Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 20 septembre 2016, n° 15-08372

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ulimit (Sté), Tuto4pc.com Group (SA), Haurais

Défendeur :

SNCF Mobilités (Epic) , SNCF (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rajbaut

Conseillers :

Mmes Auroy, Douillet

Avocats :

Mes Guerre, Marembert, Caron

CA Paris n° 15-08372

20 septembre 2016

EXPOSÉ DU LITIGE

La Société Nationale des Chemins de Fers Français (ci-après SNCF) est un établissement public à caractère industriel et commercial qui a pour principale mission le transport ferroviaire de personnes et de marchandises ainsi que, dans le cadre d'une convention de gestion, la gestion du trafic et de circulations, l'entretien des infrastructures techniques et de sécurité du réseau ferré national pour le compte de l'établissement public Réseau Ferré de France ;

Elle expose avoir adopté dès 1937 le sigle "SNCF", composé de quatre lettres constituant l'acronyme de " Société Nationale des Chemins de Fers Français " et justifie être notamment titulaire des marques françaises suivantes :

- marque semi-figurative en couleurs "SNCF" déposée le 2 mars 2005 et enregistrée sous le numéro 05 3 344 303 pour désigner des produits et services des classes 12, 16, 18, 25, 28, 39, 41 et 45, telle que reproduite ci-dessous :

- marque semi-figurative en couleurs "SNCF" déposée le 14 août 2008 et enregistrée sous le numéro 08 3 594 312 pour désigner des produits et services des classes 9, 16, 18, 24, 35, 36, 38 et 39, telle que reproduite ci-dessous :

- marque verbale "SNCF" déposée le 19 avril 2006 et enregistrée sous le numéro 06 3 424 107 pour désigner des produits et services des classes 12, 35, 37, 39, 41 et 42,

- marque verbale "TGV" déposée le 17 août 1988 en renouvellement d'un dépôt antérieur effectué le 17 août 1978, enregistrée sous le numéro 1 566 899 et renouvelée en dernier lieu le 31 juillet 2008 pour désigner des produits et services des classes 3, 4, 8, 11, 12, 16, 18, 21, 24, 25, 35, 39, 41 et 42,

- marque verbale "Transilien" déposée le 29 avril 1999 et enregistrée sous le numéro 99 789 356 pour désigner des produits et services des classes 9, 12, 38 et 39 ;

Elle expose en outre avoir créé en juin 2000 la première agence de voyages en ligne accessible à l'adresse "www.voyages-sncf.com" et précise que ce site propose aux internautes des services de location de voiture, des locations de vacances, des chambres d'hôtel, des séjours clés en main et à la carte, des visites de musées ou encore des spectacles ;

Elle a ainsi déposé les marques suivantes :

- marque française semi-figurative en couleurs "Voyages-SNCF.com" déposée le 19 janvier 2007 et enregistrée sous le numéro 3 475 835 pour désigner des produits et services des classes 9, 16, 35, 38, 39, 41, 42 et 43, telle que reproduite ci-dessous :

- marque internationale verbale "Voyages-SNCF.com" enregistrée le 29 juin 2007 sous le numéro 958 152 et visant des produits et services des classes 9, 16, 35, 38, 39, 41, 42 et 43,

- marque française semi-figurative "Voyages-SNCF" déposée le 11 juin 2001 et enregistrée sous le numéro 3 104 790 pour désigner des produits et services des classes 9, 35, 38, 39 et 42, telle que reproduite ci-dessous :

Ayant découvert que le site accessible à l'adresse <www.lo.st> utilisait et reproduisait sans son autorisation les marques selon elle notoires ci-dessus énumérées afin de diriger le consommateur malgré lui vers des produits et services identiques ou similaires à ceux qu'elle-même propose, la SNCF a fait procéder le 22 octobre 2008 à un constat sur Internet par l'Agence pour la Protection des Programmes (APP), puis le 5 novembre 2008 à un constat d'huissier ;

Enjoint par ordonnance sur requête du 5 décembre 2008 de communiquer l'intégralité des données personnelles permettant l'identification de l'éditeur et de l'auteur de ce site, la société OVH, hébergeur du site litigieux, a indiqué que les serveurs sur lesquels est hébergé le site <lo.st> sont loués par la SA Eorezo (dénommée ensuite successivement SA Tuto4pc.com puis Ulimit) et que le réservataire du nom de domaine est M. Jean-Luc Haurais, président du directoire de cette société ;

C'est dans ce contexte que la SNCF a fait assigner le 18 février 2009 la SA Eorezo, la société holding SAS Eorezo Group (désormais Tuto4pc.com Group) et M. Jean-Luc Haurais devant le tribunal de grande instance de Paris pour atteinte à ses marques notoires ci-dessus énumérées et violation des dispositions des articles L. 115-33 et L. 121-1 du Code de la consommation

Par jugement contradictoire du 11 juin 2010, le Tribunal de grande instance de Paris a :

- rejeté la demande de la SNCF tendant à voir écarter des débats les pièces adverses n° 32, 33 et 34,

- prononcé la mise hors de cause de M. Jean-Luc Haurais et de la SAS Eorezo Group (désormais Tuto4pc.com Group),

- rejeté les demandes formées par M. Jean-Luc Haurais et les sociétés Eorezo (dénommée Tuto4pc.com puis désormais Ulimit) tendant à voir prononcer la nullité du procès-verbal de constat dressé le 22 octobre 2008 par l'APP et la nullité de l'ordonnance sur requête rendue le 05 décembre 2008,

- dit que la SA Eorezo (désormais Ulimit), qui a un rôle actif dans le choix des contenus mis en ligne sur son site et doit dès lors être qualifiée d'éditeur, ne peut bénéficier du régime de responsabilité limitée instaurée par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) et engage sa responsabilité civile dans les conditions de droit commun,

- dit qu'en faisant apparaître sur la page d'accueil de son site internet accessible à l'adresse <www.lo.st> le signe "SNCF" et sur une page de résultat de son moteur de recherche un lien commercial intitulé "TGV" et en affichant, après saisie par l'internaute sur la barre URL de son moteur de recherche des signes "SNCF", "TGV", "Transilien", "Voyages-SNCF.com" et "Voyages-SNCF", des liens commerciaux concurrents, à des emplacements privilégiés, la SA Eorezo (désormais Ulimit) a porté atteinte aux marques notoires "SNCF", "TGV", "Transilien", "Voyages-SNCF.com" et "Voyages-SNCF" dont la SNCF est titulaire,

- dit que ce faisant, la SA Eorezo (désormais Ulimit) s'est en outre rendue coupable d'une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation,

- fait interdiction à la SA Eorezo (désormais Ulimit) de poursuivre de tels agissements, ce sous astreinte de 1 500 euros par infraction constatée à compter de la signification de sa décision,

- condamné la SA Eorezo (désormais Ulimit) à payer à la SNCF la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte portée à ses marques notoires "SNCF", "TGV", "Transilien", "Voyages-SNCF.com" et "Voyages-SNCF",

- condamné la SA Eorezo (désormais Ulimit) à payer à la SNCF la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de publicité trompeuse commis à son encontre,

- autorisé la publication de sa décision, sous forme de communiqués, dans trois journaux ou revues au choix de la SNCF et aux frais de la SA Eorezo (désormais Ulimit), sans que le coût de chaque publication n'excède, à la charge de celle-ci, la somme de 3 500 euros HT,

- ordonné la publication du dispositif de sa décision en partie supérieure du site Internet litigieux, pendant une durée de 15 jours consécutifs, aux adresses internet suivantes : <http://lo.st>, <www.lo.st> et <http://www.lo.st>,

- condamné la SA Eorezo (désormais Ulimit) à payer à la SNCF la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,

- ordonné l'exécution provisoire ;

La SA Eorezo (dénommée ensuite successivement SA Tuto4pc.com puis SA Ulimit) a interjeté appel de ce jugement le 24 juin 2010.

Par arrêt contradictoire du 28 octobre 2011, rectifié le 16 décembre 2011, la chambre 2 du pôle 5 de la Cour d'appel de Paris a :

- confirmé le jugement entrepris à l'exception de ses dispositions ayant mis la SAS Eorezo Group (désormais Tuto4pc.com Group) et M. Jean-Luc Haurais hors de cause, ayant fixé le montant des dommages et intérêts à la somme de 150 000 euros, ayant fixé l'astreinte à la somme de 1 500 euros et ayant condamné la seule SA Eorezo (devenue alors Tuto4pc.com et désormais Ulimit), infirmant de ces chefs :

- dit que la SAS Tuto4pc.com.Group et M. Jean-Luc Haurais ont joué un rôle actif dans le choix des contenus mis en ligne sur le site "lo.st" et doivent dès lors être qualifiés d'éditeurs, ne pouvant bénéficier du régime de responsabilité limitée instaurée par la LCEN du 21 juin 2004 et engageant leur responsabilité civile dans les conditions du droit commun,

- dit qu'en faisant apparaître sur la page d'accueil du site Internet "lo.st" accessible à l'adresse <www.lo.st> le signe "SNCF" et sur une page de résultat de son moteur de recherche un lien commercial intitulé "TGV" et en affichant, après saisie par l'internaute sur la barre URL de son moteur de recherche des signes "SNCF", "TGV", "Transilien", "Voyages-SNCF.com" et "Voyages-SNCF" des liens commerciaux concurrents à des emplacements privilégiés, ils ont porté atteinte aux marques notoires "SNCF", "TGV", "Transilien", "Voyages-SNCF.com" et "Voyages-SNCF" dont la SNCF est titulaire,

- dit que ce faisant, la SAS Tuto4pc.com Group et M. Jean-Luc Haurais se sont en outre rendus coupables d'une pratique commerciale trompeuse au sens de l'article L. 121-1 du Code de la consommation,

- ordonné le retrait de la procédure de la pièce n° A2 versée aux débats par les sociétés Tuto4pc.com (désormais Ulimit) et Tuto4pc.com.Group et par M. Jean-Luc Haurais,

- fait interdiction aux sociétés Tuto4pc.com (désormais Ulimit) et Tuto4pc.com.Group et à M. Jean-Luc Haurais de faire usage des dénominations "SNCF", "TGV", "Transilien", "Voyages-SNCF.com" et "Voyages-SNCF", à l'identique ou par imitation, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée, à compter de la signification de sa décision,

- condamné les sociétés Tuto4pc.com (désormais Ulimit) et Tuto4pc.com.Group et M. Jean-Luc Haurais in solidum à payer à la SNCF la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du détournement de clientèle et des bénéfices réalisées au détriment de la SNCF,

- condamné les sociétés Tuto4pc.com (désormais Ulimit) et Tuto4pc.com.Group et M. Jean-Luc Haurais in solidum à payer à la SNCF la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,

- ordonné la publication de sa décision sous la forme de communiqués dans cinq journaux français ou étrangers, au choix de la SNCF et aux frais in solidum des sociétés Tuto4pc.com (désormais Ulimit) et Tuto4pc.com.Group et M. Jean-Luc Haurais, sans que le coût de chaque publication n'excède la somme de 5 000 euros HT,

- ordonné la publication de sa décision en intégralité, en partie supérieure du site Internet litigieux, pendant une durée de 30 jours aux adresses Internet suivantes : <http://lo.st>, <www.lo.st> et <http://www.lo.st>,

- débouté les sociétés Tuto4pc.com (désormais Ulimit) et Tuto4pc.com.Group et M. Jean-Luc Haurais de l'intégralité de leurs demandes,

- condamné in solidum les sociétés Tuto4pc.com (désormais Ulimit) et Tuto4pc.com.Group et M. Jean-Luc Haurais à payer à la SNCF la somme de 30 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Les sociétés Tuto4pc.com (désormais Ulimit) et Tuto4pc.com.Group et M. Jean-Luc Haurais ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt ;

Par arrêt du 20 janvier 2015, la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé cet arrêt, sauf en ce qu'il a :

- ordonné le retrait de la procédure de la pièce n° A2 versée aux débats par les sociétés Tuto4pc.com (désormais Ulimit) et Tuto4pc.com.Group et par M. Jean-Luc Haurais,

- rejeté la demande de retrait des pièces adverses n° 32, 33 et 34 formées par la SNCF,

- rejeté les demandes formées par les sociétés Tuto4pc.com (désormais Ulimit) et Tuto4pc.com.Group et par M. Jean-Luc Haurais tendant à voir prononcer la nullité du procès-verbal de constat dressé le 22 octobre 2008 par l'APP et celle de l'ordonnance sur requête du 05 décembre 2008 ;

Renvoyant la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Les sociétés Tuto4pc.com et Tuto4pc.com Group ont saisi la présente cour comme cour de renvoi par déclaration en date du 17 avril 2015.

L'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF est intervenu volontairement à l'instance devant la cour par conclusions transmises par RPVA le 17 mai 2016.

Par leurs dernières conclusions d'appel n° 3 sur renvoi après cassation, transmises par RPVA le 24 mai 2016, la SA Ulimit (anciennement dénommée Eorezo puis Tuto4pc.com), la SA Tuto4pc.com Group et M. Jean-Luc Haurais demandent :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a mis hors de cause M. Jean-Luc Haurais et la SA Tuto4pc.com Group et de l'infirmer pour le surplus,

- de dire que la SA Ulimit a la qualité d'intermédiaire technique bénéficiant des dispositions de l'article 6-1-2 de la LCEN du 21 juin 2004, en affichant sur son site " lo.st " de manière neutre et passive, des annonces commerciales fournies automatiquement par la société Google dans le cadre du programme " Adsense ",

- de dire que la SA Ulimit n'a joué aucun rôle actif dans la rédaction ou la sélection des annonces commerciales présentées sur son site " lo.st ",

- de dire que la SA Ulimit ne peut être présumée avoir eu connaissance du prétendu caractère illicite des annonces commerciales Google hébergées par elle faute d'avoir été destinataire d'une notification des faits litigieux conformément aux dispositions de l'article 6-1-5 de la LCEN,

- de dire au surplus que la SA Ulimit n'a pas fait usage des marques de la SNCF au sens des articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement 40/94 tels qu'interprétés par la jurisprudence de la CJUE et qu'en conséquence elle n'a pas engagé sa responsabilité civile au regard des articles L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, L. 121-1 du Code de la consommation et 1382 du Code civil,

- de débouter la SNCF de l'ensemble de ses demandes,

- de condamner reconventionnellement la SNCF à lui verser la somme de 4 500 000 euros en réparation de la privation de jouissance subie du fait de l'exécution de l'arrêt d'appel du 28 octobre 2011,

- de condamner la SNCF à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de son action,

- d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux à leur choix et aux frais de la SNCF à raison de 6 000 euros au maximum par publication, ainsi que sur la partie supérieure de la page d'accueil des sites <www.sncf.com> et <www.voyages-sncf.com> en police Arial de taille 18 au minimum, en lettres noires sur fond blanc, pendant un délai qui ne saurait être inférieur à 30 jours consécutifs à compter du début de la diffusion,

- de condamner la SNCF à payer au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, les sommes de 100 000 euros à la SA Ulimit, de 50 000 euros à la SAS Tuto4pc.com Group et de 50 000 euros à M. Jean-Luc Haurais, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris de première instance, de référé aux fins d'arrêt d'exécution provisoire et d'appel ;

Par leurs dernières conclusions n° 3, transmises par RPVA le 30 mai 2016, les établissements publics à caractère industriel et commercial Sncf Mobilités et Sncf (ci-après les établissements SNCF) demandent :

- de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il a mis la SAS Tuto4pc.com Group (anciennement Eorezo Group) et M. Jean-Luc Haurais hors de cause et sur le quantum des condamnations financières,

- de mettre dans la cause la SAS Tuto4pc.com Group, étroitement liée à l'activité commerciale du site <www.lo.st> et M. Jean-Luc Haurais, titulaire du nom de domaine " lo.st " et président du direction de la SA Ulimit (anciennement Eorezo),

- de dire que du fait de la présentation des annonces, de leur emplacement privilégié avant celles de la SNCF, de la mise à disposition des internautes d'une sélection de mots-clés, de sorte que les résultats qui apparaissent sont bien différents de ceux du moteur de recherche Google, tout en laissant croire à l'internaute qu'il s'agit des résultats du moteur de recherche Google, les appelants ont un rôle actif, la connaissance et la maîtrise des données accessibles sur leur site et sont donc responsables en leur qualité d'éditeurs du site litigieux,

- de dire que les appelants, en leur qualité d'éditeurs du site litigieux, engagent leur responsabilité civile selon les règles du droit commun, en faisant une exploitation injustifiée de la marque renommée "SNCF" positionnée sur un onglet délibérément placé en page d'accueil du site,

- de dire que cette présentation trompeuse est une violation du Code de la consommation,

- de " faire interdiction aux appelants de cesser les actes litigieux " (sic) et de faire usage des signes " SNCF ", "TGV", "Transilien", "Voyages-SNCF.com" et "Voyages-SNCF", à l'identique ou par imitation, ou tout autre signe dont SNCF serait titulaire, sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée, à compter de la signification de la décision à intervenir,

- de condamner in solidum les appelants à réparer les conséquences négatives subies par SNCF, ainsi qu'au titre du bénéfice qu'ils réalisent indûment, à hauteur de 300 000 euros,

- de condamner in solidum les appelants à réparer le préjudice subi par SNCF résultant de la violation du Code de la consommation et cela, à hauteur de 100 000 euros,

- de condamner in solidum les appelants à réparer le préjudice moral subi par SNCF résultant de la forte perte d'image et de la forte atteinte à sa réputation et cela, à hauteur de 100 000 euros,

- de déclarer irrecevables comme nouvelles en appel les demandes reconventionnelles des appelants en publication judiciaire, dommages et intérêts pour privation de jouissance et procédure abusive,

- à titre subsidiaire, de débouter les appelants de toutes leurs réclamations reconventionnelles particulièrement mal fondées,

- de condamner in solidum les appelants à payer à SNCF la somme de 40 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 juin 2016 ;

MOTIFS DE L'ARRÊT

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ;

Considérant qu'il sera donné acte à l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF de son intervention volontaire à l'instance ;

I : Sur la demande de mise hors de cause de la SA tuto4pc.com Group et de M. Jean-Luc Haurais :

Considérant que M. Jean-Luc Haurais soutient qu'il n'a commis aucune faute détachable de ses fonctions dans la mesure où ni le fait d'avoir été titulaire du nom de domaine, ni sa qualité de président du directoire ne sont constitutifs en eux-mêmes d'une telle faute ;

Que la SA Tuto4pc.com Group rappelle pour sa part qu'elle n'est qu'une société holding n'exerçant aucune activité opérationnelle relative au site "lo.st" et qu'elle ne saurait être tenue responsable des faits commis par sa filiale ;

Qu'ils concluent en conséquence à la confirmation du jugement entrepris qui a prononcé leur mise hors de cause ;

Considérant que les établissements SNCF Mobilités et SNCF répliquent que rien ne justifie la mise hors de cause de M. Jean-Luc Haurais, qui a enregistré le nom de domaine litigieux sous son nom, a exploité personnellement ce site jusqu'au 30 novembre 2009 et est toujours dirigeant des sociétés appelantes, et qu'il en est de même pour la SA Tuto4pc.com Group, qui était directement liée à l'exploitation du site litigieux en en percevant les fruits de l'exploitation et en facturant à sa filiale, la SA Ulimit des frais de gestion ;

Considérant d'abord qu'il résulte des pièces versées aux débats (en particulier la réponse de la SAS OVH en date du 11 décembre 2008 à l'ordonnance sur requête rendue le 5 décembre 2008) que le nom de domaine "lo.st" a été initialement enregistré le 31 octobre 2008 par M. Jean-Luc Haurais, par ailleurs président du directoire de la SA Eorezo (devenue par la suite Tuto4pc.com et désormais Ulimit) ; que toutefois il n'est pas démontré que celui-ci aurait exploité à titre personnel jusqu'au 30 novembre 2009, le site Internet accessible depuis ce nom de domaine, les premiers juges ayant rappelé à juste titre que seuls ledit site et les fonctionnalités qu'il offre sont en cause dans le cadre du présent litige ;

Qu'en effet, le seul fait que le nom de M. Jean-Luc Haurais soit mentionné par des internautes dans des forums de discussion (pièce 30 des établissements SNCF) est en soi insuffisant à établir la matérialité de sa participation " active et essentielle " (page 22 des conclusions des établissements SNCF) dans les faits reprochés au site "lo.st", étant observé qu'aucun des propos échangés sur ces forums, au demeurant de façon péremptoire, ne met en évidence un quelconque rôle personnel de M. Jean-Luc Haurais dans l'exploitation de ce site, son nom étant cité comme dirigeant des sociétés Adomos et Eorezo ;

Que le seul fait que M. Jean-Luc Haurais soit président du directoire de la SA Eorezo (aujourd'hui Ulimit) ne saurait justifier sa mise en cause à titre personnel dans la mesure où il n'est ni démontré, ni même sérieusement allégué, l'existence d'une faute personnelle de sa part, détachable de ses fonctions de président du directoire de la SA Eorezo (aujourd'hui Ulimit), c'est-à-dire d'une faute intentionnelle d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales, les établissements SNCF se contentant de procéder par affirmations péremptoires ;

Qu'en conséquence le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de M. Jean-Luc Haurais ;

Considérant ensuite qu'il est constant que la SA Tuto4pc.com Group (alors dénommée Eorezo Group) est une société holding, personne morale distincte de la SA Ulimit, dont la responsabilité ne peut être engagée que s'il est démontré qu'elle a commis une faute personnelle ;

Que le simple fait que la SA Tuto4pc.com Group, en sa qualité de société holding, soit actionnaire majoritaire de sa filiale, la SA Ulimit, et perçoive, de ce fait, des dividendes, mode de rémunération licite des actionnaires en contrepartie du capital investi, ne saurait en lui-même démontrer une immixtion fautive de la SA Tuto4pc.com Group dans l'exploitation du site "lo.st" ;

Que de même le fait que la SA Tuto4pc.com Group facture des frais de gestion à sa filiale ne saurait en lui-même démontrer l'existence de transferts de fonds suspects entre les deux sociétés, révélateurs d'une immixtion de la SA Tuto4pc.com Group dans la gestion de la SA Ulimit ; qu'il sera en effet rappelé que l'activité de la SA Tuto4pc.com Group, société holding, est notamment la gestion de ses prises de participation dans des sociétés filiales dont elle peut licitement facturer les frais à celles-ci ;

Considérant, enfin, qu'il n'est pas contradictoire pour la SA Tuto4pc.com Group de demander, dans le cadre d'un litige distinct l'opposant, avec la SA Ulimit, aux sociétés du groupe Google, de demander l'indemnisation d'un préjudice propre résultant selon elle de la désactivation du compte Adwords ouvert par sa filiale ;

Considérant en conséquence qu'il n'est nullement démontré l'absence d'autonomie de la SA Ulimit et l'immixtion de la SA Tuto4pc.com Group dans sa gestion, notamment dans l'exploitation du site "lo.st", de telle sorte que le jugement entrepris sera également confirmé en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la SA Tuto4pc.com Group ;

II : Sur le régime de responsabilité de la SA Ulimit en tant qu'exploitant du site " lo.St " :

Considérant que les premiers juges ont dit que la SA Eorezo (aujourd'hui Ulimit) ne pouvait pas bénéficier du régime de responsabilité limitée instaurée par l'article 6-I-2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 (dite LCEN) et engageait donc sa responsabilité civile dans les conditions du droit commun au motif qu'elle devait être qualifiée d'éditeur dès lors qu'elle avait un rôle actif dans le choix des contenus mis en ligne sur son site ;

Considérant que la SA Ulimit rappelle que selon la jurisprudence européenne et nationale, le prestataire qui encadre la mise en ligne d'informations par des tiers utilisateurs, sans leur commander un choix quelconque quant au contenu qu'ils entendent mettre en ligne, n'est pas éditeur, la commercialisation d'espaces publicitaires n'induisant d'ailleurs pas une capacité d'action sur les contenus ;

Qu'elle ajoute que l'exploitant d'un moteur de recherche est ainsi présumé être un hébergeur et relever du régime dérogatoire de responsabilité puisqu'il se contente de trier et d'organiser, conformément à la requête de l'internaute, des résultats sur le contenu desquels il n'est pas intervenu ; qu'il n'en irait autrement que s'il était démontré avoir joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées, la charge de cette preuve incombant aux établissements SNCF ;

Qu'elle affirme que l'apposition d'un onglet " SNCF " en page d'accueil de son moteur de recherche n'est qu'un raccourci de recherche permettant aux internautes de voir apparaître en un seul clic toutes les pages de résultats correspondant à la requête " SNCF ", et non pas un renvoi au site Internet de la SNCF ;

Qu'elle ajoute n'avoir joué aucun rôle actif dans le choix des annonces commerciales qu'elle hébergeait de manière neutre et passive sans les modifier, l'insertion ou la suppression d'un raccourci de recherche ne permettant pas de présumer qu'elle aurait sélectionné les annonces commerciales et les résultats naturels apparaissant sur les pages de résultats ;

Qu'elle fait par ailleurs valoir qu'en sa qualité d'hébergeur, il appartenait à la SNCF, conformément aux dispositions de l'article 6-I-5 de la LCEN, de lui notifier le caractère prétendument illicite des annonces commerciales, ce qu'elle n'a jamais fait ;

Considérant que les établissements SNCF répliquent qu'il n'a existé aucun prétendu accord entre le groupe Google et les sociétés appelantes pour l'exploitation des annonces de ce groupe et qu'un moteur de recherche peut aussi bien être qualifié d'éditeur que d'hébergeur, en fonction du rôle qu'il joue ;

Qu'ils soutiennent qu'en apposant un onglet "SNCF" sur la page d'accueil du site "lo.st", nécessairement perçu par l'internaute comme un lien hypertexte dirigeant vers le site SNCF, les exploitants du site "lo.st" agissaient en tant qu'éditeur et non pas comme un prestataire de service de référencement et que le choix volontaire et délibéré d'apposer cet onglet démontre leur rôle actif ;

Considérant ceci exposé, qu'aux termes de l'article 6, I, 2 de la LCEN, " Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible " ;

Que ce texte doit être interprété au regard de l'article 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 dite " directive sur le commerce électronique ", dont il est la transposition en droit interne, ainsi rédigé :

1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d'un service de la société de l'information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d'un destinataire du service à condition que :

a) le prestataire n'ait pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n'ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l'activité ou l'information illicite est apparente

ou

b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l'accès à celles-ci impossible ;

Que cette directive, à son 42e considérant, précise que : " Les dérogations en matière de responsabilité prévues par la présente directive ne couvrent que les cas où l'activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l'information est limitée au processus technique d'exploitation et de fourniture d'un accès à un réseau de communication sur lequel les informations fournies par des tiers sont transmises ou stockées temporairement, dans le seul but d'améliorer l'efficacité de la transmission. Cette activité revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire de services de la société de l'information n'a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées " ;

Considérant que la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt Google du 23 mars 2010 a dit pour droit que : " L'article 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 9 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information et, notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (" directive sur le commerce Electronique "), doit être interprété en ce sens que la règle y énoncée s'applique au prestataire d'un service de référencement sur Internet lorsque ce prestataire n'a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées. S'il n'a pas joué un tel rôle, ledit prestataire ne peut être tenu responsable pour les données qu'il a stockées à la demande d'un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du caractère illicite de ces données ou d'activités de cet annonceur, il n'ait pas promptement retiré ou rendu inaccessible lesdites données ;

Considérant qu'il en résulte qu'un prestataire d'un service de stockage à la demande d'un destinataire du service et de référencement sur Internet (moteur de recherche) est présumé être un hébergeur bénéficiant du régime de responsabilité limitée prévu par l'article 6, I, 2 de la LCEN dès lors que son activité revêt un caractère purement technique, automatique et passif ;

Considérant qu'il ressort du procès-verbal d'agent assermenté de l'APP du 22 octobre 2008 et du procès-verbal de constat d'huissier du 5 novembre 2008 (pièces 9 et 10 des établissements SNCF) que les sites <http://lo.st/> et <www.lo.st> s'ouvrent sur une page d'accueil permettant une recherche sur Internet par mots-clés, reprenant le visuel des sociétés du groupe Google et comportant en bas de page plusieurs onglets dont l'onglet " Sncf " ;

Que les établissements SNCF soutiennent qu'en apposant cet onglet, la SA Ulimit n'agirait pas comme un prestataire de service de référencement mais comme l'éditeur d'un site qui met à la disposition des internautes un lien hypertexte dans la mesure où lorsque l'internaute aperçoit l'onglet " Sncf " en page d'accueil du site, il pense légitimement accéder directement au site de la SNCF et qu'il ne s'agit donc pas d'une requête tapée par un internaute mais d'un onglet proposé par le site lui-même et que de ce fait " la logique de la jurisprudence Google de la Cour de justice de l'Union européenne n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce " (page 36 de leurs conclusions) ;

Considérant toutefois qu'il n'existe pas sur l'Internet un unique " site SNCF " mais une pluralité de sites exploités par les établissements SNCF, dont leur site institutionnel (sncf.com) mais aussi leur site de réservation et de location en ligne (voyages-sncf.com) et de nombreux sites spécifiques pour le réseau Ile-de-France (transilien.com), pour les voyages en groupe (voyages-train-groupes.sncf.fr), pour les trains à tarification spéciale tel Ouigo (ouigo.com) et l'IDTGV (idtgv.com), etc ;

Que d'ailleurs le fait de cliquer sur cet onglet "SNCF" ouvre une nouvelle page de résultats de recherche d'adresses de sites sur la base du mot-clé "SNCF" et où les différents sites exploités par les établissements SNCF apparaissent à partir de la septième ligne de résultats après six lignes d'annonces commerciales ;

Que cet onglet ne peut dès lors être interprété par l'internaute qui se rend sur le site "lo.st" pour y effectuer une recherche sur l'Internet à partir de mots-clés, que comme un raccourci de recherche à partir du mot-clé "SNCF" et non pas comme un lien hypertexte devant le conduire directement à un prétendu " site SNCF " inexistant en tant que tel ;

Qu'ainsi la SA Ulimit agit bien sur son site "lo.st" comme prestataire d'un service de stockage et de référencement sur l'Internet des informations fournies par les destinataires du service au sens de l'article 6-I-2 de la LCEN, de l'article 14 de la directive 2000/31/CE et de l'arrêt Google de la Cour de justice de l'Union européenne, applicables aux faits de la cause ;

Considérant qu'au point 114 de son arrêt Google, la Cour de justice de l'Union européenne précise qu''afin de vérifier si la responsabilité du prestataire du service de référencement pourrait être limitée au titre de l'article 14 de la directive 2000/31, il convient d'examiner si le rôle exercé par ledit prestataire est neutre, en ce que son comportement est purement technique, automatique et passif, impliquant l'absence de connaissance ou de contrôle des données qu'il stocke " et à son point 118, que dans le cadre de cet examen, est pertinent le rôle joué par le prestataire du service de référencement " dans la rédaction du message commercial accompagnant le lien promotionnel ou dans l'établissement ou la sélection des mots clés" pour conclure à son point 119 qu'à cet égard " il appartient à la juridiction nationale, qui est la mieux à même de connaître les modalités concrètes de la fourniture du service dans les affaires au principal, d'apprécier si le rôle ainsi exercé (...) correspond à celui décrit au point 114" ;

Considérant que contrairement à ce que soutiennent les établissements SNCF, la simple insertion en page d'accueil du site "lo.st", à titre de raccourci, du mot-clé "SNCF" n'est pas " un acte illicite en soi " (page 39 de leurs conclusions) mais relève de la mise en page de l'affichage du site ainsi que l'a relevé l'expert Michel Villard dans son rapport amiable du 29 septembre 2010 (pièce n° 10 des sociétés appelantes) régulièrement versé aux débats et soumis au débat contradictoire ;

Que la simple insertion de ce mot-clé renvoyant l'internaute à une page de résultats affichée par le moteur de recherche du site, puis sa suppression en vertu de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement entrepris, sont en eux-mêmes, en l'absence de tout autre élément, insuffisants à caractériser un rôle actif de la SA Ulimit, de nature à lui confier la connaissance et le contrôle des données transmises par les annonceurs et qu'elle stocke sur son site ;

Considérant que les établissements SNCF soutiennent encore que la SA Ulimit contrôle parfaitement les données qu'elle stocke sur son site "lo.st" en décidant de la rédaction des annonces, de leur présentation et de leur emplacement, dans la mesure où il s'agit d'un service indépendant des résultats aléatoires de Google, en mettant à la disposition des annonceurs une sélection de mots-clés, opérant ainsi un tri et sélectionnant les annonces, en incitant les annonceurs à augmenter la redevance publicitaire, prétendant avoir adhéré au système AdSense de Google ;

Qu'ils en concluent qu'à partir du moment où les résultats qui s'affichent ne sont pas la résultante d'un algorithme automatique, comme celui de Google, mais sont choisis délibérément par la SA Ulimit, celle-ci ne peut pas soutenir être simplement un hébergeur de données ;

Mais considérant que les établissements SNCF se bornent à arguer de ce que les résultats d'une recherche sur le site "lo.st" avec les mêmes mots-clés sont différents de ceux obtenus avec le moteur de recherche Google pour en conclure que la SA Ulimit aurait ainsi " nécessairement joué un rôle sur le choix et l'emplacement des annonces " (page 48 de leurs conclusions) sans pour autant caractériser un quelconque rôle actif de la SA Ulimit, de nature à lui confier la connaissance et le contrôle des données transmises par les annonceurs et qu'elle stocke sur son site ; qu'il n'est en particulier pas démontré que les résultats s'affichant sur le site "lo.st" en réponse à une recherche par mots-clés ne seraient pas la résultante d'un algorithme automatique, chaque moteur de recherche pouvant avoir le sien propre ;

Considérant qu'il s'ensuit que la SA Ulimit bénéficie bien du régime de responsabilité limitée prévu par l'article 6, I, 2 de la LCEN, ne pouvant être engagée qu'à la suite d'une notification dans les formes et conditions prévues à l'article 6, I, 5 de ladite loi et qu'il est constant que les établissements SNCF n'ont jamais adressé une telle notification aux appelants ;

Considérant en conséquence que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a dit que la SA Eorezo (désormais Ulimit) ne pouvait pas bénéficier du régime de responsabilité limitée instaurée par la LCEN et engageait sa responsabilité civile dans les conditions de droit commun ;

III : Sur l'atteinte aux marques notoires :

Considérant que les établissements SNCF admettent que selon la jurisprudence de l'arrêt Google précité de la Cour de justice de l'Union européenne, le prestataire d'un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l'affichage d'annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe au sens de l'article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/104/CE (codifiée par la directive n° 2008/95/CE) dont l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle est la transposition en droit interne ;

Qu'ils admettent donc que "le seul affichage d'annonces à partir de mots-clés composés de marques renommées de SNCF ("SNCF", "TGV", "Transilien", "Voyages-SNCF", etc.) ne peut être sanctionné sur le fondement du droit des marques" (page 52 de leurs conclusions) ;

Que s'ils maintiennent néanmoins leurs demandes à ce titre sur le fondement de la responsabilité de droit commun des articles 1382 et 1383 du Code civil en soutenant que la SA Ulimit a la qualité d'éditeur du site "lo.st", ces demandes ne peuvent prospérer dans la mesure où, comme analysé plus haut, la SA Ulimit bénéficie du régime de responsabilité limitée prévu par l'article 6, I, 2 de la LCEN et ne peut donc pas voir sa responsabilité civile engagée sur le fondement de la responsabilité de droit commun ;

Que le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a dit que la SA Ulimit avait porté atteinte aux marques notoires "SNCF", "TGV", "Transilien", "Voyages-SNCF.com" et "Voyages-SNCF" en faisant apparaître sur son site ces signes sur sa page d'accueil et sur la marge de résultats de son moteur en recherche ;

IV : Sur la publicité trompeuse :

Considérant que les établissements SNCF soutiennent encore que l'exploitation du site litigieux constitue à la fois une publicité mensongère et un usage de mauvaise foi de leurs marques, ces actes devant être sanctionnés pour violation des articles L. 115-33 et L. 121-1 du Code de la consommation et de l'article 20 de la LCEN ;

Qu'ils font valoir que les services du site "lo.st" intitulés " Annonces Google " sont présentés comme étant une offre de services publicitaires au sens de l'article L. 121-1 précité, que cette mention est trompeuse en laissant entendre que le site Google entretient des rapports commerciaux avec le site litigieux et que le consommateur est trompé sur l'origine des biens et services faisant l'objet de la publicité puisqu'en tapant le mot clé " voyage SNCF " il n'est pas dirigé par le site de la SNCF mais uniquement vers des liens commerciaux choisis par le site "lo.st" ;

Qu'ils soutiennent donc que ces actes constituent une publicité mensongère dans l'unique but de tromper le consommateur pour lui faire croire qu'il va être mis en relation avec les sites commerciaux de la SNCF, présentée comme un partenaire du site "lo.st", alors que ce n'est pas le cas ;

Considérant que la SA Ulimit réplique que l'affichage des liens commerciaux par l'exploitant d'un service de référencement ne constitue pas une publicité et que la SNCF ne démontre pas une altération du comportement économique du consommateur, condition essentielle pour caractériser une pratique commerciale trompeuse ;

Considérant ceci exposé, que l'article L. 121-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction résultant de la transposition en droit interne de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, sanctionne toute pratique commerciale (antérieurement dénommée publicité) reposant sur des allégations, des indications ou des présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant sur les caractéristiques essentielles du service ou du produit ;

Considérant qu'il résulte des procès-verbaux de constat susvisés qu'en effectuant sur le site "lo.st" une recherche avec les mots-clés " voyage SNCF ", le résultat affiche sous la rubrique " Annonces Google " un site de rencontres et cinq sites de voyagistes ;

Que ce simple fait, résultant de la prestation de service de référencement assurée par la SA Ulimit, ne caractérise pas une pratique commerciale trompeuse relevant de l'application de l'article L. 121-1 susvisé ;

Que c'est donc à tort que les premiers juges ont dit que la reproduction de la marque notoire "SNCF" sur le site "lo.st" (dont il est au demeurant désormais constant qu'il n'en a pas été fait un usage à titre de marque) constituait une pratique commerciale trompeuse en faisant croire au consommateur que les établissements SNCF étaient une partenaire de ce site ;

Que le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef ;

Considérant qu'il s'ensuit que les établissements SNCF seront déboutés de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre des sociétés Ulimit, Tuto4pc.com Group et de M. Jean-Luc Haurais, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu'il a prononcé des mesures d'interdiction et de publication judiciaire et des condamnations à l'encontre de la SA Ulimit ;

V : Sur les autres demandes :

Considérant que les sociétés Ulimit, Tuto4pc.com Group et M. Jean-Luc Haurais font valoir l'indemnisation de la privation de jouissance consécutive à l'exécution d'un arrêt ultérieurement cassé constitue une restitution au sens de l'article L. 111-11 du Code des procédures civiles d'exécution ;

Que la SA Ulimit soutient être ainsi fondée à solliciter l'indemnisation de la privation de jouissance consécutive à l'exécution de l'arrêt du 28 octobre 2011 cassé le 20 janvier 2015 en faisant état d'une perte de son chiffre d'affaires de 2 535 000 euros en 2009 à 135 947 euros en 2012 ayant conduit à la fermeture du site en 2013 ; qu'elle réclame à ce titre la somme de 4 500 000 euros ;

Qu'elle réclame en outre la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Qu'enfin les appelants sollicitent la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux à leur choix et en page d'accueil des sites <www.sncf.com> et <www.voyages-sncf.com> ;

Considérant que les établissements SNCF soulèvent au préalable l'irrecevabilité de ces demandes reconventionnelles comme étant nouvelles en appel ;

Mais considérant que l'article 567 du Code de procédure civile dispose que les demandes reconventionnelles sont recevables en appel et que dès lors les demandes des sociétés appelantes sont bien recevables ;

Considérant que sur le fond les établissements SNCF s'opposent à la demande de publication judiciaire qu'ils considèrent comme infondée ; qu'ils s'opposent également à la demande d'indemnisation pour privation de jouissance et perte de marge en affirmant que le site "lo.st" n'a pas été fermé en exécution de l'arrêt d'appel, la modification puis la fermeture progressive de ce site par les appelants ayant été décidée du fait de leur changement de stratégie ; qu'ils s'opposent de même à la demande d'indemnisation pour procédure abusive en rappelant que les sociétés appelantes ont été condamnées en première instance ;

Considérant ceci exposé, que l'article L. 111-11 du Code de procédure civile dispose que l'exécution d'un arrêt d'appel ultérieurement cassé ne peut donner lieu qu'à restitution et ne peut en aucun cas être imputée à faute ;

Considérant qu'il est constant qu'à la suite de la cassation le 20 janvier 2015, de l'arrêt du 28 octobre 2011, la SA Ulimit a obtenu la restitution de la somme de 400 000 euros qu'elle avait été condamnée à verser à la SNCF à titre de dommages et intérêts ;

Considérant que si l'indemnisation de la privation de jouissance consécutive à l'exécution d'un arrêt ultérieurement cassé peut également constituer une restitution au sens de l'article précité, encore faut-il que du fait de l'arrêt du 28 octobre 2011, la SA Ulimit n'ait pu poursuivre l'exploitation de son site "lo.st" et ait dû le fermer en 2013 ;

Considérant que ni le jugement entrepris, ni l'arrêt cassé n'ont ordonné la fermeture du site "lo.st" qui n'a d'ailleurs jamais été demandée par les établissements SNCF et qu'au demeurant après le jugement du 11 juin 2010, assorti de l'exécution provisoire, le site "lo.st" a pu continuer à fonctionner en respectant la mesure d'interdiction ordonnée par les premiers juges, ainsi que cela ressort des notes techniques de M. Michel Villard, propre consultant des appelants ;

Que la baisse progressive du chiffre d'affaires et la fermeture du site "lo.st" en 2013 n'apparaît pas due à l'exécution de l'arrêt du 28 octobre 2011 car elle a commencé dès 2010 ainsi que cela ressort de l'attestation de l'expert-comptable de la SA Ulimit et est davantage due à la désaffection des internautes, agacés par les logiciels indésirables de type publicitaires (" adware ") s'installant avec ce moteur de recherche ainsi que cela ressort des échanges sur les forums de discussion (pièce 30 des établissements SNCF), ayant conduit à l'internation de ces programmes par Google Adsense, premier vecteur de diffusion selon le site <www.supprimer-trojan.com/Eorezo-tuto4pc/> qui propose des procédures de désinfection gratuite de ces programmes (pièce 42) ;

Qu'en conséquence la SA Ulimit sera déboutée de sa demande en indemnisation d'un préjudice de jouissance et d'une perte de marge ;

Considérant enfin qu'une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient au demandeur en dommages et intérêts pour procédure abusive de spécifier, constituer un abus de droit lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet en appel ;

Qu'en l'espèce la SA Ulimit ne caractérise pas de telles circonstances particulières et ne justifie donc pas d'un abus caractérisé des établissements SNCF de leur droit d'agir en justice ; qu'elle sera donc déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Que dès lors les sociétés appelantes ne peuvent également qu'être déboutées de leur demande de publication judiciaire à titre de mesure réparatrice complémentaire ;

Considérant qu'il est équitable d'allouer aux sociétés Ulimit et Tuto4pc.com Group et à M. Jean-Luc Haurais la somme globale de 10 000 euros au titre des frais par eux exposés et non compris dans les dépens, le jugement entrepris étant par ailleurs infirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles de première instance ;

Considérant que les établissements SNCF seront pour leur part, déboutés de leur demande en paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant que les établissements SNCF, parties perdantes, seront condamnés in solidum au paiement des dépens de la procédure de première instance et d'appel, le jugement entrepris étant par ailleurs infirmé en ce qu'il a statué sur la charge des dépens de la procédure de première instance ;

Par ces motifs, La Cour, statuant publiquement et contradictoirement sur renvoi de cassation et dans les limites de la cassation partielle intervenue ; Donne acte à l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF de son intervention volontaire à l'instance ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de M. Jean-Luc Haurais et de la SAS Eorezo Group, désormais dénommée Tuto4pc.com Group ; L'infirme pour le surplus, statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant : Dit que la SA Ulimit agit, dans le cadre de l'exploitation de son site Internet "lo.st", comme prestataire d'un service de stockage et de référencement sur l'Internet des informations fournies par les destinataires du service au sens de l'article 6-I-2 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, de l'article 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 et de l'arrêt Google de la Cour de justice de l'Union européenne du 23 mars 2010 ; Dit que la SA Ulimit a sur ce site le statut d'hébergeur et bénéficie du régime de responsabilité limitée prévu par l'article 6-I-2 précité ; Constate que ce régime de responsabilité limitée n'a pas été mis en œuvre par les établissements publics à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités et SNCF dans les formes et conditions de l'article 6-I-5 de ladite loi ; Déboute en conséquence les établissements publics à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités et SNCF de l'ensemble de leurs demandes fondées sur la responsabilité de droit commun des articles 1382 et 1383 du Code civil ; Dit que la SA Ulimit n'a pas fait un usage des marques notoires "SNCF", "TGV", "Transilien", "Voyages-SNCF.com" et "Voyages-SNCF" dont la SNCF est titulaire, dans la vie des affaires au sens de l'article 5, paragraphes 1 et 2 de la directive n° 2008/95/CE ; Donne acte aux établissements publics à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités et SNCF de ce qu'ils n'invoquent plus devant la cour une atteinte à leurs marques notoires sur le fondement des dispositions de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle ; Déboute les établissements publics à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités et SNCF de l'ensemble de leurs demandes relatives à leurs marques notoires fondées sur les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil ; Déboute les établissements publics à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités et SNCF de l'ensemble de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation ; Déclare recevables les demandes reconventionnelles des sociétés Ulimit, Tuto4pc.com Group et de M. Jean-Luc Haurais en indemnisation d'un préjudice de jouissance, en dommages et intérêts pour procédure abusive et en publication judiciaire du présent arrêt ; Déboute la SA Ulimit de sa demande d'indemnisation d'un préjudice de jouissance et d'une perte de marge ; Déboute les sociétés Ulimit, Tuto4pc.com Group et M. Jean-Luc Haurais de leurs demandes en dommages et intérêts pour procédure abusive et de publication judiciaire du présent arrêt ; Condamne in solidum les établissements publics à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités et SNCF à payer aux sociétés Ulimit, Tuto4pc.com Group et à M. Jean-Luc Haurais la somme globale de dix mille euros (10 000 euros) au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; Déboute les établissements publics à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités et SNCF de leur demande en paiement au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne in solidum les établissements publics à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités et SNCF aux dépens de la procédure de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.