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Décisions

CA Versailles, 5e ch., 18 août 2016, n° 15-03584

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Caisse Autonome de Retraite et de Prévoyance des Infirmiers Masseurs Kinésithérapeutes Pédicures

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fourmy

Conseillers :

Mmes Nirde-Dorail, Watrelot

Avocats :

Mes Skander, Pierre

TASS Cergy-Pontoise, du 20 mai 2015

20 mai 2015

FAITS ET PROCÉDURE,

M. Nicolas X, infirmier libéral, est affilié auprès de la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (la Carpimko ci-après) depuis le 1er avril 2009

Après mise en demeure adressée le 18 novembre 2013, par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 21 novembre 2013, la Carpimko a fait signifier à M. X, par acte d'huissier délivré le 27 mars 2014, une contrainte, datée du 16 janvier 2014, d'un montant total de 4 089,75 euros correspondant :

- aux cotisations dues pour la période de 2013 en principal, soit la somme de 3 895 euros,

- aux majorations de retard, soit la somme de 194,75 euros.

M. X a formé opposition à cette contrainte par lettre du 3 avril 2014 (recours 14-00411/P).

Après mise en demeure adressée le 27 juin 2014, par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 3 juillet 2014, la Carpimko a fait signifier à M. X, par acte d'huissier délivré le 21 novembre 2011, une contrainte, datée du 28 août 2014, d'un montant total de 14 752 euros correspondant :

- aux cotisations dues pour la période de 2014 et d'une régularisation du régime de base pour 2012 en principal, soit la somme de 14 050 euros,

- aux majorations de retard, soit la somme de 702,50 euros.

M. X a formé opposition à cette contrainte par lettre du 3 avril 2014 (recours 14-01489/P).

Par jugement du 20 mai 2015, le Tribunal des affaires de sécurité sociale du Val d'Oise a :

. ordonné la jonction des deux recours ouverts sous les numéros 14-00411/P et 14-01489/P ;

. dit irrecevable et infondée l'exception d'incompétence du tribunal des affaires de sécurité sociale ;

. rejeté les oppositions à contraintes formées par M. X ;

. constaté l'affiliation obligatoire de M. X à la Carpimko ;

. validé les contraintes signifiées à M. X pour les sommes totales de 4 089,75 euros et 14 752,50 euros ;

. rejeté la demande de M. X au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. X a relevé appel de ce jugement.

Par ses conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, il demande à la cour :

. d'ordonner à la Carpimko de produire les éléments de nature à prouver qu'elle a effectué les démarches nécessaires à son inscription au registre prévu à l'article L. 411-1 du Code de la mutualité ;

. d'ordonner la mainlevée de la contrainte du 7 novembre 2011, à titre principal celle-ci étant irrecevable et à titre subsidiaire, étant infondée ;

. de condamner la Carpimko à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ses conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, la Carpimko demande à la cour :

. de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

. de constater que M. X utilise les voies de recours à des fins purement dilatoires, dans le seul but de se soustraire à l'obligation de s'acquitter de ses cotisations sociales, et lui causant, en cela, un préjudice certain du fait qu'elle est investie d'une mission de service public ;

. de dire que M. X fait donc obstacle à l'application des textes législatifs et réglementaires en vigueur ;

. de condamner M. X à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de la débouter de la demande qu'elle forme à ce titre.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, ainsi qu'aux pièces déposées par les parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION,

Sur l'exception d'incompétence du tribunal des affaires de sécurité sociale

M. X conteste par écrit la compétence du tribunal des affaires de sécurité sociale dans le cadre du présent litige. Cette exception ne figure cependant pas au dispositif de ses conclusions.

En tout état de cause, cette demande qui n'a pas été soutenue oralement devant la cour, figure dans les motifs de ses écritures auxquelles il s'est référé oralement, mais seulement après sa défense au fond, juste avant sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Cette exception d'incompétence est donc irrecevable. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le défaut de qualité à agir de la Carpimko

Rappelant les dispositions de l'ordonnance du 4 octobre 1945, du décret du 19 juillet 1948, l'ordonnance du 19 octobre 1945 et celle du 19 avril 2001 portant statut de la mutualité, M. X estime que la Carpimko n'a pu se constituer que sous le régime des sociétés mutualistes et fonctionner conformément aux prescriptions du Code de la mutualité et que, faute de justifier avoir effectué les démarches nécessaires à son inscription au registre prévu par l'article L. 411-1 du Code de la mutualité, elle n'a pas qualité à agir et à solliciter le paiement des cotisations impayées.

La Carpimko réplique que les quelques références au Code de la mutualité figurant dans les textes d'origine, qui ne concernaient que le principe de constitution et de fonctionnement des organismes comme le sien, ont été supprimées par l'ordonnance du 18 juillet 2005 et qu'elle se trouve, depuis, uniquement régie par le Code de la sécurité sociale, de sorte qu'elle n'est pas une mutuelle.

Il convient de rappeler en premier lieu qu'il résulte de l'article L. 611-3 figurant au titre Ier du livre VI du Code de la sécurité sociale relatif au régime social des indépendants créé par l'ordonnance du 8 décembre 2005, que ce régime social comprend une caisse nationale et des caisses de base, que ce sont des " organismes de sécurité sociale dotés de la personnalité morale et de l'autonomie financière " et des " organismes de droit privé, chargés d'une mission de service public ".

Ensuite, l'article L. 613-1 du même Code précise que sont obligatoirement affiliés au régime d'assurance maladie et d'assurance maternité les travailleurs indépendants des professions non agricoles, c'est à dire, notamment, le groupe des professions artisanales, le groupe des professions industrielles et commerciales et le groupe des professions libérales, y compris les avocats. Il s'agit donc d'un régime légal obligatoire.

La Cour de cassation a, en outre, confirmé (2e Chambre civile, 23 mai 2007, n° 06-13.466) que les caisses de sécurité sociale des régimes non-salariés et non agricoles n'étaient pas des mutuelles mais constituaient " un régime légal obligatoire de sécurité sociale fondé sur un principe de solidarité et fonctionnant sur la répartition et non la capitalisation ". Ainsi les caisses assurant la gestion de ce régime ne constituent pas des entreprises au sens du traité instituant la Communauté et leur activité n'entre pas dans le champ d'application des directives concernant la concurrence en matière d'assurance.

Par conséquent le régime social des indépendants n'étant pas une mutuelle mais un régime de sécurité sociale obligatoire, il n'est pas astreint à une obligation d'inscription au conseil supérieur de la mutualité ni, a fortiori, à la fourniture d'un justificatif de son immatriculation au registre prévu par l'article L. 411-1 du Code de la mutualité, dans sa version antérieure au 23 janvier 2010.

Il n'y a donc pas lieu d'ordonner la production par la caisse des justificatifs réclamés à cet égard par l'appelant qui sera débouté de sa demande.

Le moyen tiré de l'absence de qualité à agir de la caisse de la Carpimko doit être rejeté et le jugement confirmé sur ce point.

Sur l'affiliation obligatoire à la Carpimko

M. X soutient par un argumentaire, confus et désordonné, que, selon l'arrêt rendu le 3 octobre 2013 par la Cour de justice européenne (affaire C-59/12), la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2015, relative aux pratiques commerciales déloyales s'applique à un organisme de droit public en charge d'une mission d'intérêt général, telle que la gestion d'un régime légal d'assurance maladie et que la directive étant transposée en droit français par la loi Châtel du 3 janvier 2008 dont le texte a été intégré au Code de la consommation, les relations entre la Carpimko et ses éventuels affiliés sont donc établies en application des dispositions du Code de la consommation. Or, plaide-t-il, ce texte exige l'existence d'un contrat entre ces organismes et les consommateurs. Indiquant ne jamais avoir signé de contrat avec la Carpimko, celle-ci n'a aucun moyen légal de le contraindre à cotiser à son régime. La mainlevée de la contrainte (sic) doit être ordonnée et les pratiques commerciales agressives de la Carpimko qui n'a pas respecté l'article L. 122-12 du Code de la consommation doivent être sanctionnées pénalement au regard de l'article 131-39 du Code pénal.

Il estime qu'étant déjà assuré auprès de sociétés d'assurance européennes, il n'était en aucun cas assujetti à une quelconque cotisation de la Carpimko alors que les directives européennes établissent la libre concurrence pour l'ensemble des régimes d'assurance sociale européens. Il cite l'arrêt P. du 25 mai 2000 pour soutenir que les régimes de sécurité sociale ne sont pas des régimes légaux mais des régimes professionnels regroupant les assurés selon leur profession et soutient que la Carpimko n'a pas respecté le droit européen en tentant de maintenir son monopole et en le contraignant à cotiser.

La Carpimko répond que la Cour européenne de justice a, par les arrêts des 17 février 1993 et 26 mars 1996, confirmé que les caisses d'assurance vieillesse des travailleurs non-salariés ne sont pas des entreprises commerciales au sens des articles 101 et 102 du traité fondamental de l'Union européenne, dans la mesure où elles n'exercent pas d'activité économique au sens des règles européennes de la concurrence. Elle estime que la décision de la CJUE du 3 octobre 2013 ne remet pas en cause le monopole de la sécurité sociale et ne permet pas aux travailleurs indépendants ni aux salariés de s'affilier à une assurance privée européenne.

L'arrêt BKK de la CJUE du 3 octobre 2013 ne statue que sur la question de l'application de la directive 2005/29 sur les pratiques commerciales déloyales et la notion de professionnels qui peut concerner une caisse d'assurance maladie, mais seulement en ce qu'il pourrait lui être reproché une pratique commerciale trompeuse. Cette décision n'a aucune portée quant à la légalité du régime de la sécurité sociale français lequel a été maintes fois confirmé par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans le cadre des arrêts Poucet et Pistre du 17 février 1993 qui rappellent que les caisses de maladie ou les organismes qui concourent à la gestion du service public de la sécurité sociale remplissent une fonction de caractère exclusivement social, activité fondée sur le principe de la solidarité nationale et dépourvue de tout but lucratif, ce dont il résulte que cette activité n'est pas une activité économique et que dès lors les organismes qui en sont chargés ne constituent pas des entreprises au sens des articles 85 et 86 du traité CEE et n'obéissent pas à une stricte logique de marché.

Par son arrêt du 18 juin 2015, la 2e Chambre civile de la Cour de cassation a d'ailleurs précisé la notion de " pratique commerciale des entreprises vis-à-vis des consommateurs " au sens de l'article 2 de la directive 2005/29/CE et a clairement affirmé que le recouvrement des cotisations et contributions dues par une personne assujettie à titre obligatoire au régime de protection sociale des travailleurs non-salariés agricoles, puisque c'était eux qui étaient concernés par l'espèce soumise à la cour, ne revêtait pas le caractère d'une pratique commerciale au sens de ces dispositions européennes et qu'il n'entrait donc pas dans le champ d'application de la directive. La cour de céans estime que cette interprétation s'impose également pour les travailleurs indépendants et que l'argument tiré de la libre concurrence qui s'applique pour l'ensemble des régimes d'assurance sociale européens est inopérant.

En outre, l'article 153 du Traité du fonctionnement de l'Union européenne précise que les dispositions contenues dans cet article " ne portent pas atteinte à la faculté reconnue aux Etats membres de définir les principes fondamentaux de leur système de sécurité sociale et ne doivent pas en affecter sensiblement l'équilibre financier ".

La directive 92/49/CEE du 18 juin 1992 invoquée par l'appelant n'est pas davantage applicable, ayant pour objectif " d'achever le marché intérieur dans le secteur de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, sous le double aspect de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services, afin de faciliter aux entreprises d'assurance ayant leur siège social dans la Communauté la couverture des risques situés à l'intérieur de la Communauté " (souligné par la cour). Elle ne concerne aucunement les régimes légaux de sécurité sociale français.

Sur le caractère professionnel de la Carpimko, il résulte de l'article 2, paragraphe 1, de la directive 86/378/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale que :

" Sont considérés comme régimes professionnels de sécurité sociale les régimes non régis par la directive 79/7/CEE qui ont pour objet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d'une entreprise ou d'un groupement d'entreprises, d'une branche économique ou d'un secteur professionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s'y substituer, que l'affiliation à ces régimes soit obligatoire ou facultative " (souligné par la cour).

Il s'avère que la Carpimko est, en soi, un régime légal qui s'adresse à l'ensemble des travailleurs non-salariés ou indépendants de diverses professions médicales, et qui n'a pas vocation à fournir des prestations complémentaires à un régime légal de sécurité sociale au sens de cette directive du 24 juillet 1986, contrairement à ce que soutient M. X.

Examinant la situation de régimes français de sécurité sociale, la CJUE a confirmé dans son arrêt G. (affaire C-238/94) la non-application de la directive 92/49/CEE à ces derniers. L'arrêt P., cité par l'appelant, ne porte pas sur les directives " assurances " mais sur l'application ou non de l'égalité de traitement entre les sexes à un régime français de retraite complémentaire obligatoire en répartition. La mise en libre concurrence de l'assurance maladie ne concerne donc que l'assurance complémentaire et facultative.

De tout ce qui précède, il résulte que, contrairement à ce soutient M. X, les règles du Code de la consommation prohibant les pratiques commerciales agressives ne sont pas applicables à la Carpimko et que l'existence d'un contrat n'est pas nécessaire, dès lors que son affiliation à un régime de sécurité sociale légal français est obligatoire.

Dans ces conditions, le moyen soulevé de l'irrecevabilité de la demande de la Carpimko du fait de l'absence de contrat, du caractère facultatif de l'affiliation à ce régime de sécurité sociale et des règles de la libre concurrence est inopérant et doit être rejeté. Le jugement entrepris sera confirmé à cet égard.

Sur le bien-fondé de la contrainte

Toute personne assujettie en vertu de l'article L. 613-1 du Code de la sécurité sociale au régime d'assurance maladie et maternité des travailleurs non-salariés des professions non agricoles est tenue au paiement des cotisations mentionnées aux articles L. 612-4 et L. 612-13 du Code de la sécurité sociale.

M. X ne critiquant pas le montant de la contrainte litigieuse, il convient de confirmer la validation par le tribunal des affaires de sécurité sociale de cette contrainte qui est régulière et bien fondée.

Sur les autres demandes

La Carpimko sollicite la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts en relevant que M. X utilise les voies de recours à des fins purement dilatoires, dans le seul but de se soustraire à son obligation de s'acquitter de ses cotisations sociales, ce qui lui cause un préjudice certain alors qu'elle se trouve investie d'une mission de service public.

Il est vrai que la Carpimko qui, comme cela a déjà été exposé, est un régime de sécurité sociale reposant sur la solidarité nationale, subit un préjudice financier résultant du non recouvrement ou du recouvrement tardif de cotisations qui devraient lui permettre de faire face au paiement de prestations à ses assurés ainsi que la loi lui en fait l'obligation. Cependant, ce préjudice étant réparé par les majorations de retard, la Carpimko, qui n'allègue ni ne justifie d'aucun préjudice distinct, doit être débouté de cette demande.

Aucune considération d'équité ne justifie que soit fait droit à la demande formée par M. X au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

En revanche, il convient de faire droit à la demande formée par la Carpimko à cet égard et de lui octroyer la somme de 3 000 euros qu'il sollicite.

Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré, et par décision contradictoire, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, y compris en ce qu'il a déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par M. X ; Déboute M. X de sa demande tendant à ce que la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (Carpimko) justifie de son inscription au registre national des mutuelles ; Déboute la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (Carpimko) de sa demande de dommages et intérêts ; Condamne M. X à payer à la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (Carpimko) la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute M. X de la demande qu'il forme au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rappelle que les frais de signification et d'exécution de la contrainte sont à la charge du débiteur (Article R. 133-6 du Code de la sécurité sociale) ; Rappelle que la présente procédure est exempte de dépens.