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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 30 septembre 2016, n° 14-03928

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Société de Terrassement d'Electricité et Gaz (Sté)

Défendeur :

Foncier Aménagement (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Nicoletis, Lis Schaal

Avocats :

Mes Montacie, Brecheteau, Meynard, Doucet

T. com. Rennes, du 26 nov. 2013

26 novembre 2013

La SARL STEG Société de Terrassement d'Electricité et Gaz, société de travaux publics et de terrassement, a participé depuis juillet 2003 à des chantiers mis en œuvre par la SARL Foncier Aménagement, société de promotion immobilière.

En 2009, un litige, qui a opposé les deux sociétés concernant le paiement de factures réclamées par la société STEG à la société Foncier Aménagement, s'est terminé par un arrêt partiellement infirmatif de la Cour d'appel d'Angers du 20 septembre 2011, qui a condamné la société Foncier Aménagement à payer à la société STEG la somme de 23 838,67 euros au titre du chantier de la Plaine Sur Mer et a ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil.

Par jugement du Tribunal de commerce d'Angers du 13 janvier 2010, la société STEG a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. Par jugement du 6 juillet 2011, ce même tribunal a arrêté un plan de redressement.

Par acte du 13 janvier 2013, la société STEG a assigné la société Foncier Aménagement devant le Tribunal de commerce de Rennes, en lui reprochant une rupture brutale des relations commerciales établies depuis près de six ans et en demandant sa condamnation à lui verser la somme de 426 901 euros en réparation.

Par jugement du 26 novembre 2013, le tribunal de commerce a :

- débouté la société STEG de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Foncier Aménagement en sa demande de paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné la société STEG au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société STEG aux entiers dépens.

Le tribunal a retenu notamment que l'article L. 442-6 du Code de commerce n'était pas applicable, car les sociétés STEG et Foncier Aménagement n'étaient pas dans une relation commerciale établie en raison du fait que la société STEG était régulièrement mise en concurrence lors d'appels d'offres et qu'elle n'était pas un prestataire exclusif de la société Foncier Aménagement.

Par déclaration du 21 février 2014, la société STEG a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de la société STEG, déposées et notifiées le 4 août 2014, par lesquelles elle demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce du 26 novembre 2011 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Foncier Aménagement de ses demandes reconventionnelles ;

Par conséquent,

- dire et juger que la société Foncier Aménagement a brutalement rompu les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec la STEG depuis près de 6 ans ;

En conséquence,

- condamner la société Foncier Aménagement à payer à la STEG la somme de 426 901 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- condamner la société Foncier Aménagement à payer à la STEG la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Foncier Aménagement aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Vu les dernières conclusions, déposées et notifiées le 11 juillet 2014, par lesquelles la société Foncier Aménagement demande à la cour de :

Vu les dispositions de l'article 1134 du Code civil

Vu les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Rennes en tant qu'il a débouté la société STEG de l'ensemble de ses prétentions à l'encontre de la société Foncier Aménagement,

- condamner la société STEG à payer à la société Foncier Aménagement la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civil,

- condamner la société STEG aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jean-Didier Meynard- SCP Brodu Cicurel Meynard Gauthier, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Cela étant exposé, LA COUR

Sur la nature des relations commerciales

Considérant que la société STEG expose que la société Foncier Aménagement lui confiait en permanence et régulièrement, différents chantiers d'aménagement depuis sa création en juillet 2003 ; que la société Foncier Aménagement était l'un de ses principaux donneurs d'ordre, leurs relations d'affaires représentaient en fonction des années entre 30 % et 50% de son chiffre d'affaires ; que les relations commerciales ont duré pratiquement 6 ans, depuis la création de la société STEG en juillet 2003 et jusqu'en mars 2009 ; qu'il ne ressort pas des pièces produites aux débats que les chantiers qui lui étaient confiés par la société Foncier Aménagement faisaient suite à un appel d'offres mettant en concurrence différents prestataires ; que la société Foncier Aménagement confiait toutes les phases d'un même marché à un même entrepreneur, ainsi, lorsque la première phase d'un chantier lui était confiée, elle s'attendait légitimement à ce que la seconde phase lui soit commandée car elle est indissociable de la première ; qu'en outre, les parties ayant l'habitude de collaborer ensemble, elle s'attendait légitimement à ce que la société Foncier Aménagement lui attribue annuellement un certain nombre de chantiers ;

Considérant que la société Foncier Aménagement répond que l'octroi de façon ponctuelle de quelques marchés, même sur plusieurs années, ne saurait être assimilé l'existence d'une relation commerciale établie ; que le principe de liberté contractuelle qui institue la liberté de contracter librement, prévoit corrélativement la liberté de ne pas contracter et que l'action diligentée par la société STEG a incontestablement pour effet de porter atteinte au principe général du droit que représente cette liberté ; que la régularité, la stabilité, l'absence de précarité dans la relation invoquée par la société STEG ne correspond nullement à la réalité ; qu'aucun contrat-cadre n'avait été prévu entre les parties, aucune exclusivité n'avait été consentie, aucun chiffre d'affaires n'avait été garanti à la société STEG ; qu'elle justifie avoir eu régulièrement recours à des concurrents de la société STEG, et ce dans un souci de compétitivité ;

Mais considérant que pour être établie au sens des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce la relation commerciale doit revêtir, avant la rupture, un caractère suivi, stable et habituel et la partie victime de l'interruption doit pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que depuis la création de la société STEG, en juillet 2003, la société Foncier Aménagement lui a confié tous les ans, jusqu'au mois de mars 2009, des travaux de viabilisation de terrain sur les chantiers dont elle était le maître d'œuvre ; que la société Foncier Aménagement ne produit aucun document établissant qu'elle recourait à des appels d'offres pour l'attribution des travaux confiés à la société STEG ; qu'il résulte du rapport établi le 8 mars 2010 par les administrateurs judiciaires de la société STEG que la clientèle de la société Foncier Aménagement "représentait une part importante du chiffre d'affaires de la société STEG (entre 30 et 35 pour cent du chiffre d'affaires TP), les commandes signées à fin 2008, était de l'ordre de 500 000 euros HT et les commandes en cours de négociation pour l'année 2009 étaient de l'ordre de 900 000 euros HT. Les relations commerciales se sont dégradées et actuellement l'ensemble des commandes a été suspendu" ;

Considérant qu'il résulte des documents produits aux débats que la relation d'affaires entre les parties a été régulière, stable et significative durant 6 ans et que la société STEG pouvait légitimement s'attendre à la continuité de la relation ; que la société STEG est bien fondée à se prévaloir de l'existence d'une relation commerciale établie entre les parties ;

Sur la brutalité de la rupture

Considérant que la société STEG expose qu'au mois de mars 2009, alors que les parties traitaient ensemble plusieurs chantiers, la société Foncier Aménagement a cessé de lui passer commande du jour au lendemain, sans motif ; que la société Foncier Aménagement a interrompu sans raison le chantier en cours de Brione les Sables, qui devait représenter un total de 62 335 euros HT, et le chantier prévu de Bonetable, d'un montant de 325 000 euros HT, en ne passant pas les ordres de services de démarrage du chantier ; qu'en outre, pour 8 marchés, pour lesquels elle avait réalisé la première phase, elle n'a jamais reçu d'ordre de service pour le démarrage de la deuxième phase, qui a été confiée à d'autres prestataires, ce qui représente pour elle un manque à gagner de 278 810,25 euros HT ; que cette rupture est brutale au sens de l'article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce, car elle a eu lieu sans aucun préavis écrit, et même sans préavis du tout ;

Considérant que la société STEG expose que la société Foncier Aménagement soutient à tort que la rupture des relations commerciales était justifiée par la mauvaise qualité des travaux réalisés par elle car, d'une part, il n'y a jamais eu de lien établi et , d'autre part, les doléances de la société Foncier Aménagement étaient fantaisistes, comme cela a été reconnu par le tribunal de commerce et la cour d'appel d'Angers ;

Considérant que la société Foncier Aménagement expose qu'il n'y a pas eu de rupture brutale car les parties sont allées au bout de leurs engagements contractuels réciproques ; que le marché de la construction, intrinsèquement lié au marché immobilier, est un marché particulièrement sensible et dépendant de la conjoncture économique et dès lors la société STEG ne pouvait présumer d'un flux d'affaires continu ; qu'à titre subsidiaire, la société Foncier Aménagement soutient que l'absence de tout préavis à la rupture de ses relations avec la société STEG ne saurait être générateur de dommages et intérêts, puisqu'en raison du conflit ayant un temps opposé les deux sociétés quant à la qualité des prestations réalisées par la société STEG, les malfaçons commises par la société STEG dans ses travaux l'ayant contrainte à les reprendre systématiquement, une réorganisation de la société Foncier Aménagement était prévisible et ne pouvait pas être ignorée par l'appelante, qui se devait d'envisager que les relations contractuelles entre les parties ne s'inscriraient pas dans la durée ;

Mais considérant que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis ;

Considérant qu'il résulte des pièces versées au débats qu'à compter du deuxième trimestre de l'année 2009, la société Foncier Aménagement n'a plus donné suite aux chantiers qui avaient fait l'objet d'une négociation et a contraint l'appelante à agir en justice pour obtenir paiement de ses factures ; que si l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce réserve la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure, cependant, la société Foncier Aménagement ne rapporte ni la preuve que la société STEG n'exécutait pas les prestations qui lui étaient confiées, ni celle de l'existence d'un cas de force majeure ; que la société Foncier Aménagement, qui a remplacé la société STEG par d'autres prestataires, ne démontre pas que la conjoncture économique en 2009 ait eu une incidence sur son activité ; que les reproches de malfaçons invoqués par la société Foncier Aménagement pour justifier du non-paiement de certaines factures à compter du deuxième trimestre 2009, ne la dispensaient pas de l'obligation de respecter un préavis raisonnable de rupture et sont insuffisants à établir que l'appelante pouvait s'attendre à la fin des relations commerciales ; que l'intimée ne produit aucun document établissant qu'elle a informé la société STEG de son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis ; que la société Foncier Aménagement a cessé du jour au lendemain toute relation commerciale avec la société STEG, sans lui adresser ni lettre de rupture, ni préavis écrit ; que la rupture totale par la société Foncier Aménagement des relations commerciales établies entre les parties a été brutale au sens de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce ;

Sur le préavis et l'indemnisation

Considérant que la société STEG expose que les relations commerciales entre les parties ayant été d'une durée supérieure à 6 ans, un préavis d'au moins 18 mois aurait dû être respecté par la société Foncier Aménagement, afin qu'elle puisse terminer les chantiers en cours et trouver de nouveaux donneurs d'ordres ; que la rupture brutale des relations commerciales établies a eu des répercussions importantes sur son chiffre d'affaires, puisque les travaux confiés par la société Foncier Aménagement pendant les trois années qui ont précédé la rupture correspondent à 37,95 % en moyenne de son chiffre d'affaires ; que la brutalité de la rupture a contribué, avec d'autres facteurs, à l'état de cessation des paiements, ce qui l'a conduite à déposer son bilan ; que son taux de marge brute pour l'activité de travaux publics est de 50 %, la marge brute réalisée annuellement pour ses activités de travaux publics avec la société Foncier Aménagement est de 284 600,66 euros ; qu'elle aurait donc dû réaliser avec l'intimée au cours du préavis de 18 mois une marge brute de 426 901 euros, dont elle demande le versement en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Considérant que la société Foncier Aménagement expose que l'absence de tout préavis à la rupture des relations avec la société STEG ne saurait être générateur de dommages et intérêts, car l'incapacité de cette société de répondre à ses engagements exclut ou réduit de façon conséquente tout droit à indemnisation ; que le risque prit par la société STEG en ne cherchant pas à améliorer ses prestations et en ne cherchant pas diversifier ses donneurs d'ordre est fautif et exclu tout droit à indemnisation ; que la société STEG est de mauvaise foi et cherche à tirer profit d'une situation qu'elle a rendu inévitable par la médiocrité de ses prestations ;

Mais considérant qu'il résulte de l'article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce qu'en ce qui concerne la rupture de relations commerciales établies, le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture et qu'en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire ; que le préjudice réparable est celui lié à la brutalité de la rupture et non à la rupture elle-même ;

Considérant que, eu égard à la durée de la relation commerciale, presque 6 ans, et aux circonstances au moment de la rupture, notamment les difficultés qui ont opposé les parties concernant certains chantiers, le délai de préavis suffisant était de 3 mois ; que pour établir le quantum de son préjudice, la société STEG produit deux attestations de son expert-comptable d'où il résulte que le chiffre d'affaires réalisé par la société STEG avec la société Foncier Aménagement, sur les trois années avant la rupture, correspond à environ 38 % du chiffre d'affaires de son activité travaux publics et que "l'activité de travaux public dégage une marge de 50 %"; que la société STEG soutient que la marge brute réalisée annuellement avec l'intimée était de 284 600, 66 euros ; que la société Foncier Aménagement ne conteste pas ces chiffres ; qu'il en résulte que la marge brute perdue par la société STEG durant le préavis de 3 mois qui aurait dû lui être notifié est de 71 150 euros ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement, sans en sa disposition ayant débouté la société STEG de sa demande de paiement de la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts. Et statuant à nouveau dans cette limite, Dit que la SARL Foncier Aménagement a brutalement rompu les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec la SARL STEG depuis près de 6 ans, Condamne la SARL Foncier Aménagement à verser à la SARL STEG la somme de 71 150 euros en réparation du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture, Et y ajoutant, Condamne la SARL Foncier Aménagement à verser à la SARL STEG la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de leurs autres demandes, Condamne la SARL Foncier Aménagement aux dépens de première instance et d'appel.