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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 juin 2016, n° 14-02940

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Lyonnaise de Banque (SA)

Défendeur :

Cabinet Sogefy (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mme Mouthon-Vidilles, M. Thomas

Avocats :

Mes Sallin, Amsler, Guizard, Gandillon

T. com. Nancy, du 17 janv. 2014

17 janvier 2014

FAITS

La société Cabinet Sogefy (Sogefy) est une entreprise immatriculée au RCS de Chalon sur Saône qui a pour objet le recouvrement de créance. Par une convention du 17 février 1998, réitérée le 11 octobre 2004, la Lyonnaise de Banque a donné mandat à Sogefy de recouvrer, en son nom, certaines de ses créances auprès de ses débiteurs. Ce contrat donne mandat exclusif à Sogefy d'effectuer toutes démarches auprès des débiteurs dont les dossiers lui ont été confiés afin de recouvrer les créances.

La convention est conclue pour une durée indéterminée qui pourra être résiliée avec un préavis de 3 mois par l'une ou l'autre partie au moyen d'une lettre recommandée avec accusé de réception.

À compter du mois de janvier 2012, la société Sogefy a constaté une baisse des dossiers confiés par la Lyonnaise de Banque.

Le 19 juillet 2012, la Lyonnaise de Banque a, par lettre recommandée avec accusé de réception, résilié le contrat de mandat sous réserve du préavis de 3 mois prévu contractuellement en précisant qu'elle avait déjà fait part au Cabinet Sogefy, oralement, de son souhait de mettre fin au contrat de mandat le 4 octobre 2011.

PROCÉDURE

Estimant que la rupture des relations commerciales établies a été brutale, le Cabinet Sogefy a, par exploit du 17 septembre 2012, assigné la Lyonnaise de Banque devant le Tribunal de commerce Nancy.

Le 17 janvier 2014, le Tribunal de commerce de Nancy donne raison au Cabinet Sogefy :

Par jugement du 17 janvier 2014, la Tribunal de commerce de Nancy a :

- Dit que la SA Lyonnaise de Banque a rompu brutalement la relation commerciale établie avec la SARL Cabinet Sogefy sans respecter un préavis qui doit être fixé à 12 mois compte tenu de la durée de la relation commerciale établie,

- Condamné la SA Lyonnaise de Banque à payer à la SARL Cabinet Sogefy la somme de 237 431 euros à titre d'indemnité,

- Déclaré la SARL Cabinet Sogefy mal fondée sur le surplus de ses demandes,

- L'en a débouté,

- Condamné la SA Lyonnaise de Banque à payer à la SARL Cabinet Sogefy la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- Condamné la SA Lyonnaise de Banque aux dépens du présent jugement.

Le 10 février 2014, la Lyonnaise de Banque a interjeté appel de ce jugement a également sollicité l'arrêt de l'exécution provisoire de ce jugement qui a été refusé par ordonnance du 1er Président de la cour d'appel le 19 juin 2014.

DEMANDES DES PARTIES

* Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 25 avril 2016 par la société Lyonnaise de Banque, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu L'article L. 442-6 du Code de commerce

Vu la jurisprudence,

Vu les pièces ci-après listées,

A titre principal

- Dire et juger qu'il n'y a pas eu de rupture des relations contractuelles au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce entre la société Cabinet Sogefy et la Lyonnaise de Banque le 19 octobre 2012

- Dire et juger que la Lyonnaise de Banque n'a pas commis de faute,

- Dire et juger que la société Cabinet Sogefy ne justifie d'aucun préjudice,

- Rejeter l'intégralité des demandes de la société Cabinet Sogefy, comme non fondées,

En conséquence,

- Réformer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nancy le 17 janvier 2014 en toutes ses dispositions.

A titre très infiniment subsidiaire

- Dire et juger que la marge brute d'exploitation du Cabinet Sogefy est de 0,0094 soit 0,94 % du chiffre d'affaires

- Dire et juger que le montant du préjudice est égal à la perte de marge brute d'exploitation à raison de l'insuffisance du préavis soit 0,94 % du chiffre d'affaires

En tout état de cause

- Condamner la société Cabinet Sogefy à payer à la Lyonnaise de Banque la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

* Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 8 avril 2016 par la société Cabinet Sogefy, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce

Vu l'article L. 442-6, III, al. 5 du Code de commerce,

Vu l'article D. 442-3 du Code de commerce,

Vu les articles 1134 et 1147 du Code civil,

Vu l'article 954 du Code de procédure civile,

Vu la jurisprudence,

Vu le jugement du Tribunal de commerce de Nancy du 17 janvier 2014,

- Constater la mauvaise foi de la société CIC Lyonnaise de Banque,

- Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nancy en ce qu'il a reconnu que la SA Lyonnaise de Banque avait rompu brutalement la relation commerciale avec la SARL Cabinet Sogefy sans respecter un préavis suffisant,

- Le Reformer pour le surplus, en particulier sur les demandes indemnitaires de la SARL Cabinet Sogefy,

- Juger qu'il découle du caractère brutal de cette rupture, l'existence de préjudices dont la société SARL Cabinet Sogefy demande réparation,

- Dire que le préavis aurait dû être de 24 mois, soit une indemnisation de 492 685 euros,

- Condamner l'appelante à ladite somme au profit de la société Sogefy ;

- Constater que la société Sogefy a dû répondre aux exigences de la société CIC Lyonnaise de Banque en investissant dans des logiciels spécifiques de liaison dont à ce titre en 2011 : 1 596,66 euros la confortant dans la pérennité des relations,

- Condamner l'appelante à ladite somme

- Prendre acte du caractère déloyal et de la mauvaise foi de la société CIC-Lyonnaise de Banque et la condamner à des dommages intérêts de 20 000 euros.

Subsidiairement :

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué,

En tout état de cause :

- Condamner la société CIC-Lyonnaise de Banque à 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS :

Sur l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales établies

Considérant que la société Lyonnaise de Banque soutient avoir indiqué oralement le 4 octobre 2011 au Cabinet Sogefy qu'elle envisageait de confier la gestion de ses nouveaux dossiers de recouvrement à sa filiale et qu'elle devait ainsi mettre un terme au contrat de mandat conclu avec le Cabinet Sogefy, ce dernier continuant de traiter les dossiers de recouvrement confiés antérieurement à la rupture, qu'elle lui a ensuite adressé un courrier de rupture le 19 juillet qui faisait courir le délai contractuel de préavis de 3 mois,

Qu'elle soutient que le Cabinet Sogefy a confirmé à plusieurs reprises avoir eu connaissance de la volonté de la Lyonnaise de Banque de rompre le mandat depuis le 11 octobre 2011 et notamment lorsqu'elle a proposé en janvier 2012 un protocole puis l'a mise en demeure, le 28 juin 2012, de signer un protocole transactionnel sur les modalités de la rupture, qu'elle a continué à adresser sur cette période des dossiers au Cabinet Sogefy bien qu'elle subisse elle-même une diminution de plus de 25 % de son activité contentieuse et lui a permis de réaliser un chiffre d'affaires substantiel dont la baisse n'est pas établie, qu'elle estime que le Cabinet Sogefy a bénéficié d'un préavis de 12 mois à partir du moment où elle a été informée que les relations devaient prendre fin,

Considérant que la société Cabinet Sogefy expose qu'elle réalisait 25 à 30 % de son chiffre d'affaires avec la Lyonnaise de Banque, qu'elle a constaté dès le mois de janvier 2012 une baisse très importante des dossiers confiés par la Lyonnaise de Banque (environ 12 dossiers par mois au lieu de 70 auparavant entre janvier et juin et 4 dossiers par mois à partir de juillet 2012) ce qui correspond, à une rupture brutale d'une relation commerciale établie revêtant une caractère suivi, stable et habituel depuis plus de 14 ans, qu'un préavis de 24 mois aurait dû être respecté avec l'octroi de nouveaux dossiers pendant la durée de celui-ci,

Qu'elle conteste l'affirmation de l'appelante selon laquelle une information orale de la décision de rupture lui aurait été donnée le 4 octobre 2011 et elle indique que c'était une rupture lointaine avec un préavis de 24 mois qui était prévue et au départ acceptée,

Mais considérant qu'au regard des pièces versées aux débats, il apparaît :

Que les parties entretiennent des relations commerciales suivies depuis le mois de février 1998,

Que la société Sogefy a reçu le 4 octobre 2011 l'information verbale par la Lyonnaise de Banque de ce que cette dernière entendait mettre fin aux relations commerciales des parties ; que le projet de protocole transactionnel proposé par Sogefy qui ne conteste pas en être à l'origine rappelle "La CIC-Lyonnaise de Banque a fait part au Cabinet Sogefy de son souhait de mettre un terme à cette convention, lors d'une visite dans les locaux de la banque le 4 octobre dernier",

Que le projet de protocole transactionnel qui organisait le préavis n'a pas été accepté par la Lyonnaise de Banque, que cela était rappelé dans la mise en demeure que lui adressait Sogefy le 28 juin 2012,

Que la Lyonnaise de Banque a adressé à Sogefy une lettre recommandée avec accusé de réception le 19 juillet 2012 pour "acter par la formalité du recommandé avec accusé de réception" la résiliation du mandat tout en respectant un préavis de trois mois,

Que dès le mois de janvier 2012, la baisse du nombre de dossiers confiés à Sogefy avait été constatée,

Considérant que la société Lyonnaise de Banque a manifesté sa volonté non équivoque le 4 octobre 2011 de mettre fin aux relations commerciales que les parties avaient entretenues depuis plus de treize ans, que ces circonstances particulières permettent de dire que c'est à cette date que doit être fixé le point de départ du préavis que devait donner la société Lyonnaise de Banque à la société Sogefy,

Considérant que les parties ont entretenu des relations pendant treize années ; que l'absence d'exclusivité dans la relation, contrairement à ce que soutient la société Sogefy, la part moyenne du chiffre d'affaire (25 %) que représentent les dossiers confiés par la Lyonnaise de Banque dans le chiffre d'affaire global de la société Sogefy, les facultés de reconversion de Sogefy qui a manifestement d'autres clients permettent de dire qu'un délai de préavis de douze mois était suffisant à compter du 4 octobre 2010,

Considérant que durant le délai de préavis, les relations commerciales doivent être poursuivies dans le volume et l'intensité qu'elles avaient avant l'annonce de la rupture ; qu'en l'espèce, contrairement à ce que fait valoir la Lyonnaise de Banque, ce n'est pas de chiffre d'affaires sur la période de préavis qui doit être pris en compte mais le nombre de dossiers confiés qui permettent de générer un chiffre d'affaires ; qu'à cet égard, la Lyonnaise de Banque peut justifier d'une baisse de 25 % du nombre des dossiers qu'elle devait faire traiter en contentieux depuis 2009 mais cette baisse ne peut que très partiellement justifier celle du nombre de dossiers confiés à Sogefy dans la mesure où la baisse effective du nombre de dossiers confiés à Sogefy en 2012 (moyenne mensuelle de 70 avant 2011 et moyenne mensuelle de 13 dossiers à partir de janvier 2012 jusqu'en juillet 2012 puis de 4 dossiers jusqu'en novembre 2012) est sans corrélation avec la baisse subie par la Lyonnaise de Banque ; qu'il doit être constaté que le courant d'affaires durant le préavis n'a pas été maintenu avec la même intensité ; que la société Cabinet Sogefy a subi un préjudice qu'il y a lieu de réparer,

Sur le préjudice

Considérant que la société Cabinet Sogefy estime que le préjudice doit être apprécié au regard de la marge bénéficiaire brute qu'elle était en droit d'escompter en l'absence de rupture de relations commerciales, la marge bénéficiaire brute se confondant avec le chiffre d'affaires et que la moyenne de ce dernier sur 24 mois s'établissait à 492 685 euros,

Qu'elle ajoute qu'à l'issue de réunions intervenues à la fin de l'année 2010 avec la société Lyonnaise de Banque, la société Sogefy a reçu un cahier des charges afin de mettre en place des liaisons informatiques nécessitant de nouveaux investissements en logiciels de 1 596,66 euros devenu inutiles suite à la rupture de la relation commerciale et demande donc réparation à ce titre,

Considérant que la Lyonnaise de Banque soutient que le montant du préjudice de l'intimée ne saurait, en aucun cas, être équivalent à un chiffre d'affaires et que ce n'est que la perte de marge brute à raison de l'insuffisance du préavis qui est indemnisable mais la perte de marge brute d'exploitation qui aurait été générée par les nouveaux dossiers,

Qu'elle ajoute que la demande de remboursement relative au logiciel est infondée dans la mesure où la société Cabinet Sogefy est seule commanditaire de cette évolution informatique qu'elle utilise dans le cadre de la gestion des dossiers de recouvrement qu'elle continue de gérer pour son compte,

Mais considérant qu'il convient de prendre en considération le nombre moyen mensuel de dossiers effectivement confiés sur les dix premiers mois de 2012 et le nombre moyen mensuel de dossiers confiés sur les trois années précédentes par Lyonnaise de banque à Sogefy tout en tenant compte également de la répercussion de la diminution du nombre des affaires contentieuses de la société Lyonnaise de Banque ; qu'il n'y a pas lieu de prendre en considération la perte de marge brute d'exploitation,

Considérant qu'il y a lieu d'allouer à la société Sogefy la somme de 156 000 euros,

Considérant que Sogefy verse aux débats le cahier des charges CM-CIC et les sociétés de recouvrement, la facture correspondant à des achats de logiciels ; que si les investissements sont spécifiques et nécessaires au traitement des dossiers que lui a confiés la société Lyonnaise de Banque, il apparaît que la société Sogefy a traité des dossiers pour le compte de la société Lyonnaise de Banque jusqu'à la fin de l'année 2013, de sorte que la demande d'indemnisation ne concerne pas un préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture mais de la rupture de la relation commerciale, par conséquent non indemnisable ; que la demande sera rejetée,

Considérant enfin que la mauvaise foi de la société Lyonnaise de Banque n'est pas rapportée, que la demande de dommages-intérêts faite à ce titre par la société Sogefy sera rejetée,

Par ces motifs, LA COUR, Infirmant le jugement sur le quantum des dommages-intérêts, Condamne la société Lyonnaise de Banque à payer à la société Sogefy la somme de 156 000 euros à titre de dommages-intérêts pour réparation du préjudice subi en raison de la rupture brutale des relations commerciales, Confirme le jugement pour le surplus, Condamne la société Lyonnaise de Banque à payer à la société Sogefy la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société Lyonnaise de Banque aux entiers dépens.