CC, 4 août 2016, n° 2016-736 DC
CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Décision
Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels
Le CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues à l'article 61, deuxième alinéa, de la Constitution, de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, sous le numéro 2016-736 DC, le 21 juillet 2016, par MM. Bruno Retailleau, Pascal Allizard, Gérard Bailly, Philippe Bas, Jean Bizet, François Bonhomme, Gilbert Bouchet, Michel Bouvard, François-Noël Buffet, François Calvet, Christian Cambon, Mme Agnès Canayer, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Jean-Noël Cardoux, Jean-Claude Carle, Mme Caroline Cayeux, M. Gérard César, Mme Anne Chain-Larche, MM. Pierre Charon, Daniel Chasseing, Philippe Dallier, René Danesi, Mathieu Darnaud, Mme Isabelle Debré, MM. Francis Delattre, Robert Del Picchia, Gérard Deriot, Mmes Catherine Deroche, Jacky Deromedi, Chantal Deseyne, Catherine Di Folco, MM. Eric Dolige, Philippe Dominati, Mme Marie-Annick Duchêne, M. Alain Dufaut, Mme Nicole Duranton, M. Louis Duvernois, Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gautier, Jacques Genest, Bruno Gilles, Mme Colette Giudicelli, MM. Alain Gournac, Jean-Pierre Grand, Daniel Gremillet, François Grosdidier, Jacques Grosperrin, Mme Pascale Gruny, MM. Michel Houel, Alain Houpert, Benoit Hure, Jean-François Husson, Mme Corinne Imbert, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Roger Karoutchi, Mme Fabienne Keller, M. Guy-Dominique Kennel, Mme Elisabeth Lamure, MM. Antoine Lefèvre, Jacques Legendre, Dominique De Legge, Jean-Pierre Leleux, Jean-Baptiste Lemoyne, Philippe Leroy, Gérard Longuet, Mme Vivette Lopez, MM. Michel Magras, Claude Malhuret, Didier Mandelli, Alain Marc, Mmes Colette Melot, Marie Mercier, Brigitte Micouleau, MM. Alain Milon, Alberic De Montgolfier, Mme Patricia Morhet-Richaud, Mm. Philippe Nachbar, Louis Negre, Louis-Jean De Nicolay, Claude Nougein, Jackie Pierre, François Pillet, Xavier Pintat, Remy Pointereau, Ladislas Poniatowski, Mmes Sophie Primas, Catherine Procaccia, MM. Jean-Pierre Raffarin, Henri De Raincourt, Michel Raison, Jean-François Rapin, André Reichardt, René-Paul Savary, André Trillard, Mme Catherine Troendle, MM. Michel Vaspart, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial et Jean-Pierre Vogel, sénateurs.
Il a également été saisi, le 22 juillet 2016, par MM. Christian Jacob, Elie Aboud, Bernard Accoyer, Yves Albarello, Benoist Apparu, Patrick Balkany, Sylvain Berrios, Mme Marine Brenier, MM. Philippe Briand, Yves Censi, Gérard Cherpion, Guillaume Chevrollier, Alain Chrétien, Dino Cinieri, Eric Ciotti, François Cornut-Gentille, Jean-Louis Costes, Edouard Courtial, Jean-Michel Couve, Bernard Debré, Bernard Deflesselles, Patrick Devedjian, Mme Sophie Dion, MM. Julien Dive, Jean-Pierre Door, David Douillet, Mme Marianne Dubois, MM. Yves Fromion, Laurent Furst, Claude De Ganay, Guy Geoffroy, Georges Ginesta, Claude Goasguen, Philippe Gosselin, Philippe Goujon, Mme Arlette Grosskost, MM. Jean-Claude Guibal, Michel Herbillon, Antoine Herth, Patrick Hetzel, Philippe Houillon, Guénhaël Huet, Sébastien Huyghe, Christian Kert, Mmes Nathalie Kosciusko-Morizet, Laure De La Raudière, MM. Guillaume Larrivé, Charles De La Verpillière, Mme Isabelle Le Callennec, MM. Marc Le Fur, Jean Leonetti, Pierre Lequiller, Philippe Le Ray, Céleste Lett, Mmes Geneviève Levy, Véronique Louwagie, MM. Lionnel Luca, Gilles Lurton, Hervé Mariton, Alain Marleix, Olivier Marleix, Alain Marsaud, Patrice Martin-Lalande, Alain Marty, Jean-Claude Mathis, François De Mazières, Damien Meslot, Jean-Claude Mignon, Yannick Moreau, Mme Dominique Nachury, MM. Yves Nicolin, Patrick Ollier, Bernard Perrut, Edouard Philippe, Axel Poniatowski, Mme Josette Pons, Mm. Frédéric Reiss, Thierry Benoît, Charles De Courson, Laurent Degallaix, Yannick Favennec, Hervé Morin, Bertrand Pancher, Arnaud Richard, François Rochebloine, Rudy Salles, André Santini, Francis Vercamer et Philippe Vigier, députés.
Il a enfin été saisi, le 25 juillet 2016, par MM. Pouria Amirshahi, Marc Dolez, Mme Jacqueline Fraysse, MM. Jean-Philippe Nilor, Nicolas Sansu, François Asensi, Mme Huguette Bello, M. Alain Bocquet, Mme Marie-George Buffet, MM. Jean-Jacques Candelier, Patrice Carvalho, Gaby Charroux, André Chassaigne, Mmes Danielle Auroi, Laurence Abeille, MM. Jean-Louis Roumégas, Philippe Nogues, Noël Mamère, Mme Eva Sas, M. Sergio Coronado, Mmes Michèle Bonneton, Isabelle Attard, Cécile Duflot, Isabelle Bruneau, Fanélie Carrey-Conte, MM. Laurent Baumel, Denys Robiliard, Benoît Hamon, Pascal Cherki, Thomas Thévenoud, Jean-Pierre Blazy, Mme Edith Gueugneau, MM. Christian Paul, Patrice Prat, Jean-Luc Laurent, Christian Hutin, Mme Barbara Romagnan, MM. Romain Joron, Daniel Goldberg, Philippe Baumel, Mme Dominique Chauvel, MM. Christian Assaf, Jérôme Lambert, Mmes Geneviève Gaillard, Linda Gourjade, M. Régis Juanico, Mme Kheïra Bouziane-Laroussi, MM. Jean Lassalle, Hervé Féron, Mme Paola Zanetti, MM. Michel Pouzol, Gérard Sebaoun, Mmes Aurélie Filippetti, Suzanne Tallard, MM. Christophe Léonard, Christophe Premat, Mathieu Hanotin, Jean-Marc Germain, Mme Chaynesse Khirouni, MM. Pierre-Alain Muet et Serge Bardy, députés.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le Code général des collectivités territoriales ;
- le Code de la sécurité sociale ;
- le Code du travail ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Les sénateurs et les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Les sénateurs et les députés auteurs de la deuxième saisine contestent la conformité à la Constitution de son article 64. Les députés auteurs de la deuxième saisine contestent également la conformité à la Constitution de son article 27. Enfin, les députés auteurs de la troisième saisine contestent la procédure d'adoption de cette loi.
- Sur la procédure d'adoption de la loi :
En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité du Gouvernement :
2. Les députés auteurs de la troisième saisine reprochent au Premier ministre d'avoir engagé la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale en application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution à trois reprises au cours de la discussion du projet de loi, alors que le conseil des ministres n'en a délibéré qu'une seule fois. Ils soutiennent également que l'application de ces dispositions a rompu le " juste équilibre entre la préservation du bon déroulé de la discussion parlementaire et les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ".
3. Selon le troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution : " Le Premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ". L'exercice de la prérogative ainsi conférée au Premier ministre n'est soumis à aucune autre condition que celles posées par ces dispositions. Ainsi, une seule délibération du conseil des ministres suffit pour engager, lors des lectures successives d'un même texte, la responsabilité du Gouvernement qui en a ainsi délibéré.
4. En application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, le conseil des ministres a délibéré, au cours de sa réunion du 10 mai 2016, sur l'engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le projet de loi à l'origine de la loi déférée. Le Premier ministre a engagé la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote de ce projet de loi, en première lecture le 10 mai 2016, en nouvelle lecture le 5 juillet, puis en lecture définitive le 20 juillet. Les conditions posées par la Constitution à la mise en œuvre, pour l'examen de ce texte, du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, ont donc été respectées.
En ce qui concerne le droit d'amendement :
5. Lors de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le délai limite pour le dépôt des amendements en vue de l'élaboration du texte de la commission a été fixé à 17 heures, le 29 juin, tandis que le texte transmis par le Sénat avait été publié, après l'échec de la commission mixte paritaire, à 10 heures 50 ce même jour. Le délai limite pour le dépôt des amendements en vue de la séance publique a, quant à lui, été fixé à 20 heures, le 2 juillet, tandis que le texte adopté par la commission avait été publié le 1er juillet à 23 heures 55. Les députés auteurs de la troisième saisine font valoir que la brièveté de ces délais n'a pas permis aux députés d'exercer effectivement le droit d'amendement qu'ils tiennent de l'article 44 de la Constitution. Ils soutiennent qu'ont été ainsi méconnues les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
6. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi est l'expression de la volonté générale... ". Selon le premier alinéa de l'article 3 de la Constitution : " La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants... ". Ces dispositions imposent le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
7. Selon le premier alinéa de l'article 44 de la Constitution : " Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d'amendement. Ce droit s'exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ".
8. Si les amendements n'ont pu être déposés, en vue de l'examen en commission, en nouvelle lecture, à l'Assemblée nationale, qu'à compter du 29 juin à 10 heures 50, après l'échec de la commission mixte paritaire, les dispositions du texte servant de base à ces amendements étaient connues dès l'issue de l'examen par le Sénat, en première lecture, des articles du projet de loi.
9. Ainsi, à ce stade de la procédure, compte tenu de l'état d'avancement des travaux législatifs, les délais retenus, à l'Assemblée nationale, pour le dépôt des amendements en commission et en séance publique, n'ont pas fait obstacle à l'exercice effectif par les députés de leur droit d'amendement ni altéré la clarté et la sincérité des débats.
10. Les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire et de l'atteinte portée à l'exercice effectif du droit d'amendement doivent donc être écartés.
11. La loi déférée a donc été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.
- Sur l'article 27 :
12. L'article 27 est relatif à la mise à disposition de locaux au profit d'organisations syndicales par les collectivités territoriales et leurs groupements. Son paragraphe I insère dans le Code général des collectivités territoriales un article L. 1311-18 qui régit la mise à disposition de locaux au profit d'organisations syndicales par les collectivités territoriales ou leurs groupements. Son premier alinéa autorise cette mise à disposition. Son deuxième alinéa confie à l'organe exécutif de la collectivité territoriale ou du groupement le soin de déterminer les conditions d'utilisation de ces locaux. Son troisième alinéa prévoit que l'organe délibérant fixe la contribution due à raison de cette utilisation. Son quatrième alinéa prévoit que cette mise à disposition peut faire l'objet d'une convention écrite. Son cinquième alinéa institue un droit à indemnisation au profit de l'organisation syndicale lorsque la collectivité territoriale ou le groupement décide de retirer à l'organisation syndicale la disposition de locaux dont elle avait bénéficié pendant plus de cinq ans sans lui proposer des locaux de substitution. Ce même alinéa prévoit, toutefois, qu'il n'y a pas lieu à indemnité lorsque la convention écrite le stipule expressément. Son paragraphe II procède, à l'article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales, aux coordinations rendues nécessaires par la création de l'article L. 1311-18. Son paragraphe III prévoit : " Le I du présent article est applicable aux locaux mis à la disposition d'organisations syndicales avant la publication de la présente loi ".
13. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent que le droit à indemnisation institué au profit des organisations syndicales porte atteinte à la libre administration des collectivités territoriales. Ils soutiennent également que le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence en s'abstenant de préciser les éléments de calcul de cette indemnité.
En ce qui concerne le paragraphe I de l'article 27 :
14. Selon le premier alinéa de l'article 72 de la Constitution : " Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi ". Le troisième alinéa du même article dispose que ces collectivités " s'administrent librement par des conseils élus " dans les conditions prévues par la loi.
15. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Le bon usage des deniers publics constitue une exigence constitutionnelle qui découle de l'article 14 de la Déclaration de 1789. Si l'article 13 de la Déclaration de 1789 n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Le respect de ce principe ainsi que l'exigence de bon emploi des deniers publics ne seraient pas assurés si était allouée à des personnes privées une indemnisation excédant le montant de leur préjudice.
16. En premier lieu, en prévoyant que les collectivités territoriales et leurs groupements ont la faculté, le cas échéant par la voie d'une convention écrite, de mettre des locaux à la disposition d'organisations syndicales, à titre gratuit ou onéreux, les dispositions des premier à quatrième alinéas de l'article L. 1311-18 du Code général des collectivités territoriales ne créent aucune obligation susceptible de porter atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales.
17. En second lieu, lorsqu'elle n'est pas fixée conventionnellement, l'indemnité due à une organisation syndicale à raison de l'interruption de la mise à disposition de locaux qu'elle occupait depuis plus de cinq ans sans que la collectivité territoriale ou le groupement lui propose des locaux de substitution est justifiée par l'objectif d'intérêt général qui s'attache à ce que les organisations syndicales disposent de moyens pour mettre en œuvre la liberté syndicale. Toutefois, l'indemnité prévue par le cinquième alinéa de l'article L. 1311-18 ne saurait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles résultant de l'article 13 de la Déclaration de 1789 et le bon usage des deniers publics, excéder le préjudice subi à raison des conditions dans lesquelles il est mis fin à l'usage de ces locaux. Sous cette réserve, les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 1311-18 du Code général des collectivités territoriales, qui ne sont pas entachées d'incompétence négative, ne portent atteinte ni aux exigences des articles 13 et 14 de la Déclaration de 1789 ni au principe de libre administration des collectivités territoriales.
18. Sous la réserve énoncée au paragraphe 17, les dispositions de l'article L. 1311-18 du Code général des collectivités territoriales sont conformes à la Constitution.
En ce qui concerne le paragraphe III de l'article 27 :
19. Il résulte des dispositions du paragraphe III de l'article 27 que le droit à indemnisation prévu au profit des organisations syndicales par le cinquième alinéa de l'article L. 1311-18 du Code général des collectivités territoriales s'applique de manière rétroactive, d'une part, aux conventions en cours à la date de la publication de la loi déférée et, d'autre part, aux conventions ayant pris fin avant cette date.
20. Selon l'article 16 de la Déclaration de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il résulte de cette disposition que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. En outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie.
21. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Par ailleurs, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant de l'article 4 de la Déclaration de 1789.
22. En adoptant le paragraphe III de l'article 27, le législateur a entendu répondre aux difficultés rencontrées par des organisations syndicales bénéficiant de locaux mis à leur disposition avant la publication de la loi déférée qui ont été tenues ou seraient tenues de libérer ces locaux dans des conditions qui leur sont préjudiciables. Il a ainsi poursuivi l'objectif d'intérêt général qui s'attache à ce que les organisations syndicales disposent de moyens nécessaires à la mise en œuvre de la liberté syndicale.
23. D'une part, en prévoyant l'application du cinquième alinéa de l'article L. 1311-18 aux conventions ayant pris fin avant la date de la publication de la loi déférée, sans que cette application rétroactive soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ni qu'elle réserve le cas des décisions de justice ayant force de chose jugée, les dispositions du paragraphe III de l'article 27 portent atteinte à la garantie des droits, protégée par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
24. D'autre part, en prévoyant l'application du cinquième alinéa de l'article L. 1311-18 aux conventions en cours, le paragraphe III de l'article 27 a pour effet d'obliger les collectivités et leurs groupements soit à proposer des locaux de substitution aux organisations syndicales soit à leur verser une indemnité, sans qu'ils aient été mis en mesure de s'en exonérer préalablement par une stipulation expresse. Par conséquent, ces dispositions portent aux conventions légalement conclues une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi. Ainsi, les dispositions du paragraphe III de l'article 27 méconnaissent les exigences résultant de l'article 4 de la Déclaration de 1789.
25. Les dispositions du paragraphe III de l'article 27 sont contraires à la Constitution. Le reste des dispositions de l'article 27 est, sous la réserve énoncée au paragraphe 17, conforme à la Constitution.
- Sur l'article 64 :
26. L'article 64 prévoit, dans le premier alinéa de son paragraphe I, sous certaines conditions, la mise en place, dans les réseaux d'exploitants d'au moins trois cents salariés en France, liés par un contrat de franchise, d'une instance de dialogue social commune à l'ensemble du réseau. Cette instance comprend des représentants des salariés et des employeurs franchisés. Elle est présidée par le " franchiseur ". Le deuxième alinéa de ce même paragraphe renvoie à l'accord mettant en place cette instance sa composition, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat, la fréquence des réunions, les heures de délégation octroyées pour y participer et leurs modalités d'utilisation. Ses troisième à cinquième alinéas précisent qu'à défaut d'accord le nombre de réunions de l'instance est fixé à deux par an et qu'un décret en Conseil d'État détermine les autres caractéristiques de son fonctionnement. Son sixième alinéa détermine les modalités de prise en charge des coûts de fonctionnement. Ses huitième à dixième alinéas lui permettent d'être informée des décisions du franchiseur de nature à affecter les effectifs, la durée du travail ou les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés ainsi que de formuler toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d'emploi et de formation professionnelle des salariés dans l'ensemble du réseau ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives complémentaires mentionnées à l'article L. 911-2 du Code de la sécurité sociale. Le paragraphe II de l'article 64 prévoit l'établissement d'un bilan de la mise en œuvre de cet article.
27. Les députés auteurs de la deuxième saisine et les sénateurs soutiennent que les dispositions de l'article 64 méconnaissent le droit des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail garanti par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Selon eux, la mise en place d'une instance de dialogue social n'est possible que si les salariés y participant appartiennent à la même communauté de travail. Or, une telle communauté n'existerait pas entre les salariés de différents franchisés. Les députés reprochent également à ces dispositions leur inintelligibilité. Les sénateurs estiment pour leur part que l'article 64 porte une atteinte inconstitutionnelle à la liberté d'entreprendre du franchiseur et du franchisé dans la mesure où il leur impose de participer à une instance de dialogue avec les salariés de l'ensemble des franchisés du réseau et d'en supporter les charges de fonctionnement. Ils font enfin valoir que la différence de traitement instituée par cet article, entre les réseaux de franchise et les autres commerces organisés en réseau tels que les coopératives ou concessions, méconnaît le principe d'égalité.
En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité :
28. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
29. En imposant aux seuls réseaux d'exploitants liés par un contrat de franchise la mise en place d'une instance de dialogue regroupant les salariés de ces différents exploitants, à l'exclusion des autres formes juridiques de réseaux commerciaux, le législateur a traité différemment des situations différentes. En effet, les caractéristiques des contrats de franchise conduisent à ce que l'encadrement des modalités d'organisation et de fonctionnement des entreprises franchisées puisse avoir un impact sur les conditions de travail de leurs salariés. Cette différence de traitement est en rapport avec l'objet de la loi tendant à prendre en compte, par la création d'une instance de dialogue social, l'existence d'une communauté d'intérêt des salariés des réseaux de franchise. Par suite, les dispositions de l'article 64 ne méconnaissent pas le principe d'égalité.
En ce qui concerne l'atteinte à la liberté d'entreprendre et la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence :
30. Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
31. Il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34. En vertu de cet article, la loi détermine les principes fondamentaux " du régime de la propriété ... du droit du travail ".
32. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux représentants des salariés des employeurs franchisés d'être informés des décisions du franchiseur " de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés " et de formuler des propositions. Il a ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général.
33. En premier lieu, d'une part, selon le premier alinéa de l'article 64, la mise en place de cette instance ne s'impose que si trois conditions sont réunies : le réseau de franchise doit comprendre au moins trois cents salariés en France ; le contrat de franchise doit comporter des clauses ayant un effet sur l'organisation du travail et les conditions de travail des salariés des entreprises franchisées ; une organisation syndicale représentative au niveau de la branche ou ayant constitué une section syndicale au sein d'une entreprise du réseau doit avoir demandé la constitution de cette instance. D'autre part, cette instance peut uniquement recevoir des informations relatives à l'action du franchiseur et formuler des propositions de nature à améliorer les conditions de travail, d'emploi et de formation professionnelle des salariés du réseau, sans participer par elle-même à la détermination des conditions de travail des salariés, qui relève de l'employeur et des instances représentatives du personnel propres à chaque entreprise franchisée. Ainsi, la création de cette instance de dialogue social ne porte pas en elle-même atteinte à la liberté d'entreprendre.
34. En deuxième lieu, le deuxième alinéa de l'article 64 prévoit que l'accord mettant en place l'instance de dialogue social fixe, outre sa composition, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat et la fréquence des réunions, les heures de délégation accordées aux salariés des franchisés pour y participer ainsi que leurs modalités d'utilisation. Le principe même d'un tel accord n'est pas contraire à la liberté d'entreprendre sous réserve que les entreprises franchisées participent à la négociation.
35. À défaut d'accord, le cinquième alinéa dispose que les heures de délégation et leurs modalités d'utilisation sont déterminées par un décret en Conseil d'État. Toutefois, le législateur, compétent pour déterminer les principes fondamentaux du régime de la propriété et du droit du travail, ne pouvait, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, prévoir l'existence d'heures de délégation spécifiques pour l'instance de dialogue créée sans encadrer le nombre de ces heures. Dès lors, les dispositions du cinquième alinéa de l'article 64 ne sauraient être interprétées comme autorisant le pouvoir réglementaire à prévoir, pour la participation à cette instance, des heures de délégation supplémentaires, s'ajoutant à celles déjà prévues pour les représentants des salariés par les dispositions législatives en vigueur.
36. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 34 et 35, les dispositions des deuxième et cinquième alinéas de l'article 64 ne méconnaissent pas la compétence du législateur et ne portent pas atteinte à la liberté d'entreprendre.
37. En troisième lieu, en application du sixième alinéa de l'article 64, à défaut d'accord entre le franchiseur, les représentants des salariés et ceux des franchisés, les dépenses d'organisation des réunions ainsi que les frais de séjour et de déplacement sont mis à la charge du franchiseur. Sauf si les parties en conviennent différemment, le nombre de réunions de cette instance de dialogue est fixé à deux par an. Par ailleurs, sont également mises à la charge du franchiseur les dépenses de fonctionnement de l'instance. Compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur, dont la portée ne peut qu'être limitée en raison de l'absence de communauté de travail existant entre les salariés de différents franchisés, ces dispositions, qui imputent l'intégralité des dépenses et des frais au seul franchiseur à l'exclusion des employeurs franchisés, portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Les mots " ou, à défaut, par le franchiseur " figurant au sixième alinéa de l'article 64 sont donc contraires à la Constitution.
En ce qui concerne la méconnaissance du principe de participation des travailleurs :
38. Selon le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ".
39. Les dispositions de l'article 64 n'ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à l'existence et au fonctionnement des instances représentatives du personnel des franchisés et franchiseurs. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail et à la gestion de leur entreprise doit être écarté.
40. Sous les réserves énoncées aux paragraphes 34 et 35, les dispositions de l'article 64 autres que les mots " ou, à défaut, par le franchiseur " figurant au sixième alinéa de cet article, qui ne sont pas inintelligibles et ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
- Sur la place d'autres dispositions dans la loi déférée :
En ce qui concerne les dispositions introduites en première lecture :
41. Selon la dernière phrase du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution : " Sans préjudice de l'application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ".
42. L'article 62 de la loi déférée pérennise au-delà du 31 décembre 2016 la possibilité pour l'employeur d'assurer par décision unilatérale la couverture complémentaire santé de certains salariés par le versement d'une somme destinée à couvrir une partie de leurs cotisations à un contrat individuel.
43. L'article 65 de la loi déférée permet à certaines entreprises de moins de cinquante salariés de déduire de leurs résultats imposables une somme correspondant aux indemnités susceptibles d'être ultérieurement dues à leurs salariés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
44. Introduites en première lecture, les dispositions des articles 62 et 65 ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. Adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.
En ce qui concerne les dispositions introduites en nouvelle lecture :
45. Il ressort de l'économie de l'article 45 de la Constitution et notamment de la première phrase de son premier alinéa, selon laquelle : " Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique ", que les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition restant en discussion. Toutefois, ne sont pas soumis à cette dernière obligation les amendements destinés à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle.
46. Le paragraphe III de l'article 39 de la loi déférée modifie les règles d'utilisation des ressources du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. L'amendement dont est issu cette disposition a été introduit en nouvelle lecture. Cette adjonction n'était pas, à ce stade de la procédure, en relation directe avec une disposition restant en discussion. Elle n'était pas non plus destinée à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec des textes en cours d'examen ou à corriger une erreur matérielle. Adopté selon une procédure contraire à la Constitution, le paragraphe III de l'article 39 lui est donc contraire.
47. Le Conseil constitutionnel n'a soulevé d'office aucune autre question de conformité à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels :
- le paragraphe III de l'article 27 ;
- le paragraphe III de l'article 39 ;
- l'article 62 ;
- les mots " ou, à défaut, par le franchiseur " figurant au sixième alinéa de l'article 64 ;
- l'article 65.
Article 2.- Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la même loi :
- sous la réserve énoncée au paragraphe 17, le reste des dispositions de l'article 27 ;
- sous les réserves énoncées aux paragraphes 34 et 35, le reste des dispositions de l'article 64.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 août 2016, où siégeaient : M. Laurent Fabius, Président, Mmes Claire Bazy Malaurie, Nicole Belloubet, MM. Michel Charasse, Valéry Giscard d'Estaing, Jean-Jacques Hyest, Lionel Jospin, Mmes Corinne Luquiens, Nicole Maestracci et M. Michel Pinault.