Cass. com., 20 septembre 2016, n° 15-10.939
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Trolem (SA)
Défendeur :
Boston golf Europe (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Darbois
Avocats :
SCP Didier, Pinet, SCP Piwnica, Molinié
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, du 19 nov. 2014), que la société Trolem, titulaire d'un modèle de chariot de golf manuel à trois roues dénommé " One lock ", déposé le 5 juillet 2010 à l'Institut national de la propriété industrielle sous le numéro 20103534, a assigné en contrefaçon de ce modèle et en concurrence déloyale la société Boston golf Europe (la société Boston golf) qui commercialise un chariot sous l'appellation " EZ Cart " ; que, de son côté, la société Boston golf a assigné la société Trolem en nullité de son modèle et en réparation du préjudice causé par des actes de dénigrement ; que les procédures ont été jointes ;
Sur le troisième moyen : - Attendu que la société Trolem fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Boston golf des dommages-intérêts en réparation de son préjudice économique et en réparation de l'atteinte à son image alors, selon le moyen : 1°) que la cassation à intervenir sur le premier moyen prononçant la nullité du modèle " one lock " déposé sous le numéro 20103534 ou sur le deuxième moyen portant sur le rejet de la demande fondée sur des actes de concurrence déloyale de la société Boston golf s'étendra au chef de dispositif condamnant la société Trolem à payer certaines sommes à la société Boston golf au titre d'un préjudice économique et de l'atteinte à son image dès lors que ce dernier chef de dispositif est dans la dépendance nécessaire des premiers, en application de l'article 624 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en l'espèce, la société Trolem a été condamnée à indemniser la société Boston golf de son préjudice économique, au motif que son comportement aurait empêché la commercialisation du chariot " EZ Cart " ; que, pour statuer ainsi, la cour d'appel a écarté le moyen de la société Trolem tiré de ce que la société Boston golf avait elle-même déclaré, dans son courrier du 12 décembre 2011, prendre la décision de suspendre la commercialisation dans l'attente d'éclaircissements sur la décision tranchant le litige entre les fabricants chinois afin de s'assurer d'une sécurité juridique absolue ; qu'en retenant que ce moyen ne correspondait pas à la lettre litigieuse et que les pièces versées au débat faisaient apparaître que " l'absence de sécurité juridique absolue " qui y était visée résultait du comportement de la société Trolem quand il était écrit dans ladite lettre qu'une " nouvelle décision rendue par une cour de justice chinoise et dont nous demandons à notre correspondant chinois de nous signifier la portée réelle nous conduit, pour des motifs de prudence et en vertu du principe de précaution, à ne pas commencer la vente du chariot " EZ Cart " dont nous vous avions parlé l'an dernier ce tant que la situation n'est pas totalement clarifiée et tant que nous ne sommes pas certains que la commercialisation de ce produit pourra intervenir dans des conditions de sécurité juridique absolue ", la cour d'appel, qui a dénaturé ce document, a violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la dénonciation à la clientèle d'une action n'ayant pas donné lieu à une décision de justice est fautive ; qu'ayant relevé que le courrier électronique diffusé au cours des mois de septembre et octobre 2011 par la société Trolem à certains clients de la société Boston golf jetait le discrédit sur celle-ci en mettant en cause son honnêteté, cependant qu'il ne ressortait pas des pièces produites que le fabricant avait été condamné en Chine pour contrefaçon et qu'aucun jugement n'avait qualifié le chariot " EZ Cart " de modèle contrefaisant, l'arrêt retient l'existence d'un dénigrement fautif qui ne pouvait être justifié au nom de la libre concurrence ; qu'il suit de là que la condamnation de la société Trolem à ce titre n'est pas dans la dépendance des chefs du dispositif prononçant la nullité du modèle n° 20103534 et rejetant la demande en concurrence déloyale ; que la première branche, qui postule le contraire, n'est pas fondée ;
Et attendu, d'autre part, que les motifs critiqués par la seconde branche sont ceux des premiers juges statuant sur une fin de non-recevoir soulevée par la société Trolem, qui n'ont pas été adoptés par la cour d'appel pour apprécier le préjudice subi par la société Boston golf ; que le moyen manque en fait ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche : - Vu les articles L. 511-2 et L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, seul peut être protégé le dessin ou modèle qui est nouveau et présente un caractère propre ; qu'un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d'enregistrement, aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué ; que des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ;
Attendu que pour prononcer la nullité, pour défaut de nouveauté, du modèle n° 20103534, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, retient que les proportions globales des deux chariots de golf comparés sont identiques, de même que les molettes latérales, que les matériaux utilisés sont semblables et que la pièce de support du sac de golf n'est pas originale au regard du modèle " Clicgear ", dont elle diffère peu ; qu'il considère que les éléments ornementaux constituent des détails insignifiants ne traduisant pas un effort personnel de création, qu'ils ne sont pas déterminants dans une impression visuelle d'ensemble et qu'il importe peu que le modèle " One lock " présente des motifs en relief peu visibles ; qu'il retient, enfin, que les différences en ce qui concerne l'emplacement des porte-parapluie, porte-bouteille, porte-cartes et frein, différences techniques liées aux systèmes de pliage, verrouillage, jambage des essieux, tiges de rappel, fourches, bandes de roulement et jantes, constituent des choix qualitatifs effectués à partir du concept de chariot manuel de golf à plus de deux roues, sans qu'il soit possible de considérer ces choix comme déterminants d'une nouveauté ;
Qu'en statuant ainsi, sans constater que le modèle " One lock ", considéré en tous ses éléments pris dans leur combinaison, était identique à un modèle antérieurement divulgué, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur le même moyen, pris en ses deuxième et troisième branches : - Vu les articles L. 511-3 et L. 511-4 du Code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que, selon le premier de ces textes, un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d'enregistrement, aucun dessin ou modèle identique n'a été divulgué ; qu'il a un caractère propre lorsque l'impression visuelle d'ensemble qu'il suscite chez l'observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d'enregistrement ;
Attendu que pour prononcer la nullité, pour défaut de nouveauté et de caractère propre, du modèle n° 20103534, l'arrêt, après avoir, par motifs propres et adoptés, relevé que la société Boston golf invoquait comme antériorité un modèle de chariot dénommé " Clicgear ", créé en 2006 et régulièrement amélioré depuis cette date, retient qu'il ressort de l'examen comparatif des deux chariots de golf que l'impression visuelle d'ensemble pour l'observateur averti est " fortement similaire " ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser quel était le chariot de la gamme " Clicgear " pris en considération, de sorte qu'elle ne pouvait tenir pour établi qu'un modèle exclusif de nouveauté et de caractère propre avait été divulgué de manière certaine avant le 5 juillet 2010, date du dépôt de la demande d'enregistrement du modèle " One lock ", la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le deuxième moyen : - Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que pour rejeter la demande fondée sur la concurrence déloyale formée par la société Trolem, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, relève que, le modèle n° 20103534 ayant été annulé, les demandes, tant au titre de la contrefaçon de ce dernier qu'au titre de la concurrence déloyale fondée sur son imitation fautive, doivent être écartées ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors que l'action en concurrence déloyale, qui est ouverte à celui qui ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif, peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux allégués au soutien d'une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif, de sorte qu'il lui incombait de rechercher s'il n'existait pas un risque de confusion entre le chariot " EZ Cart ", commercialisé par la société Boston golf, et le chariot " One lock " de la société Trolem, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il prononce la nullité du modèle n° 20103534 et rejette les demandes en contrefaçon de ce modèle et en concurrence déloyale formées par la société Trolem et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 novembre 2014, entre les parties, par la Cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Douai, autrement composée.