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Décisions

ADLC, 12 juillet 2016, n° 16-D-16

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du logement social de la ville de Grenoble

ADLC n° 16-D-16

12 juillet 2016

L'Autorité de la concurrence (vice-président désigné pour adopter seul la décision),

Vu la lettre enregistrée le 25 octobre 2013, sous le numéro 13/0079 F, par laquelle la SCI Résidence Saint-François a saisi l'Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la ville de Grenoble et l'office public de l'habitat ACTIS dans le secteur de la fourniture de logements sociaux ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la décision n° 16-JU-03 du 3 juin 2016, par laquelle le président de l'Autorité de la concurrence a désigné M. Thierry Dahan, vice-président, pour adopter seul la décision qui résultera de l'examen de la saisine enregistrée sous le numéro 13/0079 F ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, entendus lors de la séance du 28 juin 2016, le commissaire du gouvernement et la partie saisissante ayant été régulièrement convoqués ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettre du 25 octobre 2013, enregistrée sous le n° 13/0079 F, la société civile immobilière Résidence Saint-François (ci-après " SCI Résidence Saint-François ") a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après " l'Autorité ") d'une plainte dénonçant des pratiques mises en œuvre par la ville de Grenoble et l'office public de l'habitat (OPH) ACTIS dans le secteur de la fourniture de logements sociaux.

2. La SCI Résidence Saint-François, créée le 18 février 2008 en vue du portage d'un projet de construction d'un immeuble d'habitation de 27 logements (dont 8 logements locatifs sociaux) sur un terrain situé 3 à 7 bis rue de l'Aigle à Grenoble, est une filiale du groupe Pierre et Nature Immobilier.

B. LES PRATIQUES DÉNONCÉES PAR LA PLAIGNANTE

a) La plaignante dénonce, à titre principal, une entente entre la ville de Grenoble et l'office public d'habitation ACTIS

3. La SCI Résidence Saint-François dénonce une entente entre les services de l'urbanisme de la ville de Grenoble et ACTIS qui aurait été mise en œuvre lors de l'instruction de la demande de permis de construire déposée par la société Pierre et Nature en vue de la réalisation du projet de construction de la rue de l'Aigle. La ville et le bailleur social se seraient concertés, à l'occasion des échanges préalables à la demande de permis par les services de l'urbanisme, afin qu'ACTIS soit désigné comme bénéficiaire des logements sociaux relevant de la catégorie PLUS. La pratique aurait ultérieurement permis à ACTIS d'imposer à la SCI Résidence Saint-François, des prix d'acquisition nettement inférieurs à ceux du marché et également inférieurs au prix de revient des logements en cause.

b) Elle dénonce, à titre subsidiaire, deux autres pratiques

4. La SCI Résidence Saint-François soutient également qu'il existerait une entente entre les différents bailleurs sociaux intervenant dans la région grenobloise consistant à imposer aux promoteurs-constructeurs de la région des prix d'achat inférieurs au prix du marché. Elle produit une délibération du conseil municipal de la ville de Grenoble adoptant le 26 mars 2007 un projet de " charte pour la production de logements sociaux dans le cadre des opérations de promotion privée ". Ce projet, qui n'a pas débouché sur la signature effective d'une charte en 2007, serait néanmoins l'indice d'une concertation qui aurait influencé les comportements ultérieurs des bailleurs concernés.

5. Elle soutient enfin qu'ACTIS aurait été placé, par l'effet du permis de construire, en situation de monopole pour l'acquisition des logements sociaux en cause et en aurait abusé en imposant à la SCI Résidence Saint-François des prix d'achat abusivement bas. Ce comportement pourrait aussi être qualifié d'abus de dépendance économique à son encontre.

II. Discussion

A. SUR LA PRESCRIPTION DE LA PLAINTE EN CE QUI CONCERNE L'ENTENTE ENTRE LA VILLE DE GRENOBLE ET ACTIS

6. L'article L. 462-8 du Code de commerce dispose que " l'Autorité de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable pour défaut d'intérêt ou de qualité à agir de l'auteur de celle-ci, ou si les faits sont prescrits au sens de l'article L. 462-7, ou si elle estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence ".

7. En vertu de l'article L. 462-7 du Code de commerce : " L'Autorité ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction ".

8. La saisine étant datée du 25 octobre 2013, tous les faits antérieurs au 25 octobre 2008 étaient prescrits au moment où elle a été enregistrée.

9. Les pratiques dénoncées à titre principal par la saisissante visent des faits qui se seraient produits au moment des discussions entre les services de l'urbanisme de la ville de Grenoble et le bailleur social ACTIS à l'occasion de l'instruction de la demande de permis de construire déposée par la société Pierre et Nature, soit avant le 8 août 2006, et qui pourraient s'être poursuivis au plus tard jusqu'à la délivrance de ce permis de construire, le 12 juillet 2007. Ces faits étaient donc prescrits au moment du dépôt de la plainte.

10. Il y a donc lieu de déclarer la saisine irrecevable en ce qui concerne l'entente dénoncée à titre principal.

B. SUR LE SURPLUS

11. L'article L. 462-8 du Code de commerce prévoit que l'Autorité de la concurrence peut "rejeter la saisine par décision motivée lorsque les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants ".

12. En premier lieu, une éventuelle entente résultant d'un projet de charte approuvée par le conseil municipal de Grenoble ne saurait constituer un élément probant de l'existence d'une entente anticoncurrentielle affectant le comportement des bailleurs sociaux puisque le projet de charte n'a pas été signé et mis en œuvre.

13. En second lieu, l'opération immobilière concernant la rue de l'Aigle ne saurait à elle seule constituer un marché pertinent au sens du droit de la concurrence. Dans ces conditions, l'existence d'une position dominante d'ACTIS sur un tel marché n'est étayée par aucun élément probant. De même, la plaignante ne produit aucun élément de nature à établir qu'elle se trouverait dans une situation de dépendance économique à l'égard de ce bailleur social.

14. Les pratiques d'entente ou d'abus alléguées pour la période non prescrite ne sont, par conséquent, pas appuyées d'éléments suffisamment probants.

15. Il y a donc lieu de rejeter la saisine en ce qui les concerne.

DECISION

Article 1er : La saisine de la SCI Résidence Saint-François est déclarée irrecevable en ce qui concerne les pratiques d'entente entre la ville de Grenoble et la société ACTIS du fait de la prescription.

Article 2 : La saisine est rejetée pour le surplus.

Délibéré sur le rapport oral de M. Gilles Vaury, rapporteur et l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Thierry Dahan vice-président, président de séance.