Cass. crim., 29 juin 2016, n° 15-81.889
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Planchon
Avocat général :
M. Bonnet
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, Me Ricard
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, venant aux droits de la société Y, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Nîmes, en date du 10 février 2015, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à effectuer des opérations de visite et saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, L. 450-4 du Code de commerce, 56, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Privas, en date du 22 novembre 2013, ayant notamment autorisé une visite et saisie dans les locaux du groupe XX dont la société Y et a débouté l'intéressée de l'ensemble des moyens d'annulation soulevés ;
"aux motifs que (...) sur le périmètre de l'autorisation de visites et saisies, (...) la SAS X, la SAS V et la SAS W soutiennent que ce même principe de proportionnalité aurait été enfreint, dès lors que le périmètre des visites et saisie n'a pas été limité aux quatre marchés soumis à l'examen du juge ; que, (cependant) dans la mesure où le premier juge a relevé que les indices ressortant de l'analyse des quatre marchés soumis à son appréciation constituaient des illustrations de présomptions de pratiques prohibées d'entente dans le secteur de l'éclairage public, c'est sans porter atteinte au principe de proportionnalité qu'il n'a pas limité les recherches à ces quatre marchés, dès lors qu'il limitait les investigations au champ des seules pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce relevées dans le secteur concerné ainsi précisé ; que (...) la SAS X fait une critique identique de l'ordonnance déférée en ce qu'aucun des constats effectués ne serait suffisant pour caractériser des présomptions d'entente prohibée sur les quatre marchés visés, dès lors que la seule reconduction des titulaires des précédents marchés ne saurait constituer un indice de l'existence d'une entente ; que le faible nombre de soumissionnaires sur les lots 1 à 6 ne saurait servir d'indice utile, dans la mesure où à l'exception du lot n° 6 on dénombre toujours plus d'un candidat, où leur nombre est cohérent avec celui du lot n° 7, qui n'est pas considéré comme souffrant d'un manque de concurrence, et où le nombre et l'identité des entreprises candidates est justifié par leur implantation géographique et l'accessibilité des territoires ; que la DIRECCTE ne pouvait sérieusement prétendre justifier ses présomptions d'entente sur les lots 1 à 6 en comparant les offres avec celles déposées sur les lots 7 à 10 par des entreprises qui n'étaient pas précédemment titulaires des marchés, alors que les rabais accordés sur les lots 1 à 6 ne pourraient être considérés négligeables ; que, pour les marchés passés par la commune d'Annonay le caractère irrégulier de son offre d'entretien d'éclairage public lié à l'absence de dépôt de mémoire technique ne serait pas caractérisé, dans la mesure où le règlement de consultation n'imposait pas ce dépôt, et où, s'agissant du marché d'aménagement de la place des cordeliers, le seul constat du dépôt d'une offre incomplète serait insuffisant à fonder une présomption de pratiques anticoncurrentielles ; qu'elle n'est pas concernée par le marché de la ville de Le Teil (...) ; que (cependant), en premier lieu, la célérité avec laquelle le juge des libertés et de la détention a rendu son ordonnance sur requête est indifférente, quant à l'appréciation du contrôle effectif des indices soumis à son examen, quand bien même il déciderait à l'issue de ce contrôle de s'approprier l'analyse proposée par l'administration requérante ; qu'en deuxième lieu, la procédure prévue par l'article L. 450-4 du Code de commerce n'étant pas subsidiaire de celle prévue à l'article L. 450-3 du même code, le juge des libertés et de la détention, qui a estimé que le recours à cette dernière procédure ne lui paraissait pas suffisant pour permettre à l'Administration de corroborer ses soupçons, n'était pas tenu de motiver sa décision autrement que par l'analyse des indices soumis, afin d'apprécier la proportionnalité des mesures sollicitées pour atteindre les objectifs recherchés, à savoir intervenir de manière à éviter la dissimulation et la destruction des éléments de preuve qui seraient détenus dans des lieux ou selon des modalités favorisant leur distraction ; qu'en troisième lieu, le fait que les marchés constitutifs d'indices d'infractions aient été conclus de longue date, n'est pas exclusif de la poursuite de la commission de ces infractions ; qu'en effet, dans l'hypothèse suspectée de la participation des entreprises concernées à un réseau de répartition concertée des marchés public, du secteur de l'éclairage public, qui impliquerait des compensations réciproques destinées à favoriser la reconduction des titulaires des marchés sur le secteur, qui leur a été attribué, l'autorisation sollicitée tend bien à permettre la constatation d'infractions en cours de commission ; qu'ensuite, la circonstance que les entreprises visées par l'ordonnance ne soient concernées que par certains des marchés soumis à l'examen du juge, ne justifie pas que leur participation à une éventuelle entente prohibée ne soit pas appréciée au regard des indices tirés des marchés auxquels elles n'ont pas concouru, dès lors que l'absence de soumission est susceptible d'être une suite de la concertation suspectée ; que le premier juge a relevé notamment que s'agissant de l'appel d'offre du Syndicat départemental d'énergie de l'Ardèche portant sur un ensemble de 10 lots à l'exception des lots 7 à 10 remportés par les entreprises Béranger et Citclum, qui seraient venues exercer une vraie concurrence, les sociétés titulaires sortantes des lots 1 à 6 ont été reconduites sur ce lot sans avoir rencontré de véritable concurrence, elles-mêmes ne portant pas d'effort de concurrence sur les lots attribués aux autres titulaires sortantes concernées, ce qui résultait de la comparaison du nombre de soumissionnaires par lot et des offres de rabais consentis sur chaque lot, les entreprises visées ne se portant pas candidates sur les lots voisins alors que leur implantation géographique les prédisposait à y venir ; que, s'agissant de l'appel d'offre de la commune d'Annonay, portant sur la fourniture et l'entretien de l'éclairage public, deux des entreprises concurrentes, dont la SAS X, ont présenté des offres irrecevables, de sorte que le marché a été attribué au groupement W/T, dont l'offre restait la seule utilement présentée ; que, s'agissant de l'aménagement de la place des, Cordeliers à Annonay, le marché a encore été attribué à la SAS W en raison de l'irrégularité de la seule offre concurrente émanant de la SAS X ; que, s'agissant de l'appel d'offre de la commune de Le Tell, la candidature de la SAS R a été écartée pour défaut de réponse aux questions posées, alors qu'elle était financièrement la plus intéressante ; que sous réserve de l'explication donnée a posteriori par la SAS Z sur le coût des lampes afférentes à ce marché, le juge des libertés et de la détention relevait en outre que les prix proposés pour des fournitures courantes variaient d'un marché à l'autre pour une même entreprise, sans raison apparente ; qu'ainsi, indépendamment de la liberté reconnue à toute entreprise de choisir tant ses clients, que ses secteurs d'intervention, et quand bien même les donneurs d'ordre ne retiendraient pas nécessairement les offres les plus économiques eu égard à la qualité spécifique des services offerts, le premier juge a pu sans s'exposer à la critique, déduire de ces éléments des indices, qui pris isolément ne seraient pas suffisamment pertinents, mais laissaient présumer, une fois rapprochés les uns des autres, que des pratiques prohibées de concertation entre les différentes entreprises du secteur public de l'éclairage étaient en train de se commettre en vue de désigner entre elles et par avance les titulaires des marchés à renouveler et d'imposer des prix élevés aux collectivités publiques, par une limitation artificielle de la concurrence, les spécificités topographiques du département de l'Ardèche et les contraintes économiques en résultant, n'étant pas de nature à exclure une telle entente illicite ; que la renonciation par les agents de la DIRECCTE, en raison d'une difficulté d'effectifs de personnels, à procéder à certaines des visites autorisées, qu'ils avaient prévu de conduire concomitamment, ne saurait invalider a posteriori la pertinence de l'analyse du premier juge ; qu'il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance entreprise (...) ;
"1°) alors qu'une ordonnance autorisant une visite domiciliaire, n'est régulière qu'à condition de circonscrire précisément la visite ; qu'une autorisation de visite n'est suffisamment déterminée que si elle définit précisément non seulement le marché de produits concerné par les pratiques anticoncurrentielles présumées dont la preuve est recherchée, mais aussi l'étendue géographique des pratiques incriminées ; qu'en décidant que les seuls marchés publics cités qui ne concernaient que l'Ardèche justifiaient l'ouverture d'une enquête concernant le marché de l'éclairage public en général sans délimiter précisément son champ géographique, la cour d'appel a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ainsi que l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
"2°) alors qu'une ordonnance autorisant une visite domiciliaire, n'est régulière qu'à la condition de circonscrire précisément la visite ; qu'une autorisation de visite n'est suffisamment déterminée que si elle définit précisément non seulement le marché de produits concerné par les pratiques anticoncurrentielles présumées dont la preuve est recherchée, mais aussi l'étendue géographique des pratiques incriminées ; que la seule appartenance à un groupe d'une entreprise mise en cause ne suffit pas pour présumer que l'entente s'inscrit dans un système généralisé sur l'ensemble du territoire national ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ainsi que l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
"3°) alors que la proportionnalité d'une visite et saisie domiciliaires par rapport au but recherché doit être appréciée en fonction des circonstances de fait particulières propres à chaque espèce ; qu'en affirmant pour considérer que le recours à une visite domiciliaire n'était pas disproportionnée, que la procédure prévue par l'article L. 450-4 du Code de commerce n'est pas subsidiaire de celle prévue à l'article L. 450-3 du même code et que le juge n'a pas à motiver spécialement sa décision sur ce point, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et L. 450-4 du Code de commerce ;
"4°) alors que la simple reconduction des mêmes titulaires sur les lots précédemment obtenus par eux ne saurait à elle seule démontrer l'existence d'une concertation ; qu'en affirmant au contraire que la reconduction des titulaires des marchés sur le secteur, qui leur a été attribué constituait un indice de concertation entre entreprises, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et L. 450-4 du Code de commerce ;
"5°) alors que la société X avait indiqué, dans ses conclusions d'appel, " qu'en pratique, de nombreux facteurs expliquent en effet " la prime au sortant " : relations avec les concessionnaires et les fournisseurs de matières premières, connaissance du terrain, des spécificités locales y compris des riverains qui facilitent la réalisation pratique des chantiers et la résolution des éventuels litiges (p. 11) ; qu'en se bornant à considérer que la reconduction des titulaires des marchés sur le secteur, qui leur a été attribué constituait un indice de concertation entre entreprises, sans répondre à ce moyen de défense déterminant, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs ;
"6°) alors que le fait de ne pas soumissionner n'est pas un indice constitutif d'entente ; qu'en considérant au contraire, s'agissant de l'appel d'offre du syndicat départemental d'énergie de l'Ardèche portant sur un ensemble de dix lots, que la circonstance que les sociétés attributaires des lots 7 à 10 ne se soit pas portées candidates sur les lots 1 à 6 à renouveler constituait un indice de concertation, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme et L. 450-4 du Code de commerce ;
"7°) alors qu'en reprochant à la société X d'avoir déposé des offres irrecevables s'agissant des appels d'offre de la commune d'Annonay, sans répondre aux conclusions déterminantes de la société X contestant non seulement la réalité des irrecevabilités alléguées mais établissant surtout que le groupement V auquel l'un des marchés a été attribué était en tout état de cause moins disant d'un point de vue tarifaire de sorte que même complète l'offre de la société X n'aurait pas nécessairement été retenue, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motif" ;
Attendu que les énonciations de l'ordonnance attaquée mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le premier président de la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi et caractérisé, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;
Rejette le pourvoi.