CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 13 septembre 2016, n° 14-25762
PARIS
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Hair Tonic (SARL)
Défendeur :
M Style Coiffure
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Rajbaut
Conseillers :
Mmes Auroy, Douillet
Avocats :
Mes Tesler, Neret, Ohana, Watrin
La société Hair Tonic exerce une activité de coiffure et de soins esthétiques depuis le 1er octobre 2000, au sein d'un salon qu'elle exploite adresse.
Mme Maria Filomena Pereira Gomes Da Silva et Mme Ribeiro étaient salariées de la société Hair Tonic, la première depuis le 13 décembre 2002, la seconde depuis le 17 octobre 2000.
Ces deux salariées ont démissionné le 28 mai 2010.
Le 3 juillet 2010, Mme Pereira Gomes Da Silva a débuté l'exploitation, sous l'enseigne
M'Style Coiffure, d'un salon situé également à Brunoy, place de la Pyramide, à 1 km environ, par la route, du salon de la société Hair Tonic. Elle a engagé Mme Ribeiro.
Par ordonnance du président du Tribunal de commerce d'Evry du 17 novembre 2010, la société Hair Tonic a obtenu la désignation d'un huissier de justice afin de se rendre au salon de coiffure exploité par Mme Pereira Gomes Da Silva à Brunoy et de se faire communiquer divers éléments (acte d'acquisition du fonds de commerce, carnet de rendez-vous, liste des clients et leurs fiches techniques, contrat de travail de Mme Ribeiro). L'huissier de justice a dressé son procès-verbal de constat le 16 décembre 2010.
Par acte du 22 février 2013, la société Hair Tonic, s'estimant victime de concurrence déloyale de la part de Mme Pereira Gomes Da Silva, a fait assigner son ancienne salariée devant le Tribunal de commerce d'Evry.
Le tribunal de commerce, dans un jugement du 29 octobre 2014, a débouté la société Hair Tonic de l'ensemble de ses demandes, a mis les dépens à sa charge et a débouté Mme Pereira Gomes Da Silva de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.
Le 19 décembre 2014, la société Hair Tonic a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions, numérotées 2, transmises le 10 juillet 2015, la société Hair Tonic, poursuivant l'infirmation du jugement, demande à la cour :
- de juger que Mme Pereira Gomes Da Silva s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale par détournement de clientèle et débauchage de personnel, - de la condamner à lui verser : - la somme de 534 130,99 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale, - celle de 2 053,92 euros en réparation du préjudice financier né du coût engendré par les licenciements économiques rendus nécessaires du fait des actes de concurrence déloyale, - celle de 30 000 euros en réparation du préjudice moral causé à la société Hair Tonic par les actes de concurrence déloyale, - de condamner en outre Mme Pereira Gomes Da Silva à procéder à la fermeture du fonds artisanal qu'elle exploite sous l'enseigne M'Style Coiffure à Brunoy, sous astreinte de 1 000 euros par jour à compter de la date de l'arrêt à intervenir, et de se réserver la liquidation de l'astreinte, - de rejeter l'appel incident formé par Mme Pereira Gomes Da Silva, - de la condamner à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, - de la condamner aux entiers dépens, lesquels comprendront notamment les frais de la requête afin de nomination d'un Huissier de justice et le coût représenté par les diligences de l'huissier de justice.
Dans ses dernières conclusions, numérotées 2, transmises le 1er février 2016, Mme Pereira Gomes Da Silva demande la confirmation du jugement si ce n'est en ce qu'il a rejeté ses demandes et la condamnation de la société Hair Tonic à lui verser la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre celle de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2016.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que la société Hair Tonic fait valoir que Mme Pereira Gomes Da Silva s'est livrée à un détournement massif de sa clientèle et au débauchage d'une de ses salariée ; qu'elle ajoute que Mme Pereira Gomes Da Silva a régularisé la promesse de cession du fonds qu'elle a acquis dès le 5 mai 2010, avant même sa démission, et qu'elle a "incité' Mme Ribeiro à démissionner afin d'aller travailler avec elle dans le nouveau salon dont elle venait d'acquérir le fonds ; qu'elle argue que le fait que Mme Pereira Gomes Da Silva ait embauché son ancienne collègue à compter du 1er juillet 2010, soit le lendemain même du terme de son préavis, démontre qu'elle escomptait un afflux rapide et important de clientes et qu'elle savait, avant tout début d'exploitation, qu'elle pourrait faire face aux charges que représente l'embauche d'une salariée ;
Que Mme Pereira Gomes Da Silva, réfutant les accusations de la société Hair Tonic, expose notamment qu'elle a souhaité quitter son emploi afin d'ouvrir son propre salon de coiffure, qu'elle a acquis un fonds de commerce, exploité auparavant par un salon de coiffure, saisissant une offre correspondant à ses attentes en raison notamment de la proximité de son domicile ;
Considérant que le principe étant celui de la liberté du commerce, ne sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, que des comportements fautifs tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui consistent à tirer profit sans bourse délier d'une valeur économique d'autrui, individualisée, procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements ;
Que la création, par d'anciens salariés, d'une société concurrente à celle qui les employait précédemment n'est pas en elle-même constitutive d'un acte de concurrence déloyale, dès lors qu'elle n'est pas accompagnée de pratiques déloyales ; que, de même, l'embauche, dans des conditions régulières, d'anciens salariés d'une entreprise concurrente n'est pas elle-même fautive, en l'absence de démonstration d'agissements contraires aux usages loyaux du commerce, étant précisé que le débauchage, consistant à inciter certains salariés d'un concurrent à quitter leur emploi pour les attirer dans sa propre entreprise n'est pas illicite en soi, sauf s'il résulte de manœuvres déloyales ou tend à l'obtention déloyale d'avantages dans la concurrence, de nature à désorganiser l'entreprise ; que sont ainsi illicite le débauchage ayant pour seul but d'accéder à des connaissances confidentielles acquises par le salarié ou de prospecter systématiquement la clientèle du concurrent ou le débauchage résultant de l'offre de salaires anormalement élevés ou d'avantages prohibitifs ou encore le débauchage revêtant un caractère massif et entraînant la désorganisation du fonctionnement de l'entreprise ;
Considérant qu'il est constant que le contrat de travail de travail de Mme Pereira Gomes Da Silva ne contenait pas de clause de non concurrence ;
Considérant que, comme les premiers juges l'ont relevé, Mme Pereira Gomes Da Silva a présenté sa démission à la société Hair Tonic le 28 mai 2010, que son préavis a pris fin le 30 juin 2010 et qu'elle a débuté son activité dans son propre salon de coiffure le 3 juillet 2010, de sorte qu'il n'y a pas eu exercice simultanée de l'activité salariée et de l'activité indépendante ; que la circonstance que Mme Pereira Gomes Da Silva a procédé avant son départ à des démarches afin de préparer son activité future - notamment en signant la promesse de cession portant sur le fonds sis place de la Pyramide à Brunoy le 5 mai 2010, avant sa démission -, si elle révèle, comme le souligne la société appelante, que la démission de la salariée n'a été motivée que par l'ouverture de son propre salon, ce qui n'est pas répréhensible, ne caractérise pas, en soi, des actes de concurrence déloyale, pas plus que le fait que la prise de possession du fonds devait intervenir dès le 28 juin, avant la fin du préavis de Mme Pereira Gomes Da Silva ;
Considérant qu'il résulte du constat d'huissier que 129 personnes figurent parmi la clientèle de Mme Pereira Gomes Da Silva qui font également partie de la liste des clients de la société Hair Tonic ; que l'expert-comptable de la société Hair Tonic fournit une attestation montrant une forte chute du chiffre d'affaires du salon à compter du mois de juillet 2010, ce qui coïncide avec l'ouverture du salon de Mme Pereira Gomes Da Silva dans la même localité ;
Que la société Hair Tonic verse l'attestation de Mme Bourgine qui relate qu''en vue de son départ' du salon Hair Tonic, Mme Pereira Gomes Da Silva lui a téléphoné pour lui faire part de l'ouverture prochaine de sa propre affaire à compter du 1er juillet 2010, qu'elle s'est rendue dans son salon à trois reprises où elle a appris que " 20 % de la clientèle était composée par le fichier de la boutique nouvellement acquise, le reste était des clients qui l'ont suivie depuis Hair Tonic " ; qu'est également produite l'attestation de Mme Dufour qui indique que lorsqu'elle est adresse ... coiffer chez Hair Tonic au débout de l'année 2010, " on " lui a demandé son numéro de téléphone afin de mettre à jour le fichier informatique et qu'un soir du mois de juin 2010, elle a reçu un appel téléphonique l'informant de l'ouverture du salon de coiffure de Mme Pereira Gomes Da Silva le 3 juillet 2010 ; que ces deux témoignages ne mettent pas en évidence un comportement déloyal de Mme Pereira Gomes Da Silva ;
Que la forte migration d'une partie de la clientèle du salon Hair Tonic vers le nouveau salon ouvert par Mme Pereira Gomes Da Silva ne peut suffire à établir la réalité du détournement de clientèle allégué alors que la relation avec un coiffeur est souvent empreinte d'un fort intuitu personae, que Mmes Pereira Gomes Da Silva et Ribeiro ont travaillé au sein du salon Hair Tonic pendant près de 8 ans pour la première et près de 10 ans pour la seconde, qu'elles ont nécessairement au fil de toutes ces années fidélisé des clientes et que Mme Pereira Gomes Da SILVA produit, de son côté, plus de 60 témoignages de clientes desquels il ressort que c'est de leur propre initiative qu'elles ont suivi leur coiffeuse dans son propre salon en raison de ses qualités professionnelles et personnelles, sans incitation aucune de l'intéressée ;
Considérant qu'aucun acte actif de débauchage n'est démontré de la part de Mme Pereira Gomes Da Silva dès lors que Mme Ribeiro, démissionnaire le 28 mai 2010, a pu librement choisir de changer d'employeur à l'issue de l'exécution de son préavis et que celle-ci atteste de son souhait ancien de quitter le salon exploité par la société Hair Tonic et du fait que c'est elle qui a signalé à sa collègue l'existence d'un salon disponible à Brunoy, n'ayant pas elle-même la capacité financière d'acquérir un fonds de commerce ; que le fait que les deux salariées aient démissionné le même jour et en des termes proches n'est pas pertinent, des salariés d'une même entreprise pouvant, sans encourir le reproche de déloyauté, quitter de concert leur employeur pour mener un projet commun ; qu'il est relevé que la société Hair Tonic ne se prévaut pas de la clause de non concurrence figurant dans le contrat de travail de Mme Ribeiro, dont Mme Pereira Gomes Da Silva affirme, sans être démentie, qu'elle est nulle ;
Considérant que le fonds de commerce repris par Mme Pereira Gomes Da Silva à Brunoy était précédemment un fonds de salon de coiffure exerçant sous l'enseigne Urban Style et que Mme Pereira Gomes Da Silva pouvait donc raisonnablement compter sur la clientèle attachée à ce fonds, outre les clientes qu'elle suivait au sein du salon Hair Tonic et qui pouvaient souhaiter rester fidèle à leur coiffeuse installée à proximité, sans compter les relations qu'elle entretenait personnellement avec des habitants de la commune où elle même réside et où son conjoint exerce une activité artisanale ;
Que la confiance que Mme Pereira Gomes Da Silva pouvait ainsi avoir dans le développement de son activité et son souhait d'exercer à proximité de son domicile justifient l'acquisition du fonds de commerce pour un montant relativement élevé - 116 % de la moyenne des chiffres d'affaires des trois dernières années -, l'intimée justifiant cependant, par la production du barème d'évaluation des fonds de commerce extrait du mémento pratique Francis Lefebvre fiscal 2008, que ce pourcentage jugé excessif par la société Hair Tonic n'est pas anormal, la valeur d'un fonds de commerce de coiffure variant, en fonction de nombreux paramètres, entre 50 % et 130 % du chiffre d'affaires TTC pondéré sur les trois dernières années ; que, comme le tribunal en a jugé, le prix de vente du fonds acquis par Mme Pereira Gomes Da Silva ne constitue donc pas un indice pertinent de la réalité des pratiques déloyales alléguées ;
Considérant que, dans ces conditions, l'article paru dans un journal local en janvier 2011 consacré à l'ouverture du salon de Mme Pereira Gomes Da Silva dans lequel celle-ci déclare : " Je suis coiffeuse à Brunoy depuis 24 ans et j'avais envie de m'installer ici pour ne pas m'éloigner de ma clientèle ", propos dont Mme Pereira Gomes Da Silva affirme au demeurant qu'ils ont été déformés par le rédacteur - ses véritables déclarations étant qu'elle désirait ne pas s'éloigner " de son domicile " -, ne peut suffire à caractériser la volonté de l'intimée de s'affranchir des règles qui gouvernent à une concurrence normale, étant souligné que cet article ne constitue pas une publicité dont l'intimée aurait eu personnellement l'initiative, ;
Considérant, en conséquence, qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Hair Tonic de ses demandes en concurrence déloyale ;
Sur la demande incidente en dommages et intérêts pour procédure abusive
Considérant que l'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol ;
Que le rejet des prétentions de la société Hair Tonic ne permet pas de caractériser, en l'espèce, une faute ayant fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice en première instance comme en appel ;
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que la société Hair Tonic qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées ;
Que l'équité ne commande pas de faire droit à la demande de Mme Pereira Gomes Da Silva fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute Mme Pereira Gomes Da Silva de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, Condamne la société Hair Tonic aux dépens d'appel, Déboute Mme Pereira Gomes Da Silva de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile.