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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 juin 2016, n° 14-03092

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commerce Développement Franchise International (SA) ; Rafoni (ès qual.)

Défendeur :

Adelaïde (SARL), Weil (ès qual.), Koch (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mme Mouthon-Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Foucher, Porteu de La Morandière

T. com. Paris, du 4 déc. 2013

4 décembre 2013

Faits et procédure

La société anonyme Commerce Développement Franchise International (CDFI) a développé sous la marque " Histoire de Pains ", un concept de boulangerie organisé en réseau de franchisés.

Le 10 mai 2008, la société CDFI et M. Muller ont conclu un contrat d'option en vue de l'implantation d'une boulangerie en Alsace et le 5 décembre 2009, la société CDFI et la SARL Adelaïde, représentée par son gérant, M. Muller ont signé un contrat de franchise pour l'exploitation d'un fonds de commerce à Mittelwhir sous l'enseigne "Histoire de Pains", pour une durée initiale de 9 ans et moyennant le paiement d'une redevance mensuelle proportionnelle au chiffre d'affaires réalisé.

Invoquant l'ouverture d'un magasin à l'enseigne "Boulangerie Artisanale" sans lien avec le réseau de franchise "Histoire de Pains" et soutenant que la société Adelaïde n'avait pas respecté ses engagements et ce, en dépit de relances réitérées afin de régularisation de sa situation, la société CDFI a, par exploit du 1er février 2012, assigné la société Adelaïde devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de faire constater que le contrat de franchise en date du 5 décembre 2009 est résilié aux torts exclusifs de la société Adelaïde depuis le 7 avril 2010, et de la voir condamnée au paiement de dommages et intérêts au titre de la résiliation anticipée du contrat, du trouble commercial et des factures de matériel demeurées impayées.

En cours de procédure, par jugement du 10 avril 2012 du Tribunal de commerce de Colmar, la SARL Adelaïde a été placée en redressement judiciaire, Me Claude Weil étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire et Me Koch de mandataire judiciaire et par jugement du 18 juin 2013, un plan de redressement a été arrêté, Me Claude Weil étant désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan. La société CDFI a déclaré sa créance le 10 mai 2012.

En cours de délibéré, la société CDFI a fait l'objet d'un redressement judiciaire par jugement du Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en date du 25 juillet 2013 et Me Dominique Rafoni a été désigné en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement prononcé le 4 décembre 2013, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SA CDFI de toutes ses demandes,

- ordonné la résolution du contrat de franchise conclu entre les sociétés CDFI et la SARL Adelaïde,

- condamné la SA CDFI à payer à la SARL Adelaïde la somme de 25 000 euros au titre de la restitution du droit d'entrée,

- condamné la SA CDFI à payer à la SARL Adelaïde la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SA CDFI aux dépens de l'instance.

La SA CDFI a interjeté appel de la décision par déclaration du 11 février 2014 signifiée à la société Adelaïde, Maître Koch et Maître Weil, ès qualités, par exploits des 7 et 9 avril 2014.

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 6 mai 2014 par la SA CDFI et Me Rafoni, appelants, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- constater que le tribunal a statué ultra petita en se fondant sur un argumentaire et des textes que la SARL Adelaïde n'avait pas soulevés,

- constater en toutes hypothèses que la société CDFI a rempli l'ensemble des obligations mises à sa charge, notamment celles relatives au DIP,

- dire que le contrat de franchise en date du 5 décembre 2009 est résilié aux torts exclusifs de la société Adelaïde depuis le 7 avril 2010, et d'enjoindre à celle-ci de respecter les stipulations résultat de la cessation du contrat notamment prévues à l'article 20 le tout sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, 8 jours après la signification de la décision à intervenir, le Tribunal se réservant la possibilité de liquider l'astreinte ;

- condamner la société Adelaïde à payer à la société CDFI la somme de 164 732, 94 euros de dommages et intérêts au titre de la résiliation anticipée du contrat ;

- condamner la société Adelaïde à payer à la société CDFI, la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts au titre du trouble commercial ;

-condamner la société Adelaïde à payer à la société CDFI la somme de 150 000 euros de dommages et intérêts au titre de la violation de la clause de non concurrence ;

- condamner la société Adelaïde à payer à la société CDFI la somme de 9 517, 63 euros au titre des factures de matériel demeurées impayées,

- condamner la société Adelaïde à payer à la société CDFI la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les tiers dépens avec distraction au profit de Me Julie Foucher ;

Vu l'absence de constitution d'avocat de la SARL Adelaïde et de Maître Weil, ès qualités ;

SUR CE,

Considérant que si l'intimé n'a pas constitué avocat, la cour d'appel statue néanmoins sur le fond et ne fait droit à la demande de l'appelant que dans la mesure où elle l'estime régulière, recevable et bien fondée et que par ailleurs, l'effet dévolutif de l'appel suppose que la cour statue sur l'entier litige en prenant en compte l'ensemble des données et notamment les prétentions formées par l'intimée en première instance ;

Considérant que la société CDFI évoque le moyen de l'ultra petita en ce que le tribunal a, d'office, fait état du document d'information pré-contractuelle et de la loi Doubin ; qu'il apparaît toutefois qu'elle n'en tire aucune conséquence dans le dispositif de ses conclusions ; que dès lors, n'étant saisie d'aucune demande à ce titre, la cour n'examinera pas ce moyen ;

Considérant que pour solliciter l'infirmation du jugement entrepris, les appelants soutiennent que la SARL Adelaïde a volontairement et fautivement violé l'ensemble de ses engagements alors qu'elle a signé un contrat d'option le 10 mai 2008, un contrat de franchise le 5 décembre 2009 et payé le solde du droit d'entrée le 15 janvier 2010 ; qu'ils précisent que la SARL Adelaïde ne s'est pas conformée au projet de franchise, qu'elle a retardé l'ouverture du magasin et s'est abstenue dans un premier temps de payer le solde du droit d'entrée ; qu'ils ajoutent qu'elle avait affiché en devanture du magasin franchisé, une bâche annonçant l'ouverture d'une "Boulangerie artisanale" au lieu de l'enseigne " Histoire de pains " ; qu'en outre, les couleurs et aménagements en cours de finalisation ne correspondaient en rien au concept " Histoire de pains " ; qu'ils affirment que la société CDFI a multiplié les demandes adressées à la SARL Adelaïde afin qu'elle se conforme aux exigences du contrat de franchise sans que cette dernière ne régularise sa situation ;

Considérant qu'en réplique aux arguments développés par la SARL Adelaïde devant le tribunal de commerce, ils avancent que cette dernière n'a communiqué aucune pièce en première instance mais qu'elle a pourtant invoqué des arguments mensongers en vue de la discréditer, soit l'existence de problèmes d'hygiène, sans en apporter la preuve, et de franchisés mécontents ; qu'ils soulignent les diligences effectuées par la société CDFI pour la mise en place du magasin de la société Adelaïde (participation aux réunions techniques, participation à l'étude de marché etc.) ;

Considérant, ceci étant exposé, qu'il n'est pas discuté qu'après la conclusion d'un contrat de franchise le 5 décembre 2009 précédé d'un contrat d'option le 10 mai 2008, pour l'exploitation d'un fonds de commerce à Mittelwhir sous l'enseigne "Histoire de Pains", la société Adelaïde a ouvert un fonds de commerce de boulangerie à une autre enseigne, soit l'enseigne " Boulangerie artisanale " ; qu'assignée en résolution du contrat à ses torts devant le tribunal de commerce, elle a fait plaider n'avoir pas donné suite à la franchise et bien plus, ne pas l'avoir mise en œuvre de sorte que le contrat certes signé, n'aurait jamais eu d'exécution ; qu'elle a ajouté que la résiliation intervenue ne l'a été qu'en raison des carences du franchiseur à qui elle a reproché une absence de remise du manuel opératoire, d'un véritable investissement " dans la réalisation de la société Adelaïde " et plus précisément une absence de conseils techniques, des problèmes d'hygiène dans les locaux de la société CDFI et l'existence de franchisés mécontents ;

Considérant que le défaut d'exécution d'un contrat, à le supposer établi, est sans incidence sur sa validité ; qu'il fait la loi des parties lesquelles sont tenues de l'exécuter sous peine de voir prononcer la résiliation du contrat à leurs torts exclusifs ;

Considérant qu'il appartenait à la société Adelaïde qui n'a pas contesté ne pas avoir exécuté le contrat de franchise et a opposé l'exception d'inexécution, de rapporter la preuve des divers manquements qu'elle a invoqués à l'encontre du franchiseur lequel les conteste ; que toutefois, elle n'a produit aucune pièce en première instance ; que la preuve des griefs qu'elle allègue, n'est pas rapportée ;

Considérant qu'en revanche, il ressort des pièces versées aux débats par la société CDFI que celle-ci a respecté ses obligations de franchiseur ; qu'en effet, elle justifie avoir adressé un document d'informations pré-contractuelles par courrier du 15 juin 2006 que le futur franchisé a reconnu, aux termes du contrat, qu'il a signé, avoir reçu préalablement ; qu'à ce courrier, étaient joints un projet de contrat de franchise, un dossier confidentiel d'informations financières et techniques, le bilan d'un magasin et la liste des franchisés ; que le contrat mentionne la remise d'un manuel opératoire dont il ressort notamment que la société CDFI a fourni à son franchiseur un véritable savoir-faire ;

Considérant qu'en outre, il résulte des mails échangés entre les parties entre mai 2009 et mars 2010, que la société CDFI a prodigué à la société Adelaïde, préalablement à l'ouverture de l'exploitation, des prestations d'assistance technique et commerciale ; qu'elle lui a notamment fait part de ses observations sur les projets d'enseigne, de revêtement, des vitrines, de l'aménagement de l'espace, mais que le franchisé a néanmoins ouvert une boulangerie à une autre enseigne et n'a pas mis en place le concept " Histoire de pains ", au mépris de ses obligations contractuelles et malgré l'envoi d'une mise en demeure du 7 avril 2010 d'avoir à régulariser sa situation dans un délai de 8 jours au niveau notamment de la bâche sur le fronton, des couleurs et de l'aménagement qui étaient non conformes ;

Considérant dès lors, il y a lieu de prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts de la société Adelaïde à compter du 15 avril 2010 ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que les manquements du franchiseur " justifiant la nullité du contrat ", la " résolution " du contrat de franchise sera ordonnée et que la société CDFI sera déboutée de sa demande de " résiliation " ;

Considérant que dans les contrats à exécution successive, comme tel est le cas en l'espèce, l'extinction des obligations nées du contrat pour cause d'inexécution par l'une des parties de ses engagements, produit des effets limités au futur, sans remettre en cause le passé ; que cette résiliation est donc sans conséquence sur l'obligation à paiement par le franchisé du droit d'entrée ; que le jugement entrepris sera également infirmé en ce qu'il a condamné la société CDFI à restituer à la société Adelaïde la somme de 25 000 euros au titre du droit d'entrée ;

Considérant que les appelants sollicitent en outre qu'il soit ordonné à la société Adelaïde, si tel est encore le cas, de cesser d'utiliser les éventuels signes distinctifs du réseau " Histoire de pains " sur quelque support que ce soit et ce, sous astreinte ; que toutefois, ils ne produisent aucun document tel que constat d'huissier et/ ou photographies attestant de l'utilisation qu'ils invoquent ; que dès lors, les appelants seront déboutés de leur demande formée à ce titre ;

Considérant que les appelants soutiennent également que du fait de la résiliation du contrat de franchise aux torts exclusifs de la société Adelaïde depuis le 7 avril 2010, ils sont recevables à demander le paiement d'une somme d'argent correspondant au manque à gagner du franchiseur du fait de la résiliation anticipée du contrat de franchise en vertu de l'article 19.3 du contrat, manque à gagner qui correspond au montant du chiffre d'affaires multiplié par le taux contractuel, et multiplié par 9 années de contrat, soit la somme de 164 732,94 euros ; qu'ils sollicitent en outre la réparation du préjudice commercial subi du fait que la SARL Adelaïde a profité du savoir-faire du franchiseur et qu'ils évaluent à la somme de 50 000 euros ;

Considérant qu'aux termes de l'article 19-3 du contrat, il était prévu que dans le cas où le contrat serait rompu aux torts du franchisé, celui-ci serait redevable d'une somme destinée à compenser le manque à gagner du franchiseur et calculée notamment en fonction du chiffre d'affaires réalisé ; que cette clause qui a le caractère d'une clause pénale, apparaît manifestement excessive dans la mesure où d'une part, le contrat n'a été exécuté que pendant moins de quatre mois (5 décembre 2009-15 avril 2010), d'autre part, les redevances constituent la contrepartie des obligations d'assistance et de conseil que le franchiseur n'a pas exécutées postérieurement à la résolution et enfin, la somme de 427 488 euros retenue au titre du chiffre d'affaires, n'est justifiée par la production d'aucun document ; qu'il y a donc lieu de réduire d'office la clause pénale à la somme de 10 000 euros ;

Considérant qu'il n'est pas établi que bien que le savoir-faire de l'enseigne " Histoire de pains " lui ait été transmis, la société Adelaïde en ait fait usage ; que c'est précisément pour ce motif que le franchiseur sollicite la résolution du contrat aux torts du franchisé ; que la preuve de l'existence d'un préjudice commercial subi à ce titre, n'est pas rapportée ; que les appelants seront donc déboutés de ce chef ;

Considérant enfin que les appelants excipent d'une violation de la clause de non-concurrence dès lors que la société exploite désormais son fonds de commerce sous sa propre enseigne ; qu'ils demandent l'allocation d'une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l'article 14 du contrat de franchise ; que par ailleurs, ils soutiennent que la société Adelaïde a refusé de payer ce qui était déjà dû, en l'occurrence les factures sur le matériel fourni, à hauteur de 9 517,63 euros ;

Considérant que la clause de non-concurrence prévue au contrat pour une en durée d'un an dans un périmètre de 20 kilomètres autour du point de vente est licite ; que le contrat mentionnait que son non-respect serait sanctionné par l'allocation d'une somme de 150 000 euros ; que s'il est constant que la société Adelaïde a exploité le fonds de commerce de boulangerie à une autre enseigne, cette clause pénale apparaît manifestement excessive eu égard à la faible durée d'exécution du contrat et à l'absence d'exploitation de l'enseigne et du concept " Histoire de pains " ; qu'elle sera réduite d'office à la somme de 50 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de pièces produites dont notamment un extrait du Grand livre clients et de la mise en demeure du 7 avril 2010 que la somme de 9 517,63 euros reste due au titre de factures impayées ; que cette somme sera également fixée au passif de la société Adelaïde ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Et Statuant À Nouveau, Fixe la créance de la société CDFI au passif de la société Adelaïde à la somme de 10 000 euros au titre du manque à gagner, à celle de 50 000 euros au titre de la clause de non-concurrence et à celle de 9 517,63 euros au titre de factures impayées, Déboute la société CDFI du surplus de ses demandes, Condamne la société Adelaïde et Me Claude Weil, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan aux dépens de première instance et d'appel, Autorise Maître Julie Foucher, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Adelaïde et Me Claude Weil, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan à verser à la société CDFI la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.