CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 juin 2016, n° 14-05550
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Centrale Achats Impression Diffusion (SARL)
Défendeur :
Zannier (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mme Mouthon-Vidilles, M. Thomas
Avocats :
Mes Janet, Fisselier, Illinas
Faits et procédure
La société à responsabilité limitée Centrale Achats Impression Diffusion (Caid) a une activité de prestations de services en matière de réalisation de publicité, produits marketing et merchandising à destination des professionnels de la distribution.
Le groupe Zannier exerce une activité de conception, fabrication et commercialisation de vêtements pour enfants.
La société Caid et la société par actions simplifiée Zannier (société Zannier) qui exploite sous l'enseigne Z sont en relation d'affaires depuis plusieurs années. Le chiffre d'affaires de la société Caid a progressé depuis 2007.
En 2011, le chiffre d'affaires réalisé par la société Caid avec la société Zannier baisse de manière significative.
Estimant être victime de la rupture brutale des relations commerciales entretenues avec la société Zannier, la société Caid l'a assignée, par acte du 16 janvier 2012, devant devant le Tribunal de commerce de Paris en réparation de son préjudice.
Par jugement du 27 janvier 2014, le Tribunal de commerce de Paris a :
- Condamné la société Zannier à payer à lasociété Caid Centrale Achats Impression Diffusion, la somme de 124 340 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies.
- Débouté la société Caid Centrale Achats Impression Diffusion de sa demande de dommages et intérêts supplémentaires de 100 000 euros.
- Condamné la société Zannier à payer à la société Caid Centrale Achats Impression Diffusion la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
- Débouté la société Zannier de sa demande d'expertise,
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, en toutes ses dispositions, sans constitution de garantie,
- Condamné la société Zannier aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.
La cour est saisie de l'appel interjeté par la société Caid Centrale Achats Impression Diffusion du jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 27 janvier 2014.
Vu les conclusions du 11 juin 2014 par lesquelles la société à responsabilité limitée Caid Centrale Achats Impression Diffusion (Caid) demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce
Vu la jurisprudence y afférent,
Vu les pièces versées aux débats,
- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a reconnu la rupture brutale de la relation commerciale avec la société Caid aux torts de la société Zannier:
- Dire que les sociétés Caid et Zannier sont en relations commerciales établies et constantes depuis 2000,
- Dire qu'il existe entre les deux sociétés un chiffre d'affaires constant, et même en augmentation significative en particulier pour le dernier exercice 2010,
- Constater qu'à la suite de l'information orale de la responsable communication de la société Zannier, l'informant officieusement du transfert de la prestation à une autre société, la société Caid a adressé un mail à cette dernière le 24 mars 2011, à laquelle il ne lui a été apporté aucune réponse concrète, sauf une promesse de réunion qui n'a jamais eu lieu,
- Constater que la société Caid n'a reçu aucune nouvelle commande de la société Zannier pour l'exercice 2011, et que les facturations émises en 2011 correspondant à des fins de traitement de devis et commandes antérieures émises à fin 2010,
En conséquence,
- Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a reconnu la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Caid depuis 2000, sans aucun préavis, aux torts de la société Zannier,
- Réformer le jugement de première instance s'agissant de la réparation qui a été accordée à la société Caid du fait de la rupture brutale de la relation commerciale aux torts de la société Zannier:
- Dire que l'intégralité du chiffre d'affaires développé par la société Caid avec la société Zannier pour l'exercice 2010 doit être retenu, dès lors qu'il correspond à une évolution de la demande qui s'était amorcée après la crise de 2008, dès 2009, à savoir une politique de promotions permanentes en complément des soldes traditionnelles, nécessitant donc un travail en merchandising et marketing plus important, qui s'est traduit directement auprès de la société Caid par des commandes plus nombreuses correspondant très précisément à cette évolution marketing,
- Dire que la part de la société Zannier dans le chiffre d'affaires de la société Caid représente plus de 55 % en moyenne et plus de 65 % en 2010, (et 80 % avec le groupe Zannier en général) de sorte que la société Caid était de surcroit en situation de dépendance économique avérée vis à vis de son donneur d'ordre,
- Dire par ailleurs que la société Caid s'était mise à disposition de la société Zannier, et était occupée à plein temps par la production pour ce client, au regard de la masse de travail et du cahier des charges qui était donné en termes de qualité et de rapidité de livraison, outre le travail au quotidien avec les équipes de communication et marketing, de sorte qu'elle n'avait en aucun cas la possibilité matérielle de démarches d'autres clients,
- Dire qu'a posteriori de cette brusque rupture, la société Caid n'a pas eu la possibilité de retrouver un client aussi significatif dans son chiffre d'affaires, en particulier dans le secteur géographique du Rhône Alpes, que ce soit à Court terme ou à long terme,
- Prendre acte de ce que la société Caid a d'ailleurs dû se défaire de ses salariés à la suite de cette rupture brutale de relation commerciale, le gérant n'ayant aujourd'hui d'autre choix que de travailler seul,
En conséquence,
- Condamner la société Zannier au paiement d'une indemnité de brusque rupture au profit de la société Caid, qui ne saurait être inférieure à 24 mois de préavis, en raison de l'importante antériorité des relations commerciales de plus de 10 ans, ainsi que de la part prépondérante de la société Zannier dans le chiffre d'affaires de la requérante, et donc de sa situation de dépendance économique, sur la base de la marge mensuelle moyenne brute, soit la somme globale de 488 000 euros,
A titre infiniment subsidiaire, la cour devait estimer que le préavis serait inférieur à 24 mois, et, ou devait confirmer la durée de préavis retenue par les premiers juges,
- Dire que la circonstance aggravante de dépendance économique doit conduire au prononcé d'une indemnité complémentaire et spécifique de 100 000 euros au profit de la société Caid,
- Dans tous les cas, compte tenu des frais irrépétibles que la société Caid est contrainte d'engager en première instance et d'appel,
- Condamner la société Zannier au paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais exposés non compris dans les dépens, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés par Me Marie Janet, avocat à la cour, dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions du 7 août 2014 par lesquelles la société par actions simplifiée Zannier (Zannier) demande à la cour de :
Vu l'article L. 442-6 du Code de commerce,
Vu les articles 1147, 1149 et 1382 du Code civil,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées aux débats,
- Réformer le jugement entrepris, et statuant à nouveau,
A titre principal,
- Débouter la société Caid de l'ensemble de ses fins, moyens et prétentions,
A titre subsidiaire,
- Dire que l'indemnité de saurait excéder une somme de 57 854 euros,
En tout état de cause,
- Condamner la société Caid à verser à la société Zannier la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens tant de première instance que d'appel dont distraction au profit de la SCP AFG prise en la personne de Maître Alain Fisselier, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie :
Considérant que la société Caid fait valoir qu'il existait entre les parties une relation d'affaires régulière depuis l'année 2000, en progression constante qui a été brutalement rompue ; qu'elle explique qu'en raison de l'externalisation du service "merchandising" que la société Zannier lui avait confiée, elle avait créé exclusivement une organisation et un service "merchandizing" dédiés aux besoins de la société Zannier pour l'enseigne Z ; qu'au début de l'année 2011, le responsable du service communication de la société Zannier a laissé entendre que le service devait être réorganisé et que cette prestation serait pour l'essentiel, attribuée à une plateforme d'édition "Culture Prod" ; qu'elle n'a plus reçu de commandes depuis le début de l'année 2011 ; que la circonstance que la société Caid a continué à travailler avec les autres sociétés du groupe Zannier ne saurait faire échec à l'action qu'elle forme contre la société Zannier ; qu'elle n'a jamais indiqué ne plus vouloir répondre à des demandes de devis de la société Zannier,
Qu'elle fait valoir une diminution importante du chiffre d'affaires réalisé avec la société Zannier qui en 2010 était de 942 596 euros et en 2011 seulement de 119 076 euros,
Considérant que la société Zannier distingue les commandes passées après consultations et les commandes directes,
Que pour ce qui concerne les relations d'affaires réalisées après consultations, il n'y a pas de relation commerciale établie dans la mesure où la société Zannier recherche le meilleur prix notamment par l'envoi de demande de devis à différents intervenants avant toute commande, ce qui ôte à la relation tout caractère établi puisque le fournisseur n'a aucune assurance d'être retenu et l'acheteur n'a aucune obligation de passer ses commandes, qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir respecté un préavis ; qu'elle expose qu'elle n'a pas mis fin aux relations avec la société Caid, que le mandat donné à la société Culture Prod pour améliorer son processus d'achat n'a pas donné lieu à une modification substantielle des relations antérieures entre la société Zannier et Caid reposant déjà sur un système de consultations, que la société Culture Prod a continué à consulter la société Caid, que la société Caid a répondu jusqu'au 8 juin 2011 date à laquelle elle a fait connaître à la société Culture Prod sa volonté de n'être plus interrogée, s'excluant elle-même du processus d'appel d'offres,
Que pour ce qui concerne les réalisation d'affaires réalisées sans consultation préalable, la société Zannier a maintenu ces relations d'affaires directes avec la société Caid durant l'année 2011 représentant un chiffre d'affaires total de 207 770,41 euros HT de sorte qu'il n'a pas été mis fin brutalement au courant d'affaires, qu'elle ajoute que les autres sociétés du groupe ont passé des commandes directes tout le long de l'exercice 2011,
Mais considérant que les sociétés Caid et Zannier entretiennent des relations continues depuis 2004, que le seul relevé d'un chiffre d'affaires réalisé entre ces deux sociétés depuis l'année 2000 dont l'auteur n'est pas connu, qui n'est étayé par aucune pièce ne peut rapporter la preuve de l'existence de relations avant l'année 2004,
Considérant également qu'il est rapporté par différents courriels qu'à partir de juillet 2010, la société Zannier a demandé ses prix à Caid qui répondait "Suite à votre demande de prix, nous avons le plaisir de vous communiquer...", puis qu'à partir de janvier 2011, c'est par l'intermédiaire de la société Culture Prod qu'elle a formulé ses demandes ; que, contrairement à ce qui est soutenu, il n'est justifié pour la période antérieure à l'année 2011 d'aucune circonstance pouvant établir une quelconque précarité dans les relations des parties, la société Zannier n'établissant pas avoir refusé certains marchés à partir des devis de Caid avant le premier janvier 2011 ; que Caid pouvait estimer que la relation d'affaires était établie dans une certaine durée,
Considérant que la baisse brutale du chiffre des commandes constatée dès le début de l'année 2011 n'est pas expliquée, notamment par les quelques problèmes de malfaçons qui ne sont pas anormaux dans une relation d'affaires, pour lesquels des courriels ont été échangés plusieurs mois avant, en novembre, décembre 2009 et en 2010 mais qui n'ont donné lieu à aucune mise en garde ou remise en cause des relations ; qu'enfin, l'imputabilité de la rupture à la société Caid ne peut être établie par l'attestation rapportant les propos du gérant de la société Caid rédigée par Madame Le Moal, salariée de la société Culture Prod, concurrente de Caid, étant observé que cette attestation n'est corroborée par aucun document et que sa teneur se trouve en complète contradiction avec les messages adressés par Caid à Zannier quelques semaines plus tôt,
Considérant que la rupture est intervenue dès le mois de janvier 2011, sans respect d'un quelconque préavis,
Sur la demande des dommages et intérêts :
Considérant que la société Caid rappelle les différents éléments à prendre en compte pour calculer la durée du préavis qui aurait dû être respecté et conteste ainsi la durée retenue par les premiers juges, qu'elle rappelle que la relation avec la société SAS Zannier dure depuis plus de 10 ans, qu'elle se trouvait dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Zannier en particulier les 4 dernières années de leur collaboration, ce qui constitue une circonstance aggravante de la rupture brutale des relations commerciales, que le préavis doit être fixé à 24 mois,
Qu'elle fait valoir que l'indemnité de préavis doit être calculée sur la base de la marge brute réalisée au regard du chiffre d'affaires moyen des trois dernières années qui était en pleine évolution et au regard de l'absence de caractère exceptionnel du chiffre d'affaires réalisé en 2010 et qu'ainsi, l'indemnité de préavis doit être fixée à 488 000 euros ; qu'elle estime rapporter la preuve du taux de marge brute réelle effectuée par deux attestations de son expert-comptable,
Considérant que la société Zannier conteste la durée des relations invoquée par Caid qui selon elle ont débuté en 2004, qu'elle conteste toute dépendance économique, exposant que la société Caid a fait le choix de concentrer ses efforts sur sa relation d'affaires avec la société Zannier alors qu'elle en connaissait la précarité et d'avoir abandonné ses autres clients qui représentaient pourtant la majorité de son chiffre d'affaires jusqu'en 2008, que le préavis ne saurait excéder huit mois,
Qu'elle fait valoir que le point de départ du préavis doit s'entendre du premier février 2011 qui correspond à l'intervention de la société Culture Prod, rappelle que le tribunal a justement ramené le chiffre d'affaires de 2010 à 600 000 euros, faisant valoir que l'année 2010 a donné lieu à un volume d'affaires exceptionnel en raison du gain par Caid du marché de remplacement des PLV permanents de l'intégralité des magasins du réseau Z ; que la société Caid ne saurait prétendre à l'allocation d'une indemnité supérieure à 57 854 euros,
Mais considérant que la part du chiffre d'affaires réalisé avec la SAS Zannier a considérablement augmenté en 2010 ; que toutefois Caid ne démontre pas que Zannier a exigé qu'elle lui consacre toute son activité, ou encore, comme l'a justement relevé le tribunal de commerce, que Zannier a, par la pression imposée dans les rythme des commandes, empêchée Caid de prospecter d'autres clients ; que la part importante du chiffre d'affaires réalisé avec Zannier par Caid (52,74 % en 2008, 61,71 % en 2009 et 69,91 % en 2010) résulte du seul choix de cette dernière, qui ne peut invoquer un état de dépendance économique imputable à Zannier,
Considérant que les relations des parties, continues depuis 2004 ont été interrompues brutalement en janvier 2011 ; que le tribunal a justement apprécié la durée du préavis qui aurait dû être donné à 8 mois,
Considérant certes que la société Caid a continué à travailler avec les sociétés filiales de Sofiza (groupe Zannier) ainsi qu'il résulte de la pièce 12 communiquée par Zannier, réalisant ainsi un chiffre d'affaires pour 2011 de 452 888,17 euros TTC, mais que ce chiffre ne saurait être pris en compte pour le calcul de l'indemnité due ; que par ailleurs le chiffre d'affaires avancé par la société par actions simplifiée Zannier pour l'année 2011 (207 770,41 euros HT) n'est pas établi par la pièce 12 à laquelle Zannier se réfère ; qu'en revanche, le chiffre d'affaires réalisé par Caid avec la SAS Zanier en 2011 qui s'élève à 119 076 + 6 214,42 euros selon les écritures de Caid sera pris en compte, étant observé que le chiffre d'affaires est partiellement réalisé chaque année grâce aux commandes passées l'année précédente,
Considérant que les parties s'opposent sur la prise en compte, pour le calcul de l'indemnité, du chiffre d'affaires de l'année 2010, beaucoup plus important que celui des deux années 2008 et 2009 (566 432 euros en 2008, 582 403 euros en 2009 et 942 596 euros en 2010), que Zannier soutient qu'elle a modifié sa charte graphique et que Caid a gagné le marché de remplacement des PLV permanentes de l'intégralité des magasins du réseau Z, que Caid expose qu'il y a eu un cycle markéting très spécifique mis en place après 2008, très concrètement à partir de 2009, nécessitant que la politique de promotion permanente sur les possibilités de vendre en complément des périodes de soldes, qui a exigé de sa part un gros travail de merchandising et marketing ; que la cour observe sur ce point que ni l'une ni l'autre des parties ne justifient précisément leurs dires et qu'en l'espèce, si le caractère exceptionnel invoqué par Zannier est possible, il lui appartient d'en administrer la preuve, ce qu'elle ne fait pas,
Considérant, au regard des pièces versées qu'il y a lieu de prendre en compte le chiffre d'affaires moyen annuel à partir des chiffres d'affaires réalisés sur les trois dernières années, le taux de marge brute moyen de 32 %, ainsi que la marge brute sur le chiffre d'affaires réalisé par Caid avec la société par actions simplifiée Zannier en 2011 ; que l'indemnité sera fixée à la somme de 108 631 euros,
Par ces motifs, LA COUR, Infirmant sur le quantum de la somme due à la société Caid à titre de dommages-intérêts, Condamne la société Zannier à payer à la société Caid la somme de 108 631 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale, Condamne la société Zannier à payer à la société Caid la somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Zannier aux dépens lesquels seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.