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Décisions

CJUE, 8e ch., 21 juin 2016, n° C-121/16

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Salumificio Murru SpA

Défendeur :

Autotrasporti di Marongiu Remigio

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Svaby (rapporteur)

Juges :

MM. Vilaras, Malenovsky

Avocat général :

M. Szpunar

CJUE n° C-121/16

21 juin 2016

LA COUR (huitième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 101 TFUE, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, TUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Salumificio Murru SpA à Autotrasporti di Marongiu Remigio au sujet du paiement d'une somme correspondant à la différence entre le montant effectivement payé au titre de diverses opérations de transport et le montant dû conformément à une réglementation nationale fixant le prix des services de transport de marchandises par route pour le compte d'autrui.

Le cadre juridique

3 La loi n° 32, du 1er mars 2005, portant délégation au gouvernement pour réformer la réglementation relative au transport par route de personnes et de marchandises (GURI n° 57, du 10 mars 2005, p. 5), vise, notamment, à introduire une libéralisation régulée et à remplacer le précédent système de tarifs obligatoires à fourchette par un système basé sur la libre négociation des prix pour les services de transport par route.

4 Dans le cadre de la délégation prévue par la loi n° 32, du 1er mars 2005, le gouvernement italien a adopté différents décrets législatifs, dont le décret législatif n° 284, du 21 novembre 2005 (supplément ordinaire à la GURI n° 6, du 9 janvier 2006), qui a institué la Consulta generale per l'autotrasporto e la logistica (Conseil général pour le transport par route et la logistique, Italie), une institution chargée d'activités de conseil, et, en tant qu'organe de celle-ci, l'Osservatorio sulle attività di autotrasporto (Observatoire du transport par route, Italie, ci-après l'" Observatoire "), composé de dix membres choisis par le président du Conseil général pour le transport par route et la logistique, qui exerce, notamment, des fonctions de surveillance concernant le respect des dispositions en matière de sécurité routière et de sécurité sociale et qui procède à l'actualisation des usages et des coutumes régissant les contrats de transport de marchandises par route conclus verbalement.

5 L'article 83 bis du décret-loi n° 112, du 25 juin 2008 (ci-après le " décret-loi n° 112-2008 "), a, par la suite, réduit la portée de la libéralisation tarifaire introduite par le décret législatif n° 286, du 21 novembre 2005, en prévoyant, en ce qui concerne les contrats conclus verbalement, que la rémunération due par le donneur d'ordre ne peut être inférieure aux coûts minimaux d'exploitation dont la fixation a été confiée à l'Observatoire et qui incluent le coût moyen du carburant par kilomètre parcouru, pour les différents types de véhicules, fixé mensuellement, et la part, exprimée en pourcentage, des coûts d'exploitation de l'entreprise de transport routier pour le compte d'autrui représentée par les coûts de carburant, fixée semestriellement.

6 L'article 83 bis, paragraphe 10, du décret-loi n° 112-2008 prévoyait que " [t]ant que les décisions visées aux paragraphes 1 et 2 [qui régissaient l'activité de l'Observatoire] ne seront pas disponibles, le ministère des Infrastructures et des Transports établit, pour les divers types de véhicules et selon le kilométrage parcouru, les indices du coût en carburant par kilomètre et son incidence, sur la base des données en sa possession et des relevés mensuels du prix moyen du gasoil routier effectués par le ministère du Développement économique, après avoir entendu les associations les plus représentatives des transporteurs et des donneurs d'ordres ".

7 Aux termes du paragraphe 11 de cet article 83 bis, " [l]es dispositions des paragraphes 3 et 10 du présent article s'appliquent aux variations du coût du gasoil routier intervenues à partir du 1er janvier 2009 ou de la dernière adaptation effectuée à partir de cette date ".

8 Le ministère des Infrastructures et des Transports a par conséquent publié mensuellement, à partir du mois de juin 2009, les données relatives aux coûts moyens du carburant, jusqu'à la publication, le 2 novembre 2011, des tableaux établis par l'Observatoire qui a été constitué au mois de juillet 2010.

9 L'article 1er, paragraphe 248, de la loi n° 190-2014, entrée en vigueur le 1er janvier 2015, a modifié l'article 83 bis du décret-loi n° 112-2008 de telle sorte que la détermination de la rémunération relève désormais de l'autonomie des parties. Ce dernier article, tel que modifié par la loi n° 190-2014, n'est toutefois pas applicable, ratione temporis, au litige au principal.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

10 Salumificio Murru a été enjointe de payer la somme de 37 136,27 euro, majorée d'intérêts moratoires ainsi que des dépens et des honoraires, à l'entreprise Autotrasporti di Marongiu Remigio, à titre de solde du prix de transports effectués par cette dernière en vertu d'un accord verbal conclu avec cette première, correspondant, notamment, à la différence entre les montants versés et les montants dus conformément à l'article 83 bis, paragraphes 6 à 9, du décret-loi n° 112-2008.

11 Salumificio Murru a formé opposition contre cette injonction, en excipant, notamment, de l'inconstitutionnalité de cette disposition et de ce que celle-ci était contraire au droit de l'Union. Autotrasporti di Marongiu Remigio a conclu au rejet de l'opposition.

12 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi relève que, par l'arrêt du 4 septembre 2014, API e.a. (C-184-13 à C-187-13, C-194-13, C-195-13 et C-208-13, EU:C:2014:2147), la Cour a dit pour droit que l'article 101 TFUE, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le prix des services de transport de marchandises par route pour le compte d'autrui ne peut être inférieur à des coûts minimaux d'exploitation, lesquels sont fixés par un organisme composé principalement de représentants des opérateurs économiques concernés.

13 Elle relève, toutefois, que, à l'occasion de cet arrêt, la Cour a apprécié une situation différente de celle dont elle a actuellement à connaître.

14 Selon la juridiction de renvoi, étaient en cause, dans cette affaire, les coûts minimaux d'exploitation fixés par l'Observatoire, un organisme composé principalement de représentants des opérateurs économiques concernés, alors que, dans l'affaire au principal, sont en cause les coûts minimaux fixés par le ministère des Infrastructures et des Transports. Partant, elle estime que les enseignements de l'arrêt du 4 septembre 2014, API e.a. (C-184-13 à C-187-13, C-194-13, C-195-13 et C-208-13, EU:C:2014:2147), ne peuvent être transposés à la réglementation en cause au principal.

15 Au vu des considérations énoncées aux points 50 à 57 de l'arrêt du 4 septembre 2014, API e.a. (C-184-13 à C-187-13, C-194-13, C-195-13 et C-208-13, EU:C:2014:2147), la juridiction de renvoi s'interroge néanmoins sur le point de savoir si une telle réglementation n'est pas contraire à l'obligation imposée aux États membres de ne pas prendre ou de ne pas maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles de porter atteinte à l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises.

16 Dans ces conditions, le Tribunale di Cagliari (tribunal de Cagliari, Italie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" 1) L'article 101 TFUE, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, TUE, doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle prévue à l'article 83 bis, paragraphe 10, du décret loi n° 112-2008, dans la mesure où le prix des services de transport de marchandises par route pour le compte d'autrui ne peut être inférieur à des coûts minimaux d'exploitation établis par le ministère des Infrastructures et des Transports et n'est pas laissé à la libre détermination des contractants ?

2) Compte tenu de la qualité d'autorité publique du ministère des Infrastructures et des Transports, les règles de concurrence dans le marché intérieur peuvent-elles être restreintes par la réglementation nationale afin de poursuivre l'objectif de protection de la sécurité routière ? "

Sur les questions préjudicielles

17 En vertu de l'article 99 du règlement de procédure, lorsqu'une question posée à titre préjudiciel est identique à une question sur laquelle la Cour a déjà statué, lorsque la réponse à une telle question peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée à titre préjudiciel ne laisse place à aucun doute raisonnable, la Cour peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l'avocat général entendu, décider de statuer par voie d'ordonnance motivée.

18 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

19 Par ses questions, qu'il y a lieu d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 101 TFUE, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le prix des services de transport de marchandises par route pour le compte d'autrui ne peut être inférieur à des coûts minimaux d'exploitation fixés par une administration nationale.

20 Ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour, s'il est vrai que l'article 101 TFUE concerne uniquement le comportement des entreprises et ne vise pas des mesures législatives ou réglementaires émanant des États membres, il n'en demeure pas moins que cet article, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, TUE, qui instaure un devoir de coopération entre l'Union européenne et les États membres, impose à ces derniers de ne pas prendre ou de ne pas maintenir en vigueur des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises (arrêt du 4 septembre 2014, API e.a., C-184-13 à C-187-13, C-194-13, C-195-13 et C-208-13, EU:C:2014:2147, point 28 ainsi que jurisprudence citée).

21 Il y a violation de l'article 101 TFUE, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, TUE, lorsqu'un État membre soit impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'article 101 TFUE ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention d'intérêt économique (arrêt du 4 septembre 2014, API e.a., C-184-13 à C-187-13, C-194-13, C-195-13 et C-208-13, EU:C:2014:2147, point 29 ainsi que jurisprudence citée).

22 En l'occurrence, il est constant que les coûts minimaux visés à l'article 83 bis du décret-loi n° 112-2008 sont fixés par le ministère des Infrastructures et des Transports lui-même, après avoir entendu les associations les plus représentatives des transporteurs et des donneurs d'ordre.

23 Compte tenu de ces modalités de fixation, il est manifeste que l'État membre n'a nullement retiré à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention d'intérêt économique.

24 Une telle conclusion n'est pas remise en cause par le fait que les coûts minimaux visés à l'article 83 bis du décret-loi n° 112-2008 sont fixés après que les associations les plus représentatives des transporteurs et des donneurs d'ordre ont été entendues (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2014, API e.a., C-184-13 à C-187-13, C-194-13, C-195-13 et C-208-13, EU:C:2014:2147, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

25 Pour les mêmes motifs tenant aux modalités de fixation, par le ministère des Infrastructures et des Transports, des coûts minimaux visés à l'article 83 bis du décret-loi n° 112-2008, il ne saurait être considéré qu'une réglementation telle que celle en cause au principal permet de conclure à l'existence d'une entente entre entreprises, au sens de l'article 101 TFUE, que les pouvoirs publics auraient imposée ou favorisée ou dont ils auraient renforcé les effets.

26 En ce sens, la situation en cause au principal se distingue de celle examinée dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 4 septembre 2014, API e.a. (C-184-13 à C-187-13, C-194-13, C-195-13 et C-208-13, EU:C:2014:2147), au point 41 duquel la Cour a considéré que l'Observatoire devait être considéré comme une association d'entreprises au sens de l'article 101 TFUE lorsqu'il adopte des décisions fixant les coûts minimaux d'exploitation pour le transport par route.

27 De ce fait, il n'y a, en l'occurrence, pas lieu d'apprécier si une réglementation telle que celle en cause au principal impose des restrictions de concurrence effectivement nécessaires afin d'assurer la mise en œuvre d'objectifs légitimes.

28 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 101 TFUE, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le prix des services de transport de marchandises par route pour le compte d'autrui ne peut être inférieur à des coûts minimaux d'exploitation fixés par une administration nationale.

Sur les dépens

29 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

L'article 101 TFUE, lu en combinaison avec l'article 4, paragraphe 3, TUE, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle le prix des services de transport de marchandises par route pour le compte d'autrui ne peut être inférieur à des coûts minimaux d'exploitation fixés par une administration nationale.