CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 23 septembre 2016, n° 13-24606
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
NC Numéricâble (SAS), Numéricâble (SAS)
Défendeur :
Free (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Lis Schaal, Nicoletis
Avocats :
Mes Galland, Colin, Coursin
Au mois d'avril 2011, de nombreux journalistes et leur rédaction ont reçu une lettre-circulaire anonyme leur annonçant que " La Révolution du mobile commence le 11 mai ! " et les invitant à se rendre sur la page des sites Internet accessibles par l'intermédiaire de sept adresses ("larevolutiondumobile.com", "larevolutiondumobile.fr", "larevolutiondumobile.org", "larevolutiondumobile.mobi", "revolutiondumobile.fr", "revolutiondumobile.org" et "revolutiondumobile.mobi") qui redirigeait automatiquement l'internaute vers la page d'accueil du site "larevolutiondumobile.com".
Dans un constat du 6 mai 2011, l'huissier mandaté par la société Free a relevé que le contenu de la page unique affichée sur ces sites demeurait le même, quelle que soit la rubrique interrogée ("Accueil", "Pour en savoir plus", ou "Contact"), que les mentions légales relatives aux coordonnées de l'éditeur du site étaient absentes et que la page contenait un lien vers deux comptes anonymes sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter.
Le 5 mai 2011, l'avocat de la société Free a envoyé sur la messagerie du site " larevolutiondumobile.com " un message indiquant " Mes clientes soupçonnent, et à tout le moins craignent, que cette communication cherche à profiter indûment de leur propres efforts commerciaux, ou d'en limiter les effets, tout en semant une certaine confusion vis-à-vis du public ; le caractère anonyme de cette communication accentue le problème. "
Ce courrier a été diffusé par son destinataire auprès des journalistes et du public.
Après avoir réfuté dans la presse être à l'initiative de la campagne "La Révolution du mobile commence " le 11 mai !", les sociétés Numéricâble Sas et NC Numéricâble ont fait connaître, lors d'une conférence de presse tenue le 11 mai 2011, être les organisatrices de cette l'opération de communication.
Par acte du 3 août 2011, la société Free a assigné les sociétés Numéricâble SAS et NC Numéricâble devant le tribunal de commerce de Paris, en leur reprochant d'avoir organisé une campagne publicitaire entraînant une confusion et tendant à profiter de façon parasitaire de sa notoriété, d'avoir tenté de porter le discrédit sur la société Free en laissant croire que c'était elle qui aurait pu organiser l'opération publicitaire anonyme.
Les sociétés Numéricâble SAS et NC Numéricâble ont répondu que la société Free ne disposait d'aucun droit sur le terme 'révolution', et qu'elles n'avaient commis aucune infraction aux dispositions du Code de la consommation.
Par jugement du 12 avril 2013, le tribunal a demandé à la DGCCRF de répondre à la question suivante : " Est-ce que le " teasing " " révolution du mobile annoncé pour le 11 mai ", effectué par l'envoi de circulaire anonyme, constitue une infraction aux dispositions de la loi du 21 juin 2004 (pour la confiance dans l'économie numérique) et aux dispositions du Code de la consommation (article L. 121-1) "
Par courrier du 24 mai 2013, la DGCCRF a répondu que les griefs tirés d'infractions aux règles de protection et d'information du consommateur ne sont pas clairement démontrés et que le consommateur ne subit pas de préjudice en raison du découpage publicitaire.
Par jugement du 13 décembre 2013, le tribunal de commerce a :
- condamné in solidum les sociétés NC Numéricâble et Numéricâble à payer à la SAS Free la somme de 6 391 000 euros en réparation du préjudice qui lui a été occasionné par l'organisation d'une campagne publicitaire entraînant une confusion et tendant à profiter de façon parasitaire de la notoriété de la SAS Free, ainsi que la somme de 20.000euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- condamné in solidum les sociétés NC Numéricâble et Numéricâble aux dépens.
Par déclaration du 20 décembre 2013, les sociétés Numéricâble ont interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 16 mars 2016, par lesquelles la société NC Numéricâble demande à la cour de :
Au visa de l'article 1382 du Code civil,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné solidairement les sociétés Numéricâble ET NC Numéricâble à régler à la société Free la somme de 6 391 000 euros en réparation d'un prétendu préjudice qu'aurait subi Free.
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Free de sa demande indemnitaire fondée sur une captation de clientèle.
Statuant à nouveau,
- dire et juger que l'annonce de Numéricâble pour le lancement de son offre de téléphonie mobile est parfaitement licite,
- débouter Free de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de NC Numéricâble.
- condamner Free à payer à NC Numéricâble la somme de 1 million d'euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
En tout état de cause,
- condamner Free à régler à NC Numéricâble la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais qu'elle a engagé en première instance.
- condamner Free à régler à NC Numéricâble la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais qu'elle a engagé en appel.
- la condamner aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 2 mars 2016, par lesquelles la société Free demande à la cour de :
- juger que la société NC Numéricâble n'a pas respecté les dispositions de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 en matière d'identification du responsable de sites Internet ;
- juger que la société NC Numéricâble n'a pas respecté les dispositions de l'article R. 123-237 du Code de commerce en matière d'identification du responsable de sites Internet ;
- juger que la société NC Numéricâble s'est livrée à des pratiques commerciales trompeuses et déloyales au sens du Code de la consommation notamment pris en ses articles L. 120-1 et L. 21-1-I al. 1 ;
- juger, en tout état de cause que les actes litigieux constituent des fautes civiles engageant la responsabilité de la société NC Numéricâble au sens des articles 1382, et à tout le moins, 1383 du Code civil ;
À titre principal,
- condamner la société NC Numéricâble à payer à la société Free la somme de 10 000 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
À titre subsidiaire,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société NC Numéricâble à payer à la société Free la somme de 6 391 000 euros de dommages-intérêts, et 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens ;
Y ajoutant,
- condamner la société NC Numéricâble à payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article
700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens d'appel.
CELA ÉTANT EXPOSÉ, LA COUR
Sur les agissements parasitaires reprochés à la société NC Numéricâble
Considérant que la société NC Numéricâble expose que la société Free, qui n'a pas le monopole du terme 'révolution' et qui ne dispose d'aucun droit privatif sur ce mot, a agi comme si elle détenait une exclusivité sur l'utilisation du mot " révolution " au détriment de l'ensemble de ses concurrents, alors que l'usage du mot " révolution " ou de l'expression " révolution du mobile ", notions communément utilisées dans le secteur des télécommunications et de l'Internet, ne renvoie pas à l'image de la société Free de manière automatique ;
Qu'en matière de concurrence parasitaire, notamment par le biais de la publicité, il est nécessaire que le concurrent mis en cause ait abusé ou indûment profité du nom commercial, de la dénomination, de la marque, du logo, de l'enseigne, et plus généralement des signes distinctifs de ralliement de la clientèle d'une société ; qu'en l'espèce, la 'révolution' n'est ni le nom commercial, ni la dénomination sociale de la société Free, ni une marque protégée en tant que telle, ni un logo ou une enseigne, ni le nom de l'un de ses produits ;
Que l'expression " La Révolution du mobile commence ", utilisée pour vanter la première offre de téléphonie mobile de Numéricâble, marché sur lequel la société Free était à l'époque absente, n'est ni le fruit d'un savoir-faire ni d'un travail intellectuel particulier de la part de la société Free, qui est d'autant moins fondée à lui reprocher des actes parasitaires que ce slogan, banal et purement descriptif, n'a été employé par l'intimée qu'à une seule reprise dans un communiqué de presse ;
Que Free ne peut pas davantage s'approprier l'expression " La révolution du mobile ", alors que la première offre de téléphonie mobile de Numéricâble a été mise sur le marché en mai 2011, soit huit mois avant celle de Free, de sorte qu'il est faux d'affirmer que le consommateur associerait cette expression à l'offre de téléphonie mobile de Free qui était inexistante à cette époque, et encore moins à l'offre " triple-play " dite Freebox Révolution ; qu'indépendamment du caractère purement descriptif et dépourvu d'originalité de l'annonce de Numéricâble, la société Free ne justifie d'aucun effort créatif ou intellectuel concernant l'utilisation de ce slogan ;
Que la société Free, qui est arrivée sur le marché de la téléphonie mobile après Numéricâble, est irrecevable à revendiquer une quelconque exclusivité sur le mot " révolution " ou sur les formules " révolution du mobile " ou " révolution mobile " ; qu'il est faux d'affirmer qu'elle ne serait pas un opérateur mobile en tant que tel et qu'elle n'a investi le marché de la téléphonie mobile, notamment en complément de ses offres dites " triple play ", dans l'unique dessein de concurrencer directement l'offre " Freebox Révolution " ; que l'intimée, n'étant ni opérateur mobile, ni susceptible de fournir des offres " quadruple play " au mois de mai 2011, il n'existait aucun rapport de concurrence entre les sociétés Free et Numéricâble sur l'un de ces deux marchés ; que la société Free n'est donc pas fondée à lui reprocher d'avoir agi de manière déloyale et parasitaire sur le même marché ;
Considérant que la société Numéricâble expose également qu'il ne pouvait y avoir de confusion entre son offre de téléphonie mobile et l'offre " triple-play " dite " Freebox Révolution " de Free ; que conformément à l'avis rendu par la DGCCRF le 24 mai 2013, " le teasing ", qui n'était que la première partie de sa campagne de publicité, puisque les caractéristiques de sa nouvelle offre de téléphonie mobile et de son offre " quadruple play " ont été révélées le 11 mai 2011, ne peut être assimilé à une publicité et n'avait pour but que de susciter la curiosité du consommateur et de le maintenir attentif jusqu'à la fin de la campagne sans déclencher de décision d'achat dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne et donc sans être susceptible d'altérer son comportement économique, de sorte qu'il ne pouvait être assimilé à une pratique commerciale déloyale et / ou trompeuse ;
Considérant que la société Free fait valoir qu'elle ne prétend pas avoir un monopole sur le mot " révolution ", ni être titulaire de droits privatifs sur ce mot ; qu'elle ne reproche pas à la société Numéricâble d'avoir prétendu " révolutionner " les télécommunications, mais d'avoir, pour rendre sa communication efficace, créé sciemment une confusion à son préjudice ; que dans un contexte où elle avait acquis une réputation de bousculer les consensus établis, où lancement de la Freebox Révolution était annoncé et où le public espérait une révolution du mobile avec l'arrivée de la société Free sur ce marché, la société Numéricâble a lancé une campagne de communication anonyme, qui a créer la confusion parasitaire, puis l'a aggravée au fil des semaines ;
Considérant que la société Free soutient que le premier facteur de confusion, a été la décision de la société Numéricâble de se dissimuler en lançant sa communication à partir de sites Internet anonymes, en s'affranchissant ainsi des dispositions légales relatives à l'obligation d'identification en matière d'édition en ligne, en utilisant des identités fausses et fantaisistes pour égarer ceux qui chercheraient à identifier le responsable de ces sites et entretenir le suspense, enfin, en intervenant anonymement, auprès des journalistes, pour que la presse amplifie cette communication auprès du public ; que le site Internet exploité par la société Numéricâble est un service de communication en ligne, dont l'édition est soumise aux dispositions de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite "Loi pour la confiance dans l'économie numérique", qui prévoit, à ses articles 6-III-1 et 6-VI-2, que le nom de celui qui diffuse de tel site Internet doit être mentionné sur le site, et y être facilement accessible ; que la société Numéricâble s'est affranchie de cette obligation d'identification, ainsi que de celles prévues à l'article R. 123.237 du Code de commerce ;
Que l'appelante a sciemment fait le choix de se dissimuler, puisqu'elle n'a pas seulement dissimulé ses coordonnées, mais en a même créées des fausses pour aggraver la confusion ; qu'en ne respectant pas ses obligations d'identification et en utilisant de fausses coordonnées, pour créer une confusion avec Free, la société Numéricâble a commis des fautes au sens des dispositions des articles 1382 et, à tout le moins, 1383 du Code civil, et L.121-1-I alinéa 1 du Code de la consommation ;
Considérant que la société Free expose que le deuxième facteur de confusion a été l'utilisation de sa réclamation par la diffusion, sur Internet et dans la presse, de la lettre de mise en garde en date du 5 mai 2011 rédigée par son avocat, ce qui a exacerbé la confusion, puisque une partie des journalistes spécialisés et du public a pensé que ce courrier était un subterfuge utilisé par elle et qu'elle était l'auteur de la publicité anonyme litigieuse ; que récupération et la diffusion d'une lettre d'avocat sur Internet, auprès de millions de lecteurs dépassent le simple cadre d'une communication commerciale, et révèlent un comportement anormal, constitutif d'une faute ;
Considérant que l'intimée expose que le troisième facteur de confusion a été la dénégation publique de la société Numéricâble destinées à entretenir la confusion jusqu'au 11 mai 2011 ; que ces manœuvres supplémentaires, créer la confusion, avancer sous une fausse identité, nier la paternité d'une opération de communication et détourner une lettre d'avocat pour aggraver la situation, sont volontaires et constituent des pratiques commerciales déloyales, contraires aux exigences de la diligence professionnelle au sens de l'article L. 120-1 du Code de la consommation et, plus largement, des fautes civiles qui engagent la responsabilité de l'appelante sur le fondement des articles 1382, 1383 du Code civil ;
Considérant que la société Free expose que l'avis exprimé par la DGCCRF sur l'article L. 121-1-I du Code de la consommation, qui est limité aux alinéas 2 et 3, est sans incidence sur les dispositions de l'alinéa 1er, qu'elle invoque ; que la DGCCRF n'a abordé la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite " Loi pour la confiance dans l'économie numérique' que sous l'angle des dispositions de ses articles 19 et 20, qui réglementent les modalités de la publicité en ligne, et non sous l'angle des dispositions de l'article 6.III.1, relatives à l'obligation de tout éditeur d'un site Internet à titre professionnel, de s'identifier dans le cadre de ses mentions légales impératives ;
Mais considérant que le parasitisme consiste pour un opérateur économique à s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis et résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion et même en l'absence de situation concurrentielle ;
Considérant que la société Free ne revendique aucun droit sur le mot " révolution " ou sur l'expression " la révolution du mobile ", mais soutient que la campagne promotionnelle initiée par la société Numéricâble durant les mois d'avril et mai 2011 a été menée de façon à entretenir une confusion dans l'esprit du public, médias et consommateurs, en leur laissant supposer que cette campagne anonyme émanait de la société Free, laquelle avait annoncé le lancement de sa nouvelle box " Freebox Révolution ", en diffusant un dossier de presse en janvier 2011 mentionnant " La révolution du mobile commence " et annonçant que les appels vers les mobiles seraient " désormais inclus dans le forfait Freebox Révolution à 29,99 euros/mois " ;
Considérant que la société Numéricâble, premier câblo-opérateur français fournissant des services d'accès à Internet, à la télévision et à la téléphonie fixe en très haut débit, a mis sur le marché, le 15 mai 2011, sa première offre de téléphonie mobile 'illimitée' sans fourniture de téléphone portable, au prix de 24,90 euros par mois pour ses abonnés 'triple play' et de 49,99 euros par mois en cas de souscription à l'offre de téléphonie seule ; que la société Free, qui a commercialisé plusieurs versions de sa " Freebox ", qui fournit via l'ADSL des services d'accès à Internet, à la télévision et à la téléphonie fixe, a obtenu en janvier 2010 la quatrième licence d'opérateur mobile français et a lancé son offre " quadruple play " " Freebox Révolution " début 2012 ; que, si aux mois d'avril et mai 2011, la société Free n'avait pas encore commercialisé son offre de téléphonie mobile, néanmoins les sociétés Numéricâble et Free étaient en situation de concurrence sur le marché des offres " triple play " et la commercialisation par la société Free de son offre de téléphonie mobile et de " quadruple play " était attendue ;
Considérant qu'il apparaît, au vu de la documentation commerciale produite aux débats, que la campagne de communication de la société NC Numéricâble mettait en avant une offre de téléphonie mobile " illimitée " à moins de 25 euros par mois réservée à ses abonnés, alors que son offre de téléphonie mobile seule, au prix de 49,99 euros par mois, n'avait rien de " révolutionnaire " ; que la campagne publicitaire ciblée sur son offre de téléphonie mobile, profitait également à son offre " quadruple play " puisque pour bénéficier de l'offre de téléphonie mobile à prix réduit il était nécessaire de s'abonner au câble ;
Considérant qu'il résulte des nombreux articles de presse versés aux débats par l'intimée que, le 14 décembre 2010, le président directeur général la société Free a présenté publiquement la Free Box Révolution ; que offre " quadruple play " de la société Free intégrant pour la première fois les appels " illimités " vers les mobiles était attendue au plus tard début janvier 2012 ; que les très nombreuses coupures de presse produites montrent que le terme " révolution " était associé de façon usuelle à la société Free, qui avait déjà " révolutionné Internet " à haut débit avec son offre triple play en 2001, et à la nouvelle Free Box Révolution dont l'arrivée, qui devait révolutionner le mobile, était attendue ;
Considérant que si la technique publicitaire de " teasing " est licite et si la société Numéricâble n'a pas commis de faute en utilisant les termes " révolution " et " révolution du mobile " pour son opération de communication, cependant, en orchestrant sur plusieurs semaines, d'avril au 11 mai 2011, une opération de communication anonyme, dans un contexte où ces vocables étaient usuellement employés pour désigner la société Free et qualifier les avancées apportées par la Box Révolution, dont la commercialisation par la société Free était annoncée depuis décembre 2010 et attendue par le public et les médias, la société Numéricâble a volontairement laissé planer une équivoque sur l'auteur du " teasing " ; que cette campagne " teasing ", qui avait pour finalité d'attirer l'attention du public en diffusant un message publicitaire anonyme, a joué la carte de l'ambiguïté afin de profiter des investissements et de la notoriété de la société Free ;
Considérant que la société Numéricâble a sciemment fait perdurer cette situation et a entretenu la confusion créée par sa campagne publicitaire en rendant public le courrier de l'avocat de l'intimée et en déniant, jusqu'au 11 mai 2011, être l'auteur de la campagne ; que les coupures de presse produites montrent que, après la publication du courrier de l'avocat de la société Free, les médias ont à nouveau désigné l'intimée comme étant le probable annonceur de la communication publicitaire en cause ; que le comportement de la société Numéricâble, qui a sciemment créé et profité de cette confusion pour attirer l'attention sur le lancement de son offre mobile en profitant de la notoriété acquise par la société Free, est constitutif d'un acte de parasitisme ;
Considérant qu'il résulte du constat d'huissier versé aux débats par la société Free qu'aucun des 7 sites Internet utilisés par la société Numéricâble pour diffuser sa campagne de communication "La Révolution du mobile commence " le 11 mai !" ne comportait les informations permettant d'identifier l'appelante ; qu'en cherchant à identifier le titulaire des sept noms de domaine qui permettaient l'accès aux 7 sites Internet, Maître Legrain a constaté que pour deux d'entre eux, " larevolutiondumobile.fr " et " revolutiondumobile.fr ", le nom du titulaire était sous le statut " Diffusion restreinte, données non publiques ", et que les cinq autres noms de domaine enregistrés en " .com ", " .org " et " .mobi ", avaient tous pour titulaire une entité baptisée " La Gym Suédoise " situé " 15, chemin Ceinture du Lac Supérieur 75016 Paris ", entité qui n'existait pas à cette adresse ; qu'il est ainsi établi que la campagne de communication en ligne a été faite de façon anonyme ou sous une fausse identité
Considérant que, en application de l'alinéa 2 de l'article 14 la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, " Entrent également dans le champ du commerce électronique les services tels que ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales, y compris lorsqu'ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent " ; que l'article 19 de cette loi dispose que toute personne qui exerce l'activité de commerce électronique est tenue d'assurer à ceux à qui est destinée la fourniture de biens ou la prestation de services un accès facile, direct et permanent utilisant un standard ouvert aux informations suivantes :
1° S'il s'agit d'une personne physique, ses nom et prénoms et, s'il s'agit d'une personne morale, sa raison sociale ;
2° L'adresse où elle est établie, son adresse de courrier électronique, ainsi que des coordonnées téléphoniques permettant d'entrer effectivement en contact avec elle ;
3° Si elle est assujettie aux formalités d'inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, le numéro de son inscription, son capital social et l'adresse de son siège social ; qu'il résulte des constations opérées par l'huissier de justice que pour garantir le parfait anonymat de sa campagne de communication commerciale la société Numéricâble s'est volontairement abstenue de fournir les informations exigées par l'article 19 précité ; que cette abstention est constitutive d'une faute civile ;
Considérant que la campagne de " teasing " diffusée par la société Numéricâble, qui s'est déroulée essentiellement sur Internet, est la première partie d'une opération publicitaire, comportant une seconde partie qui a consisté en la révélation du service sur lequel portait la communication publicitaire ; que le " teasing " entre dans les prévisions des dispositions de l'article 20 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique qui disposent que " Toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée " ; qu'en s'abstenant volontairement de respecter cette obligation légale, la société Numéricâble a commis une faute civile ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 121-1 alinéa 1re du Code de la consommation, dans sa rédaction applicable au moment des faits, ne sont pas applicables à la campagne de communication, anonyme jusqu'au 11 mai 2011, a entretenu une équivoque sur l'identité de l'annonceur mais aucune de confusion entre des biens ou services, ni entre des marques, des noms commerciaux ou un autre signe distinctif d'un concurrent ; que les dispositions de l'article 6.III.1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, applicables aux " personnes dont l'activité est d'éditer un service de communication au public en ligne ", ne sont pas applicables à la société Numéricâble, qui était l'annonceur de la campagne publicitaire en ligne, mais n'a pas pour activité de fournir un service de communication au public ;
Considérant que le jugement doit être confirmé en ses dispositions ayant retenu que la société Numéricâble a commis des agissements parasitaires en s'immisçant dans le sillage de la société Free afin que sa campagne publicitaire puisse profiter de la notoriété de l'intimée ; que la société Numéricâble est tenue de réparer les préjudices causés par ces agissements à la société Free ;
Sur le préjudice de la société Free
Considérant que la société NC Numéricâble expose que la société Free n'a subi aucun préjudice ; qu'aucune atteinte n'a été portée à la crédibilité de l'appelante ; qu'aucune confusion n'était possible dans la mesure où, au mois de mai 2011 lors du lancement de son offre, la société Free n'était pas opérateur de téléphonie mobile et était absente du marché du " quadruple play " ; que pour ces raisons, aucun client de la société Free n'a pu être détourné, puisque l'intimée ne comptait pas d'abonné à la téléphonie mobile ; qu'elle verse au débat un rapport d'expertise financière rédigée le 3 septembre 2015 par M. Olivier Marion, expert judiciaire, qui établit clairement l'absence de préjudice de la société Free ;
Considérant que la société NC Numéricâble soutient que le postulat de départ du rapport Sorgem produit par la société Free est erroné dans la présentation qu'il fait de la situation financière de l'appelante ; que les documents officiels de l'Arcep indiquent que la société NC Numéricâble était déjà en 2011 le leader sur le marché de la fourniture de contenus " triple play " en termes de prises raccordées ; que lors de son lancement, en décembre 2010, la dernière Freebox était concurrencée par des produits similaires des sociétés Bouygues et Orange ; qu'il était donc logique que la société Free soit exposée à des décalages d'abonnements qui auraient modifié son rythme de recrutement 5 mois après le lancement de sa dernière offre ; que l'appelante n'a pu bénéficier d'une baisse du rythme des recrutements de la société Free, à hauteur de 7156 abonnés, puisqu'elle a connu au mois de mai 2011 une baisse des recrutements et une augmentation des résiliations ;
Considérant que la société Free répond que les agissements de la société NC Numéricâble lui ont causé plusieurs postes de préjudice, qui sont étayés par le rapport récapitulatif d'analyse financière établi le 7 janvier 2016 par l'expert, M. Maurice Nussenbaum ; que le poste principal de préjudice est la baisse des recrutements de l'ordre de 7156 abonnés potentiels durant le mois de mai 2011, que l'on ne retrouve ni en avril ni en juin 2011, ni pendant les autres mois de mai qui ont précédé l'année 2011 et qui ne peut s'expliquer que par la communication litigieuse ; que l'année 2011 a été celle du lancement de la Freebox V6, qu'il a eu un succès exceptionnel ; que l'expert a chiffré la valeur financière d'un abonné Free à 893 euros, que multiplié par 7 156 abonnés perdus, la perte est de 6 191 000 euros ;
Considérant que la société Free fait valoir que les atteintes graves à son image et à sa réputation, ainsi que la dévalorisation de ses investissements publicitaires et commerciaux se retrouvent dans une large mesure dans le chiffre précité, puisque ces atteintes se traduisent habituellement par une moindre efficacité des recrutements et/ou par une efficacité indue du recrutement du concurrent déloyal ; que la campagne de communication de l'appelante a été rendue visible et efficace par le détournement de l'image de l'intimée ; que cette campagne a permis à la société NC Numéricâble d'améliorer très sensiblement sa situation et ses recrutements, puisqu'alors qu'elle perdait en moyenne 6957 abonnés par mois entre janvier et avril 2011 cette situation a été réduite dès le mois de mai 2011, où elle n'a perdu que 2102 abonnés et en moyenne 2494 abonnés entre les mois de mai et de novembre 2011 ; que l'expert estime que l'appelante aurait recruté entre 4855 et 31241 abonnés en détournant l'image de la société Free et évalue la valeur de ce détournement à la somme de 6.265.000 euros , soit la moitié du gain réalisé ;
Considérant que la société Free sollicite la condamnation de la société NC Numéricâble à lui verser la somme de 10 millions d'euros en réparation du préjudice commercial et d'image qu'elle a subi ;
Mais considérant que les préjudices réparables sont ceux qui ont été causés par les agissement parasitaires commis en avril et jusqu'au 11 mai 2011 ; qu'en revanche les préjudices résultant du libre jeu de la concurrence et notamment la perte d'abonnés en raison de l'arrivée sur le marché d'une offre concurrente ne sont pas indemnisables ; que la société Free a subi un préjudice d'image puisque la partie anonyme de la campagne publicitaire de la société NC Numéricâble a laissé penser au public et à la presse que la société Free était l'annonceur et qu'ainsi la notoriété, l'image et la réputation de l'intimée ont été détournées pour contribuer au succès de la campagne publicitaire de l'appelante ; cour dispose des éléments pour fixer ce préjudice à la somme de 50 000 euros ;
Considérant qu'en revanche, une atteinte à la crédibilité de la société Free ou une dévalorisation de ses investissements publicitaires ne sont pas démontrés, les excellents résultats de la société et son classement, en 2011, en tant que marque préférée des français dans le secteur des télécoms et du " hight -tech " en attestent ; que la preuve n'est pas rapporté que les agissements reprochés à la société NC Numéricâble lui ont permis d'améliorer sa situation et ses propres recrutements, alors que, durant le mois de mai 2011, l'appelante a perdu 2102 abonnés ; que l'intimée doit être déboutée de ces chefs de demandes ;
Considérant qu'il résulte des rapports d'expertises versés aux débats par les deux parties que durant l'année 2011 la société Free a gagné 400 784 nouveaux clients ; que sur le mois de mai l'appelante a gagné 4,83 % de nouveaux abonnements contre 6,47 % en moyenne les deux années précédentes ; qu'il ne peut être déduit de ces chiffres que sans la confusion sur l'identité de l'annonceur générée par la campagne publicitaire diffusée par l'appelante durant quelques semaines, la société Free aurait recruté 7156 clients au mois de mai 2011 ; que la comparaison avec les années 2009 et 2010 n'est pas pertinente dès lors que le marché était différent en 2011, puisque le 3 mars 2011 la société Bouygues Télécom avait annoncé le lancement de son offre de téléphonie mobile et de son offre " quadruple play ", la société Orange avait lancé le 8 avril 2011, des offres " triple Play " et la société NC Numéricâble avait lancé, le 11 mai 2011, son offre de téléphonie mobile et de " quadruple play " ;
Considérant que la perte d'abonnements subie par la société Free durant le mois de mai 2011 trouve sa justification dans la multiplication des offres concurrentes, qui proposaient, en outre, une offre mobile à prix réduit , ce qui n'était pas le cas de la Freebox Révolution, lancée en décembre 2010 ; que si le lancement, le 11 mai 2011, par la société NC Numéricâble , de ses offres mobile et " quadruple play " a éventuellement pu concourir à une perte d'abonnés pour la société Free, ce préjudice concurrentiel n'est pas fautif ; que la société Free ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre la diminution du nombre de recrutement d'abonnés au mois de mai 2011 et les agissements reprochés à l'appelante qui n'ont eu d'effet que sur l'attention portée à son opération publicitaire, qui s'est achevée le 11 mai 2011 ; que l'intimée doit être déboutée de sa demande au titre de la perte d'abonnés ;
Sur la demande reconventionnelle de la société NC Numéricâble
Considérant que l'appelante expose que la société Free a fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice et sollicite à ce titre la condamnation de l'intimée à lui verser la somme de 1 million d'euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Mais considérant que l'action de la société Free, en reprochant à la société NC Numéricâble des fautes civiles, est fondée et ne constitue pas un abus de son droit d'agir en justice ; que la demande de dommages-intérêts formée par l'appelante doit être rejetée ;
Par ces motifs, Confirme le jugement, sauf en sa disposition ayant condamné les sociétés NC Numéricâble et Numéricâble à payer à la SAS Free la somme de 6 391 000 euros en réparation du préjudice qui lui a été occasionné du fait de la faute des sociétés NC Numéricâble et Numéricâble d'avoir organisé une campagne publicitaire entraînant une confusion et tendant a profité de façon parasitaire de la notoriété de la SAS Free. Et statuant de nouveau, Condamne la SAS NC Numéricâble à verser à la SAS Free la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice d'image, Et y ajoutant, Dit que SAS NC Numéricâble n'a pas respecté des dispositions des articles 19 et 20 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, Dit que SAS NC Numéricâble a commis des agissements parasitaires constituant des fautes civiles, Condamne la SAS NC Numéricâble à verser à la SAS Free la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la SAS NC Numéricâble aux dépens d'appel.