CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 24 juin 2016, n° 14-01572
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
UFP International (SA)
Défendeur :
Logitech Europe (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Lis Schaal, Nicoletis
Avocats :
Mes Blin, Benchetrit, Teytaud, LLP Weil Gotshal & Manges
La société UFP International (UFP) est en relation d'affaires habituelles avec la société Logitech depuis 2003, relations formalisées par un contrat à durée indéterminée le 1er décembre 2007.
La société UFP a pour objet social le commerce de gros de consommables informatiques.
La société Logitech est spécialisée dans la fabrication de connectiques et accessoires informatiques.
Le contrat a fait l'objet d'une résiliation unilatérale le 23 janvier 2009 de la part de Logitech.
UFP soutenant que la rupture des relations commerciales avait été brutale, elle a assigné la société Logitech devant le Tribunal de commerce de Bobigny aux fins de condamnation au paiement des sommes de 3 750 000 euros de dommages et intérêts, au titre de la rupture abusive, ayant entraîné une perte de chiffre d'affaires et correspondant à la marge brute sur la période indemnisée de 18 mois à compter de la fin du contrat, de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son image de marque et à sa réputation commerciale et de 1 875 000 euros de dommages et intérêts au titre de l'indemnisation de la rupture brutale.
Par jugement du 24 décembre 2013, le Tribunal de commerce de Bobigny a débouté la société UFP de l'ensemble de ses demandes.
Il a estimé que le contrat du 1er décembre 2007 était un contrat à durée indéterminée et que nul n'est tenu de rester indéfiniment dans un contrat à durée indéterminée, que le refus de vente n'était pas établi, qu'enfin, il n'y avait eu aucune rupture brutale, la société UFP ayant, dès l'annonce de la résiliation, cherché des alternatives au courant d'affaires de produits Logitech.
La société UFP International a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Prétentions des parties
La société UFP, par conclusions signifiées par le RPVA le 22 juillet 2014, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, de leurs argumentation et de leurs moyens, conclut à infirmation du jugement entrepris, à la condamnation de Logitech à lui payer les sommes de :
- 1 916 901,60 euros de dommages et intérêts, au titre du refus de vente abusif et discriminatoire, ayant entraîné une perte de chiffre d'affaires et correspondant à la marge brute sur la période indemnisée de 18 mois à compter de la fin du contrat ;
- 250 000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son image de marque et à sa réputation commerciale ;
- 638 967,20 euros à titre de dommages et intérêts au titre de l'indemnisation de la rupture brutale ;
- 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle explique que leurs relations commerciales ont commencé en 2003 et ont été concrétisées par un contrat à durée indéterminée le 1er décembre 2007.
Elle estime que la résiliation par courrier du 23 janvier 2009 avec effet au 1er mai 2009 n'était pas valablement motivée. Elle soutient qu'il y a eu refus de vente fautif de la part de Logitech qui lui a occasionné un préjudice. Ce refus de vente est caractérisé par le refus de reconduite du contrat et était injustifié et discriminatoire.
Elle soutient également qu'il y a eu rupture brutale de relations contractuelles sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, que le respect du préavis contractuel n'exonère pas l'auteur de la rupture de sa responsabilité encourue, qu'un préavis de 180 jours aurait semblé suffisant.
La société Logitech Europe, par conclusions signifiées par le RPVA le 6 juillet 2015, auxquelles il est fait état pour plus ample exposé des motifs, de leur argumentation et de leurs moyens, demande de confirmer le jugement entrepris, de dire qu'elle était bien fondée à mettre fin à sa relation avec UFP dans le cadre de la refonte de son réseau de distribution, de constater que UFP n'apporte pas la preuve du caractère abusif du refus de vente, à constater qu'elle n'a pas mis fin de façon brutale au contrat qui la liait avec UFP, en conséquence, de débouter UFP de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser une somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle soutient ne s'être rendue coupable d'aucun refus de vente abusif ou discriminatoire, ayant résilié son contrat et mis fin aux relations commerciales avec UFP pour un motif légitime et dans des conditions conformes aux dispositions contractuelles et légales.
Elle explique qu'elle a dû réorganiser son réseau de distribution au niveau mondial et procéder à une politique de restructuration interne suite à la baisse de ses ventes qui a abouti à la mise en place de deux plans de licenciements collectifs en 2009 et 2012 notamment en Suisse et en France.
Elle indique avoir respecté le préavis contractuel dans la résiliation. Ce délai de préavis s'est avéré suffisant puisque UFP n'a passé aucune commande à partir de mars 2009 et a même retourné plusieurs lots de marchandises pendant la période de préavis pour un montant total de 524 639,62 euros.
Elle estime ne pas avoir abusé de son droit de mettre fin à sa relation commerciale avec UFP. Elle rappelle que le refus de vente entre professionnels n'est pas interdit depuis la loi Galland et que selon une jurisprudence constante, le refus par l'entreprise à l'origine de la rupture de poursuivre des relations commerciales avec l'entreprise reniée après le non-renouvellement d'un contrat ne saurait s'assimiler à un refus de vente. Elle soutient qu'elle avait la possibilité de résilier unilatéralement un contrat à durée indéterminée, sans motivation sauf en cas d'abus notamment en laissant à son cocontractant un préavis permettant à ce dernier de faire face à la situation en recherchant un nouveau partenaire. Elle ajoute qu'elle n'a commis :
- ni faute dans l'exercice de la faculté de résiliation du contrat, UFP n'ayant démontré aucune intention de nuire, ni aucune autre faute telle que la malveillance, l'erreur grossière ou la faute lourde équivalente au dol ;
- ni discrimination, ni aucune rupture d'égalité entre les acteurs du marché du fait de la rupture de la relation commerciale avec UFP.
Sur ce,
Considérant que les parties ont conclu, le 1er décembre 2007, un contrat par lequel Logitech s'engageait vis-à-vis d'UFP, grossiste, à lui fournir des accessoires informatiques afin d'alimenter notamment les chaînes d'hypermarchés, tels que Carrefour ou Auchan ;
Considérant que ce contrat était à durée indéterminée, l'article 14 du contrat stipulant que " les présentes conditions générales de vente sont valides à compter de la date indiquée en tête pour une durée indéterminée " ; que l'article 14 des conditions générales de vente prévoit une faculté de résiliation de convenance : " L'une ou l'autre des parties peut résilier les présentes conditions générales de vente à sa convenance, en adressant à l'autre partie un préavis écrit d'au moins 90 jours " ;
Considérant que la possibilité de résiliation unilatérale dans les contrats à durée indéterminée ne trouve sa limite que dans le cas d'abus ; qu'en l'absence de disposition légale particulière, toute partie à un contrat à durée indéterminée peut, sans avoir à motiver sa décision, mettre fin unilatéralement à celui-ci, sauf à engager sa responsabilité en cas d'abus ;
Considérant qu'il appartient à UFP d'établir que la décision de Logitech de mettre fin à leurs relations commerciales en l'assortissant d'un délai de préavis de plus de trois mois procéderait d'un abus de droit ;
Qu'en l'espèce, la société Logitech a notifié le 23 janvier 2009 à UFP sa décision de mettre fin à leur relation commerciale prenant effet le 30 avril 2009 conformément à l'article 14.3 des Sales Terms and Conditions qui prévoyait que chaque partie peut mettre fin à leur relation commerciale sans motif en laissant un préavis de 90 jours à l'autre partie ; que cette décision reposait sur la volonté de Logitech de refondre son système de distribution au niveau mondial, et notamment en France, aux fins de rationaliser son système de distribution et de réduire le nombre de distributeurs dans chaque pays, passant de 290 à 159 distributeurs, mais aussi de répondre aux contraintes économiques - deux plans de licenciements collectifs en 2009 et 2012 ayant été arrêtés, notamment en Suisse et en France ;
Considérant que le refus de vente entre professionnels n'est plus incriminé dans le droit français depuis la loi du 1er juillet 1996 dite Galland ; que l'article L. 122-1 du Code de la consommation n'est pas applicable à l'espèce s'agissant de rapports entre professionnels;
Considérant que la société UFP invoque un refus de vente qui s'assimile à un refus unilatéral de poursuivre les relations commerciales ;
Que, si le refus de vente reste néanmoins sanctionnable et peut constituer une faute civile sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, aucune faute telle qu'un abus de droit ou une discrimination caractérisée n'est démontrée par UFP à l'encontre de Logitech ;
Que la société Logitech était donc en droit de résilier unilatéralement le contrat à durée indéterminée en respectant le délai de préavis contractuel ; qu'elle n'a commis aucun abus de droit ;
Considérant qu'au regard de la nature de l'activité en cause, le délai de préavis de 90 jours était suffisant pour permettre à UFP de trouver d'autres approvisionnements auprès de nouveaux fournisseurs, alors que la part de la vente d'accessoires informatiques Logitech ne représentait que 3,3 % du chiffre d'affaires d'UFP, part démontrant l'absence de dépendance économique de UFP par rapport à Logitech ; qu'il n'y a donc eu aucune rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code commerce ; qu'il convient, en conséquence, de confirmer le jugement entrepris ;
Considérant que l'équité impose de condamner la société UFP à payer à la société Logitech la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Condamne la société UFP à payer à la société Logitech une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, la Condamne aux dépens d'appel, ces derniers étant recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.