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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 23 septembre 2016, n° 14-05039

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Baglione (SAS)

Défendeur :

Normande de Matériaux Routiers (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Lis Schaal, Nicoletis

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Gicquel, Teytaud, Druesne

T. com. Lille Métropole, du 15 janv. 201…

15 janvier 2014

Faits et procédure

La société Normande de Matériaux Routiers (SNMR), qui a pour activité la fabrication d'enrobés routiers, s'approvisionne auprès de la société Baglione, exploitante de sablière et de carrière.

A la fin de l'année 2008, SNMR, arguant d'une mauvaise qualité des produits de Baglione, a diminué ses approvisionnements en graviers de 40 %. En mai 2011, SMNR a cessé totalement d'acheter les graviers de Baglione.

Par actes des 14 février 2012, Baglione a assigné SNMR devant le Tribunal de commerce de Lille Métropole pour rupture brutale la relation commerciale établie.

Par jugement du 15 janvier 2014, le Tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- Dit qu'il n'y a pas lieu de constater une rupture partielle, en 2008, de la relation commerciale établie

- Jugé que Baglione a été victime en 2011 d'une rupture brutale de la relation commerciale du fait de SNMR ;

- Condamné SNMR à payer à Baglione la somme de 62 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- Condamné Baglione à payer à SNMR la somme de 1 100 euros pour la liquidation de l'astreinte, au titre du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Lille Métropole le 27 novembre 2012 ;

- Condamné SNMR à payer à Baglione la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- Débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires.

Par un acte du 5 mars 2014, la société Baglione a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Prétentions des parties

La société Baglione, par conclusions signifiées le 9 mai 2016, demande à la cour de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que Baglione SAS a été victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies du fait de SNMR ;

- Infirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que la rupture brutale de relations commerciales établies du fait de SNMR n'était pas établie en 2008 ;

Statuant à nouveau :

- Dire que Baglione SAS a été victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies du fait de SNMR ;

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé le préavis à une durée de six mois et considéré que SNMR l'aurait partiellement exécuté ;

- Dire que le préavis doit être fixé à une durée de 12 mois et que SNMR ne l'a pas exécuté ;

- Réformer le jugement en ce qu'il a condamné SNMR à payer à Baglione SAS la somme de 62 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

- Condamner SNMR à verser à Baglione SAS la somme de 593 761 euros HT à titre de dommages et intérêts ;

- Réformer le jugement quant à la liquidation de l'astreinte ;

À titre principal, débouter la société SNMR de sa demande de liquidation de l'astreinte ;

À titre subsidiaire, liquider le montant de l'astreinte à la somme de 100 euros ;

- Condamner SNMR à verser à Baglione SAS la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle soutient qu'en diminuant de 40 % ses achats de graviers en 2008, puis en cessant totalement en 2011 ces achats sans mise en demeure préalable ou préavis, la société SNMR a rompu partiellement, puis totalement, de manière brutale la relation commerciale qui durait depuis 14 ans. Elle fait valoir en outre qu'au regard de la proportion de chiffre d'affaires que cette relation représentait pour elle, du secteur d'activité concerné et des volumes en cause, la société SNMR aurait dû respecter un préavis de 12 mois.

La société Normande de Matériaux Routiers, appelante à titre incident, par conclusions signifiées le 4 mai 2016, demande à la cour de :

- Constater que, pour la première fois en cause d'appel, la SAS Baglione fait état d'une prétention nouvelle au titre d'une rupture partielle de relations commerciales établies commise pour l'exercice 2008, alors qu'auparavant elle avait indiqué avoir renoncé à toute action de ce chef ; par conséquent, la dire irrecevable ;

A titre principal,

- Constater que la société SNMR n'a commis aucune rupture partielle de relations commerciales établies sur l'exercice 2008, du fait des malfaçons et désordres rencontrés dans les produits vendus par la société Baglione ;

- Constater que le point de départ du préavis doit être fixé au 25 janvier 2011, date de l'émission par la société Baglione de son offre et conditions pour l'exercice 2011 ;

- Constater qu'un préavis de cinq mois a été respecté entre l'émission de cette offre et l'arrêt effectif au 31 mai 2011 de la relation commerciale entre la société Baglione et la société SNMR ;

- Constater que la société Baglione ne rapporte pas la preuve de l'ancienneté et de la pérennité d'une relation commerciale depuis 1997 ;

- Constater que, compte tenu des relations commerciales entre la société SNMR et la société Baglione de 2005 à 2010, un préavis de cinq mois était suffisant et qu'il a été respecté ;

Par conséquent, débouter la société Baglione de toutes ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire,

- Constater que la société Baglione est totalement défaillante dans l'administration de la preuve de l'existence de son préjudice et des éléments permettant d'en apprécier le quantum, puis du lien de causalité entre la faute prétendument commise et ce préjudice ;

- Constater, dire et juger que la société Baglione ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice lié à l'impossibilité d'écouler une partie de sa production issue de la carrière d'Averton entre le 1re juin 2011 et le 31 mai 2012, en deçà de la moyenne annuelle de production autorisée de 650 000 tonnes ;

- Constater que sur la période de préavis revendiquée (du 1re juin 2011 au 30 mai 2012), les tonnages extraits de la carrière d'Averton sont équivalents aux exercices précédant la prétendue rupture et constater que le chiffre d'affaires réalisé de 4 656 000 euros HT est supérieur à la période précédant la rupture ;

- Constater que les documents comptables et rapports présentés à l'assemblée générale ordinaire d'approbation des comptes de la société Baglione démontrent l'inexistence de son préjudice et l'absence de désorganisation ;

A titre infiniment subsidiaire,

- Désigner tel expert judiciaire avec mission de ;

- Déterminer le taux de marge brute pour la production d'une tonne de matériaux extraits de la carrière d'Averton par la SAS Baglione pour les exercices clos le 31 août 2011 et le 31 août 2012 ;

- Entendre les parties ainsi que tout sachant s'il y a lieu, connaissance prise de tout document, et en s'entourant de tout renseignement, à charge d'en indiquer la source.

- Dire que l'expert pourra enjoindre aux parties de lui communiquer tout élément et tout document nécessaire à la réalisation de sa mission.

- Dire que l'expert adressera un pré-rapport aux conseils des parties dans un délai de quatre semaines précédant la date de dépôt de son rapport définitif, afin de permettre aux parties de formuler leurs éventuelles observations.

- Fixer le délai de réalisation de la mission de l'expert.

- Dire que les avances du coût de la mesure d'expertise seront supportées par la SAS Baglione ;

- Constater que la SAS Baglione n'a pas procédé à la communication de la totalité des pièces visées à cette décision ; par conséquent, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS Baglione au titre de la liquidation de l'astreinte à payer à la société SNMR une somme de 1 100 euros ;

- Condamner la SAS Baglione à payer à la société SNMR une indemnité de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud, dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La société SNMR soutient que la demande de la société Baglione concernant une prétendue rupture brutale partielle de leurs relations commerciales en 2008 doit être déclarée irrecevable comme nouvelle en cause d'appel.

Elle fait valoir subsidiairement que la diminution partielle des achats assimilée à une rupture partielle par la société Baglione était due aux manquements de cette dernière dans la livraison de ses produits, et qu'en conséquence aucune faute ne peut lui être reprochée.

Par ailleurs, elle conteste la validité des éléments de preuve avancée par la société Baglione pour justifier de l'ancienneté de leur relation commerciale.

Enfin, la société SNMR soutient que la transmission d'offres par la société Baglione dont l'acceptation doit intervenir sous un délai d'un mois, n'est pas conciliable avec la notion de relations commerciales établies, que la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société Baglione était une relation précaire car soumise à la transmission d'offres régulières ; elle ajoute qu'à l'issue de ce délai d'un mois, s'est tenue en présence de la société Baglione, une réunion au cours de laquelle cette dernière a été informée de la volonté de la société SNMR de ne pas donner suite à son offre.

MOTIFS

Considérant que l'article L. 442-6 I, 5 du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure ;

Sur la rupture partielle de la relation commerciale :

- Considérant que Baglione a invoqué, devant le tribunal, la rupture partielle, en 2008, de la relation commerciale ; que l'invocation de la rupture partielle n'est pas nouvelle en cause d'appel au sens de l'article 564 du Code de procédure civile ;

- Considérant que la rupture partielle des relations commerciales n'est caractérisée que par la perte effective, significative et durable de commandes et de chiffre d'affaires ;

- Qu'en l'espèce, les chiffres communiqués par Baglione, non contestés par SNMR, font état d'un tonnage vendu par Baglione à SNMR de 104 363 tonnes en 2008, pour un tonnage annuel moyen de 98 559 tonnes sur la période 2000 - 2007 (pièce n° 16 communiquée par Baglione) ;

- Que les résultats de l'année 2008 ne révèlent aucune réduction substantielle du courant d'affaires entre Baglione et SNMR ;

- Que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit qu'aucune rupture partielle de la relation commerciale n'était caractérisée au titre de l'année 2008 ;

Sur la rupture totale de la relation commerciale :

- Considérant qu'il n'est pas contesté que les commandes de SNMR à Baglione ont totalement cessé à partir de juin 2011 ; que l'arrêt des commandes est constitutif d'une rupture, par SNMR, de la relation commerciale établie existant entre les parties ;

- Considérant que, si SNMR fait état de ce qu'un appel d'offres a été lancé au début de 2011 et que les relations entre les parties se seraient désormais inscrites dans un cadre précaire, elle n'en rapporte nullement la preuve ;

- Que la seule transmission, par Baglione, le 25 janvier 2011, de ses prix applicables au 1re janvier 2011 (pièce n° 31 communiquée par SNMR) est une simple information tarifaire et ne constitue la preuve ni de ce que Baglione aurait soumissionné à une consultation d'entreprises, ni que SNMR aurait recouru à une procédure d'appel d'offres ;

- Qu'il ne résulte d'aucune pièce qu'une réunion, lors de laquelle il aurait été convenu de réduire progressivement l'approvisionnement avant d'y mettre un terme en juin 2011, aurait été tenue le 24 février 2011 entre les parties ;

- Qu'il n'est en conséquence pas établi qu'un préavis de rupture de la relation commerciale ait été notifiée à Baglione par SNMR ;

- Que la rupture intervenue est dès lors brutale ;

- Considérant qu'il résulte de l'article L. 442-6-I, 5 que la durée du préavis que doit respecter l'auteur de la rupture du contrat s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale ;

- Qu'eu égard à l'ancienneté de la relation entretenue par les parties, la cour dira que la durée suffisante du préavis est de six mois ;

- Considérant que le préjudice résultant l'absence de préavis est évalué en considération de la marge brute que la victime de la rupture pouvait escompter pendant la période de préavis jugé nécessaire ;

- Que la marge brute sur coûts variables s'établit, selon attestation du commissaire aux comptes KPMG, à 4,45 euros/tonne (pièce n° 17 communiquée par Baglione) ;

- Que, pour un tonnage annuel, correspondant à la moyenne des tonnages des années 2009 et 2010, de 59 365 tonnes (60 928 + 57 802 / 2), Baglione est fondée à recevoir une indemnité de 59 365 tonnes x 4,45 euros/tonne / 2 = 264 174 euros ;

- Que le jugement entrepris sera réformé en ce sens ;

Sur la liquidation de l'astreinte :

- Considérant que, par conclusions d'incident déposés le 21 juin 2012 devant le Tribunal de commerce de Lille Métropole, SNMR a sollicité la production, par Baglione, de pièces comptables ;

- Que le tribunal de commerce, par jugement en date du 27 novembre 2012, a fait droit à la demande de communication de pièces et a ordonné à Baglione de produire la copie certifiée conforme de ses comptes annuels, de leurs annexes et rapports (rapport de gestion, rapport du Commissaire aux comptes), la copie des assemblées générales ordinaires annuelles d'approbation des comptes pour les exercices clos le 31 août des années 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai de quinze jours ouvrés à compter de la date de signification du dit jugement ;

- Que ce jugement a été signifié le mercredi 5 décembre 2012 ;

- Que, le délai de quinze jours ouvrés a expiré le 26 décembre à minuit en application de l'article 642 du Code de procédure civile ; que Baglione a transmis à SNMR les pièces réclamées les 19, 20 et 21 décembre 2012 et 7 janvier 2013 (pièces n° 7 à 11 de SNMR) ; qu'ont été transmis le 7 janvier 2013 des pièces qui n'avaient pas communiquées antérieurement ou qui l'avaient été de façon incomplète ;

- Que la totalité des pièces devait être communiquée avant l'expiration du délai fixé, une communication partielle n'ayant pas pour effet de suspendre l'astreinte ;

- Que c'est à raison que le tribunal de commerce a retenu que Baglione avait procédé à la communication complète des pièces avec 11 jours de retard entre le 28 décembre 2012 et le 7 janvier 2013 ;

- Que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné Baglione à payer à SNMR la somme de 1 100 euros au titre de la liquidation de l'astreinte ;

- Considérant que l'équité commande de condamner SNMR à payer à Baglione la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort. Confirme le jugement entrepris, sauf sur le montant des dommages et intérêts, Statuant à nouveau du chef infirmé, Condamne la société Normande de Matériaux Routiers à payer à la SAS Baglione la somme de 264 174 euros, Condamne la société Normande de Matériaux Routiers à payer à la SAS Baglione la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne la société Normande de Matériaux Routiers aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.