Cass. com., 20 septembre 2016, n° 15-14.472
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Erteco France (SAS)
Défendeur :
Heng
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Poillot-Peruzzetto
Avocats :
Me Delamarre, Carbonnier
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 7 janvier 2015), que la société ED, devenue la société Dia France, puis la société Erteco France (la société Erteco), a conclu le 1er septembre 2006, avec une " société ANE-EHDM " représentée par M. Heng, en sa qualité " d'exploitant responsable ", deux contrats de visite et d'entretien de toitures de ses magasins pour la région Rhin-Rhône puis, le 15 mai 2008, un contrat d'entretien d'espaces verts avec une " société ANE ", représentée par M. Heng " dûment habilité en sa qualité de propriétaire " ; qu'elle lui a confié en outre diverses prestations entre 2005 et 2010 ; que reprochant à la société Erteco d'avoir résilié les trois conventions sans respecter le préavis contractuel, et d'avoir cessé de lui confier des interventions, rompant ainsi une relation commerciale établie, M. Heng l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Erteco fait grief à l'arrêt de dire M. Heng recevable en ses demandes alors, selon le moyen : 1°) que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ; que, dans une affaire intéressant une société, son dirigeant peut la représenter mais ne peut se substituer à elle, sauf à méconnaître la règle " nul ne plaide pas procureur " ; qu'en jugeant que M. Heng était recevable à agir au nom de la société ANE-EHDM, quand cette dernière était pourtant inscrite au registre du commerce et des sociétés et se trouvait être aussi le signataire des contrats litigieux, la cour d'appel a violé l'article 31 du Code de procédure civile ; 2°) que les juges du fond ne peuvent dénaturer les clauses claires et précises des contrats qui leur sont soumis ; que les deux contrats du 1er septembre 2006 et celui d'entretien des espaces verts en date du 15 mai 2008 ont été signés par la société ED, devenue Erteco, et par la société ANE-EHDM ; que l'action litigieuse a été introduite par M. Heng en son nom propre et non pour le compte de la société ANE-EHDM ; qu'en retenant néanmoins que M. Heng était recevable à agir au nom de la société ANE-EHDM, la cour d'appel a dénaturé les deux contrats du 1er septembre 2006 et le contrat du 15 mai 2008 passés entre la société ED, devenue Erteco, et la société ANE-EHDM, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; 3°) qu'un défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que dans la présente espèce, la société Erteco faisait valoir que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce instaurait une responsabilité de nature délictuelle ; que dès lors, la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle rendait irrecevable l'action engagée par M. Heng à l'encontre de la société Dia et fondée exclusivement sur la responsabilité contractuelle de celle-ci ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen péremptoire, qui aurait conduit à l'irrecevabilité de l'action de M. Heng, la cour d'appel a privé sa décision de motifs, violant ainsi l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir constaté qu'il ressort de l'extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés que M. Heng est immatriculé pour exercer en son nom personnel sous le nom commercial ANE, l'arrêt relève que les contrats conclus avec la société ED comportaient l'indication erronée d'une société qui n'a jamais existé, et que l'action de M. Heng, exercée en son nom propre, tend à la condamnation de la société ED à la réparation de son propre préjudice, résultant du non-respect du délai de préavis et de la rupture des relations commerciales ; que de ces constatations, la cour d'appel, qui n'a pas dit que l'action était exercée au nom de la société ANE EHDM, a, sans dénaturation, exactement déduit que l'action de M. Heng était recevable ;
Attendu, en second lieu, qu'il résulte des énonciations de l'arrêt et de ses conclusions que M. Heng agissait en réparation du préjudice causé par la rupture brutale d'une relation commerciale établie constituée par la fourniture de prestations hors contrat, de sorte que la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle n'était pas applicable ; que la cour d'appel n'était donc pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen : - Attendu que la société Erteco fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. Heng des dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ; qu'une relation commerciale établie suppose une régularité et une stabilité de nature à faire croire à une partie qu'elle se poursuivra dans l'avenir ; que, dans la présente espèce, la cour d'appel a constaté que la société Dia France devenue société Erteco avait demandé à M. Heng de réaliser des prestations d'entretien en 2006 par la signature de deux contrats, qu'elle constate que " les contrats conclus pour une année renouvelable ne se sont pas renouvelés par tacite reconduction ", que d'autres prestations ont été effectuées entre 2006 et 2009, c'est-à-dire pendant une courte période, et qu'elles portaient sur un chiffre d'affaires qui avait largement diminué au cours de l'année 2009 ; qu'en décidant pourtant que la société Erteco et M. Heng entretenaient une relation commerciale établie, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé ainsi l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; 2°) qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métier de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ; que la rupture peut être considérée comme brutale lorsqu'elle est soudaine, imprévisible et qu'elle intervient sans préavis ; que, dans la présente espèce, la relation commerciale entre la société Erteco et M. Heng a porté sur une durée limitée à quatre ans et sur un chiffre d'affaires en très forte diminution au cours de l'année 2009 ; que, dès lors, M. Heng pouvait s'attendre à ce que la relation commerciale entretenue avec la société ED cesse ; qu'en concluant pourtant que la rupture avait été brutale, quand elle prenait dans le même temps acte de l'instabilité de la relation en précisant, s'agissant des contrats conclus en 2006, qu'ils sont " conclus pour une année renouvelable " et qu'ils " ne se sont pas renouvelés par tacite reconduction " la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé ainsi l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ;
Mais attendu que l'arrêt retient que, outre les contrats précités, M. Heng a entretenu un courant d'affaires avec la société Erteco, qui lui a confié diverses interventions entre 2005 et 2010, dont il justifie par une attestation de son expert-comptable ; qu'il relève qu'au premier trimestre 2010, la société Erteco a brutalement rompu cette relation commerciale établie, sans préavis écrit ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, et dès lors que la société Erteco s'était bornée à opposer les manquements de M. Heng à ses obligations contractuelles sans discuter l'existence d'une relation commerciale établie tenant à des missions non formalisées par un écrit, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer d'autres recherches, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.