Cass. com., 20 septembre 2016, n° 14-28.083
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Polyflame Europe (SA)
Défendeur :
Bic (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocat général :
Mme Pénichon
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Foussard, Froger
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 octobre 2014), que la société Bic, spécialisée dans la fabrication et la vente de briquets jetables électroniques et à pierre, arguant de ce que divers modèles de briquets importés et commercialisés par la société Polyflame Europe (la société Polyflame) n'étaient pas conformes aux prescriptions de la norme ISO 9994 à laquelle ils faisaient référence, a assigné cette société pour publicité trompeuse et concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Polyflame fait grief à l'arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen : 1°) que le juge ne peut se fonder exclusivement sur des rapports d'expertise établis de manière non contradictoire, peu important que ces rapports aient été soumis à la libre discussion des parties ; qu'en s'appuyant exclusivement, pour juger que la preuve de la non-conformité des modèles de briquets de la société Polyflame à la norme EN ISO 9994 était rapportée, sur les résultats des tests pratiqués, à la demande de la société Bic, par les sociétés Bureau Véritas UK et LNE, la cour d'appel a violé l'article 9 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 2°) qu'en se fondant exclusivement, pour juger que la preuve de la non-conformité des modèles de briquets de la société Polyflame à la norme EN ISO 9994 était rapportée, sur les résultats des tests pratiqués, à la demande de la société Bic, par les sociétés Bureau Véritas UK et LNE, sans déterminer préalablement, comme elle y était invitée, s'il s'agissait d'expertises officieuses ou de simples mesures techniques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 du code de procédure civile et de l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 3°) que la société Polyflame faisait valoir, en cause d'appel, qu'elle avait fait régulièrement pratiquer des tests sur les modèles de briquets mis en cause par la société Bic par des laboratoires indépendants, qui les avaient déclarés conformes à la norme ISO 9994 et que la DGCCRF était parvenue à la même conclusion ; qu'elle sollicitait, en conséquence, l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il avait notamment constaté des " défaillances notables " s'agissant des briquets " Giant Lighter Prof " et " Star Fashion " ; qu'en retenant, pour déclarer les modèles de briquets " Giant Lighter Prof " et " Star Fashion " non conformes à la norme ISO 1994, que la société Polyflame n'avait pas contesté les défaillances constatées par la société Bureau Véritas UK, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la société Bic avait demandé au laboratoire Bureau Véritas UK d'effectuer des tests sur des lots de briquets achetés au hasard auprès de revendeurs de la société Polyflame ainsi qu'à ce laboratoire et au laboratoire LNE de tester sur des modèles deux exigences fonctionnelles de la norme EN ISO 9994, l'arrêt constate que les rapports techniques et d'essais du Bureau Véritas UK des 23 février 2012, 30 janvier 2012, 31 janvier 2012, 23 février, 23 mars 2012 et 9 septembre 2013 et du laboratoire LNE du 3 septembre 2013 concluent que, dans chaque lot testé, plusieurs modèles de briquets se sont avérés non conformes à cette norme en ce qui concerne la hauteur de flamme ou son réglage, l'extinction de la flamme, la résistance au crachement ou crachotement et à l'instabilité de la flamme, la résistance aux chutes ou à une combustion continue ou encore les instructions et mises en garde ; qu'il retient, en outre, que les contrôles des produits effectués à la demande de la société Polyflame, ayant été réalisés sur des lots de briquets qu'elle avait elle-même sélectionnés, et que les contrôles pratiqués par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, n'ayant porté que sur les documents commerciaux, les locaux et un seul exemplaire de deux des modèles de briquets, étaient insuffisants à rapporter la preuve de la conformité de tous les modèles à la norme en question ; qu'en l'état de ces constatations, faisant ressortir, d'un côté, qu'elle avait confronté les documents en présence et, de l'autre, que les rapports fournis par la société Bic ne rapportaient que le résultat des mesures techniques pratiquées sur des échantillons, la cour d'appel, qui n'a pas adopté les motifs du jugement critiqués par la troisième branche, a exactement retenu que les modèles de briquets incriminés n'étaient pas conformes à la norme EN ISO 9994 à laquelle ils faisaient référence ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois premières branches : - Attendu que la société Polyflame fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) qu'il incombe au juge de trancher lui-même la contestation dont il est saisi ; qu'en énonçant, pour déclarer les modèles de briquets de la société Polyflame non conformes à la norme EN ISO 9994, que l'interprétation de cette norme donnée par la société Bureau Véritas UK dans son guide " ISO 9994 Full Testing/Test Method Guideline " n'était ni partiale ni abusive et constituait la référence européenne pour la réalisation de tests, la cour d'appel, qui s'est retranchée derrière l'interprétation de la norme EN ISO 9994 donnée par la société Bureau Véritas UK, au lieu de procéder elle-même à son interprétation, a refusé d'exercer son office, en violation de l'article 4 du Code civil ; 2°) que, s'agissant plus particulièrement de la clause 6.5.3 de la norme EN ISO 9994 " Instructions de remplissage ", la société Polyflame et la société Bic étaient en désaccord sur le point de savoir dans quelle mesure un pictogramme apposé sur le présentoir était suffisant ; qu'en affirmant, pour déclarer les modèles de briquets de la société Polyflame non conformes à la norme ISO 9994, qu'il résultait des rapports de la société Bureau Véritas UK que les instructions et mises en garde n'étaient pas conformes pour la plupart des briquets, sans trancher la contestation relative à l'interprétation de la clause 6.5.3, la cour d'appel a de nouveau violé l'article 4 du Code civil ; 3°) que la clause 5.1 de la norme ISO 9994 énonce que, " sauf indication contraire dans les méthodes d'essai décrites ci-après, les échantillons utilisés pour les essais doivent être des briquets neufs, complets, normalement remplis de combustible et ne présentant aucun dégât mécanique " ; qu'en affirmant, pour déclarer les briquets de la société Polyflame non conformes à la norme ISO 9994, que la soumission d'un même échantillon à plusieurs tests, dans les conditions prévues par le guide " ISO 994 Full Testing/Test Method Guideline ", n'était pas contraire à la norme EN ISO 9994, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la clause précitée, en violation de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir reproduit le contenu du point 5 de la norme EN ISO 9994 sur la méthode d'essai et relevé qu'il ne prévoyait pas le nombre d'échantillons à tester pour contrôler la conformité d'un modèle de briquet, l'arrêt relève que la méthodologie décrite en détail par le laboratoire Bureau Véritas UK dans un document intitulé " ISO 9994 Full Testing/test Method Guideline " a été admise comme exemple de bonne pratique par la Commission européenne, qui a mis ce document en ligne sur son site internet, et qu'elle se trouve confortée par les résultats de tests réalisés par trois laboratoires différents dont fait état le procès-verbal de la conférence finale Prosafe du 8 décembre 2012 ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui a procédé elle-même, par des motifs exclusifs de dénaturation, à l'interprétation de la norme en cause, a exactement retenu, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, que la société Polyflame était mal fondée à soutenir que le protocole de test utilisé par Bureau Veritas était inhabituel et avait été imposé à ce dernier par la société Bic ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que la société Polyflame fait encore le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen : 1°) que la publicité trompeuse résulte d'une allégation, indication ou présentation fausse ou de nature à induire le consommateur en erreur sur les qualités du produit ; qu'en énonçant, pour retenir contre la société Polyflame les griefs de concurrence déloyale et publicité trompeuse du fait de l'apposition sur ses briquets de la mention EN ISO 9994, qu'un modèle de briquet devait être déclaré non conforme à la norme EN ISO 9994 dès lors que, sur un échantillonnage significatif, un briquet au moins était non conforme, tenant ainsi pour fautive l'apposition de la mention de la norme ISO 9994 sur des briquets qui y étaient conformes, la cour d'appel a violé l'article L. 121-1 du Code de la consommation, interprété à la lumière de l'article 2 de la directive n° 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, ensemble l'article 1382 du Code civil ; 2°) que la norme EN ISO 9994 a vocation à garantir l'absence de défaut de conception des briquets ; qu'en se bornant à affirmer, pour retenir contre la société Polyflame les griefs de concurrence déloyale et publicité trompeuse du fait de l'apposition sur ses briquets de la mention EN ISO 9994, que toute non-conformité devait conduire à la conclusion que la société Polyflame s'était rendue coupable de publicité mensongère et de concurrence déloyale, sans distinguer selon que les non-conformités résultaient d'un défaut de conception ou de fabrication, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, interprété à la lumière de l'article 2 de la directive n° 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, et de l'article 1382 du Code civil ; 3°) que l'apposition de la mention EN ISO 9994 n'atteste que la conformité du briquet aux exigences de la norme EN ISO 9994 ; qu'en affirmant, pour retenir contre la société Polyflame les griefs de concurrence déloyale et publicité trompeuse du fait de l'apposition sur ses briquets de la mention ISO 9994, qu'indépendamment de la conformité des briquets critiqués à la norme EN ISO 9994, les contrôles mis en œuvre par la société Polyflame étaient insuffisants, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé l'article L. 121-1 du Code de la consommation, interprété à la lumière de l'article 2 de la directive n° 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, et de l'article 1382 du Code civil ; 4°) que la charge de la preuve de la faute de publicité trompeuse ou de concurrence déloyale pèse sur le demandeur ; qu'en énonçant, pour retenir contre la société Polyflame les griefs de concurrence déloyale et publicité trompeuse du fait de l'apposition sur ses briquets de la mention ISO 9994, que les pièces versées aux débats par la société Polyflame n'établissaient pas la conformité de tous ses briquets à la norme EN ISO 9994 et le caractère suffisant des contrôles mis en œuvre, la cour d'appel, qui a renversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315 du Code civil, ensemble l'article L. 121-1 du Code de la consommation, interprété à la lumière de l'article 2 de la directive n° 2006/114/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006, et l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant rappelé que l'importateur d'un produit a l'obligation de s'assurer de la conformité de ce dernier aux normes en vigueur et relevé, par une décision motivée, que, sur les échantillons testés des différents modèles de briquets, plusieurs d'entre eux s'étaient avérés non conformes à la norme EN ISO 9994, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de distinguer si les non-conformités résultaient d'un défaut de conception ou de fabrication des produits litigieux, en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que les contrôles effectués par la société Polyflame n'avaient pas été suffisants pour garantir que les briquets qu'elle importait étaient conformes à cette norme, de sorte que, en indiquant sur ses produits la référence à ladite norme, cette société avait faussé, de façon déloyale, le rapport de concurrence existant avec la société Bic ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le quatrième moyen : - Attendu que la société Polyflame fait grief à l'arrêt de lui faire interdiction de vendre sur le territoire français les modèles de briquets " Star Fashion ", " Giant Lighter Prof ", " VS 1 Prof ", " Prof STPF Puppy/Kitten ", " Prof STPF Cute Dogs ", " Prod DHPF Johnny ", " Maxim Zen Dolphin " et " Maxim Zen Solid Colors ", en faisant référence à la norme ISO 9994 sur les briquets ou leur emballage, et toute notice les accompagnant alors, selon le moyen, qu'en matière de responsabilité délictuelle, si le juge peut prononcer toute mesure propre à faire cesser le dommage, il ne peut prononcer une interdiction générale dénuée de lien avec les fautes retenues ; qu'en faisant interdiction à la société Polyflame, de manière illimitée, de vendre sur le territoire français les modèles de briquets " Star Fashion ", " Giant Lighter Prof ", " VS 1 Prof ", " Prof STPF Puppy/Kitten ", " Prof STPF Cute Dogs ", " Prod DHPF Johnny ", " Maxim Zen Dolphin " et " Maxim Zen Solid Colors ", en faisant référence à la norme ISO 9994 sur les briquets ou leur emballage, et toute notice les accompagnant, sans prévoir que la mesure prendrait fin avec la mise en conformité des modèles litigieux à la norme EN ISO 9994, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil, ensemble le principe de réparation intégrale ;
Mais attendu qu'ayant retenu que les contrôles effectués par la société Polyflame n'avaient pas été suffisants pour garantir que les briquets qu'elle importait étaient conformes à la norme EN ISO 9994, la cour d'appel, en limitant l'interdiction aux modèles dont la non-conformité avait été constatée, a prononcé une mesure en lien avec la faute retenue ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi.