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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 17 juin 2016, n° 15-14899

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Megableu (Eurl), Splash Toys (SAS)

Défendeur :

Diesbecq - Zolotarenko (SCP), AJ Associes (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Renard, Nerot

Avocats :

Mes Martin, Hatte, Diesbecq, Bourgoin

T. com. Paris, 15e ch., du 26 mai 2015

26 mai 2015

La société Mégableu SARL, créée en 1994, expose qu'elle a pour activité l'édition et la distribution de jeux de société pour enfants commercialisés par de grandes enseignes de la distribution, et, en particulier, un jeu dénommé " Chass'Fantômes " (adapté d'une technologie de rayonnement infrarouge associée à des projections lumineuses utilisée dans un jeu commercialisé au Mexique, dénommé " Juan Calakas " ou " Johnny the skull ", fabriqué par la société Fotorama Ltd et dont l'édition et la distribution exclusive dans divers pays lui a été concédée par contrat du 30 novembre 2010), jeu qu'après modification de son emballage et investissements de communication elle commercialise avec succès depuis 2012, à telle enseigne qu'elle en commercialise aussi des déclinaisons reposant sur le même principe de tir dans l'obscurité et en un temps donné sur un maximum de personnages projetés sur un mur de façon aléatoire, ceci à l'aide d'un pistolet électronique infra-rouge.

S'étant aperçue, dans le courant de l'année 2014, que la société Splash Toys, créée en 2007 et dont l'activité porte sur la fabrication et la commercialisation de jeux de toutes natures, commercialisait, dans les mêmes réseaux de distribution qu'elle et à un prix très inférieur, un jeu dénommé " Zombie shoot " reproduisant, à son sens, les caractéristiques essentielles de son jeu " Chass'Fantômes "

(choix de l'environnement, principe du jeu, boîte d'emballage) outre ses éléments de promotion, elle l'a assignée à bref délai devant la juridiction commerciale par acte du 5 décembre 2014, assignant ensuite en intervention forcée, par exploit du 23 décembre 2014, la Selarl Aja Associés représentée par Maître Yves Bourgoin et la SCP Diesbecq Zolotarenko représentée par Maître Diesbecq, ès qualités, respectivement, d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de cette société du fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde de justice à son égard selon jugement rendu le 27 novembre 2014 par le Tribunal de commerce d'Evreux.

A la suite de la jonction de ces deux procédures et par jugement contradictoire rendu le 26 mai 2015, le Tribunal de commerce de Paris a, en substance, débouté la société Mégableu de toutes ses demandes en la condamnant à verser à la société Splash Toys la somme indemnitaire de 10 000 euros (pour procédure abusive), celle de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens, déboutant, enfin, les parties de l'ensemble de leurs autres prétentions.

Par dernières conclusions notifiées le 11 avril 2016, la société à responsabilité limitée Mégableu, appelante, demande pour l'essentiel à la cour, au visa des articles L. 622-21 et suivants du Code de commerce et 1382 du Code civil :

' d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, en considérant que le jeu " Zombie shoot " reprend les caractéristiques essentielles du jeu " Chass'Fantômes " qu'elle édite et commercialise, que sont reprises les caractéristiques essentielles de ses présentations publicitaires, que ce jeu est vendu à un prix nettement inférieur et qu'elle s'est en conséquence placée dans son sillage pour s'approprier ses efforts et investissements,

' d'interdire à la société Splash Toys, sous astreinte dont la liquidation sera réservée au juge des référés, de poursuivre la commercialisation du jeu " Zombie Shoot " et d'ordonner le retrait de la vente de ce jeu,

' de fixer sa créance indemnitaire provisionnelle au passif de la société Splash Toys à la somme de 900 000 euros sauf à parfaire en considérant qu'il s'évince nécessairement de sa faute un préjudice important,

' de désigner un expert avec mission de recueillir les éléments permettant de déterminer les conditions d'exploitation du jeu litigieux et de " déterminer le préjudice matériel et moral subi ",

' d'ordonner une mesure de publication par voie de presse en fixant au passif sa créance complémentaire au titre des frais de publication pour un montant de 15 000 euros,

' de fixer à la somme de 25 000 euros sa créance au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de condamner la SCP Diesbecq Zolotarenko, ès qualités, aux dépens comprenant le coût des constats d'huissier versés aux débats.

Par dernières conclusions notifiées le 13 avril 2016, la société par actions simplifiée Splash Toys, la Selarl AJ Associés représentée par Maître Yves Bourgoin, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan désignée par jugement rendu par le Tribunal de commerce d'Evreux le 1er octobre 2015, et la SCP Diesbecq Zolotarenko représentée par Maître Diesbecq, ès qualités de représentant des créanciers désignée par jugement du Tribunal de commerce d'Evreux le 27 novembre 2014 prient, en substance, la cour, sous mêmes visas :

' en considérant que la société Mégableu ne peut former aucune demande de condamnation en paiement, que cette dernière n'est pas à l'origine du concept de jeu " Chass'Fantômes " et qu'elle ne peut revendiquer aucun droit sur celui-ci, qu'elle n'a réalisé aucun investissement pour sa création et sa fabrication, qu'en outre, le jeu " Zombie shoot " ne reprend pas les caractéristiques visuelles du jeu " Chass'Fantômes " ni celles de son conditionnement et enfin qu'il n'est pas démontré que la

société Splash Toys ait voulu se placer dans son sillage dans le cadre de cette procédure manifestement abusive,

' de confirmer, en conséquence, le jugement entrepris en ses dispositions qui lui sont favorables,

' de le réformer en évaluant à la somme de 150 000 euros le montant de la condamnation prononcée à son profit pour le préjudice commercial et moral subi,

' subsidiairement, de dire que l'appelante ne peut solliciter l'interdiction pure et simple de la commercialisation du jeu,

' de condamner la société Mégableu à verser à la société Splash Toys la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.

SUR CE,

Sur les agissements parasitaires

Considérant que la société Mégableu reproche au tribunal d'avoir méconnu les " principes directeurs " dégagés par la jurisprudence en matière de concurrence parasitaire et déloyale, de s'être, de plus, fondé pour la débouter sur des considérations étrangères à la notion de parasitisme, telles l'existence ou non de droits privatifs ou celle d'un risque de confusion, alors qu'il reconnaissait par ailleurs que le "jeu " Chass'Fantômes " était bien antérieur au jeu " Zombie Shoot " et que ces jeux présentaient de fortes similitudes dans leurs packaging respectifs, et d'avoir omis d'examiner plusieurs éléments factuels soumis à son appréciation pour caractériser le parasitisme, s'agissant des similitudes manifestes entre les supports promotionnels et publicitaires ;

Que, rappelant que la société Splash Toys et elle-même sont des concurrentes ayant mêmes clientèle et réseau de distribution dans un secteur commercial comportant un nombre restreint d'éditeurs et de distributeurs, que son adversaire qui, contrairement à elle-même, n'avait pas une expérience réelle des jeux de société, ne pouvait ignorer que " Chass'Fantôme " avait obtenu le grand prix du jouet en 2011, elle soutient qu'il ressort de la comparaison des deux jeux en conflit que la société Splash Toys ne s'est pas contentée de créer un jeu à partir d'une technologie existante en reprenant un concept de jeu préexistant mais qu'elle s'est volontairement inspirée de ses éléments essentiels, en y apportant quelques éléments mineurs pour éviter le plagiat et qu'elle a été jusqu'à reprendre les caractéristiques du packaging outre les éléments de communication du jeu " Chass'Fantômes " ;

Qu'elle détaille les éléments de reprise (mise en scène de personnages, environnement macabre, règles du jeu, projecteurs évocateurs de la mort, pistolets produisant sons et effets,) en précisant qu'elle ne revendique pas de droits privatifs sur ces éléments ou sur les technologies employées mais incrimine la transposition opérée par son adversaire, la substituabilité des personnages des deux jeux dans le même environnement ou du pistolet à infrarouge, si bien qu'est, selon elle, inopérante la motivation du tribunal relative à des concepts et jeux préexistants ou au fait qu'elle ne peut monopoliser " l'univers de la mort " ;

Qu'elle détaille, par ailleurs, les éléments de reprise du packaging (boîtes carrées, disposition des éléments graphiques et figuratifs tant sur sa face principale que sur sa tranche) pour souligner leurs similarités et le fait qu'il ne peut s'agir du fruit du hasard ; qu'encore une fois, estime-t-elle, le tribunal a jugé de manière erronée que les différences l'emportent sur les ressemblances alors que le parasitisme existe indépendamment de tout risque de confusion ; que s'ajoute à cela le fait qu'elle a diffusé des visuels promotionnels et un film publicitaire semblables aux siens ;

Qu'elle fait enfin état des prix de vente de sa concurrente (inférieurs de 17 à 29 % selon un constat d'huissier) et oppose au moyen tiré de la fabrication du jeu en Chine par une société tierce et de son défaut d'investissement personnel, son propre travail consistant en une recherche de nouveaux jeux, de sa négociation avec cette société, de l'adaptation du jeu en France par la recherche d'un prix attractif, du démarchage de potentiels clients ou encore de la définition d'une stratégie publicitaire qui l'a conduite à une prise de risque ; que s'y ajoute l'accord de distribution conclu avec cette société alors que la société Splash Toys n'a supporté aucun de ces coûts en ne faisant que reproduire un avatar de " Chass'Fantômes " par un fabricant chinois peu scrupuleux ;

Considérant, ceci rappelé, qu'agissant sur le terrain de la concurrence parasitaire, la société Mégableu n'est pas tenue de rapporter la preuve de l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du consommateur, entre les jeux en conflit mais qu'il lui appartient, en revanche, de démontrer qu'en commercialisant le jeux " Zombie shoot " litigieux, la société Splash Toys a capté ce qui fait le succès commercial du jeu " Chass'Fantômes ", ceci en limitant ses propres investissements, afin de mieux vendre son propre produit ;

Qu'elle doit, par conséquent, cumulativement démontrer l'existence d'une valeur économique, individualisée, résultant de son savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements, par ailleurs, la captation et l'utilisation intentionnelle de cette valeur économique procurant un avantage concurrentiel et enfin, une captation ainsi qu'une utilisation injustifiées, ceci à titre lucratif ;

Que, s'agissant de la valeur économique individualisée, la société Mégableu ne peut revendiquer la création ni du jeu lui-même ' étant, au surplus, rappelé que les règles d'un jeu, même procédant de choix arbitraires, ne seraient pas susceptibles, en elles-mêmes et indépendamment de leur forme, d'être éligibles à la protection du droit d'auteur -, pas plus qu'elle ne peut revendiquer la présentation qui lui a été donnée ou la forme et le graphisme de la boîte d'emballage illustrée qui lui sert de contenant ;

Qu'il ressort en effet des pièces de la procédure qu'elle n'a fait que conclure avec la société Fotorama Ltd un contrat de distribution pour divers pays dont la France portant sur le jeu initialement dénommé " Juan Calakas " ou " Johnny the skull " sans rien y apporter, se bornant tout au plus à en franciser l'appellation ou à en adapter la notice pour le public français mais sans modification des illustrations de son emballage (pièces 3 et 4 de l'intimée) ;

Que les emprunts litigieux qu'elle détaille concernent, par conséquent, le produit " Johnny the skull " si bien qu'elle ne peut se prévaloir d'une valeur économique qui résulterait de son travail intellectuel et d'investissements humains, matériels et financiers pour présenter sur le marché un produit lui permettant de se différencier des autres acteurs du secteur ; qu'elle ne le peut d'autant moins que la société Splash Toys démontre (pièces 9 à 15, 21 à 23) que ce concept de jeu de société a fait l'objet de multiples mises en forme similaires présentes sur ce marché depuis de nombreuses années ;

Que la seule captation d'une valeur économique individualisée que la société Mégableu pourrait imputer à faute à sa concurrente ne peut donc porter que sur les investissements personnellement engagés afin de permettre au produit qu'elle distribue de se distinguer des autres produits présents dans le même secteur d'activité en lui procurant un avantage concurrentiel ;

Qu'à cet égard, les recherches de nouveaux jeux, les négociations commerciales avec la société Fotorama ou les modifications de titre et de notice dont elle fait état, sans au demeurant en justifier, ne peuvent être tenus pour des investissements ayant eu pour effet de distinguer des autres jeux de société le produit " Chass'Fantômes " qu'elle distribue ;

Que, certes, la société Mégableu justifie d'investissements promotionnels, en particulier des visuels figurant dans des catalogues de jouets (pièces 23 à 25) comme celui de l'enseigne de la grande distribution " Leclerc " et un spot publicitaire de 17 secondes diffusé à la télévision en 2011 ; qu'elle établit également que ce jeu a connu le succès auprès de la clientèle puisqu'il figurait, de 2011 à 2013, parmi les 50 meilleures ventes de jeux en France, y devenant le numéro un des ventes de jouets fin 2012 et fin 2013 ;

Que, toutefois, outre le fait que ces éléments de communication s'inscrivent dans les pratiques courantes des distributeurs de jouets au moment des fêtes de fin d'année et que les catalogues des grandes enseignes regroupent à leur initiative les produits qu'elles vendent, force est de considérer que la société Megableu ne peut être suivie lorsqu'elle incrimine la reprise de son spot publicitaire par le spot publicitaire de son adversaire, lesquels n'ont guère en commun, comme le fait valoir l'intimée, que la présence de deux jeunes enfants mettant en œuvre le jeu concerné ;

Que, plus généralement, il n'est pas démontré que la société Splash Toys, à qui il ne saurait être reproché une pratique de prix inférieurs dans un contexte de libre concurrence poursuivant cet objectif et qui démontre qu'elle a, de son côté, consacré des investissements conséquents à la création, la fabrication et la promotion du jeu " Zombie shoot " ait capté et intentionnellement utilisé la valeur économique résultant des investissements précis de la société Mégableu pour en tirer, sans effort, profit ;

Qu'il s'en évince que le jugement doit être confirmé en ce qu'il déboute la société Mégableu de sa demande au titre de la concurrence parasitaire ;

Sur la demande indemnitaire reconventionnellement formée par la société Splash Toys

Considérant qu'alors que l'appelante poursuit l'infirmation du jugement qui l'a condamnée au paiement de la somme de 10 000 euros en considérant, malgré les éléments objectifs venant étayer son action, que sa demande était " abusive et injustifiée en l'absence de tout élément de preuve sérieux ", la société intimée, sur appel incident, sollicite la majoration de son montant pour le voir porter à 150 000 euros, arguant d'une volonté d'éviction et d'une tentative de déstabilisation à son préjudice par le biais de la présente instance et se prévalant, de plus, d'une tromperie de la religion du tribunal outre du trouble commercial subi ;

Considérant, ceci exposé, qu'eu égard aux éléments précis de la procédure les juges consulaires ne peuvent être suivis lorsqu'ils énoncent que " cette instance a d'abord pour objet d'empêcher un concurrent de se développer sur le marché des jouets plutôt que d'obtenir la réparation d'un éventuel préjudice économique " ou que la demanderesse à l'action a agi de manière abusive et injustifiée en l'absence de tout élément de preuve sérieux ;

Qu'en dépit de la solution donnée au présent litige, il convient de considérer que la société Mégableu a pu, sans faute, porter une appréciation erronée sur le bien-fondé de son action et exercer les voies de droit permettant de retenir l'engagement de la responsabilité civile de sa concurrente en versant des pièces destinées à étayer ses moyens de droit ;

Que l'intimée sera par conséquent déboutée de sa demande à ce titre et le jugement infirmé en sa disposition sur ce point ;

Sur les autres demandes

Considérant que l'équité conduit à condamner la société Mégableu à verser à l'intimée une somme complémentaire de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Que, déboutée de ce dernier chef de prétentions, la société Mégableu qui succombe supportera tous les dépens.

Par ces motifs, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a prononcé une condamnation indemnitaire à l'encontre de la société Mégableu SARL et, statuant à nouveau en y ajoutant ; Déboute la société Splash Toys SAS de sa demande en paiement de dommages-intérêts fondée sur l'abus de procédure ; Condamne la société Mégableu SARL à verser à la société Splash Toys SAS une somme complémentaire de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens, avec faculté de recouvrement, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.