfices attendus de la franchise ; que pour rejeter cette demande de réparation, la cour d'appel s'est bornée à retenir le contrat annulé étant censé ne jamais avoir existé, M. Souchon, ès qualités, ne pouvait réclamer l'indemnisation du préjudice correspondant aux résultats que la société Ambre marine était en droit d'attendre de l'exploitation de la franchise ; qu'en ne recherchant pas si la conclusion du contrat de franchise annulé n'avait pas placé la société Ambre marine dans l'impossibilité de conclure un autre contrat qui lui aurait permis d'obtenir des gains similaires à ceux escomptés du contrat annulé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que, dans leurs écritures d'appel, les demandeurs n'invoquaient pas de préjudice pour perte de chance ; que l'arrêt retient que le contrat annulé étant censé n'avoir jamais existé, la franchisée ne peut, sauf à méconnaître les conséquences de la nullité prononcée, réclamer l'indemnisation d'un préjudice financier correspondant au défaut d'obtention de résultats commerciaux qu'elle eût été en droit d'attendre de l'exploitation de la franchise en sorte que la demande relative au gain manqué doit être rejetée ; qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen : - Attendu que M. Souchon, ès qualités, et Mme Sivade font grief à l'arrêt de dire Mme Sivade irrecevable en ses demandes relatives au remboursement de son apport en capital et de son compte courant d'associée alors, selon le moyen, que si le liquidateur judiciaire a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers d'une société en liquidation judiciaire, un créancier est recevable à introduire une action individuelle pour demander la réparation d'un préjudice personnel et distinct de celui causé aux autres créanciers ; qu'il en va notamment ainsi de la demande formée par un associé à l'encontre d'un tiers en vue d'obtenir le remboursement de l'avance en compte courant ou de l'apport en capital que ce dernier l'a conduit à réaliser ; qu'en retenant, au contraire, que les demandes formées par Mme Sivade au titre de l'avance en compte courant et de l'apport en capital que la société Casapizza l'avait conduite à réaliser, en sa qualité d'associée de la société Ambre marine, seraient irrecevables, en ce que seul le liquidateur de la société aurait qualité à agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers, la cour d'appel a violé les articles L. 622-20 et L. 641-4 du Code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt relève qu'aux termes des articles L. 622-20 et L. 641-4 du Code de commerce dans leur rédaction applicable, le liquidateur judiciaire de la société Ambre a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif de ses créanciers ; que la cour d'appel en a exactement déduit que les demandes de Mme Sivade, au titre de son compte courant d'associée et de son apport en capital, en ce qu'elles ont trait à une fraction du préjudice collectif subi par l'ensemble des créanciers, sont distinctes de celles tendant à l'indemnisation de préjudices personnels ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le cinquième moyen : - Attendu que M. Souchon, ès qualités, et Mme Sivade font grief à l'arrêt de rejeter la demande de Mme Sivade tendant à la garantie de ses engagements de caution par la société Casapizza alors, selon le moyen : 1°) que pour s'opposer à toute garantie de Mme Sivade au titre des demandes en paiement formées à son encontre au titre de son engagement de caution, la société Casapizza faisait simplement valoir que Mme Sivade n'aurait pas d'intérêt né et actuel à obtenir une telle garantie et que son préjudice ne serait qu'éventuel ; qu'elle ne contestait en revanche nullement l'existence du cautionnement consenti par Mme Sivade ; que la société Korus ne discutait pas d'avantage l'existence de ce cautionnement ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de l'absence de production des actes de caution, sans avoir préalablement invité les parties à s'en expliquer, cependant que l'existence de l'engagement de caution souscrit par Mme Sivade n'était pas contestée, la cour d'appel a méconnu le principe du contradictoire et ainsi violé l'article 16 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en retenant, pour débouter Mme Sivade de sa demande de garantie au titre de son engagement de caution, que les actes de caution n'étaient pas produits, cependant que l'existence de cet engagement de caution était acquise aux débats puisqu'elle n'avait été contestée par aucune des parties, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et ainsi violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile ; 3°) qu'à l'appui de sa demande de garantie des sommes demandées par la banque LCL au titre de l'engagement de caution qu'elle avait souscrit en garantie du remboursement d'une partie du prêt consenti à la société Ambre marine, Mme Sivade produisait une lettre datée du 30 juin 2009, aux termes de laquelle la banque lui indiquait que, dans la mesure où la société Ambre marine faisait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire et que le prêt qui lui avait été accordé était resté impayé depuis le 10 juin 2009, il " appart[enait] " à Mme Sivade de " prendre [ses] dispositions afin de régler à bonne date les échéances à échoir de ce prêt " et qu'à défaut, la banque se verrait " en droit de prononcer la déchéance du terme et d'engager le recouvrement judiciaire de [ses] créances " ; qu'en retenant cependant que Mme Sivade ne justifiait pas de la mise en œuvre de ses engagements de caution, la cour d'appel a dénaturé, par omission, les termes clairs et précis de la lettre du 30 juin 2009, en violation de l'article 1134 du Code civil et de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ; 4°) qu'est réparable le préjudice qui, bien que futur, constitue la prolongation certaine et directe d'un état de choses actuel et est susceptible d'estimation immédiate ; que Mme Sivade demandait que la société Casapizza la garantisse des sommes qu'elle allait devoir payer à la banque LCL, au titre de l'engagement de caution qu'elle avait souscrit en garantie du remboursement d'une partie du prêt consenti à la société Ambre marine, soit une somme de 471 500 euros, outre les frais et accessoires ; que, bien que futur, le préjudice résultant de cette obligation de paiement était certain, puisque le prêt consenti à la société Ambre marine était demeuré impayé pour un montant supérieur à celui du cautionnement et que cette société avait été placée en liquidation judiciaire ; qu'en jugeant, au contraire, qu'il s'agissait d'un " dommage hypothétique ", la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que, sous le couvert de griefs infondés de méconnaissance du principe du contradictoire et des termes du litige, ainsi que de dénaturation de documents et d'appréciation erronée du préjudice, le moyen, qui ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par les juges du fond de la valeur et de la portée des éléments de preuve, n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Vu l'article 1382 du Code civil ; - Attendu que pour limiter le montant de la réparation du fait du manquement de la société Casapizza à son obligation d'information précontractuelle, l'arrêt, après avoir relevé que la société Ambre n'avait pas commis d'erreur de gestion, retient qu'elle avait une part d'autonomie et d'initiative dans la gestion ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans constater le caractère fautif de cette gestion, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et sur le troisième moyen : - Vu les articles 4, 5 et 16 du Code de procédure civile ; - Attendu que l'arrêt fixe la créance de la société Casapizza au passif de la procédure collective de la société Ambre, à titre chirographaire, à la somme de 4 000 euros hors taxes, à titre d'indemnité, en contrepartie des prestations non restituables, dont celle-ci a bénéficié ;
Qu'en statuant ainsi, sans inviter préalablement les parties à s'expliquer sur l'octroi d'une telle indemnité alors que la société Casapizza n'avait présenté aucune demande de ce chef, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il se prononce sur le montant de la réparation du fait du manquement de la société Casapizza France à son obligation d'information précontractuelle, en ce qu'il fixe la créance de la société Casapizza France en contrepartie de prestations non restituables et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 21 octobre 2014, entre les parties, par la Cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Montpellier, autrement composée.