CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 septembre 2016, n° 14-25478
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Cachan Distribution (SA)
Défendeur :
Scadif (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dabosville
Conseillers :
Mme Schaller, M. Loos
Avocats :
Mes Bellichach, Rota, Olivier, Janssens
Faits et procédure
La société coopérative d'approvisionnement de l'Ile-de-France (ci-après "la Scadif") est une centrale régionale d'achat qui regroupe les centres distributeurs Edouard Leclerc. Elle permet à ses membres de s'approvisionner en bénéficiant de conditions commerciales spécifiques et consent des ristournes à ses adhérents.
Monsieur et Madame Criscolo ont acquis en octobre 1995 la société Cachan Distribution (ci-après " Cachandis "), qui exploitait un supermarché à l'enseigne Leclerc situé à Cachan (94).
En novembre 2001, Monsieur et Madame Criscolo ont cédé 93,20 % du capital social de Cachandis à la SAS Couste, exploitant des supermarchés sous l'enseigne Atac (groupe Auchan).
Le 17 décembre 2001, la Scadif a suspendu ses approvisionnements à Cachandis en raison du non-paiement par cette dernière de marchandises.
Le 24 janvier 2002, Cachandis a signifié à la Scadif son retrait de la coopérative.
A compter du 6 mars 2002, Cachandis a affiché l'enseigne Atac dans son supermarché de Cachan.
Le 3 septembre 2002, la Scadif a assigné en référé la société Cachandis devant le Tribunal de commerce de Créteil pour obtenir le paiement d'une provision de 1 281 905,83 euros TTC au titre de diverses sommes (factures, cotisations, frais, avances) et subsidiairement voir désigner un expert pour établir les comptes entre les parties.
Par ordonnance de référé en date du 6 novembre 2002, le Tribunal de commerce de Créteil a rejeté la demande de provision et nommé Monsieur Leveque en qualité d'expert aux fins de faire les comptes entre les parties.
Le 13 juin 2007, Monsieur Leveque a rendu son rapport.
La Scadif a assigné la société Cachandis par acte du 29 décembre 2011 devant le Tribunal de commerce de Lille aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 1 227 317,53 euros avec intérêts de droit à compter du 3 septembre 2002 et capitalisation des intérêts sous le bénéfice de l'exécution provisoire.
Par assignation en date du 22 mai 2012, la Scadif a à nouveau assigné la société Cachandis aux mêmes fins, outre au paiement d'une somme de 360 301 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts sous le bénéfice de l'exécution provisoire. Par conclusions du 7 novembre 2012, la Scadif a ajouté une demande de pouvoir conserver en ses livres la somme de 615 383,89 euros en application de la première pénalité prévue aux statuts de la Scadif.
La jonction a été ordonnée le 6 juin 2012.
Par jugement en date du 6 novembre 2014, le Tribunal de commerce de Lille a :
In limine litis
- dit recevable l'action diligentée par la Scadif à l'encontre de Cachandis le 29 décembre 2011.
Au fond
- dit que les deux assignations diligentées les 29 décembre 2011 et 22 mai 2012 par Scadif à l'encontre de Cachandis en paiement de marchandises et de deux pénalités ne sont pas prescrites.
- dit que l'article 11 des statuts de la Scadif a été ratifié par Cachandis et lui est opposable.
- dit que le procès-verbal du Conseil d'administration du 4 juillet 2002 respecte bien les prescriptions de l'article R. 225-23 du Code de commerce et que ses décisions s'appliquent à Cachandis.
- dit que l'article 11 des statuts de la Scadif n'est pas contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et est opposable à Cachandis.
- débouté Cachandis de sa demande de production par la Scadif de ses accords fournisseurs ainsi que celle d'un état des marges arrières perçues postérieurement au 31 décembre 2003.
- condamné Cachandis à payer à la Scadif les sommes de :
* 589 744,64 euros TTC au titre des factures de marchandises impayées (cette somme sera majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2011 avec capitalisation des intérêts à compter de cette même date).
* 615 383,89 euros TTC au titre de la première pénalité contractuelle (cette somme sera payée par compensation avec le compte de reversement détenu par la Scadif au profit de Cachandis et ne donnera pas lieu au paiement d'intérêts).
* 360 301 euros TTC au titre de la deuxième pénalité contractuelle (cette somme sera majorée des intérêts au taux légal à compter du 22 mai 2012 avec capitalisation des intérêts à compter de cette même date).
- condamné Cachandis à verser à la Scadif la somme de 20 000 euros par application des dispositions de l'article 700 CPC.
- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire du présent jugement.
- condamné Cachandis aux entiers frais et dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 93,60 euros en ce qui concerne les frais de Greffe.
Vu l'appel interjeté par Cachandis le 17 décembre 2014 contre cette décision,
Vu les dernières conclusions signifiées par Cachandis le 13 juillet 2015, par lesquelles il est demandé à la cour de :
A titre principal :
- Infirmer le jugement du 6 novembre 2014 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
- Débouter la Coopérative Scadif de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre subsidiaire :
Sur la demande de la Coopérative Scadif tendant au paiement de créances de marchandises :
- Infirmer le jugement du 6 novembre 2014 en ce qu'il n'a pas limité le montant du solde qui resterait dû à la Coopérative Scadif à la somme de 120 423 euros ;
Statuant à nouveau :
- Dire et juger que les créances de marchandises de la Coopérative Scadif ne sauraient excéder la somme de 120 423 euros TTC, avec intérêts de droit à compter de la date de reddition du jugement à intervenir.
Sur les demandes de la Coopérative Scadif relatives aux deux pénalités prévues à l'article 11 de ses statuts :
- Infirmer le jugement du 6 novembre 2014 en ce qu'il a considéré que le montant des deux pénalités prévues à l'article 11 des statuts de la Coopérative Scadif n'était pas manifestement excessif ;
Statuant à nouveau :
- Réduire le montant de ces deux pénalités, caractérisant des clauses pénales, à proportion de l'importance de la perte subie par la Coopérative Scadif du fait du départ de la société Cachandis, soit à la somme de l' euro symbolique ;
A titre très subsidiaire :
Sur la demande de la Coopérative Scadif tendant au paiement de créances de marchandises :
- Confirmer le jugement du 6 novembre 2014 en ce qu'il a limité le montant du solde qui resterait dû à la Coopérative Scadif à la somme de 589 744,64 euros ;
Sur les demandes de la Coopérative Scadif relatives aux deux pénalités prévues à l'article 11 de ses statuts :
- Infirmer le jugement du 6 novembre 2014 en ce qu'il a considéré que le montant des deux pénalités prévues à l'article 11 des statuts de la Coopérative Scadif n'était pas manifestement excessif ;
Statuant à nouveau :
- Réduire le montant de ces deux pénalités, caractérisant des clauses pénales, à proportion de l'importance de la perte subie par la Coopérative Scadif du fait du départ de la société Cachandis, soit à la somme de l' euro symbolique ;
En tout état de cause :
- Rejeter toutes prétentions adverses ;
- Condamner la Coopérative Scadif à verser la somme de 25 000 euros à la société Cachandis en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le montant pourra être recouvré par Maître Jacques Bellichach, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées par la Scadif le 17 mars 2016, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire la SA Cachandis mal fondée en son appel,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions :
* sauf en ce qu'il a évalué la créance de Cachandis au titre de ristournes à hauteur de 615 383,89 euros alors que cette créance s'élève à hauteur de 637 572,89 euros comme le reconnaît la Scadif ;
* et sauf en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts de droit et des intérêts capitalisés " aux dates d'assignation des 29 décembre 2011 et 22 mai 2012 " alors qu'une assignation en référé demandant le paiement des sommes dues et valant interpellation suffisante a été délivrée à la SA Cachandis le 3 septembre 2002 ;
faisant droit à l'appel incident du Galec sur ces points, et confirmant le jugement entrepris sur les autres points, statuer comme suit,
vu l'article 1134 du Code civil et le rapport judiciaire du 13 juin 2007,
- condamner la SA Cachandis à verser à la Scadif la somme de 1 227 317,53 euros TTC relative aux marchandises impayées, avec intérêts de droit à compter, à titre principal, du 3 septembre 2002, et avec capitalisation des intérêts, dans les termes de l'article 1154 du Code civil à compter de cette même date, et subsidiairement, à compter du 29 décembre 2011, date de l'acte introductif d'instance, avec capitalisation des intérêts à compter de cette même date,
- vu la première pénalité stipulée à l'article 11 des statuts de la Scadif, vu les dispositions des articles 2219 et suivants, relatifs à la prescription,
- dire et juger que la SA Cachandis n'est nullement fondée à remettre en cause la validité du procès-verbal du conseil d'administration de la Scadif du 4 juillet 2002 ayant décidé de faire application des deux pénalités,
- dire et juger que la demande de la SA Cachandis tendant à voir prononcer la nullité de la première pénalité statutaire pour indétermination est dépourvue de tout fondement, et, en conséquence, dire et juger que la Scadif est bien fondée à conserver dans ses livres la somme de 637 572,89 euros relative aux " acquis ",
subsidiairement,
- dire et juger que la Scadif est bien fondée, à tout le moins, à conserver dans ses livres la somme de 478 179,66 euros relative aux " acquis ",
vu la deuxième pénalité stipulée à l'article 11 des statuts de la Scadif,
- condamner la SA Cachandis à verser à la Scadif la somme de 360 301 euros avec intérêts de droit à compter de l'assignation délivrée le 22 mai 2012, et avec capitalisation des intérêts, dans les termes de l'article 1154 du Code civil, à compter de cette même date,
en tout état de cause,
- débouter la SA Cachandis de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SA Cachandis à payer à la Scadif la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais de l'expertise, et dire que la SCP Lagourgue & Olivier, Avoué, bénéficiera des dispositions de l'article 699 du CPC.
Cachandis, l'appelante, demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions et de débouter Scadif de ses demandes.
Elle soutient que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté la demande de nullité de l'assignation du 29 décembre 2011 qui n'était pas accompagnée du rapport de l'expert ni des pièces justifiant sa créance et qui ne précisait pas le dispositif légal sur lequel elle fondait sa demande. Elle soutient encore que les demandes de la coopérative Scadif au titre des factures de marchandises et de la première pénalité étaient prescrites. Elle sollicite l'infirmation pure et simple du jugement, sans formuler toutefois expressément aucune demande au titre de la nullité et de la prescription invoquée.
Sur le fond, elle soutient que la Scadif ne démontrerait ni le caractère certain, liquide et exigible de sa prétendue créance de marchandises, le chiffre retenu dans le rapport d'expertise judiciaire étant sujet à réserves, ni avoir exécuté ses obligations, en particulier l'obligation d'information, dont elle était redevable à l'égard de Cachandis dans les relations avec les fournisseurs en sa qualité de mandataire ou de commissionnaire de Cachandis. A titre subsidiaire, elle demande à la cour de dire que la dette de Cachandis s'élèverait à la somme maximale de 120 423 euros (1 227 317,53 euros - 1 106 894,17 euros) et à titre très subsidiaire que le montant du solde qui resterait dû à la Scadif ne saurait excéder la somme retenue par les premiers juges de 589 744,64 euros.
Au regard des pénalités, elle soutient que les statuts du 30 juin 1993 dont la Scadif se prévaut n'auraient jamais été acceptés par Cachandis, que la clause prévoyant la première pénalité aurait dû être réputée nulle en raison de son objet indéterminé au sens des articles 1108 et 1126 du Code civil, que les statuts de Scadif constituent une concertation entre entreprises au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, qu'en refusant d'appliquer les règles du droit de la concurrence au secteur coopératif, la décision des premiers juges serait contraire à la solution retenue par la cour de justice l'Union européenne en la matière (CJCE, 12 déc. 1995, aff. n° C-399-93). Elle conteste l'opposabilité de l'article 11 desdits statuts à son égard, ces derniers n'ayant jamais été formellement acceptés par Cachandis, la signature du règlement intérieur n'emportant pas acceptation des statuts modifiés. Sur le quantum des pénalités demandées, elle soutient que la Scadif n'apporte pas la preuve de leur montant, qu'elle a sollicité pour la première fois le 22 mai 2012 la condamnation de Cachandis à régler " la somme de 360 301 euros " au titre de " la deuxième pénalité stipulée à l'article 11 des Statuts de la Scadif " alors que la question de l'application de la seconde pénalité n'avait jamais été évoquée auparavant ni même devant l'expert judiciaire alors qu'il avait pour mission de faire les comptes entre les parties, que dès lors la formule de calcul de la deuxième pénalité est invérifiable et que Cachandis ne dispose d'aucun moyen pour contrôler l'exactitude des données.
Elle soutient, subsidiairement, que les deux pénalités prévues à l'article 11 des statuts constituent des clauses pénales au sens de l'article 1226 du Code civil, que le montant desdites pénalités est manifestement excessif alors que la Scadif ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice du fait du départ de Cachandis, qu'il y a lieu de les réduire à la somme de l' euro symbolique.
Elle conteste enfin les intérêts moratoires, la Scadif ayant attendu près de 10 ans entre l'assignation en référé et l'assignation au fond et près de 5 ans après le dépôt du rapport d'expertise pour diligenter son action.
La Scadif, intimée, demande la confirmation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a évalué la créance de Cachandis au titre des ristournes à la somme de 615 383,89 euros alors qu'elle s'élève à 637 572,89 euros, et sauf en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts moratoires aux 29 décembre 2011 et 22 mai 2012, alors qu'il aurait dû le fixer au 3 septembre 2002, date de l'assignation en référé. Elle demande à la cour de débouter Cachandis de toutes ses demandes. Elle sollicite à titre d'appel incident, la condamnation de Cachandis à payer, au titre des marchandises, la somme totale de 227 317,53 euros et de conserver en ses livres la somme de 637 572,89 euros.
Sur la nullité, elle conteste l'existence de tout grief, et donc toute nullité. Sur la prescription, elle soutient que la prescription des demandes en paiement au titre des factures aurait été interrompue par l'action en référé, qu'en ce qui concerne la première pénalité, Cachandis a adhéré à la Scadif en 1988 et a notifié son retrait le 24 janvier 2002, soit avant la fin de la période de 25 ans prévue par les statuts de la coopérative, que la Scadif a décidé de poursuivre Cachandis pour les factures impayées et les pénalités statutaires par décision de son conseil d'administration du 4 juillet 2002, que l'action en référé ayant eu pour effet de désigner un expert chargé de faire les comptes entre les parties datant du 6 novembre 2002, la prescription n'a pu commencer à courir avant ladite ordonnance pour l'ensemble des demandes, qu'en tout état de cause, la Scadif n'ayant formé aucune demande en paiement, la prescription ne lui est pas applicable.
Sur le fond, elle indique que le rapport de Monsieur Leveque a retenu, après avoir fait le compte entre les parties, que le montant de la créance de marchandises serait de 1 227 317,53 euros après déduction de 89 897 euros de factures contestées, que les sommes relatives à la créance d'acquis de Cachandis qui lui resterait due au titre de la première pénalité prévue à l'article 11 des statuts serait de 572,89 euros, que la seconde pénalité due en application du même article 11 a été évaluée sur la base du calcul prévu par les statuts, que le conseil d'administration de la Scadif a décidé à l'unanimité le 4 juillet 2002 de faire application de cette pénalité à l'encontre de Cachandis, qu'elle a été fixée à 360 301 euros, que Cachandis a, en signant le 14 janvier 1993 le règlement intérieur de la Scadif qui renvoyait aux statuts modifiés, expressément accepté la clause relative aux modalités de définition et de calcul des pénalités qui lui sont dès lors opposables. Elle conteste tout caractère anticoncurrentiel de ces pénalités et rappelle qu'elles ont été validées par la jurisprudence à de nombreuses reprises, qu'aucune entente ni aucune restriction de la concurrence n'est établie. Elle conteste tout caractère indéterminé ou imprévisible desdites pénalités et fait référence aux conclusions de l'expert qui a pris en considération l'ensemble des éléments versés aux débats par Cachandis et notamment l'expertise privée réalisée par GEFI, et qui a validé le système de répartition des ristournes. Elle fait également référence à l'attestation du commissaire aux comptes de la Scadif qui certifie le caractère exhaustif des montants calculés pour les exercices 2000 et 2001.
La Scadif soutient que lesdites pénalités ne constituent pas des clauses pénales manifestement excessives susceptibles d'être réduites par le juge.
Elle sollicite enfin de voir fixer le point de départ des intérêts à la date de l'assignation en référé qui vaut sommation de payer, sans qu'aucun retard de l'assignation au fond ne puisse lui être imputé.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR,
Sur la nullité de l'assignation et sur la prescription
Considérant que la société Cachandis demande dans le corps de ses conclusions, sans le réitérer dans le dispositif, l'infirmation de la décision en ce qu'elle a rejeté la demande de nullité de l'assignation du 29 décembre 2011 et considéré que les demandes de la coopérative Scadif au titre des factures de marchandises et de la première pénalité n'étaient pas prescrites ;
Considérant que le tribunal a dit que l'action diligentée par Scadif à l'encontre de Cachandis le 29 décembre 2011 était recevable et que les actions diligentées les 29 décembre 2011 et 22 mai 2012 par Scadif à l'encontre de Cachandis en paiement de marchandises et des deux pénalités n'étaient pas prescrites ;
Qu'au regard des éléments versés aux débats, les premiers juges ont retenu l'absence de grief susceptible d'entraîner la nullité de l'assignation du 29 décembre 2011 ;
Qu'ils ont fixé au 4 juillet 2002, date de la décision du conseil d'administration de la Scadif, le point de départ de la prescription décennale de l'action en paiement des pénalités et retenu l'effet interruptif de prescription de l'action en référé introduite par la Scadif le 3 septembre 2002 ayant donné lieu à l'ordonnance de référé du 6 novembre 2002 nommant un expert pour faire les comptes entre les parties, reportant ainsi au 6 novembre 2012 la date de prescription, la prescription quinquennale introduite par la loi du 17 juin 2008 ne s'appliquant pas à l'espèce ;
Que c'est par des motifs précis et pertinents que la cour adopte, répondant de façon circonstanciée aux conclusions des deux parties, que les premiers juges ont rejeté la demande de nullité de l'assignation et la demande de prescription ;
Que même si l'appelante ne formule expressément aucune demande de nullité et d'irrecevabilité dans le dispositif de ses conclusions d'appel, se limitant à demander l'infirmation de toutes les dispositions du jugement, il y a lieu néanmoins de confirmer la décision entreprise par adoption des motifs développés par les premiers juges sur ces points ;
Sur la violation des règles relatives à la libre concurrence et sur l'opposabilité des pénalités
Considérant que la société Cachandis demande dans le corps de ses conclusions, sans le réitérer dans le dispositif, l'infirmation de la décision en ce qu'elle n'a pas réputé nul l'article 11 des statuts de la Scadif prévoyant les deux pénalités en raison de son objet anticoncurrentiel au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, et en ce qu'elle a considéré que l'article 11 desdits statuts lui était opposable ;
Que nonobstant l'absence de toute demande expresse figurant au dispositif des conclusions de l'appelante en suite de l'information demandée, la question de la licéité et de l'opposabilité de l'article 11 des statuts est dans le débat ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure au 16 mai 2001 " sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :
1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;
4° Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement " ;
Qu'au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, il est constant que l'organisation sous forme coopérative ne constitue pas en soi un comportement anticoncurrentiel ;
Qu'au contraire, la cour a eu l'occasion de se prononcer sur les aspects positifs de cette forme d'organisation au regard de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprendre, les coopératives favorisant la rationalisation du secteur concerné et l'efficacité des entreprises en faisant partie ;
Que la cour a imposé comme limites aux restrictions de pouvoir quitter l'organisation que les clauses destinées à garantir la fidélité des membres soient limitées à ce qui est nécessaire afin d'assurer le bon fonctionnement de la coopérative et en particulier de lui garantir une base commerciale suffisamment large et une certaine stabilité de la participation sociale ;
Qu'il appartient aux juridictions nationales saisies d'une demande concernant de telles clauses de vérifier si la combinaison des obligations de livraison exclusive et l'imposition d'indemnités de départ excessives ne priverait pas les membres de la coopérative de s'adresser à des opérateurs concurrents, pouvant ainsi avoir pour effet de restreindre la concurrence ;
Que la cour de cassation a eu l'occasion de considérer que des durées d'affiliation de 25 ou 30 ans ne sont pas excessives ;
Considérant qu'il résulte des éléments de fait versés aux débats que Cachandis a pu changer de réseau lorsqu'elle l'a souhaité et a rejoint le groupe Auchan sans difficultés particulières ;
Que son droit de retrait n'a pas été soumis à condition ;
Que seule l'application de pénalités de retrait est contestée ;
Considérant que les premiers juges ont rejeté la demande de nullité et d'inopposabilité de l'article 11 des statuts de la Scadif au regard des règles relatives aux ententes et à la libre concurrence, en se fondant notamment sur un arrêt de la Cour de cassation du 22 février 2000 qui avait considéré que " la concurrence entre commerçants opérant sur un même marché ne se trouve pas affectée par une exclusion d'adhérent en vertu d'une décision statutaire qui, à l'instar d'une décision de conseil d'administration ou d'assemblée générale d'associés, est nécessairement collective, mais ne peut être qualifiée d'entente au sens de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, dans la mesure où elle n'a pas pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence " ;
Qu'ils se sont par ailleurs référés à la motivation d'un arrêt de la Cour d'appel de Versailles en date du 23 mars 1997 qui avait reconnu au mouvement Leclerc le droit à demander à un adhérent quittant le mouvement de lui réclamer des indemnités compensatrices ;
Considérant que par des motifs précis et circonstanciés que la cour adopte, les premiers juges, qui ont répondu aux demandes formulées, ont estimé qu'aucune violation des règles relatives à la libre concurrence n'était établie et que la clause statutaire prévoyant les pénalités était opposable à la société Cachandis ;
Qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges sur l'ensemble de ces points ;
Sur les comptes entre les parties concernant les factures de marchandises
Considérant qu'au regard des éléments versés aux débats et du rapport dressé par Monsieur Leveque, il n'est plus contesté en cause d'appel que le montant des ventes enregistrées en comptabilité par la Scadif pour Cachandis est de 1 317 214,53 euros, duquel une somme de 89 897 euros a été retirée par l'expert, la créance nette de marchandises s'élevant, selon ledit rapport, à la somme de 1 227 317,53 euros;
Que les premiers juges ont retenu cette somme comme base de calcul de la créance de factures de marchandises de la Scadif à l'égard de Cachandis, en se fondant sur l'analyse de Monsieur Leveque ;
Que la somme retenue par l'expert au titre des marchandises facturées et demeurées impayées, validée en première instance, n'est plus contestée ;
Considérant que les premiers juges ont déduit de cette somme celle de 637 572,89 euros issue du compte 45590018 figurant dans la comptabilité de la Scadif, compte de reversement enregistrant les acquis attribués à Cachandis, au titre des ristournes, des participations publicitaires et des avantages différés, reconnue par Scadif comme étant due à Cachandis nonobstant le débat relatif aux pénalités, et non celle de 1 106 894,17 euros sollicitée par Cachandis sur la base du seul rapport établi par le cabinet Gefi et non documentée comptablement ;
Que le solde dû par Cachandis au titre des marchandises impayées a par conséquent été fixé à juste titre par les premiers juges, par compensation, à la somme de (1 227 317,53 euros - 637 572,89 euros) soit 589 744,64 euros ;
Que les intérêts légaux sur cette somme courent à compter de la première demande en paiement valant sommation de payer au sens de l'article 1153 du Code civil, à savoir l'assignation en référé du 3 septembre 2002 ;
Que le fait que la Scadif ait attendu le 29 décembre 2011 pour assigner au fond en paiement des sommes demandées est sans incidence sur le droit aux intérêts moratoires qui courent à compter de l'assignation en référé ;
Que la décision des premiers juges sera dès lors infirmée sur le point de départ des intérêts sur la somme allouée ;
Que par contre les premiers juges ont à juste titre fait courir le point de départ de la capitalisation des intérêts sur cette somme à la date à laquelle la capitalisation a été demandée, soit le 29 décembre 2011 ;
Sur les pénalités statutaires et la réduction des clauses pénales
Considérant que l'article 11 des statuts de la Scadif prévoit deux types de pénalités à titre de dommages et intérêts, en cas de retrait d'un sociétaire en cours de période d'engagement ;
Que les modalités de calcul des pénalités et de la prise de décision par le conseil d'administration de les appliquer ou non sont précisées par les statuts de la Scadif, dans leur rédaction du 7 novembre 1991, dûment approuvée par Cachandis qui a signé le règlement intérieur de la Scadif lors d'une assemblée générale extraordinaire du 14 janvier 1993, aux termes duquel les " associés confirment, en tant que de besoin, les modalités et conséquences des retraits et exclusions d'un associé prévu à l'article 11 des statuts de la société coopérative " ;
Que les premiers juges ont, par des motifs pertinents que la cour adopte, retenu l'opposabilité des pénalités statutaires et retenu que le conseil d'administration de la Scadif avait valablement décidé, par décision du 4 juillet 2002, de faire application à Cachandis, suite à son retrait, des pénalités fixées à l'article 11 des statuts ;
Qu'en ce qui concerne la première pénalité, dont le montant est calculé, selon l'article 11 des statuts, sur la base " des sommes restant à reverser à l'adhérent au titre de ristournes, des excédents de gestion, des participations publicitaires, des produits accessoires commerciaux et en général des autres avantages différés ", les premiers juges ont écarté le rapport du cabinet Gefi produit par Cachandis, aux termes duquel le montant des acquis s'élèverait à 1 106 894 euros, au motif que ce rapport n'avait pas donné lieu à des débats contradictoires avec la Scadif et avait été financé par Cachandis elle-même ;
Considérant toutefois qu'il n'est pas contesté que ce rapport a été versé aux débats et soumis contradictoirement aux parties au cours de l'expertise diligentée par Monsieur Leveque ;
Que Monsieur Leveque en a tenu compte dans son rapport et en a fait une analyse très détaillée, constatant que le cabinet Gefi avait procédé par " application itérative de statistiques globales à des données initiales supposées proches de celles de Cachandis, susceptible de conduire à un résultat erroné " ;
Qu'il en a conclu au rejet de l'étude statistique produite, dont le résultat ne pouvait être justifié, choisissant d'examiner de façon détaillée le principe de fonctionnement du système d'attribution et de versement des acquis ;
Que cette méthode parfaitement détaillée et documentée, par nature d'acquis, appliquée aux différentes étapes de rapprochement, tenant compte des écarts entre les situations prévisionnelles et les acquis comptabilisés, est suffisamment précise pour pouvoir être retenue et n'a aucun caractère indéterminé ;
Qu'il y a lieu par conséquent de retenir l'analyse faite par Monsieur Leveque, et de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a retenu la somme de 615 383,89 euros, somme validée par le commissaire aux comptes, au titre de la première pénalité ;
Que par contre, c'est à tort que les premiers juges ont cru pouvoir dire que le paiement de cette pénalité serait fait par compensation avec le montant des factures impayées, alors que la compensation a déjà été ordonnée par la déduction du compte de reversement des acquis ;
Qu'il ne peut y avoir double compensation ;
Qu'en condamnant Cachandis, comme ils l'ont fait au paiement après compensation de la somme en principal de 589 744,64 euros et non de 1 227 317,53 euros demandée par la Scadif, ils ne pouvaient ordonner à nouveau la compensation ;
Qu'il y a lieu d'infirmer la décision sur ce point ;
Considérant que la deuxième pénalité est basée sur une méthode de calcul déterminée par les statuts, suivie par le conseil d'administration et validée par le commissaire aux comptes de la Scadif ;
Que la somme de 360 301 euros correspond, comme l'ont à juste titre relevé les premiers juges, à l'application d'une formule mathématique acceptée contractuellement par Cachandis, et dont l'exactitude a été certifiée par le cabinet d'expert-comptable de la Scadif ;
Qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges qui ont fixé le montant de la deuxième pénalité à la somme de 360 301 euros ;
Considérant qu'il résulte des statuts que les deux pénalités accordées constituent une fixation forfaitaire des dommages intérêts liés à la rupture anticipée dont la réduction ne peut être accordée qu'à titre d'exception, au sens de l'article 1152 du Code civil, si elles sont manifestement excessives ou disproportionnées par rapport à l'importance du préjudice effectivement subi ;
Considérant que c'est à juste titre, par des motifs que la cour adopte, que les premiers juges ont considéré qu'une telle disproportion n'était pas établie pour la deuxième pénalité, fixée à la somme de 360 301 euros, ce d'autant que la règle de calcul utilisée et fixée par les statuts prend le chiffre d'affaire réalisé par l'adhérent retrayant comme base de calcul, ce qui est proportionné puisque plus son chiffre d'affaire était élevé, plus la pénalité est élevée ;
Que par contre les premiers juges n'ont pas statué sur le caractère excessif ou non de la première pénalité, car ils ont considéré qu'elle venait en compensation des factures impayées et ne générait pas d'intérêts ;
Que la cour ayant infirmé la décision des premiers juges sur la compensation, il y a lieu de statuer également sur la demande de réduction formulée ;
Considérant que la société Cachandis soutient que le montant de la première pénalité peut être très différent selon que les ristournes et marges arrière ont été ou non déjà répercutées ;
Que toutefois, lorsque le sociétaire n'a pas payé les factures générant des ristournes, la trésorerie ainsi générée au bénéfice du sociétaire compense une telle distorsion, à la supposer établie ;
Qu'en outre, il ne s'agit tout au plus que de ristournes et d'avantages, inhérents à la qualité de sociétaire, mais en aucun cas de sommes excédent lesdites ristournes ;
Qu'aucun autre élément ne permet d'établir le caractère disproportionné ou excessif de la pénalité contractuellement prévue ;
Qu'il y a lieu de rejeter également la demande de réduction formulée pour la première pénalité ;
Considérant que la société Cachandis qui succombe sera condamnée aux dépens ;
Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf : - en ce qu'il a fixé au 29 décembre 2011 le point de départ des intérêts sur la somme de 589 744,64 euros, - en ce qu'il a ordonné le paiement de la première pénalité contractuelle par compensation avec le compte de reversement détenu par la Scadif au profit de Cachandis, sans que cette somme ne produise intérêt. Statuant à nouveau sur ces deux points : Condamne la société Cachandis au paiement des intérêts légaux sur la somme de 589 744,64 euros à compter du 3 septembre 2002, la capitalisation ne commençant à courir qu'à la date de la demande, soit le 29 décembre 2011, Condamne la société Cachandis à payer à la société Scadif la somme de 615 383,89 euros au titre de première pénalité avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision, Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires, Y ajoutant, Condamne la société Cachandis à payer à la Scadif, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux dépens qui seront recouvrés par la SCP Lagourgue & Olivier conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.